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Contribution :A contre sens ou la recherche scientifique en question

A contre sens de la politique actuelle de la
recherche scientifique

La rémunération de l’activité de recherche dans le cadre des programmes nationaux de recherche (PNR) vient d’être décidée par leshauts responsables du ministère de tutelle. On peut donc se hasarder à dire que ces mesures donneront une nouvelle impulsion au développement de la recherche scientifique et dont les retombées, nécessairement, auront un impact positif sur l’économie nationale. Ces mesures, supposées encourager la recherche scientifique, ont suscité et continuent d’animer des discussions entre petits groupes d’enseignants, mais sans qu’il ai l’instauration d’un vrai débat pour clarifier et répondre à certaines questions. Quelle est la portée de ces nouvelles mesures : simple augmentation de salaire ou réel souci de développer la recherche ? Quel impact auront-elles sur réellement l’activité de recherche ? Le vrai problème est-il d’ordre structurel ou simplement d’ordre financier ? Aucun débat large n’a été organisé, pour apporter les réponses à ces questions légitimement posées .
Pour anticiper sur ce futur débat qui ne manquera pas de s’imposer, je voudrais rapporter ici une discussion entre deux enseignants chercheurs. L’un d’entre eux est en poste dans une université à l’étranger en Europe et l’autre occupe un poste dans une université algérienne. Cette discussion s’est tenu en marge d’un séminaire et en attendant la fin d’un exposé qui, visiblement, ne les intéressait pas beaucoup. Pour faciliter la lecture de cette discussion je vais nommer le premier enseignant chercheur A et le second B.

B : J’ai des doutes que les mesures prises par les responsables de la direction de la recherche soient capables de dynamiser la recherche scientifique « utile » à la société. Mais on peut penser que les chercheurs vont publier davantage. On ne peut nier que les nouvelles conditions vont pousser dans ce sens. En conséquence on peut conjecturer que les universités algériennes occuperont à l’avenir une meilleure place dans le classement des universités de par le monde que celle médiocre occupée aujourd’hui. Cela fera, certainement, plaisir aux gestionnaires de ce secteur qui penseront avoir atteint un objectif important.

A : Il ne faut pas aller vite en besogne et prendre le classement des universités comme un critère d’excellence dans l’absolu. Tout dépend de ce que l’on veut atteindre comme objectif. Il reste un travail à faire énorme pour bien interpréter les classements publiés !

B : C’est intéressant ce que tu poses comme problème. On ne peut comparer que ce qui est comparable. Et, quelle serait la lecture à faire à partir de ces classement pour les universités algériennes ? Les besoins réels des entreprises algériennes, peu nombreuses, sont souvent liés à des problèmes de maîtrise technologique et de savoir faire tout simplement.
Ils ne nécessitent pas, pour les satisfaire, un projet de recherche dans le sens où le problème posé dépasse les compétences des ingénieurs. Presque toutes les entreprises ne sont pas en position de compétitivité internationale pour qu’elles soient dans la contrainte de se projeter dans le court et le long terme et élaborer des plans de développement axés sur la recherche scientifique. Ils ont surtout un déficit en ingénieurs de très bon niveau pour résoudre leurs problèmes d’engineering. Le chercheur n’est d’aucun secours à ce type de problème car, il est lui même contraint, pour la valorisation de son travail, à publier les résultats de ses recherches dans des revues internationales. Ce qui n’est possible que si ses résultats sont originaux et d’actualité. En clair il traite des problèmes que se posent les entreprises des pays développés. Pour terminer je dirais fi koul wahed fi wad (chacun fait son chemin seul).

