Société

Hommage au docteur Abdelkader Abid par C.Touhami *

ABDELKADER ABID ,UN HUMANISTE ET UN MEDECIN HORS DU COMMUN

Il y’a un peu plus de deux mois disparaissait, notre ami, notre confrère Abdelkader Abid. Ce jour noir du 12 septembre restera gravé dans nos mémoires et dans tous les lieux qui l’ont connu. Ce jour- là, une terrible nouvelle traversait les mers et les océans, assombrissant le ciel de nos cœurs.

Ce fut le coup de tonnerre qui ébranla nos vies, nous plongeant dans une profonde tristesse. Aucun d’entre nous n’avait réalisé ce qui était arrivé, même si nous nous y attendions. Tellement il portait la vie et qu’il regorgeait d’énergie. La maladie ne lui avait donné aucun répit, mais on ne pouvait y croire, à cause de ses projets et de son dynamisme.

Hélas ce fut l’amère vérité qui fit couler tous les larmes que nos paupières ne pouvaient contenir, nos yeux restant encore voilés du sang de notre âme. L’aigle de la mort l’arracha à la vie pour s’envoler telle une étoile filante dans l’immensité du ciel.

Face à l’auguste sérénité de la mort, j’ai imploré le ciel en priant, pour lui et tous nos amis disparus, sans oublier les maitres qui nous ont tant appris. Il venait de les rejoindre dans le monde de l’éternité. Me remettant à la volonté divine, j’ai fait remonter du fin fond de ma mémoire, tous les hommes et les grands hommes qui ne sont plus, me souvenant de l’immense douleur de Victor Hugo apprenant la mort de sa fille Léopoldine, pour laquelle il eut cette parole « La moitié de ma vie et de mon cœur est morte » tout en s’interrogeant « Ô mon Dieu que vous ai-je fait ? ».

Cette peine incommensurable exprimée dans la plus belle des poésies, nous l’avions ressentie pour Abdelkader Abid comme cette chose qui vous prend à la gorge, vous étouffe et vous anéantit. « Kader, l’ange au sourire, ne méritait pas de mourir en se consumant comme une bougie s’apprêtant à s’éteindre

Cardiologue de haut niveau doublé d’un grand humaniste, le docteur Abdelkader Abid militait pour une Algérie libre, enracinée dans son histoire et la culture universelle. Un projet hérité de son père, « moudjahed » de la première heure et officier de l’armée de libération nationale. A peine âgé de 28 ans, Abid Djelloul meurt au combat pour l’indépendance de son pays, laissant derrière lui une jeune veuve et 4 enfants en bas âge, dont Kader, l’ainé, qui n’avait que cinq ans. Ils ne survivront et feront de brillantes études que grâce au dynamisme de leur maman et à la solidarité familiale.

Mis à part les anciens de sa ville natale et de l’école de la gendarmerie nationale d’Ain-Temouchent qui porte son nom, peu de gens en ont entendu parler ,les jeunes générations ne le connaissent pas. Kader est toujours resté discret sur son père, ce héros. Il n’en parlait pas, ne s’en vantait jamais, peut-être à cause de la souffrance d’en avoir été privé.

Pour lui, être ‘’fils de chahid’’ n’a jamais été un fonds de commerce ou un faire-valoir, comme on le constate de nos jours. Preuve en est qu’il fait son service national, alors que la loi l’en dispensait. Il était fier de ce père auquel il a toujours voulu ressembler, en vivant dans son sillage jusqu’à la fin de sa vie. Entre son papa et lui existait, par la clé des forces de l’esprit, une sorte de connexion avec l’au-delà et le paradis des martyrs.

