Politique

Dossier SYRIE IIIeme partie

III. SYRIE 2.0
Croix 6/10/2015
Essayons de prédire l’orientation future du développement en Syrie pour les semaines et mois à venir en fonction de ce qui se passe réellement sur la scène politique et médiatique internationale depuis l’entrée directe de la Fédération de Russie dans ce conflit armé. Je crois qu’avec l’entrée de la Fédération de Russie dans ce conflit, est née une situation si nouvelle et qualitativement si différente de celle qui prévalait, générée par quelques années de guerre civile en Syrie, qu’on pourrait titrer cet article Syrie 2.0, sur le mode de l’environnement des technologies informatiques
Posons-nous la question: Pourquoi 7 Etats se sont dressés si catégoriquement contre l’intervention de la Russie peu de temps après qu’ont démarré les actions de combat de l’Armée de l’Air russe déployée en Syrie? Ce sont les Etats-Unis, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite. Notez que dans cette liste curieusement ne figure pas Israël, qui est le plus concerné par les développements dans le monde arabe et en Syrie en particulier, en raison de la proximité avec la Syrie et des relations compliquées entre lui et ses voisins arabes pratiquement depuis sa création. Israël, contrairement à ces 7 pays voit donc la participation de la Russie dans le conflit différemment, non pas comme un facteur d’aggravation de la situation. Il est bien connu que les relations d’Israël avec la Russie au cours des dernières années se portent mieux que les relations entre la Russie et les États-Unis
En ce qui concerne l’Allemagne et la France, ces deux plus grands pays continentaux de l’Europe occidentale, ils sont en position de subordination totale aux États-Unis depuis des décennies. L’Allemagne est toujours un pays occupé depuis la fin de WW2, la dernière en Europe. Les manœuvres de l’Allemagne et ses efforts pour une politique plus émancipée des USA n’ont pas donné jusqu’à présent de résultats substantiels, même si, s’agissant du comportement par rapport aux problèmes ukrainiens, on a pu percevoir certains progrès quelque part sur l’horizon. L’incapacité de faire face à l’afflux de réfugiés, qui a une relation directe avec la politique américaine au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et jusqu’à l’attitude suicidaire, pour ainsi dire, de la chancelière allemande dans ce sens montrent, cependant, que l’Allemagne n’envisage pas de s’opposer aux plans US. De même avec la France, qui était prête à
s’engager aussi en impliquant ses forces aériennes dans les événements en Libye et qui actuellement joue consciencieusement le rôle d’allié dévoué des USA, en s’impliquant dans un certain genre de raids, dans un combat spécial futile avec l’Etat islamique qui dure depuis une année. La Grande-Bretagne en politique étrangère a toujours été un allié fidèle des Etats-Unis, parce que les intérêts d’Albion et de Washington sont plus interdépendants que cela peut parfois sembler.
Il faut reconnaître que personne n’a encore commencé à se battre sérieusement avec l’EI et Al-Qaïda en Syrie et dans le nord de l’Irak. Les frappes aériennes des USA et de leurs alliés qui durent prétendument depuis un an sur les positions de ces groupes sont, en raison de leur futilité, plutôt une parodie avec un arrière-fond pas très clair qu’une intervention militaire réelle. Il y a même des informations que des avions de transport américains ont atterri dans les zones contrôlées par l’EI ou bien que par ‘ »erreur » ils ont largué du matériel d’approvisionnement dans les zones contrôlées par l’EI. En une année de prétendue guerre contre l’EI, celui-ci s’est graduellement renforcé et est devenu un groupe puissamment bien armé. Comparez, par exemple, l’efficacité des campagnes de l’air initiales des USA et de leurs alliés dans les deux guerres contre l’Irak de Saddam. Contre une armée régulière forte de un million
de soldats, ont été menées des attaques très efficaces et précises qui ont donné des résultats substantiels en quelques semaines, voire en quelques jours ou presque …
Contre l’EI, on procède selon toute vraisemblance différemment. À tout le moins, les raids US évitent les infrastructures, les voies d’approvisionnement, les centres de commandement, les dépôts de munitions etc. Les médias occidentaux nous ont informés indirectement dans ce sens comme quoi des dizaines de milliers de combattants se sont évanouis tout à coup avec toutes les armes et de la logistique, quelque part dans les dunes et les déserts de l’Irak et de la Syrie presque comme par magie à partir de rien, et depuis ce temps personne, y compris les États-Unis, ne peut y faire face.