A : Je suis en partie d’accord. Mais, on peut noter qu’il y a des secteurs
de l’économie nationale où la recherche scientifique au sens propre du terme est possible. Je cite le domaine de l’agriculture, le secteur de l’Hydraulique et l’industrie pétrochimique … Là aussi, pour qu’une telle recherche scientifique soit possible, cela suppose certaines conditions qui n’existent pas encore en Algérie. Parmi ces conditions il y a tout d’abord l’affirmation d’une volonté politique concrète pour mettre en place un programme visant la réalisation de l’autosuffisance alimentaire ou le développement d’une industrie sur des créneaux où il est possible d’être compétitif. De nombreux problèmes réels ne manqueront pas de se poser et qui peuvent occuper pour plusieurs années les agronomes, les biologistes, les chimistes et beaucoup d’autres encore. Il n’y a aucun indice qui me permet de dire qu’aujourd’hui cela est possible. Je prends le risque de choquer certains et aussi d’apparaître comme allant à contre sens de l’opinion générale pour dire que l’Algérie n’a pas besoin aujourd’hui de recherche scientifique.

B : Comment ça ? Tu divagues !

A : Tu viens de le dire toi aussi ! Je te l’accorde, la réalité est plus nuancée et que ce n’est pas blanc ou noir. Mais il ne faut pas fuir la réalité. Le système éducatif en Algérie vit actuellement une crise très profonde. Tout le monde est conscient qu’il faut former des bons artisans comme aussi de bons médecins et aussi de bons ingénieurs. Ce sont tous ces corps de métiers qui font que les multiples activités dans la société sont assurées. Et, c’est loin d’être le cas. Pour clarifier mon propos, je vais citer deux exemples tirés de mon expérience. J’ai eu à construire une maison dans ma ville natale en Algérie et une autre maison dans la ville où je réside en Europe. Pour chacune des deux maisons j’avais eu besoin d’un plombier pour installer le chauffage central. Aucune comparaison n’est possible à faire. Le délai de réalisation du premier était beaucoup plus court. La qualité du travail était nettement meilleure chez le premier plombier.
Cela ne signifie pas autre chose que, chacun des deux plombiers a travaillé avec les moyens et les connaissances qu’il possède et les normes qui dépendent de la société dans laquelle il vit. C’est un problème de niveau de formation. On peut généraliser cette expérience à tous les corps de métiers sans se tromper.

B : Je le pense aussi. Mon voisin de palier, dans l’immeuble où j’habite, a eu du mal à trouver un plombier pour lui installer correctement son sur-presseur.

A : Tout savoir faire est transmis par apprentissage. Tout savoir évolue
dans le temps. Le recyclage permanent est une nécessité. Je reviens maintenant à mon deuxième exemple. J’ai reçu des étudiants de Master algériens candidats pour des études doctorales dans mon université. J’ai constaté que ces étudiants n’avaient pas la maîtrise pratique de connaissances acquises. Beaucoup de temps et d’efforts leur sont nécessaires pour leur mise à niveau par rapport aux étudiants locaux.

B : Comment expliquer qu’ils arrivent bien à réussir leurs études doctorales à l’étranger alors qu’ici nos étudiants peinent à soutenir leurs thèses ?

A : Ce n’est pas du tout comparable. En Europe la sélection des étudiants
se fait en graduation. Une fois l’étudiant inscrit en thèse, il est pris en charge et aussi, il est mis dans des conditions de travail auxquelles il ne peut s’y soustraire. Les conditions de soutenance ne sont pas aussi identique qu’en Algérie. C’est le jury et le directeur de thèse qui portent la responsabilité et jugent si le travail de l’étudiant est soutenable ou non. Les publications, les communications sont des éléments d’évaluation et non des conditions à satisfaire.

B : Tu veux dire que les études de graduation sont plus facile en Algérie qu’en Europe alors que les études doctorales plus dificile en Algérie qu’en Europe.
A : C’est exact. Mais ce n’est pas tout à fait ça. Les deux systèmes sont différents. Il n’existe pas une réelle sélection dans le système de formation
algérien en graduation. Le système d’évaluation sert seulement à gérer les flux . Contrairement, les études doctorales sont soumises à une évaluation extérieure au système de formation algérien. Elle émane d’instances scientifique internationales puisqu’il est exigé du candidat des publications dans des revues scientifiques internationales.

