Contributions

Hommage à Ali BENSAÏDNE

Par KAMEL BADAOUI

Trente printemps militants passés avec le camarade et ami ALI BENSAÏDANE 

Kamel Badaoui 25 décembre 2023

Inattendu, malgré la gravité de ses maladies chroniques, brutal et douloureux ce 15 décembre 2023 à 2h du matin. 

En écrivant ce court papier-témoignage, je revis, comme si c’était hier, ces 30 ans de relations. Parce que c’est ineffaçable, inoubliable, … antisismique !!! Adieu Ali.

Le PAGS-Emigration, le mouvement étudiant algérien en France (UNEA puis UNJA, et le mouvement du Volontariat pour la Révolution Agraire) doivent beaucoup à Ali. 

Durant son long séjour étudiant et travailleur à Grenoble, il a tissé une véritable toile de relations avec les responsables d’organisations communistes et progressistes, tant syndicales que partisanes, françaises et étrangères, pour les mettre au profit de la communauté étudiante et travailleuse algérienne.

En véritable internationaliste, il n’hésitait pas à venir à la rescousse pour soutenir et défendre les communistes français et maghrébins, notamment dans les assemblées électives du campus universitaire ou celles de l’AEMNAF (Association des Etudiants Musulmans Nord-Africains en France regroupant l’UNEM du Maroc, l’UGET de Tunisie et l’UNEA). 

Le contexte de notre rencontre

Fin décembre 1971, je rencontre Ali, pour la première fois, au principal resto U (Diderot) du campus universitaire de Saint-Martin d’Hères, alors que je venais de débarquer à Grenoble pour des études en mathématiques. Une rencontre qui ne doit rien au hasard puisque c’était Ali qui tenait la table qu’organisait quasi-quotidiennement la section de Grenoble de l’historique et mémorable UNEA, pour accueillir, renseigner, aider, voire héberger les étudiants algériens nouvellement arrivés. Ali était alors étudiant inscrit pour le diplôme de comptabilité (DECS). 

Ali continuait à faire vivre l’UNEA et ses traditions de luttes syndicales et politiques alors que l’organisation venait d’être dissoute par le pouvoir d’alors (en janvier 1971). 

Dès sa dissolution, l’UNEA s’était dotée d’une Délégation Extérieure (DE), siégeant dans l’historique 115 boulevard Saint-Michel à Paris 5ième (également siège de l’AEMNAF). 

La DE (dirigée alors par Ouadi Boussaâd et Hamid Bousmah), avait pour principales missions :

  • d’informer et de mobiliser les étudiants algériens à l’étranger ainsi que l’UIE (Union Internationale des Etudiants siégeant à Prague) contre la répression des membres de l’UNEA, d’organiser des campagnes-pétitions pour la libération des dirigeants nationaux emprisonnés (Djelloul Nacer et Djamel Labidi),
  • de coordonner les sections existantes de France, d’URSS, de RDA, Pologne et de Roumanie, d’en créer pour mobiliser et organiser les étudiants algériens pour résoudre leurs problèmes (logement, paiement à temps des boursiers,…),

La DE organisait annuellement une conférence des sections de l’extérieur (à la Cité U d’Anthony, en région parisienne) : deux jours d’intenses débats sur la situation politique internationale et national, de recensement des problèmes matériels et moraux des étudiants, le tout ponctué par une résolution politique et une plateforme revendicative. 

  • de les mobiliser autour des problèmes de développement du pays, notamment de ce va devenir les Tâches d’Edification Nationale (TEN, dont la Révolution Agraire), de la lutte anti-impérialiste, en particulier dans le contexte des menaces après la nationalisation des hydrocarbures en février 1971). 

La section de Grenoble, avec celle de Paris, était l’une des plus grandes (en nombre d’adhérents ainsi qu’en proportion de l’ensemble des étudiants algériens présents à Grenoble) et des plus actives. Elle disposait du grand local de l’AEMNAF (rue Humbert II à Grenoble) pour ses réunions hebdomadaires et assemblées générales. 

Ali en était le principal animateur. Il a sillonné tout le Sud-Est de la France pour créer-impulser les sections d’étudiants de Montpellier, d’Aix-Marseille, de Lyon, de Saint-Etienne, et, bien entendu, pour diffuser Saout Echaâb (organe central du PAGS), recruter sympathisants et militants. Il était très sociable, rieur, opiniâtre et patient à la fois dans son travail de conscientisation, de mobilisation et d’organisation des étudiants algériens. Un étudiant algérien (Houari Addi pour le nommer) avait dit de lui : « hadjra irrodha tmiliti » (« il pouvait transformer une pierre en militant »). 

