Histoire

Abane Ramdane nous revient en ce Novembre

Publié par Saoudi Abdelaziz

ABANE RAMDANE raconté par Sadek Hadjerès et Hocine Aït Ahmed

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Hocine Aït Ahmed évoque le tempérament de son compagnon d’armes: « Combien de fois il fut transféré d’une prison à une autre, à force de faire des grèves de la faim ou d’inciter les droits communs à l’agitation ou à la violence. Pour se débarrasser de Abane, les services pénitenciers d’Algérie durent l’envoyer en relégation dans le nord de la France. Quel tempérament! »

En mai et juin 1956, deux mois avant le congrès de la Soummam, Sadek Hadjerès avait discuté avec Abane Ramdane dans le cadre d’une rencontre entre les direction du FLN et du PCA. Passage émouvant : » Il est détendu et visiblement satisfait de la franchise de nos discussions, avec dans le regard une pointe d’affabilité souriante -peut être est-ce à cause de sa mort tragique dix huit mois plus tard que cette image est restée en moi ».

K. Selim. Vous avez connu Abane Ramdane. Pouvez-vous nous parler de l’individu qu’il fut?

Hocine Aït Ahmed.J’ai connu Ramdane au cours de cet été 1945, le plus chaud et le plus surréaliste. Il venait de Châteaudun – Chelghoum Laïd – où il travaillait comme secrétaire dans l’administration. Il était profondément marqué, malgré sa froideur apparente, par les répressions et la chasse à « l’arabe » qu’il avait vécues de très près.

Je préfère vous parler de l’homme avant de vous donner quelques repères sur son itinéraire. Quelques semaines avant de passer l’examen du baccalauréat 2ème partie au lycée de Blida, il avait sollicité de l’administration d’être dispensé des heures de gymnastique pour mieux se préparer aux examens, car, en plus au lieu de choisir entre le bac philo et le bac mathématiques, il tenait à se présenter aux deux examens.

La dispense lui ayant été refusée, il se mit en colère et alla se briser le bras contre un rempart de fer ou de marbre. Ce qui ne l’empêcha pas de bouder les exercices physiques pour mieux se préparer et réussir brillamment le double examen.

Autre anecdote sans commentaire: arrêté par la PRG, alors qu’il était le responsable de l’OS dans la région de Sétif, il n’avait pas fait le moindre aveu malgré toutes les formes de torture utilisées pour le faire parler.

Combien de fois il fut transféré d’une prison à une autre, à force de faire des grèves de la faim ou d’inciter les droits communs à l’agitation ou à la violence. Pour se débarrasser de Abane, les services pénitenciers d’Algérie durent l’envoyer en relégation dans le nord de la France. Quel tempérament !

Son identité, c’est ce qu’il a fait de lui-même dans les pires épreuves. Ceci dit, qui n’a pas de défaut ? Il était autoritaire et jacobin. Son franc-parler le desservait terriblement. Par contre, il savait aussi écouter et exécuter les décisions prises démocratiquement.

Propos recueillis par K. Selim en novembre 2002 pour le Quotidien d’Oran .

Source: HuffPost Algérie

Deux mois avant le congrès de la Soummam

Quand Abane Ramdane rencontrait les communistes

Extrait d’un récit de Sadek Hadjerès relatant les rencontres entre les directions du FLN et du PCA en mai-juin 1956, avant le congrès de la Soummam.

