Contributions, Économie

L’intégrisme du FMI en appui à la décision de sa privatisation ou l’indigence des propositions et réflexions libérales et la nécessité de combattre son bannissement

SECTEUR PUBLIC :

L’intégrisme du FMI en appui à la décision de sa privatisation ou l’indigence des propositions et réflexions libérales et la nécessité de combattre son bannissement

Kamel Badaoui 09 octobre 2021

A lire les comptes-rendus de la presse, y compris ceux officiels de l’APS, le secteur public économique figure tout en haut de l’agenda du gouvernement. Le PAG (Plan d’Action du Gouvernement, approuvé par l’Assemblée Populaire Nationale) inclut la décision de privatisation des entreprises publiques (EP pour la suite) par ouverture partielle ou totale de leur capital, et l’activation du PPP (Partenariat Public Privé pour lequel une loi est annoncée).

Dans le même temps, on a pu lire aussi que la dernière mission du FMI en Algérie (du 13 septembre au 3 octobre 2021), dans une réunion (virtuelle) de conclusion avec le 1er ministre, s’est « félicitée des efforts déployés par le gouvernement algérien dans le domaine de l’amélioration du climat des affaires, notamment par rapport à la réduction des restrictions à l’investissement direct étranger », et « en accord avec les autorités », est d’avis que « la transition de l’Algérie vers un nouveau modèle de croissance passe également par la mise en œuvre de réformes fondamentales visant à renforcer la transparence et la gouvernance des institutions juridiques, budgétaires et monétaires dans l’ensemble du secteur public, et à réduire les obstacles à l’entrée dans l’économie formelle ».

Quand le FMI applaudit et suggère, il n’y a pas de doute : il faut s’attendre non pas à une réforme avec des progrès attendus (notamment au plan social), mais à une contre-réforme avec une régression sociale au bout. L’Algérie en a déjà fait la douloureuse expérience avec le PAS (Plan d’Ajustement Structurel) déployé à partir de 1993, lequel PAS a gravement nuit aux couches populaires et notablement restreint la souveraineté nationale en matière de décisions économiques et financières.

L’argumentaire du gouvernement et autres « experts » libéraux pour privatiser les EP reprend ainsi celui du FMI qui ne s’est jamais départi de ses recettes techniques quasi-religieuses. Des mesures que le FMI impose comme conditions à tous les pays candidats à un prêt, de façon presque intemporelle, indépendamment de leurs spécificités nationales historiques et culturelles.

Ces mesures, dites « politiques de stabilisation macro-économiques »,visent un objectif central : favoriser le capital privé (international et national) et réduire le rôle économique de l’Etat pour imposer une compétition à armes inégales face à des concurrents bien plus armés et soutenus par leurs Etats respectifs.

Autrement dit, confiner l’Etat dans une politique économique de gestion et d’ajustement à la mondialisation capitaliste, en lieu et place d’un Etat en charge d’une véritable politique de développement qui aurait pour objet de réduire la domination, de développer les forces productives et modifier les rapports sociaux dans un sens de progrès social.

Il n’y a rien de surprenant à cela : car il ne faut pas oublier que les préconisations ou injonctions du FMI se fondent sur un arsenal théorique identitaire du FMI qui ne peut s’éloigner des intérêts économiques et politiques des créanciers dominants en son sein. C’est une institution des pays capitalistes dominants (née avec les accords de Bretton Woods en juillet 1944), en service donc pour la préservation de l’ordre mondial dominant.

Le Président de la CAPC (Confédération Algérienne du Patronat Citoyen) ainsi que le Président de l’UNEP (Union Nationale des Entreprises Publiques) ont approuvé la décision du gouvernement de privatiser les EP.

Tandis que, faute de syndicats et de partis représentatifs, manque encore la voix des principaux concernés : les travailleurs (manuels et intellectuels), seuls producteurs de la richesse nationale.

Quelques données :

Le Secteur Public Economique (marchand, hors banques, assurances, télécommunications et énergie) compte 287.000 travailleurs activant dans 651 entreprises regroupées en 39 filières (données de l’UNEP). Selon le Président de l’UNEP, il n’a représenté en 2019 que 25% de la production (cf. interview dans le journal Liberté). Il fait remarquer que, globalement, ce sont des filières d’activités stratégiques.

