Luttes des travailleurs

Au cœur de l’enfer

A Gaza le décompte macabre se poursuit. Il ne se passe pas de jour sans que de nouvelles tueries viennent balayer tout espoir de voir se terminer l’offensive israélienne et épargner les civils. Sur le terrain des journalistes risquent leur vie pour nous tenir informés. Pierre Barbancey, envoyé spécial du journal l’Humanité, répond aux questions de Raina.dz

PIERRE BARBANCEY,GRAND REPORTER
AU JOURNAL FRANÇAIS « L’ HUMANITÉ »

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Raina. Malgré la trêve de 72h les tirs israéliens continuent à alourdir le bilan des civils palestiniens tués. Quelle est la situation aujourd’hui à Gaza ?


Les civils palestiniens continuent à être la cible de l’armée israélienne. Ce week-end, les attaques se sont particulièrement concentrées sur le sud de la Bande de Gaza. Plus d’une centaine de personnes ont été tuées. Une frappe devant une école de l’Onu à Rafah a fauché 10 Palestiniens dont quatre enfants. Au nord, malgré les déclarations israéliennes, les populations – pour celles qui ont encore une maison – ne peuvent rejoindre leurs foyers. Pour ceux qui sont réfugiés dans les écoles de l’ONU, c’est l’enfer. Outre la crainte d’être la cible de bombardements, la situation sanitaire se dégrade. Les gens s’entassent à plusieurs dizaines dans des pièces non équipées, l’eau et la nourriture manque. Les maladies risquent de se développer. La catastrophe humanitaire est imminente.


Raina. Un soldat israélien aurait été enlevé par le Hamas. Qu’en est-il ?


Israël a utilisé cette soi-disant capture pour prendre prétexte de nouvelles frappes dans le sud. La partie orientale de Rafah a ainsi été déclarée « zone militaire fermée » et les villages ont été pilonnés. Barack Obama qui a parlé d’« acte barbare » concernant cette capture – mot qu’il n’a jamais utilisé s’agissant de l’arrestation de centaines de Palestiniens – se trouve ridiculisé par Tel Aviv. L’armée a expliqué dimanche que son officier était mort et que les tests ADN « avaient pris un certain temps » (sic)


Raina. Les pertes israéliennes pourront-elles changer la donne ?


Non. La société israélienne, de plus en plus réactionnaire et déjà très militarisée, est prête à encaisser la mort de soldats. N’oublions pas que le service militaire est obligatoire en Israël. Il est de 3 ans pour les hommes et 2 ans pour les femmes. La guerre fait partie de leur quotidien.


Raina. Le Hamas incarne aujourd’hui la résistance palestinienne à Gaza, comme le Hezbollah au Liban en 2006. Quelle est la stratégie du Hamas trois semaines après l’attaque israélienne ?


Les médias ne parlent que du Hamas. En réalité, la situation politique est plus complexe. Si en termes militaires le Hamas est la principale force palestinienne dans la Bande de Gaza, toutes les autres factions – Djihad islamique, FPLP, FDLP, PPP et d’autres petits groupes – participent à la lutte. La direction politique du Hamas à Gaza ne prend pas les décisions seule, d’autant que l’accord passé il y a quelques mois entre le Hamas et l’OLP est toujours en vigueur. Ce qui n’est peut-être pas toujours du goût des Brigades al Qassam, la branche armée.


Raina. Comment analysez-vous le silence de l’Elysée après les derniers massacres à Rafah ?