Il marchait avec ses rêves d’enfant et, les étoiles l’accompagnaient dans les lieux de mémoires d’une région venue du fond des âges qui avait abrité le royaume Numide de Shiga .Il y’a plus de deux mille ans le roi Syphax est mort dans un cachot de Rome ,pour avoir combattu aux côtés de Carthage les légions Romaines .Son souvenir est toujours vivace dans le mausolée inviolé de l’ile de Rachgoun .Les Romains feront de cette ville l’antique « Albulaé « ou la ville blanche avant d’être une terre Arabe et Musulmane et une forteresse de résistance de l’émir Abdelkader ,sous la bannière de son lieutenant et homme de confiance « Bouhmidi El Oualhaci »mort lui aussi en captivité au Maroc .Sans oublier les premières manifestations des populations civiles survenues ,qui accueillirent l’arrivée du général De Gaulle, en 1960, au cri de ‘’Tahia El Djazaïr » et qui marquèrent un tournant dans la guerre de libération.

C’est dans cette ville et à l’école de l’encrier et de l’encre violette ,que le docteur Abid est éveillé aux lumières avec Voltaire , Rousseau et Diderot ,au sens du devoir avec le Cid de Corneille et, à l’amour passion de Phèdre de Racine .Chaque matin il avait droit à un cours de morale ou d’instruction civique enrichi par des textes de grands auteurs .Tout comme il entendait Danton affirmer« après le pain l’instruction était le premier besoin d’un peuple » et Rabelais l’avertir que « science sans conscience n’était que ruine de l’âme ».Il lui fallait en plus rattraper le retard de la langue Arabe ,et découvrir ses trésors avec El Moutanabi ,el Maari , Ibn Zeidoun , Ahmed Chaouki , Gabran ,Taha Hussaine ,sans oublier Ibn Khaldoun et Averroès .Ce fut une période unique et des plus riches qui nous a préparé à la vie et à la construction de notre pays.

C’est dans ce climat intellectuel qu’évolua notre ami Kader et que se forgea son amour pour la justice et la liberté. Et c’est dans cette Algérie de toutes les promesses portée par l’élan de l’indépendance et le sacrifice de nos martyrs, que son cœur battait avec l’étoile la plus lointaine et des lendemains qui chantent .Plus que tous Kader était persuadé que le monde devait être transformé et que l’Algérie ne pouvait qu’être « belle, rebelle » et devenir un grand pays. C’est pourquoi, il s’est engagé tôt pour les idées d’Emile Zola et de Jean Jaurès.

Kader ne ressemblait pas aux jeunes de son âge. Il était plus préoccupé par le travail et l’activité militante que par le désir de s’amuser. Bien loin des plaisirs égoïstes de la vie, il avait le sens de l’autre. Il pouvait s’adapter à tous les milieux en communiquant, même avec ceux qui ne partageait pas ses idées. Il voulait changer les choses et contribuer pour le mieux. Ce qui explique son adhésion corps et âme, à l’union nationale des étudiants Algériens,dont il fit un fer de lance .

Il voulait tout simplement que l’université rayonne dans la culture et les sciences ,qu’elle s’ouvre sur le monde et que le pays se réconcilie avec toutes ses identités ,comme que le voulait Kateb Yacine dans « Nedjma » L’Algérie étant plurielle .Il voulait qu’on entende résonner à l’université Apulée ,Saint Augustin, Okba Ibn Nafaa ,et l’émir Abdelkader ,et tous ces grands noms de la civilisation Arabe qui ont marqué l’Algérie ,en entendant la voix d’Ibn Khaldoun de Tiaret ,d’ Ibn Arabi de Bejaiaa ,et de Sidi Boumediène de Tlemcen ,sans oublier les géants de la pensée de Arabe comme Farabi ,Avicenne et ,Averroes ,et les grands penseurs Grecs et occidentaux tels , Aristote Platon, Montesquieu .Tout comme on devait enseigner les grands auteurs Algériens comme Kateb Yacine ,Dib ,maameri ,Assia Djebbar ou d’autres enfants de ce grand pays souvent oubliés tels que Jacques Derrida et mohamed Arkoun .Bref s’ouvrir sur tous les grands esprits universels.