Le Président de la République, à l’occasion de l’installation des membres du CNESE (Conseil Economique Social et Environnemental) le 28 septembre dernier, a précisé que si le secteur privé totalise 85% de l’activité économique, c’est avec des financements publics à hauteur de 85%.

Les enquêtes et arrestations de dirigeants d’entreprises privées, induites par le soulèvement populaire de février 2019, ont montré que cette ascension fulgurante du secteur privé résulte moins d’une performance que d’une « main basse » sur la rente pétrolière pour importer des produits pour la consommation finale ou des biens d’équipement destinés à une activité de montage ou de fabrication sous licence. 

Quant à la chute de la part du secteur public dans la production nationale, elle est en grande partie le résultat des multiples contre-réformes entamées depuis les années 1980 : restructuration organique et financière des entreprises, SGP et CPE, puis Groupements Economiques Publics.

L’absence d’un bilan approfondi estompe l’échec renouvelé de ces réformes libérales et renforce considérablement l’indigence de la réflexion nationale sur un sujet aussi complexe que la place de l’Etat dans le développement économique et social du pays.

La politique de développement entreprise durant la période les années 1967-1979 avait un profil politique et social clairement. Son bilan reste à faire et à faire connaître. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de cela mais de politique économique, donc de régulation, d’organisation, de gestion ou, avec un terme de la novlangue, de « gouvernance ». Parfois, tout simplement, une question d’équipe de direction. Sur ce sujet, la presse a surtout rendu-compte du point de vue de l’équipe gouvernementale et des économistes et autres « experts » libéraux. Un point de vue centré sur un inventaire des facteurs négatifs de l’EP : sureffectifs, mauvaise qualité des produits, découverts bancaires, mauvaise gestion des stocks et des parcs véhicules, manque d’efforts pour augmenter la production et la productivité du travail, tensions récurrentes direction et personnel, ….

A n’en pas douter, et bien qu’orientée, parce que « oubliant » la contrainte de mission de service public pas toujours compensée à temps et en niveau, cette description recouvre une partie de la réalité. Mais inscrite dans le contexte politique à la fois national et international, elle équivaut à un véritable bannissement du secteur public.

Pourquoi donc refaire ce qui n’a pas marché et (faire) oublier ce qui a commencé à marché ?

De nombreux pays, dont le nôtre, se sont engagés dans la voie capitaliste, « d’ouverture de l’économie » ou Infitah : privatisations et/ou réorientation des crédits à l’économie vers le secteur privé, ouverture aux IDE (Investissements Directs Etrangers), adhésion à l’OMC, signature d’accords d’association et création de zones franches, « apaisement » politique dans les relations avec les pays capitalistes dominants, …. Et le compte n’y est toujours pas : la domination-dépendance économique s’est aggravée, les produits locaux (en voie de satisfaire la demande nationale) ont été quasiment chassé par les produits des pays capitalistes dominants, les conditions et droits économiques et sociaux de la majorité de la population ont été largement érodés pour ne pas dire plus. Enfin et surtout, La souveraineté nationale en matière de décision économique et politique s’en est trouvée largement affectée.

Aujourd’hui, comme une sorte de mise à jour, les défenseurs du moins d’Etat dans l’économie et de la privatisation des EP affirment que le salut du pays est dans le développement des petites entreprises et une stratégie d’ouverture à la mondialisation.

Au fondement de ce discours, il y a la vision que les rapports économiques internationaux ne sont plus des rapports de domination. Alors que la mondialisation capitaliste, en prolongement de la mondialisation coloniale, ne fait que prolonger l’inégalité des échanges entre pays dominants et pays dominés. Ceux-ci resteront inégaux pour une raison majeure : ils sont fondés sur l’inégalité des productivités imposée sur une longue période historique et maintenue par des moyens économiques puissants, et même militaires comme l’ont montré les récentes guerres. Cette inégalité ne peut donc être effacée ou rattrapée dans le cadre de rapports capitalistes.

Mais alors qu’apporterait un secteur public pour l’Algérie dans tel contexte de rapports inégaux et de domination ?