En 1972, je me retrouve élu avec Ali au Comité de Section. Sans l’être formellement, il en est le véritable coordinateur. Depuis … « Aïcha ou Bendou, sbah ou aâchiya yetgaoudou ». 

Ali était déjà (avec, jusque fin 72, Hamid Djebbar) le principal responsable du PAGS. Très entreprenant, il ne tardera pas à me proposer Saout Echaâb (organe central du PAGS), puis à intégrer, fin 1972, la principale cellule étudiante du campus universitaire.

Ali était aussi très actif dans le milieu des travailleurs algériens à travers ses activités au sein de l’ADCFA, puis de l’ADAT, associations d’aide aux travailleurs (alphabétisation, aide aux démarches administratives, …). Il en deviendra un membre dirigeant et ami du président Paul Muzard (prêtre-communiste) dont il préfacera le précieux ouvrage sur les travailleurs immigrés de l’Isère (très documenté à partir des archives de la préfecture de Grenoble). Ali accueillera Paul à Alger en 2016 et l’aidera à faire connaître son livre en lui obtenant plusieurs rendez-vous, dont un à la radio chaîne 3. Paul fera don à Ali d’une dizaine d’exemplaires de son livre. 

Ali mettra à profit son influence au sein de l’ADCFA, de l’UNEF, de l’Union des Etudiants Communistes et du PCF pour procurer à plusieurs étudiants algériens non boursiers des boulots à mi-temps ou des boulots d’été. Il faut noter que la plupart de celles et ceux qui ont en bénéficié n’étaient pas membres du PAGS. Ce qui témoigne de son esprit unitaire et rassembleur.

L’année 1973 voit la section de Grenoble déployer un important programme d’activités, avec au premier rang de l’organisation et la mobilisation … Ali : semaine du film algérien (projections dans les plus grands amphis du campus), semaine de rencontres-débats économiques et politiques sur l’Algérie (avec la participation notable du Professeur De Bernis), tournoi international étudiant de football (intitulé tournoi anti-impérialiste), montage d’une équipe d’étudiants et d’étudiantes pour jouer une pièce de théâtre sur la RA, bal de l’UNEA, participation à la commission d’attribution des chambres en cité U par le CROUS (avec une liste de prioritaires établie par la section), délégations revendicatives auprès du consulat et de l’Amicale des Algériens en Europe (AAE), … Dès le déclenchement de la guerre d’octobre 1973 (entre les pays arabes et la coalition impérialo-sioniste), la section prend l’initiative de la mise sur pied du Comité de Liaison des Etudiants Progressistes Arabes de Grenoble (CLEPAG, formé d’étudiants palestiniens, libanais, syriens et libyens), publie une déclaration et organise une collecte de fonds (dans les quartiers ouvriers immigrés) et des médicaments, collecte qui sera remise en délégation au consulat algérien de Grenoble. 

La section de Grenoble participera Festival Mondial de La Jeunesse à Berlin (RDA) en y envoyant un étudiant membre de la section. 

L’ensemble des sections de l’extérieur abandonnent le sigle de l’UNEA et s’affichent désormais comme sections des étudiants algériens. Cela permettait à la fois d’être en phase avec le mouvement étudiant du pays qui avait initié la mise en place des Comités Pédagogiques en lieu et place de l’organisation étudiante, de faciliter l’adhésion des étudiants qui se représentait l’UNEA comme une organisation politique d’opposition, pro-PAGS et interdite de surcroît, et, enfin, de contourner la « police » du consulat et de l’AAE.

Cette riche et intense activité conférera une grande représentativité de la section auprès des étudiants algériens, une audience et un respect de la section de la part des organisations étudiantes françaises et étrangères du campus. Même le consulat et l’AAE (qui avaient leurs relais parmi les étudiants algériens) commençaient à se monter plus ouverts et plus coopératifs, voyant en la section, et notamment Ali, leur « bête noire », un véritable défenseur de l’Algérie des TEN et des travailleurs dans un contexte de violences et de crimes racistes (c’est en septembre 1973 qu’eut lieu la première manifestation nationale contre le racisme à la suite de la série de crimes et attentats contre le consulat de Marseille). 

Courant 1974, nos vies militantes (PAGS et syndicat étudiant) et personnelles sont de plus en plus mêlées : nous décidons d’habiter ensemble un appartement HLM du Village Olympique, à la périphérie de Grenoble (appartement acquis par une connaissance communiste française de Ali) avec deux autres amis, Mohamed, dit Mohamed Négro, un travailleur de CATERPILARD, sympathisant du PAGS, recruté par Ali, et Houria, une amie commune à nous trois, qui deviendra mon épouse. Une sorte de QG syndical et partisan !