De ce temps- là Alger était la ‘’Mecque des révolutionnaires’’, L’Algérie sereine et pleine de promesses. Il faisait bon d’y vivre. La question religieuse relevait de la vie privée et de l’intimité de chacun.

Comme tant d’autres jeunes de sa génération ,Kader s’inscrivait dans la ligne de l’islam des lumière qui concilie la révélation et la raison ,un islam en quête du savoir comme le décrit ’Ibn Sina dans son kitab el schifa ou la guérison de l’âme avec cette foi qui élève l’homme et le rapproche de son créateur ,exigeant du musulman d’ acquérir la connaissance des sciences et de la philosophie pour devenir « el insan el kamil » .C’est à d’ailleurs à quoi fait allusion l’émir Abdelkader dans ses écrits, Et qu’on trouve ,clairement énoncé dans le saint Cora .

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Le docteur Abid ,ne faisait jamais de discours religieux ,ni donner des leçons où juger les autres .Il traduisait sa foi dans son comportement et en acte tous les jours en soignant avec le cœur et en cultivant le bien .Dans son cabinet d’Alger , Il soignait avec humanité n’acceptant pas d’argent , d’un malade nécessiteux ,comme il ne l’acceptait pas non plus de ses amis et de leurs proches .

Il n’était pas que le cardiologue talentueux qui rassurait ,mais aussi un intellectuel engagé dans les grandes causes et un conférencier de renom qui illuminait les salles et les esprits .C’était l’ universitaire par excellence qui maitrisait l’art de la pédagogie et de la communication sans avoir fait de carrière universitaire ,et sans titre académique .Il avait le profil idéal d’un authentique professeur de médecine et un conférencier de renom connu sur la scène nationale et à l’étranger .On se souvient de ses enseignement sur l’algorithme appliqué à la médecine et de son travail sur les élites Arabes .

Te souviens-tu mon cher ami ? qu’on devais participer à des missions médicales organisées par notre ami le professeur Boubekeur ?

Mais la vie est imprévisible et pleine de mystère. c’est la condition humaine

Aujourd’hui Nous avons fait en sorte qu’on tienne notre promesse ,grâce aux forces de l’esprit et sous le regard d’illustre invités . Pour une fois nous avons choisi de parler de toi, le moi étant haïssable ,La discrétion et l’humilité ta règle .J’ai tenu ici à apporter mon témoignage , car Il faut bien reconnaitre aux hommes leurs mérites .J’ai n’ai fait que remonter le cours du temps qui coule et qui ne revient pas, en consultant ce grand professeur de la vie pour dire des vérités.

Comment oublier le docteur Abid ? Comment accepter la fatalité qui touche un esprit brillant ,sans un profond sentiment de révolte. Comment accepter ce mal qui cible les cellules de l’intelligence , qui détruit en quelques mois des hommes utiles qui éclairent la jeunesse dans un monde en pleine turbulence .J’avais espéré qu’un miracle puisse se produire ,mais la réalité était là . Aucune chance ne t’avait été donnée ,même pas un peu de temps pour rentrer à Alger et mettre de l’ordre dans tes affaires .C’était une forme foudroyante et invalidante qui t’ a précipité dans l’abime pour t’emporter dans un temps record .Et pourtant jamais tu n’ avais jamais connu de maladie , ta vie toujours saine et équilibrée .