(…) Benkhedda, avec sa civilité et sa politesse habituelles, nous félicite d’abord pour l’action menée (il s’agit de l’opération menée par Maillot, ndlr) et nous remercie sincèrement au nom du FLN pour la première livraison d’armes. Abbane écoutait et approuvait, le front plissé et avec l’air concentré que je lui connaissais, Puis rapidement, il commença à bouillonner, impatient d’en arriver au cœur du sujet. Il interrompit Benkhedda en nous tendant une carte d’identité, celle de Abdelkader Choukal, journaliste d’Alger républicain, monté au maquis avec d’autres camarades dans les monts de Tablat et Beni Misra : « On ne veut pas de ces choses-là…Les communistes veulent noyauter le mouvement… C’est la même chodse pour Laïd Lamrani dans les Aurès… Qu’est ce qu’il a, à proposer d’éditer des bulletins intitulés « El Watani » (Le Patriote) et d’autres propagandes…? »

Son intervention nous sembla un mélange de protestation sincère et de mise en scène voulue. Nous avons mis calmement les choses au point. Bachir Hadj Ali a souligné, un peu vivement : « nous ne sommes pas venus les uns et les autres pour nous chamailler. La décision de nous rencontrer signifie que nous souhaitons de part et d’autre trouver des réponses à nos préoccupations communes ».

Puis Bachir et moi, tour à tour et en réagissant au fur et à mesure à leurs remarques et questions, nous avons précisé en substance : « Nos camarades, comme tous les Algériens, veulent se battre ; ils rejoignent la montagne ou les réseaux urbains, c’est naturel. Depuis le début de l’insurrection, ils n’ont que deux choix compatibles avec leurs convictions : ou bien aller directement à l’ALN là où ils trouvent une porte ouverte et des garanties de bon accueil et nous les y encourageons ; ou bien en attendant, nous les aidons à constituer eux-mêmes leurs propres groupes armés et ceux-là sont impatients qu’on règle les modalités de leur intégration dans la clarté. Doivent-ils attendre comme des moutons de se faire arrêter et neutraliser par les colonialistes ? Vous les accuseriez alors de se dérober à leur devoir. Nous regrettons justement que certains fassent courir ces bruits alors qu’en même temps ils font tout pour les empêcher de combattre. Les groupes que nous avons constitués dans les villes et les campagnes, nous n’en faisons avec vous ni un secret ni une concurrence ».

A ce propos, nous avons fourni des indications sur leur composition, leur localisation, etc. Et avons insisté : « Notre parti et nos militants ne sont pas des aventuriers ou des intrigants. Nous sommes venus pour discuter, fraternellement et politiquement, des problèmes que ça peut poser. Nous ne voyons aucun intérêt à « noyauter »vos organisations, ni pour nous-mêmes ni surtout pour notre cause commune. Nous souhaitons trouver ensemble des formules concrètes de coopération, S’il y a des incompréhensions, le moment est venu d’en parler Nous avons fait jusqu’ici des multiples tentatives d’en discuter directement mais sans résultat » (…).

Clarifications de part et d’autre

Pour justifier leurs réticences à prendre contact avec nous en tant que parti, Benkhedda et Abbane nous expliquèrent que l’efficacité de l’action nécessitait selon eux de supprimer les différences entre partis et pour cela le seul moyen était que les partis s’effacent. Quand nous leur avons rappelé que les proclamations du FLN faisaient appel à toutes les énergies nationales, ils soulignaient, sans invoquer à ce moment explicitement la dissolution du PCA, que le FLN se proposait de drainer les forces patriotiques en un seul mouvement et seulement sur la base des adhésions individuelles.

(…)

A travers ces échanges, la discussion devenait plus détendue, plus transparente, elle confirmait un minimum de confiance réciproque. Nos interlocuteurs n’ont pas hésité à nous faire part de certaines de leurs préoccupations et motivations. A propos de l’armement par exemple, ils nous confient qu’ils ont entrepris des démarches auprès du régime dictatorial espagnol de Franco pour obtenir des armes. Bachir et moi, sans nous regarder, n’en fûmes pas trop étonnés. Nous savions déjà que les raisons qui poussaient les dirigeants FLN à demander au PCA de s’effacer en tant que parti n’étaient pas seulement liées à une préoccupation d’efficacité ou même au seul souci de contrôle absolu et de main mise sur le mouvement social. Elles obéissaient aussi à des calculs et des pressions idéologiques internationales. Nous avions eu un exemple de cette ambiguïté deux mois auparavant avec les pressions de la CISL (organisation syndicale mondiale liée aux objectifs et activités de l’OTAN dans la guerre froide) pour encourager la création de l’UGTA, au prix d’une division du mouvement syndical algérien. Mais, quelle que soit l’importance de ce problème, nous n’étions pas là pour nous concerter en priorité sur les options idéologiques souhaitables (…).