B : Beaucoup de collègues ont fait ce constat sur notre système d’évaluation, mais le problème est comment s’en sortir ? On parle aussi d’universités privées comme la solution à ces problèmes de niveau dans la formation. Qu’en penses-tu ?

A : Dans une économie de rente, c’est à dire absence de système productif national comme c’est le cas en Algérie, tout est faussé. La demande de consommation interne profite au système de production extérieur étranger. Dans une situation normale, le système de production national cherche à s’adapter et se perfectionner en permanence pour répondre aux besoins de la société et du marché. Ceci exige donc que l’administration, les services et surtout le système de formation remplissent pleinement leur rôle. Le secteur productif, pour rester performant, exigera en plus de ses employés une formation de qualité d’où la nécessité d’une gestion efficace des ressources humaines. Ce n’est pas du tout le cas en Algérie. Université privée ou pas, cela ne changera rien. L’économie de rente n’a besoin, par exemple en terme de niveau de formation, que « d’ingénieur-consommateurs » capables d’utiliser les techniques et les produits importés.

B : Alors il n’ya rien à faire !

A : On peut suggérer certaines réformes immédiates. Tout d’abord il faut
penser à former les jeunes pour devenir des citoyens qui peuvent se forger leurs propres opinions sur leurs situations et aussi sur la situation économique de leur pays. Il n’y a rien à attendre du pouvoir actuel !

B : Tu veux dire des jeunes politisés et avec un esprit critique. Ce n’est pas possible !

A : Pourquoi être pessimiste ? Il faut commencer graduellement par revoir le programme du lycée en introduisant des textes littéraires d’auteurs algériens et il n’en manque pas. Il faut revoir, aussi, le programme de philo pour initier les jeunes au débat. Je suis certain que cela va les emballer. Ils vont aussi mieux comprendre ce qu’est la mondialisation, la crise économique et ses origines, c’est quoi la rente et quelles sont ses méfaits et ses conséquences sur leurs études, leurs vies. Se situer dans la société, être plus exigeant envers eux-mêmes et aussi envers nous.

B : Tu as raison. Tu me donnes de l’espoir mais je reste sceptique car il faut changer de ministre de l’éducation.


A
: Non, de politique. Pour l’université, la réforme doit viser à rationaliser
la gestion et aussi à mutualiser les moyens humains et matériels. Toutes les
universités ne peuvent pas tout enseigner ; il faut sortir de la politique de la
gestion des flux. Se pencher un peu plus sur la qualité !

B : Autrement dit former une élite pour le pays.

A : Pourquoi pas ?

B : Mais ne risque-t-on pas de reproduire les injustices contre lesquelles la génération de 54 s’est révoltée ?

A : Il faut souligner qu’un système qui avantagera une minorité de la population ne peut être viable dans le cas de l’Algérie. Il faut aussi comprendre qu’il est nécessaire et vital de construire une société basée sur le travail. Seul richesse.

B : C’est un vœux pieux ! Beaucoup pensent que cette embellie financière est éternelle et il n’y a pas lieu d’écouter les « rabats joie ». Pour l’instant chacun veut sa part du gâteau et si possible sans trop se fatiguer. Les véritables problèmes de l’université et de la société ne mobilisent pas. L’université reste complètement déconnectée de son environnement.
A : Je ne suis pas tout à fait d’accord. La relation université-société n’est
pas de type mécanique. C’est une relation dialectique ; l’une influence l’autre et vice-versa. Si la société est en crise, l’université l’est aussi et réciproquement.

B : C’est un cercle vicieux. Que faire alors ?

A : Il faut tout simplement poser les vrais problèmes. La société est un tout : soit elle est dans une dynamique de progrès soit elle stagne et s’empêtre dans des problèmes inextricable.

B : Si je comprends bien tu veux dire il faut que le ministre , le député,
le juge, l’enseignant et tous les citoyens jouent leur rôle pour faire progresser
la société. Mais cela suppose qu’il y a une stratégie, un projet auxquels tous y
adhèrent.