Ce moment terrible a fait surgir en moi une profonde colère , je me suis mis à penser ,Pourquoi mon dieu, les hommes consacraient-ils autant de moyens pour des guerres autodestructrices et la destruction de la planète ? Et non pas pour vaincre cette terrible maladie du cancer qui tue la beauté, l’innocence ,et l’intelligence. ? j’ai pensé au désespoir du grand savant Einstein , interpellant le président Roosevelt « le problème n’était pas la bombe disait-il ,mais le cœur de l’homme » et me suis rappelé cette bouteille lancée à la mer à la postérité, plus que jamais d’actualité « Si vous n’êtes pas devenu plus juste écrit Einstein ,ou en quelque sorte plus rationnel que nous le sommes et ,que nous l’avons été, Alors que le diable vous emporte »

Notre cauchemar continue. Chaque jour nous assistons au spectacle de l’horreur et de la désolation d’un monde qui a perdu son âme. Devions nous croire à la mort de l’homme annoncée par Michel Foucault .

Si j’en parle devant vous de tout ce qui se passe autour de nous ,c’est parce que ce fut l’engagement du docteur Abid .Il s’était employé pendant toute sa vie à réveiller les consciences de son auditoire dans ses conférences et en tous lieux .Convaincu qu’il fallait œuvrer à extraire le mal du cerveau des hommes ,grâce à la thérapeutique efficace de « La science et la culture » L’urgence étant de lutter contre l’ignorance et la crétinisation des esprits en revenant à l’islam des lumières qui a porté haut la civilisation humaine et non pas l’ idéologie d’un islam travesti ,instrumentalisé qui a failli emporter notre pays ,avec toute la tragédie ,des morts ,des destructions et des exils ,et qui Aujourd’hui fait la une des média et de l’actualité.

C’est ce travail qu’on devait approfondir et pour lequel on devait s’investir Hélas il est parti sans faire de bruit,il n’est plus .

Il n’était pas dans mon intention de demander pour toi, l’immortalité promise par Calypso au héros Grecque Ulysse .la finitude étant inscrite dans l’ordre normal de toute les créations sur terre et de l’harmonie du cosmos ,je voulais seulement que tu vieillisse et que tu termines ton chemin en bénéficiant de l’ espérance de vie offerte par la médecine moderne .Tu avais le projet de le finir et de l’inscrire dans la mémoire des siècles. Mais comme dit Omar El Khayyam

« Tout est depuis longtemps écrit sur la tablette et la plume s’obstine à rester muette, Tout se fait bien ou mal comme le veut le destin ».

Fou qui lutte et plus fou qui pleure la défaite.

Si comme Dieu, j ‘avais en main le Firmament,

Je le démolirais sans doute promptement,

Pour à sa place bâtir enfin un nouveau Monde,

Où pour les braves gens tout viendrait aisément  »

Tel est le sens de l’existence, il n’y a que le bien accompli sur terre qui vous immortalise dans les lieux et les mémoires.

Merci mon frère et mon confrère d’avoir existé, de nous avoir appris l’art de vivre et de rester vivant dans nos cœurs.

Que Dieu t’accueille dans le paradis des martyrs, auprès de ton père qui t’a tant manqué.

Adieu mon frère, mon ami A Dieu nous appartenons, à lui nous retournons.

PR C.TOUHAMI

CHIRURGIEN ANCIEN RECTEUR


Hommage au docteur Abdelkader Abid
par C.Touhami *

Aujourd’hui, le ciel est gris, il pleut, une pluie fine se mêle à nos larmes pleurant la perte d’un frère et d’un ami de toujours, le docteur Abdelkader Abid.

Il avait pour l’Algérie le rêve d’un géant et l’ambition de la faire belle, rebelle, libre et démocratique, un projet hérité de son père Djelloul. Moujahid de la première heure, Abid Djelloul est tombé en martyr en 1956 les armes à la main, afin que l’Algérie vive libre et indépendante. A peine âgé de 28 ans, il est officier de l’Armée de libération nationale et meurt au combat pour l’indépendance de son pays. Il laisse derrière lui une jeune veuve et 4 enfants en bas âge, Kader étant l’aîné, il n’avait que cinq ans. Ils ne survivront et feront de brillantes études que grâce au dynamisme de leur maman et l’aide familiale. Peu de gens ont entendu parler de Abid Djelloul et de son amour pour l’Algérie éternelle, les jeunes générations ne le connaissent pas. Kader est toujours resté discret sur son père, ce héros, il n’en parlait pas, et ne s’en vantait jamais, peut être à cause de la souffrance d’en avoir été privé, il en avait de vagues souvenirs et n’en a jamais fait un fonds de commerce et un faire-valoir, comme on le constate de nos jours. Pourtant, il était le fils d’un authentique moudjahid de la première heure, il en était fier et a toujours voulu lui ressembler.