Paru en juin 2006 dans le Quotidien d’Oran. Texte intégral repris dans socialgérie.net


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BelaÏd Abane. chercheur en histoire politique de la Révolution
«Ould Kablia donne une prime à la turpitude et au crime»

le 03.11.15

En réponse aux propos de l’ancien ministre de l’Intérieur, Ould Kablia, l’auteur du livre Nuages sur la Révolution : Abane au cœur de la tempête juge que pour «donner une prime à la turpitude, au crime en justifiant 60 ans après l’assassinat mafieux d’un dirigeant national, il faut avoir un esprit gravement atteint par la boussoufisation».

– Quel commentaire vous inspirent les propos tenus par Daho Ould Kablia au sujet de l’assassinat de Abane Ramdane ?

Il était aussi criminel d’approuver un assassinat que l’assassinat lui-même. Les propos de Ould Kablia participent aussi de cette démarche criminelle. Le quitus donné au crime est aussi criminel. C’est une tragédie pour notre pays que d’avoir été gouvernés par des responsables comme Ould Kablia, qui glorifient le crime mafieux.

C’est un legs désastreux pour les nouvelles générations, d’autant plus grave en ce jour célébrant le déclenchement de la Révolution. Ould Kablia – qui n’a pas connu Abane – tient des propos rapportés à partir de l’idéologie d’un clan. Par ailleurs, dans son propos, il y a de la fabulation pure et simple. Il introduit la question du GPRA qui n’existait pas encore au moment des faits. Il dit aussi que Abane était isolé dans le Comité de coordination et d’exécution (CCE), ce qui est totalement faux.

Il était isolé par rapport aux colonels et principalement les deux plus puissants du CCE, Krim et Boussouf en l’occurrence, auxquels s’est joint par solidarité Bentobbal. Abane avait à ses côtés les politiques, notamment Ferhat Abbas, Lamine Debaghine et Abdelhamid Mehri. Il faut dire à ce propos que les politiques étaient tétanisés, en raison du complexe d’avoir pris le train de la Révolution en marche face aux activistes de la première heure. Ils avaient affaire à des hommes qui étaient prêts à tout et la preuve a été donnée par le sort réservé à Abane.

Quand Ould Kablia dit que c’était pour sauver la Révolution, je lui réponds que depuis cet assassinat, la Révolution a été déviée à ce jour. J’ai appris que M. Ould Kablia a rétro-pédalé, en soutenant que ses propos ont été mal rapportés par la presse. Je prends acte. Mais je continue à dire que cela fait partie de sa culture.

– Pourquoi cette tendance récurrente à vouloir légitimer cet assassinat bien des décennies après ?

Ould Kablia se sent comme le gardien du temple boussoufiste. A partir de là, il fait un plaidoyer pro domo. Avec toute l’expérience qu’il a eue au sein du MALG, ensuite dans l’administration et en tant que ministre, il n’a pas pris le temps nécessaire pour se documenter, alors qu’il veut traiter de sujets aussi sensibles. Ce qu’il oublie de dire, c’est justement cette mécanique infernale qui s’est installée à Tunis et qui avait conduit Abane à la mort par la méthode maffieuse. Boussouf a étranglé Abane de ses propres mains, en l’insultant pendant qu’il agonisait.