Mai 1975, nous sommes tous deux élus pour participer à la Conférence Nationale de la Jeunesse (CNJ) tenue à Alger. 

Fin 1975, malgré mon transfert à l’université de Paris-Jussieu (pour entamer un 3ième cycle de mathématiques et la formation d’ingénieur statisticien à l’ENSAE), Ali et moi restons en contact quasi-constant via les échanges entre sections étudiantes de Grenoble et Paris (dont je devins vite membre élu) et des Comité Universitaire de Volontariat (CUV). 

De 1975 à 1981, je revenais souvent en « pèlerinage » à Grenoble pour rendre visite à Ali : nous en profitions pour échanger nos avis sur l’évolution du mouvement étudiant.et sur la ligne du parti. Ses points de vue, marqués à la fois par la pondération, l’absence d’opportunisme et un patriotisme élevé de l’organisation (tant du parti que pour l’autonomie du mouvement étudiant) m’étaient bien utiles pour mes nouvelles responsabilités électives (dans la coordination des sections de l’extérieur et des CUV de l’étranger, dans le Conseil national de l’UNJA). 

Nous nous rencontrerons d’ailleurs dans la campagne de volontariat de l’été 1977, laquelle campagne fut l’une des plus réussie, tant au niveau national qu’au niveau de l’étranger : elle aurait mobilisé environ 3.000 étudiants (près de 10% de l’ensemble des étudiants de l’époque). 

Au tout début 1982 (ou fin 1981 ?), Ali rentre définitivement à Alger. 

Le 30 mars 1982, c’est lui qui m’accueille au port d’Alger pour mon retour définitif. 

Il est le premier à partir pour le Service National, une promotion avant la mienne (en même temps que Sadek Aïssat avec lequel je passerai plus de 18 mois à recenser les habitants des bidonvilles d’Alger puis les accueillir dans la wilaya de M’sila). Tant est si bien qu’on se croise régulièrement à la caserne de Blida (pendant l’instruction militaire) et, durant nos mémorables permissions passées chez ses parents à Kouba, ou encore chez Alia et Seddik, une véritable « famille camarade » qui nous a fait passer d’inoubliables moments de détente, de dégustation de plats et de renforcement et de création de nouveaux liens de camaraderie. 

A la fin du Service National, on se retrouve encore à travailler dans des organismes sous tutelle du même ministère (le MPAT, Ministère du Plan et de l’Aménagement du territoire), et donc à être en contact continu en attendant le rétablissement de l’activité partisane.

De 1985 à 1990, on est toujours en contact, mais essentiellement les fins de semaine en raison notamment du fort cloisonnement de nos activités militantes. 

De 1991 à 2010, deux évènements malheureux vont provoquer une coupure brutale et longue de nos relations : 

  • Ali affronte la décennie noire que connaît le pays de 1990 à 2000. Il occupe alors divers postes de cadre dans des entreprises publiques largement affectées par l’orientation capitaliste imprimée tambours battant durant cette période, ou encore de membre du Conseil d’Administration du journal HORIZONS de 1994 à 1996.
  • Quant à moi, je tombe gravement malade et suis évacuéle 30 août 1991, pour être hospitalisé à Paris durant près de six mois, puis subir, deux ans après, une lourde intervention chirurgicale avec à la sortie (deux mois après) un protocole de suivi assez rapproché. Ma petite famille (mon épouse et mes trois enfants) me rejoint à Paris. Rétabli de façon durable, je recommence à travailler seulement à partir de 1996.

En 2003, disposant d’un peu plus d’autonomie au plan santé, c’est encore Ali qui m’accueille à Alger pour mon projet de retour. Mais, 4 mois après, une alerte sanitaire m’oblige à retourner d’urgence à Paris pour une hospitalisation de deux semaines. Depuis, une santé très … météo avec un protocole très rapproché. 

En février 2011, nous reprenons nos activités militantes communes (lui d’Alger et moi de Paris) au sein du petit et dynamique collectif de la MOUBADARA qui donnera naissance, deux plus tard, au journal électronique RAÏNA. Chacun de son côté y contribuera par plusieurs écrits jusqu’en 2022.

En juin 2019, le collectif, un peu élargi, organisera une rencontre à Alger qui donnera naissance au journal EDDERB ECHOUYOUII. Il en sera confectionné sept numéros de novembre 2019 à juillet 2020. Mais, désistements, problèmes internes et désaccords sont apparus et n’ont pas permis au journal de vivre plus longtemps.

Mi-2022, je revois Ali à Alger. Il m’invite à participer à une réunion dont l’objectif était de consolider et d’élargir le collectif autour de RAÏNA. 