Il vivra dans son sillage jusqu’à la fin de sa vie. Entre lui et son papa existait une forme de connexion avec l’au-delà, et le paradis des martyrs par la clé des forces de l’esprit. Fidèle aux idéaux de Novembre, Kader avait tout pour lui, la beauté, l’intelligence, la bonté et les yeux d’un Dieu de l’olympe. Jamais, Il ne faillit à ses devoirs et ses engagements. Toujours parmi les meilleurs de sa classe et de l’université, l’élève idéal, studieux et bien éduqué, que les maîtres et professeurs adoraient. Il était aussi le camarade loyal et généreux, qui depuis la prime enfance vadrouillait de maison en maison et de famille en famille pour s’enquérir de ses amis et partager leurs préoccupations, une habitude qu’il a gardé et qu’on lui connait, quand il fait le tour de ses amis aussi bien à Oran, Alger que dans sa ville natale d’Aïn-Temouchent ou dans tous les lieux où pouvaient séjourner ses amis. Il frappait à notre porte aux heures où on s’y attendait le moins, il entrait comme un rayon de soleil pour créer de la joie et de la convivialité. Kader aimait les gens et les gens l’aimaient pour sa simplicité et son authenticité. Passionné de culture, d’histoire et de science, il débattait en permanence des grands sujets de l’actualité du monde, de grands auteurs et écrivains, expliquant ses engagements futurs pour les grandes idées porteuses de justice et liberté. Tout comme les amis de sa génération, il a été forgé par l’élan de l’indépendance, convaincu que le monde devait être transformé, et que l’Algérie ne pouvait qu’être «belle, rebelle «et promise à un grand destin.

Il marchait avec ses rêves d’enfant et les étoiles l’accompagnaient dans les lieux de mémoires de son enfance de l’antique «Albulaé» la ville blanche des Romains pour laquelle le président Boudiaf «Si Tayeb El Watani», que dieu ait son âme, réserva sa première sortie officielle, en souvenir d’une réunion des années 1950 qui regroupa d’autres héros du mouvement national. Tout en étant une ville coloniale, Aïn-Témouchent est un lieu chargé d’histoire, plongeant ses racines dans le royaume de Syphax qui a combattu l’empire Romain, sans occuper son mausolée, qu’on peut voir sur l’île de Rachgoun ; le roi Syphax a fini sa vie dans un cachot de Rome. C’est aussi la terre du lieutenant de l’émir Abdelkader Bouhmidi, son souvenir est vivace dans «Ghar el Baroud» à Oulhaca à proximité d’Aïn-Témouchent, sans oublier les premières manifestations des populations civiles au cri de ‘Tahia El Djazaïr» qui accueillent en 1960, l’arrivée du général De Gaulle et qui marquent un tournant dans la guerre de libération. Sa particularité est d’avoir souffert des affres du colonialisme et de l’apartheid des gros colons, tout en bénéficiant d’un collège d’excellence prévu pour les enfants des colons au nom de Pierre Brossolette avec de grands instituteurs qui nous ont marqués et initiés aux idéaux révolutionnaires portés par Danton qui affirmait «qu’après le pain, l’instruction est le premier besoin d’un peuple» et où on entendait parler des philosophes des lumières tels que Voltaire et Rousseau, comme on nous enseignait que «science sans conscience n’était que ruine de l’âme».

