Politique

Angel Raul Brazaga Mavas. Ambassadeur de Cuba à Alger«Nos principes et notre système socialiste ne sont pas négociables»

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Le représentant de Cuba en Algérie fait le bilan de la première étape du processus de normalisation des relations entre son pays et les Etats-Unis. S’il estime que le dialogue entre La Havane et Washington inclut toutes les questions, il s’oppose à ce que «les Etats-Unis exigent des changements dans la politique intérieure» de son pays. Entretien.
– Quelle est votre réaction sur le projet de résolution réclamant la levée de l’embargo votée par l’Assemblée générale de l’ONu ?
Le projet de résolution approuvé par l’Assemblée générale des Nations unies pour demander la levée du blocus économique, financier et commercial, imposé par les Etats-Unis à Cuba depuis plus de 50 ans, reflète largement le soutien de la communauté internationale à la juste position de Cuba, qui à cette occasion est accompagné par 191 pays. Il est à réitérer que ce blocus constitue une violation massive, flagrante et systématique des droits humains de tous les Cubains.
Il viole le droit international, constitue un acte de génocide aux termes de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948). Ce blocus est l’obstacle essentiel au développement économique et social de notre peuple, comme le certifie le rapport présenté par Cuba devant l’Assemblée générale des Nations unies à 24 reprises.
Les dommages humains et les pénuries causés par le blocus aux familles cubaines sont incalculables. Comme l’a déclaré notre ministre des Relations extérieures : «Il est déplorable que les Etats-Unis aient voté contre notre résolution… et tant que la réalité sera marquée par l’application stricte et concrète du blocus, l’Assemblée générale continuera de condamner cette politique.»

– Cuba et les Etats-Unis se sont engagés, depuis le 17 décembre 2014, dans un processus de rapprochement devant aboutir, à terme, à une normalisation de leurs relations. Qu’est-ce qui a rendu possible ce dégel historique après une guerre froide qui dure depuis 1962 ?
Le président des Conseils d’Etat et des ministres de Cuba, Raul Castro Ruz, a réitéré à plusieurs reprises la ferme volonté du gouvernement cubain d’avancer vers la normalisation des relations avec les Etats-Unis par un dialogue respectueux, sur des bases d’égalité souveraine, pour traiter les sujets les plus divers de manière réciproque ; une position qui a été exprimée au gouvernement des Etats-Unis par le commandant en chef, Fidel Castro Ruz, à différents moments. Bien qu’on ait avancé dans la solution de quelques sujets d’intérêt commun pour les deux nations au cours des pourparlers au plus haut niveau, la question fondamentale n’a pas été résolue, on parle de la levée du blocus.
Le 17 décembre 2014, le président des Etats-Unis, Barack Obama, avait reconnu la défaite du blocus imposé à Cuba, que cette stratégie est obsolète, qui n’a donc pas atteint les buts prévus, infligeant de multiples préjudices au peuple cubain et l’isolement du gouvernement étasunien. Certes, il a fallu plus d’un demi-siècle pour le reconnaître, alors que Cuba a toujours été ouvert au dialogue.

– Comment évaluez-vous la première étape de ce processus de normalisation ? Est-ce que le blocus a été allégé depuis cette date ?
Une étape très importante dans le processus de rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis vient d’être achevée, et il existe des conditions pour travailler vers la normalisation des relations bilatérales. Il y a eu des délégations des deux côtés qui se sont déplacées et une commission bilatérale a été créée. Nous avons élargi les domaines de dialogue surtout en matière de sécurité aérienne et de l’aviation, la lutte contre le trafic de drogue, l’émigration illégale et la traite d’êtres humains, l’application et le respect de la loi, la protection de l’environnement et de la santé, entre autres.
Néanmoins, les mesures que le pouvoir exécutif étasunien a adoptées en janvier dernier, puis élargies récemment, quoi qu’allant dans le bon sens, ne modifient que d’une manière très limitée certains éléments du blocus. Beaucoup d’entre elles ne pourront entrer en vigueur qu’à condition que d’autres soient adoptées : à savoir que Cuba puisse exporter et importer librement des biens et services vers ou depuis les Etats-Unis ; qu’il puisse utiliser le dollar dans ses transactions financières internationales et ouvrir des comptes dans cette monnaie au niveau des banques de pays tiers ; qu’il ait accès à des crédits et financements d’organismes privés et d’institutions financières internationales.
Nous ne pouvons pas parler d’assouplissement, quand, il y a seulement quelques jours, les etats-Unis ont infligé une amende de 1,116 milliard de dollars au Crédit agricole, une banque française, pour des transactions avec Cuba et d’autres Etats, et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres que nous pourrions mentionner au sujet des effets du blocus.
– Quelle est la prochaine étape des négociations ?
Il y a beaucoup de questions sur l’ordre du jour pour la restauration des relations bilatérales, c’est un processus qui sera, on le sait, long et complexe. Il faut rappeler qu’il existe des différences profondes, notamment en matière de souveraineté nationale, de démocratie, de droits de l’homme et de politique extérieure ; mais la volonté de dialoguer sur toutes ces questions est là.
La première réunion de la commission bilatérale Cuba-Etats-Unis a eu lieu le 11 septembre dernier, un mécanisme adopté entre les deux parties pour définir l’agenda des thèmes qui seront abordés dans le cadre du processus visant la normalisation des relations bilatérales entre les deux pays.
L’agenda des thèmes, dont les discussions seront entamées dans les prochains mois, comprend la mise en place des mécanismes de coopération dans de nouveaux domaines d’intérêt commun, comme la protection de l’environnement, la prévention des catastrophes naturelles, la santé, l’aviation civile, l’application et le respect de la loi, y compris la lutte contre le trafic de drogue, la traite d’êtres humains et la criminalité transnationale.
Cet agenda comprend aussi le développement du dialogue sur des questions d’intérêt bilatéral, y compris sur celles dont les deux pays ont des conceptions différentes, comme par exemple la traite d’êtres humains et les droits de l’homme, ainsi que d’autres sujets à caractère multilatéral, tel que le changement climatique, la gestion des épidémies, des pandémies et d’autres menaces contre la santé au niveau mondial.
Une quête de solutions aux problèmes en suspens dans les relations bilatérales — tels que la compensation pour les dommages économiques et humains causés au peuple cubain à travers les politiques appliquées par les différents gouvernements des Etats-Unis sur plus de 50 ans et par des propriétés étasuniennes nationalisées à Cuba — fera partie de cet agenda. Une prochaine réunion de la commission bilatérale est prévue pour ce mois de novembre à Washington.
– Ce processus de normalisation va-t-il conduire à des réformes politiques et économiques structurelles dans votre pays ?
La réponse à votre question est non. Nos principes et notre système socialiste ne sont pas négociables. Cuba a entrepris la rénovation de son modèle économique pour construire un socialisme prospère et durable. La non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats est un des principes de la Charte des Nations unies.
Nous avons décidé d’entamer le processus de rétablissement des relations bilatérales avec les Etats-Unis, sans conditions préalables, sur des bases de réciprocité et d’égalité souveraine, sans amenuisement de notre indépendance et de notre souveraineté. Les Etats-Unis n’ont pas le droit d’exiger des changements dans la politique intérieure de notre pays.
Hacen Ouali el watan
le 02.11.15 |

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