Huit raisons pour lesquelles un secteur public puissant et efficient s’impose :

  1. La souveraineté nationale est inversement proportionnelle au niveau de soumission à l’impérialisme et de dépendance du système capitaliste. Par nature, le secteur public, notamment en situation de monopole limite ou s’oppose aux pouvoirs des monopoles étrangers et nationaux. Si les capitalistes (nationaux et internationaux) le dénigrent constamment, ils sont impatients pour acquérir ses actifs aux coûts les plus bas possibles. Un tel secteur est donc un atout qui renforce l’indépendance de la décision politique et économique nationale.
  1. Dans l’idéal, c’est est un facteur de démocratie : la majorité de la population dispose d’un accès équitable aux biens et services nécessaires, quelque soit le lieu du territoire. Cela favorise l’exercice de la souveraineté populaire, condition nécessaire pour une pleine souveraineté nationale.
  1. Pour de nombreux biens et services (alimentation, éducation, santé), la prise en charge directe par l’Etat pour y faire accéder la majorité de la population, et notamment les plus démunis, est une meilleure alternative à la mise en place d’un contrôle des prix pratiqués par le privé. Sans cela, l’octroi d’aides sociales ou le financement par l’impôt n’empêche pas le secteur privé d’augmenté les prix s’il est en situation de monopole dans la distribution, et donc, à grever le budget de l’Etat.
  1. Seule la grande industrie, basée sur des investissements durables et de niveau étatique, permet de mettre en place une véritable politique de l’emploi et de la formation à même de contenir des taux de chômage élevés. De plus, le caractère durable du chômage contraint l’Etat à engager des dépenses publiques lesquelles prennent la forme d’investissement public dont la réalisation et le contrôle est nécessaire.
  1. Les investissements sur le long terme avec des retours sur investissement incertains (comme dans le secteur Recherche et Développement) n’intéresse pas le secteur privé (quand il est en capacité de la faire), et rend le secteur public incontournable.
  1. Dans le cas de richesses naturelles stratégiques (comme les hydrocarbures) : soit c’est l’Etat qui en assure le monopole, soit c’est fatalement le privé qui l’assurera.

Dans ce dernier cas, tout mécanisme politique pour exercer un quelconque contrôle (social, économique, politique) sera insuffisant. D’autant que, pour ce qui est des capitaux étrangers, les multinationales ont tout prévu pour protéger leurs investissements (y compris contre des Etats puissants).

  1. Dans le contexte du capitalisme mondialisé et dominant, les capitaux étrangers (IDE), soutenus par leurs Etats respectifs, exigent un coût bas de la main d’œuvre, des terrains et des matières premières, des avantages fiscaux, un rapatriement des bénéfices. Et ils peuvent s’envoler sans crier gare dès l’épuisement-tarissement de la zone de profit ou l’opportunité d’une autre zone concurrente.

C’est un Etat s’appuyant sur un secteur public puissant qui peut mobiliser des capitaux étrangers en imposant des conditionnalités de transfert de technologie et de respect de la législation nationale.

  1. Le secteur public peut réaliser des profits sans adopter les méthodes du secteur privé (spéculation foncière, spoliations de terres, licenciements massifs de travailleurs, manipulations ou opérations financières). Le secteur public ne peut avoir les mêmes objectifs que les monopoles privés et être géré pour viser un profit maximum. Ce n’est pas une insuffisance de profit, et encore moins de l’incompétence. Pour être évalué correctement, le profit du secteur public doit intégrer le profit social correspondant à la mission de service public (voir supra premiers points).

L’expérience historique de nombreux pays montre que l’alternative ne comporte que deux volets :

  • soit la voie capitaliste : elle ne peut déboucher que sur un capitalisme dominé, et astreint, à terme, de remplir la fonction de comptoir-bazar des produits des pays au capitalisme développé
  • soit la voie de la rupture progressive avec la voie précédente et la construction d’une économie dans laquelle l’Etat joue un rôle central d’entrepreneur-producteur et protecteur de la production nationale publique et privée.

Un secteur public efficace et efficient ne peut exister et vivre durablement sans les ouvriers, ingénieurs, cadres et militants agissant de façon collective et organisée de façon à former un front national. Ainsi, l’Etat actuel pourra se transformer en un Etat national et démocratique, au service des larges masses et non des forces du capital.

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