C’est dans ce climat intellectuel qu’évolue notre ami Kader, et que se forge son amour pour la justice et la liberté. Ce n’est pas par hasard qu’il devient militant de l’Union nationale des étudiants algériens et du parti de l’avant-garde socialiste. Pour ceux qui ne le savent pas, Kader sacrifiait souvent ses vacances entre l’organisation et ses études, la charge de travail ne l’a jamais empêché de se maintenir dans l’excellence. Contribuer du mieux qu’on pouvait pour transformer l’Algérie et notre monde était l’hymne de notre génération, qui voulait à tous prix faire avancer la société. Autant d’occasions ratées pour l’Algérie qui n’a pas su profiter des hommes de valeurs pétris dans des valeurs nationales et universelles, sans rien demander pour eux, leur seul souci étant le développement de l’université et de leur pays. Nous étions des idéalistes et nous rêvions avec l’étoile la plus lointaine bercée par la poésie d’Aragon et de Jean Ferrat. De ce temps là «Alger était la Mecque des révolutionnaires. L’Algérie était sereine et pleine de promesses, la question religieuse relevait de la vie privée et de l’intimité de chacun, il faisait bon d’y vivre. En écrivant ces mots, je me sens inondé par une nostalgie ou plutôt «une nostalgérie» pour reprendre le terme de Jacques Derrida.

Avec le recul du temps, et le regard de l’ innocence, nous avions plutôt fait preuve de naïveté, nous n’avions pas vu les choses venir et mal apprécié la situation, le vers était déjà dans le fruit, le pays portait déjà les prémisses de l’opportunisme, du carriérisme et de l’intégrisme, que nous subissons jusqu’à ce jour. Il n’a pas su profiter d’une génération nourrie aux idéaux de Novembre engendrée par l’élan de l’indépendance, une opportunité unique dans l’histoire de notre pays. Notre seul but était de construire une université forte, libre et ouverte sur le monde, dans laquelle on entendrait résonner : Averroès, Sidi Boumediène el Ghaout, Ibn Arabi, Voltaire, Rousseau et Diderot. Ma mémoire remonte le cours du temps, je me souviens comme hier des journée de la fête des étudiants du 19 mai, où on déclamait la poésie d’Abou el Kacim Ecchabi, de Bachir Hadj Ali et de Nazim Hikmet, j’entends encore la voix de notre ami «M’hamed Djellid « lui aussi disparu, interpeller «Babba Arouj lui demandant, où es tu? Et si tu savais?». Pour rester dans nos traditions ancestrales, nous invitions dans ces circonstances «Hadj Ghaffour» nous bercer par sa sublime voix et sa poésie. Tout ce qui nous importait était de servir le pays, avec abnégation, sans aucune contrepartie. Kader croyait dur comme fer, et il acceptait de consentir à des sacrifices pour avancer, il ne pensait ni à s’amuser comme les jeunes de son âge, ni à penser à ses intérêt personnels, il était très loin des plaisirs égoïstes.

Je le vois se remémorer les mots du poète «Si je ne brûle pas, si tu ne brûles pas, si nous ne brûlons pas, comment les ténèbres deviendront-elles clarté?» Il était déterminé à brûler pour ses idées. Il appartenait à cette génération formée par la belle école de l’Algérie d’antan, où les maitres enseignaient, et j’évoque pour l’occasion notre maitre vénéré le professeur Boudraa, Allah yerhamou, qui répétait :

«Qu’être responsable c’est d’abord servir et non se servir, gérer et non digérer, c’est éduquer, éduquer par les devoirs de l’homme». Kader, plus que tout, appartenait à la race des seigneurs. C’était «Djelloul el fheimi» de Abdelkader Alloula, avec du tact et de la finesse. Il est évident que des hommes de ce niveau étaient préparés pour exercer de hautes responsabilités dans notre pays et qu’ils auraient fait éviter à notre pays toutes les tragédies, les échecs et les égarements qu’on lui connaît. L’Algérie avait pour vocation de faire partie des pays émergents, elle en avait les potentialités et les hommes. Et c’est ce qui reste sur le cœur. Quelle gabegie? Quelle tristesse ? Quel désarroi ?