Quelques échanges téléphoniques suivront, mais des désaccords subsisteront. 

Ce qui n’affectera en rien et à aucun moment nos relations faites de respect et d’amitiés.

Dernier échange téléphonique, à son initiative, le 28 juin 2023 : pour me souhaiter Saha Aïdek !

Je mets en annexe ces courriels de la part d’anciens camarades/amis (que j’ai reçus) 

Khennas Smaïl (Londres)

C’est une triste nouvelle. Allah Yarhmou. Je le savais gravement malade. Comme je vais à Alger ce mardi j’avais prévu de lui rendre visite si cela était possible.  Je ne garde de notre ami Ali que de bons souvenirs. J’ai d’ailleurs a la maison bien exposée depuis longtemps une photo encadrée de notre équipe de foot.  Son parcours a été exemplaire. Qu’il repose en paix.

Farida Boubekeur (Paris)

C’est terrible même si je savais qu’il était malade, encore un de nos proches qui part. 

Ahmed Blidia (Grenoble)

Présente mes condoléances à son fils sa fille et Radia !

Françoise (Grenoble)

Quelle triste nouvelle ! Plein de souvenirs remontent…. 

Hassina Sadaoui (Grenoble)

Après les dernières nouvelles de lui que tu nous avait transmis, … Je suis très triste….

Hamid Djebiha (Annecy)

C’est une bien triste nouvelle que d’apprendre le décès de Ali et ma peine est grande.

Paix à son âme. Je garde toujours le souvenir de cet ami intègre et attentif aux autres.

C’était un homme de conviction. Il restera présent dans nos coeurs. Amitiés attristées.

Je crois que la présence d’un ami de longue date de Ali est un soutien essentiel pour la famille. 

J’ai informé Merwane Daouzli, Hamid Djebbar et Manou du décès de notre ami. 

Alia Ferhat-Taleb (Montréal)

Terrible, Terrible  On ne verra plus Khoua Ali. Je garde encore dans mes oreilles son rire au restaurant. Ses soirées avec Mon frère et Ami Sadek qu’il est allé rejoindre 

Je vais essayer d’oublier son cri du cœur lors de mon dernier appel la semaine dernière lorsqu’il a eu la force de me crier  ´yen3al Bou jedkoum ro7tou ou Khali tou ni wa7di

Repose ne paix mon camarade Repose en paix toi qui a lutté pour toute ta vie l’ami.

Merci de lui dire à quel point on l’aime et de lui dire qu’il va continuer va vivre en chacun de nous 

Seddik Taleb (Montréal)

طالب صديق

Nos condoléances à sa femme et ses enfants. 

On va se concerter sur les moments qu’on a passé ensemble.

Mohammedi Mohand et Houria (Marseille)

Tu transmets stp de vive voix, mes sincères condoléances à la famille de Ali.

Mohamed Djaffar (Aix-Marseille)

« J’ai appris la triste nouvelle de la disparition de notre ami Ali, Rafia (mon épouse) se joint à moi pour présenter nos sincères condoléances à sa famille. Ali a passé sa vie à militer pour un monde meilleur débarrassé de l’injustice (hagra), que ce soit en Algérie, ou dans le monde.

Je l’ai connu dans ses activités militantes d’étudiant dans les années 70 et la dernière fois que je l’ai vu c’était à Alger en 1982-1983 lors d’un de mon déplacement syndical à Alger.

Qu’il repose en paix. Mohamed DJAFFAR, retraité à Aix en Provence ».

Fateh Agrane (Alger)

C’est avec une grande peine que je viens d’apprendre le décès hier vendredi 15 décembre 2023 à la clinique des glycines à Alger après une longue maladie, de mon camarade Ali Bensaidene. 

Le défunt fut un militant communiste depuis sa jeunesse estudiantine à Alger puis à Grenoble France, cadre puis dg d’entreprise publiques.

Il fut aussi membre du conseil d’administration du journal Horizons dont je fus le président entre 1994 et 1996

Ensemble et après la dissolution de notre parti le P.A G. S nous avions avec feu Nouredine Abdelmoumen et d’autres camarades initié le journal RAINA et l’espace Moubadara du 24 février, il avait continué jusqu’à son dernier souffle de mener le combat de sa classe et son idéal avec un espoir jamais altéré 

Mes sincères condoléances à sa petite famille et à sa grande.

Repose en paix camarade Ali que cette terre chérie d’Algérie te soit légère.

Et jusqu’au bout !

« Toute ma force de poète, je te la donne, classe à l’attaque » (Anton Maïakovski)

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