Le président François Hollande et son Premier ministre, Manuel Valls, ont décidé de soutenir Israël au détriment du droit du peuple palestinien. La reconnaissance de l’Etat palestinien faisait pourtant partie des engagements de campagne du candidat Hollande. Ce soutien sans faille, cette volonté d’être toujours aux côtés des Etats-Unis, expliquent ce silence vis-à-vis des massacres perpétrés par l’armée israélienne et l’obsession du « droit à l’auto-défense » d’Israël. Comme beaucoup de médias, Hollande voudrait faire croire à un équilibre des souffrances entre le déluge de feu de la cinquième puissance militaire mondiale qui a fait 1800 morts palestiniens dont plus de 80% de civils et des roquettes qui ont tué deux Israéliens et un Thaïlandais. Ce faisant, il ne parle pas de la racine du problème : la colonisation israélienne, la volonté de Netanyahou de diviser les Palestiniens et son refus de la création d’un Etat dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-est comme capitale. Pas plus qu’il n’agit pour la libération des prisonniers politiques palestiniens. Il est même allé plus loin en interdisant des manifestations de soutien au peuple palestinien.
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Raina. Pourquoi cet acharnement sur les civils et en particulier les enfants de la part de l’armée israélienne ?


Israël est un spécialiste de la punition collective. Cette fois comme lors de toutes les guerres menée en 2008/2009 et en 2012 à Gaza tout comme au Liban sud en 2006. S’ajoute maintenant la surprise des Israéliens : ils ont en face d’eux des combattants palestiniens aguerris et formés qui, lorsqu’ils se trouvent au contact des soldats israéliens, font des dégâts. 66 militaires israéliens ont déjà été tués. Ajoutons que Netanyahou, en frappant la population civile tente de briser le soutien des Gazaouis à la résistance.


Raina. Pensez-vous que la pression internationale pourra mettre fin à la tuerie ?


La pression internationale est plus que nécessaire. Il ne faut pas laisser les Palestiniens seuls face à Israël. Le droit international doit être respecté et la Cour internationale saisie concernant les crimes de guerre. Les Etats d’Amérique latine montrent l’exemple. En Europe et aux Etats-Unis, les manifestations et les mobilisations aident à forcer les gouvernements à s’interposer. Elles permettent également une plus grande prise de conscience des racines du problème.


Raina. Comment les Palestiniens ressentent l’abandon par les Nations Unies ?


Les Palestiniens se sentent effectivement abandonnés. Ils en veulent tout particulièrement aux pays arabes qu’ils traitent de « chiens des Américains ». Dans ce cadre, ils ne s’étonnent pas vraiment de l’impuissance des Nations unies où toute initiative est bloquée par Washington, Paris ou Londres.


Raina. Les Gazaouis sont-ils informés des mouvements de solidarité à travers le monde ?


Certains Gazouis sont au courant. Mais la situation dans la Bande de Gaza et le manque d’électricité ne permet pas à la majorité d’être vraiment au courant.


Raina. Après le bombardement de la centrale électrique les hôpitaux se trouvent dans une situation très critique. Comment font-ils face ?


Les Palestiniens sont des gens extraordinaires. Ils ont tellement souffert qu’ils font face aux pires des situations. Ils tentent de s’organiser comme ils le peuvent, utilisent des bougies et économisent les piles pour s’éclairer. Pour la nourriture, ils tentent de subsister avec le peu qu’ils trouvent. Le plus dur est la pénurie de pain, aliment de base.

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Raina. Vous êtes à Gaza depuis le début du conflit. Comment parvenez-vous à faire votre travail de journaliste ?


Notre travail consiste à rendre compte et à expliquer ce qui se passe. Si nos conditions de vie sont bien meilleures que celles des Palestiniens, nous risquons nous aussi d’être frappés par les drones ou l’artillerie israélienne lorsque nous nous déplaçons. Cela fait partie du métier. Au moins huit journalistes ont déjà été tués depuis le 8 juillet. Tous sont Palestiniens. Je veux, ici, rendre hommage à leur travail et à leur courage. Comme l’a dit la Fédération internationale des journalistes (FIJ), Israël doit être tenu pour responsable de la mort de nos confrères. Une délégation de la FIJ devrait d’ailleurs se rendre dans la bande de Gaza dès la fin de la guerre.

Propos recueillis par Keltoum Staali

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