Cardiologue de haut niveau, Abdelkader a consacré sa vie à ses patients, il a quitté la carrière universitaire sans jamais la quitter vraiment, il a continué à enseigner et à illuminer son auditoire dans toutes les réunions et congrès, devenant un conférencier respecté sur le plan international et participant à des projets de recherche. Persuadé que le vrai combat est la lutte contre l’ignorance, son devoir étant de réveiller les consciences en participant activement à l’enseignement et aux séminaires sur tout le territoire national et à l’étranger. C’est ce qu’il a continué à faire jusqu’à ce que la maladie l’invalide pour l’emporter. Il a fait sa dernière conférence le 21 juin 2015 à l’Harmattan de Paris, en m’invitant à y participer, lui abordant la tragédie du monde Arabe et de ses élites et moi éclairant l’avenir avec les lumières de « l’Andalousie arabe «. On s’était merveilleusement retrouvé et complété et on avait décidé de continuer à approfondir ce travail, la retraite n’étant pas loin, nous allions enfin disposer de plus de temps pour nous investir dans la culture. A la demande d’une association, on avait rendez-vous à Marseille en octobre 2015, et nous devions poursuivre ce projet pour diffuser de la lumière en Algérie.

Le destin en a voulu autrement, il n’a même pas eu le temps de partir à la retraite et concrétiser son projet. Trois mois après, tout s’effondre, la maladie survient de manière tout à fait inattendue, lui qui n’a jamais été malade. C’est le coup de tonnerre dans un ciel serein, et la fin de tous les projets. Il devait affronter le mal qui l’envahit de manière fulgurante, sans aucun répit, ne lui donnant aucune chance. Et voilà mon cher ami, tout va, tout s’en va, ainsi va la vie. Tu m’avais envoyé un jour du nouvel an le poème de Jabran Khalil Jabran «vivre à moitié» expliquant qu’on était créé pour vivre pleinement et non pas à moitié» étais-ce prémonitoire ? Ce que je sais, c’est que même si ta vie a été courte, tu as vécu pleinement par l’intense énergie et l’activité déployée durant ton passage sur terre. Aujourd’hui, tu as rejoint le paradis des martyrs qui occupait ton esprit, tu es près de ton père qui t’a tant manqué et de notre mère à tous Karima. Nous en souffrons, nous te pleurons dans le silence de la nuit. Mais que faire face à la fatalité et le mektoub ? Que faire devant l’inéluctable ? Jusqu’à la dernière minute j’ai cru au miracle, implorant le Seigneur des mondes de t’épargner, lui demandant de faire une exception, juste pour toi Kader, parce que tu n’a pas eu le temps de vieillir, et que nous avions encore besoin de toi et de tes lumières. Mais la vie est ainsi faite, l’homme est condamné à disparaître, la volonté de notre créateur est intransigeante et nous devons l’accepter.

C’est la seule vérité, car toute chose a une fin, tout périt, seul le Seigneur des mondes demeure, nous l’implorons, nous le prions de te recevoir dans son vaste paradis. Le bien accompli sur terre t’immortalise dans le cœur de tes patients, de tes amis, de tout ce qui ont eu la chance de te connaître, et dans tous les lieux et les mémoires. Tes patients te remercient pour tes bons soins, et nous d’avoir existé et de nous avoir appris. Il n’y a rien d’éternel, toute chose est périssable, «le corps n’est qu’une prison, mais l’âme est libre» de là où tu es, tu nous regardes, tu vis et vivras dans nos cœurs jusqu’à la fin des temps.

Adieu mon ami, mon camarade, mon frère.

A Dieu nous appartenons et à lui nous retournons.

* Pr – Chirurgien et ancien recteur

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