Est-ce qu’il faut donner une prime à ce genre de turpitudes ? Et c’est Ben Bella qui a dit de Boussouf qu’il était le Beria de la Révolution algérienne. C’est une tragédie que des gens comme Ould Kablia lèguent cet état d’esprit désastreux aux générations futures. C’est un véritable désarmement moral de notre société qui consiste à applaudir le fort nuisant et à avilir le faible.

– Vous venez de publier un second livre sur Abane Rambane, Nuages sur la Révolution : Abane au cœur de la tempête, aux éditions Koukou. Est-ce que tout n’a pas été dit à propos de ce personnage central de la Révolution ?

Bien évidemment. Plus on fait de la recherche et qu’on s’interroge, plus on se rend compte que beaucoup de choses n’ont pas été dites. Dans ce livre, j’ai tenté d’évoquer tous les problèmes qui ont miné de l’intérieur la lutte de Libération nationale. Abane n’est que le fil conducteur de ce livre.

Le lecteur se rendra compte que je n’ai pas été tendre avec lui. Je ne fais pas un livre de glorification, mais un récit de la résistance nationale qui prépare un autre qui va traiter de cette mécanique infernale qui s’est mise en place à Tunis et qui avait abouti à l’assassinat de Abane par les colonels du CCE.

– En quoi consistait cette mécanique infernale ?

A l’époque des faits, curieusement, beaucoup de colonels ont approuvé les méthodes fortes et mafieuses.
C’est là que sont nés les germes de ce que j’appelle la boussoufisation des esprits, c’est-à-dire la culture de la brutalité et de la force violente. Et c’est à partir de là que commençait à se façonner ce désarmement moral de la société. Et Ould Kablia est imprégné de cette culture.

Pour donner une prime à la turpitude, au crime en justifiant 60 ans après l’assassinat mafieux d’un dirigeant national, il faut avoir un esprit gravement atteint par la boussoufisation. Il est l’archétype du désarmement moral. Je suppose qu’il en fait un peu plus, parce qu’il se sent le gardien du temple malgache. Ceci dit, et il faut le souligner, le MALG était un ministère glorieux de notre Révolution porté par de valeureux militants.

Dans votre livre, vous n’êtes pas tendre avec Abane, il est comment ce personnage ?

Il est certain que son tempérament n’a pas aidé à aplanir les différends au sein de la Révolution. C’était un homme dur et exigeant, d’abord avec lui-même, un ascète. Il était d’une rigueur implacable, un comportement austère qu’il s’est imposé à lui-même, mais d’une sincérité révolutionnaire absolue. Une sacralisation de la Révolution. Ce type de vision poussée à l’extrême peut devenir un défaut.

– Souvent, on met en avant son caractère dur pour justifier son assassinat. N’est-ce pas là un paravent pour masquer la véritable divergence au sein de la direction de la Révolution qui était d’ordre politique ?

Sans nul doute. Le fond du problème est une divergence doctrinale avec bien entendu une lutte de leadership. Abane avait une vision et une ligne politique fondée sur l’unité nationale et des rangs qu’il défendait, pendant que d’autres dirigeants, notamment Krim et Boussouf, défendaient une ligne de pouvoir. Certains n’avaient pas accepté qu’il fasse rentrer dans la Révolution les centralistes, les oulémas, les communistes, l’UDMA. Pour eux, c’est une déviation que de ramener les autres courants dans le giron de la Révolution.

Or, Abane considérait que si l’on laissait le moindre parti et le moindre Algérien à la portée du colonialisme, c’était un alibi pour les autorités coloniales pour dire que les Algériens ne sont pas tous avec le FLN. Son leitmotiv était : «Je ne veux rien laisser à la France». Quand Ben Bella disait de lui qu’il éludait les principes islamiques, il oublie de dire que c’était Abane qui avait introduit tous les dignitaires des oulémas et les a envoyés comme responsables à l’extérieur. Pour lui, il fallait faire l’unité nationale et l’Association des oulémas était une tendance forte de la société algérienne.

Hacen Ouali

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