De quelles forces s’agit-il en fait? Selon des sources russes, on dénombre dans les rangs de l’EI, 200.000 combattants, le Front islamique El Nusra compte jusqu’à 100.000 combattants et 60.000 autres combattent dans les rangs de la soi-disant Armée libre syrienne. A la différence des deux premières formations citées, l’armée libre syrienne est principalement non-religieuse, une sorte de fer au feu d’un possible futur régime pseudo libéral soutenu par les Etats-Unis. L’Armée syrienne libre est désignée par les États-Unis comme l’opposition modérée, la séparant médiatiquement de l’EI et des autres structures islamistes radicales et admettant qu’ils sont impliqués dans sa formation et sa logistique à travers leurs alliés dans la région, déjà mentionnés : la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar. Les « sept » sont au complet.
En ce qui concerne l’Armée syrienne libre, nous pouvons ajouter encore qu’en Septembre 2014, elle a conclu sur le champ de bataille dans la banlieue de Damas, un accord avec l’EI en vue de lutter conjointement contre le gouvernement syrien. Comme d’ailleurs, est indiqué sur le très accessible wikipedia, « de nombreux combattants de l’Armée syrienne libre, entraînés et armés par la CIA » ont rejoint, par la suite, l’EI.
Les Etats-Unis comptent également dans « l’opposition » divers gangs carrément criminels opérant dans les villes pas contrôlées par Assad et ce uniquement parce qu’ils ne sont pas loyaux vis-à-vis de Damas. On reconnait, même dans les médias occidentaux, que l’Armée syrienne libre, respectivement les groupes formés et armés en Turquie et par l’intermédiaire d’autres alliés des États-Unis, collaborent dans de nombreux cas avec l’EI et avec d’autres structures islamistes radicales et même que ces sections combattantes ainsi formées se sont ralliées directement à l’EI ou ont remis leurs armes à leurs «collègues» de l’EI. Et cela pose un problème. Du point de vue conjoint syrien, russe et iranien, tous les groupes luttant contre le gouvernement internationalement reconnu de Damas, sont des terroristes et une dangereuse source d’instabilité et pas seulement pour ces trois pays. Nous savons, cependant, que la guerre dans cette
région est également une source importante de vagues de réfugiés fuyant vers l’Europe. De même que le fait que la majorité des réfugiés syriens ne viennent pas des régions où s’est consolidé le pouvoir du régime officiel, mais des zones « libérées » contrôlées par les islamistes et l’opposition « modérée ».
En cas de poursuite du renforcement et de l’expansion de l’EI, la Russie court le risque que se renouvelle à travers le Caucase et à partir du Caucase le danger de déstabilisation sous la forme de groupes islamistes, qui attaquent ici de manière répétée pratiquement depuis l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 90.Le Daghestan, le Tadjikistan, la Tchétchénie – ici les groupes d’islamistes dans l’histoire récente, pour ainsi dire, pour le moment, ont pénétré à plusieurs reprises dans le territoire de la Fédération de Russie. Il n’est donc pas déraisonnable que si le gouvernement légitime de la Syrie conformément au droit international, a demandé à la Russie de l’aide (comme l’a déclaré Vladimir Poutine, à cet égard, seules les forces armées russes opèrent sur le territoire de la Syrie légalement, en conformité avec le droit international), Moscou ait une incitation majeure à éliminer
systématiquement tous ces dangers et ces groupes de perturbation et à ne pas distinguer selon les plans des États-Unis – les forces sur lesquelles on peut y aller et celles sur lesquelles ce n’est pas permis!
Du côté de Damas officiel, se trouve l’Armée arabe syrienne comptant environ 150 000 membres, ainsi que des milices issues de la population locale, organisées en dehors du cadre de l’armée régulière dans les rangs desquelles se battent environ 120.000 citoyens loyaux puis au nord-ouest interviennent les milices du mouvement Hezbollah avec 30.000 membres (selon les sources en langue russe).
Qu’est-ce qui commence à se dérouler justement sous nos yeux?