A : C’est exactement ça. Pour que la majorité adhèrent à ce projet et à cette stratégie il faut qu’ils soient démocratiquement élaborés. C’est seulement dans ce cas que le rôle de l’université peut être clairement défini et ce qu’on exige d’elle soit bien compris. Ce n’est ni le classement des universités, ni les primes de recherche et ni les augmentations de salaire qui peuvent changer la situation actuelle. Je veux dire la situation du pays !

B : Tu tiens là un vieux discours. L’enseignant universitaire ne demande que son droit, un salaire décent pour se loger et vivre correctement.

A : Je ne suis pas d’accord. Cette vision égoïste ne règle rien pas même
le problème des salaires. Dans une société qui a perdu sa souveraineté par le
fait qu’elle est dépendante complètement des importations de ces bien de con-
sommations, tout est hypothéqué. Aucun ne peut garantir que l’état aura les
moyens de payer ses charges de fonctionnement à moyen ou à long terme.

B : ça donne à réfléchir…

A : La seule alternative possible est d’engager le pays dans la voie de
développement et d’industrialisation pour la création des richesses renouvelables. Mais ceci n’est réalisable que si les enseignants, les travailleurs, les jeunes et les étudiants ne perdent pas de vue qu’il leur faut s’organiser démocratiquement pour avoir un poids dans la société. C’est à cette condition que les vrais problèmes seront pris en charge ; sinon …

B :Un silence. Continue, que veux tu dire ?

Juste en ce moment, d’autres enseignants, qui suivaient l’exposé qui vient
de se terminer, les avaient rejoints. La discussion s’est interrompue sur cette
question. Je pense avoir fidèlement reproduit l’essentiel de la discussion entre les deux professeurs. J’ai seulement omis de rapporter les petites histoires qu’il se racontaient et qui ont ponctué par moment leur échange d’idées. Voici, pèle mêle, quelques unes que j’ai retenues. Ils n’arrivaient pas comprendre que certains responsables continuent à faire croire à l’opinion publique que les problèmes du développement viennent du fait comme le déplore « les spécialistes » : les Entreprises et les chercheurs ont encore du mal à nouer des relations. Ce serait trop beau si c’était aussi simple se plaisaient à commenter ce discours. Tous deux se confirmaient mutuellement avoir lu dans la presse les écrits d’un enseignant d’une université du centre contre la persécution de son recteur et saluaient son courage. Ils n’arrivaient pas à expliquer la démobilisation de la majorité des enseignants et leur désintérêt de la chose publique limitant leur travail à leurs « heures de cours » en se complaisant dans un cloisonnement total. Ils ironisaient aussi sur les records de longévité des responsables aux postes administratifs. Chacun des deux professeurs trouvaient une explication à l’attitude de certains étudiants osant écrire dans leurs copies d’examens des appels au « secours » tels que  » aidez moi que dieu vous bénisse, un 10 me suffit ». Ce qu’ils trouvaient inexplicables est l’absence de réactions des autorités devant tous ces problèmes. Dans leur façon de voir, ils se disaient que le dixième de ces problèmes auraient provoqué un vrai séisme si le secteur de l’éducation était géré convenablement.

Je passe sur bien d’autres histoires difficiles à croire, comme par exemple celle de l’étudiant qui a fait cinq années d’études en informatique et n’a jamais touché un clavier d’ordinateur et celle d’une étudiante qui s’est trouvée dans une mauvaise situation pour avoir osé rectifier une erreur de son enseignant: « Mr. on dit il faut faire la différence entre A et B, mais on ne dit pas, il faut faire l’indifférence pour A et B ».

Nos deux professeurs n’ont certainement pas abordé beaucoup d’autres questions. Nous pouvons être en accord ou en désaccord avec leurs idées. Mais, l’essentiel est que le débat continue.

Mohamed Mezghiche (Université de Boumerdès)
Première version Le 20/10/2010
Deuxième version le 18/06/2012

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