Avec l’implication de la Russie dans les combats en Syrie par l’appui aérien apporté au régime d’Al Assad, une inflexion s’est manifestement opérée dans les développements actuels au Moyen-Orient. Grace à cette aide, Damas a obtenu la possibilité de faire tourner en sa faveur le développement de la guerre au sol, par ses propres forces, avec le soutien du Hezbollah et l’implication potentielle plus grande qu’auparavant des milices iraniennes, sur les préparatifs desquelles pour l’entrée dans le conflit apparaissent des informations pour l’instant incertaines. Les frappes aériennes russes précisément ciblées sur les centres de commandement, les dépôts de munitions, les voies de communication ainsi que les aéroports et d’autres infrastructures de l’EI dans les zones des lignes de contact, dans les arrières profondes, permettent à l’armée syrienne de lancer l’offensive dans les régions du nord, à savoir, vers la frontière
avec la Turquie. Ici, dans le nord se trouvent les principaux groupes de l’Armée syrienne libre et les partisans d’Al-Qaïda et d’An Nusra et d’autres groupes soutenus par l’Arabie saoudite et le Qatar, qui sont fournis physiquement à partir du territoire turc (l’EI intervient dans les zones plus à l’Est). Coupées de la frontière turque, ces forces seront isolées et il ne sera plus possible de les compléter et les renforcer par de nouveaux combattants, des armes et de l’argent encore.
Si une telle opération a lieu et est mise en œuvre de manière réussie par l’armée du gouvernement syrien avec le soutien de la force aérienne russe, cela va provoquer un effondrement rapide de ces structures, même dans les régions éloignées, se trouvant plus au sud, car même là aussi finalement elles seront entièrement privées de l’ approvisionnement et des renforts venant du nord .
L’action de la force aérienne russe va faire que dans cet espace aérien, maintenant non contrôlé par Damas, l’aviation américaine, turque ou la Force aérienne français ne seront plus en mesure d’opérer. De cette manière, s’écroule la menace américaine à Assad que si ses forces attaquaient les groupes soutenus par les Américains, elles seraient bombardées par l’aviation US, comme l’a déclaré Jakov Kedemah, ancien chef des services Nativ d’Israël. Cette menace jusqu’ici mise en en application secrètement, en plus du fait que la défense anti aérienne turque a officieusement créé une zone d’exclusion aérienne de la Force aérienne syrienne dans les zones frontalières, ont fait obstacle à une action efficace des troupes terrestres syriennes contre «l’opposition» dans les régions du nord, ce qui a entrainé les forces syriennes graduellement sur la défensive et à perdre le territoire contrôlé.
Dans la situation actuelle, un grand succès d’Al Assad serait de se mettre d’accord avec les Kurdes, par exemple, sur une large autonomie en échange de l’entrée en conflit actif contre les islamistes, parce que les Kurdes jusqu’à présent ont tenu quant au fond une position neutre reposant sur la défense du territoire qu’ils contrôlent maintenant.
Tout ce qui précède, en cas de succès, mènera à réduire à néant les plans pour la destruction de la Syrie et du «problème» kurde et pour la création des conditions d’une nouvelle expansion de l’EI par la coalition américaine.
Dans le cas de la mise en œuvre et du succès de l’opération dans le nord de la Syrie, il sera possible avec le soutien de l’aviation russe d’engager une autre action, cette fois directement contre l’EI dans les territoires qu’il contrôle sur le vaste, quoique, peu peuplé espace entre Palmyre la syrienne et les régions au nord de Bagdad l’irakienne, surtout si s’y joignent les forces armées irakiennes et iraniennes. La coopération avec l’Iran est du côté de la Fédération de Russie à long terme et les dirigeants irakiens ont déjà exprimé que l’Irak est intéressé par l’expansion des activités militaires russes sous la forme de frappes aériennes sur son territoire contrôlé par l’EI. La Russie avait déjà à sa disposition un couloir aérien dans le nord de l’Irak avant le début des opérations aériennes de combat actuelles. Comme l’a indiqué également J. Kedemah, les plans des États-Unis, de l’Arabie saoudite et du
Qatar pour établir un nouvel ordre au Moyen-Orient sont tombés à l’eau avec l’entrée en jeu directe de la Russie. Ceci explique également la vague d’’hystérie correspondante sur la scène politique et médiatique occidentale, qui a repris à nouveau après le 30 Septembre de cette année.
Dans les pays touchés par la menace immédiate de l’EI et d’autres groupes terroristes opérant dans la région, plus personne ne croit en la volonté des États-Unis et de leurs alliés de faire face efficacement à cette menace. Par conséquent, ils se tournent vers quelqu’un d’autre qui a, à cet égard, le même intérêt – vers la Russie. Quel autre développement dans la situation actuelle est en effet vraiment dans l’intérêt de l’Europe?

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