Société

Islamophobie : de l’art d’amuser le tapis par temps de crise

un article de notre collaborateur Abdellatif Rebah écrit pour le journal électronique(aujourd’hui disparu, LA NATION DZ), et qui est toujours d’actualité; les chiffres illustrant l’aggravation, depuis, de la crise ajoutent à la gravité dramatique du décor et soulignent le caractère d’impasse de la situation et la tentation d’amuser le tapis de plus en plus irrésistible
Raina.dz

« Piètre navet », aux dires d’une presse occidentale volontiers magnanime, le film anti Islam réalisé en Californie, aux Etats-Unis, n’en a pas moins pleinement assumé sa mission. Détourner, le temps d’une hypnose islamophobe de masse, l’attention de l’opinion publique occidentale des conséquences sociales, chaque jour plus dramatiques, du fiasco des politiques libérales. Portée par l’intox officielle et les médias, l’islamophobie est devenue l’inusable os à ronger, l’inépuisable filon pour distraire les peuples de cet empire en déclin, des vrais problèmes qui les tenaillent. Répit non négligeable, il faut bien l’avouer, pour les médias inféodés, délivrés, le temps d’une mystification sur le thème du péril vert (après le péril rouge et en attendant le péril jaune), de l’étreinte angoissante des taux de chômage grandissants, de la précarité galopante, des déficits en flèche, de l’endettement astronomique et autres joyeusetés généreusement prodiguées par un système capitaliste qui coure à son crépuscule. Cette vidéo, ces caricatures, sont elles « nécessaires » ou « provocatrices », « légitimes » ou « offensantes », « opportunes » ou « déplacées »etc., quels termes rêvés pour un «débat » sur mesure, comme substitut idéal à la tribune où on dénoncerait la cause réelle et les véritables responsables du désastre social et humain des victimes de « la crise », et où, surtout, on débattrait des moyens d’y mettre fin ! La presse mainstream s’enflamme pour ces nouveaux héros des Lumières en croisade contre « les forces des ténèbres ». Manifestement, l’Occident impérial digère mal sa perte irrémédiable de puissance. Comment comprendre, autrement, cette manie obsessionnelle, qui confine à l’acharnement, de tester et retester périodiquement la solidité de l’union sacrée autour des valeurs libérales occidentales en s’attaquant aux peuples de confession musulmane. Ne reste –t-il plus à l’empire d’autre signe de vitalité que d’exhiber à la face du monde sa capacité à humilier et à blesser la foi de centaines de millions de musulmans ? Curieusement, septembre se révèle être le mois privilégié pour ce type de provocation. Après ce qu’on a appelé les attentats du 11 septembre 2001 contre les Tours jumelles de NewYork, le 30 septembre 2005, un petit Etat du Nord de l’Europe, le Danemark, dont le premier ministre était alors l’actuel secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, s’était fait mondialement connaitre, grâce à des caricatures de « Mahomet ». Cinq ans plus tard, la chancelière allemande Angela Merkel décide d’honorer le caricaturiste danois, dans un geste salué comme la marque d’un grand courage politique. C’était en septembre 2010.Relevons au passage cette morbide prédilection pour certaines saisons quand les peuples des mondes arabe et musulman sont pris pour cible. L’automne pour stigmatiser les adeptes de la religion islamique, le printemps pour détruire les Etats nationaux dont ils sont les ressortissants…sous le couvert du djihad islamique. Plus récemment et toujours en septembre, une vedette de séries télé française, bien positionnée dans l’audimat, flairant sans doute le filon particulièrement rentable, en remet une couche. Elle confesse aux téléspectateurs, un brin désinvolte : « Peut-être que je suis islamophobe ». Rien de méchant, juste une peur, ajoute l’ingénue. Tant pis si elle piétine les sentiments religieux d’un milliard et demi de personnes. Elle n’en a cure. Comme dit un célèbre philosophe et essayiste, « la libre expression des puissants peut avoir des conséquences funestes sur les sans-voix ». Un animateur télé célébrissime qui n’est plus de ce monde, aurait, peu de temps avant sa mort, avoué (sic !) s’être converti à l’Islam. Quelle sacrée aubaine pour le théâtre de l’islamophobie ! Dans les médias, c’est la consternation à peine dissimulée et quand ils apprennent plus tard que le producteur d’émissions télé à grand succès est enterré dans un « carré » musulman, c’est carrément la panique dans les salles de rédaction de l’Hexagone ! Puisque l’ambiance s’y prête et que le marché est porteur, un hebdomadaire satirique parisien réédite l’exploit applaudi des caricatures danoises d’il y a sept ans, et en tire même de mirobolants chiffres de ventes. Ce n’est pas négligeable, certes, par ces temps de vaches maigres. Mais là n’est pas, bien sûr, le principal bénéfice de l’opération globalisée de stigmatisation des musulmans, ni son principal bénéficiaire. Car, aurait-on planifié une campagne orchestrée de diversion d’envergure planétaire, qu’on ne se serait pas pris autrement.
Le vaisseau global en perdition
Quelle formidable diversion, en effet, que ce prurit islamophobe offert aux dirigeants du monde occidental empêtrés dans une crise aigue sans issue visible, alors que s’accumulent sans discontinuer depuis 4 à 5 années, mauvaises nouvelles et mauvais chiffres, colères, rancœurs et ressentiments des dizaines de millions d’exclus et de précaires dont la vie tourne au cauchemar. Rien de réjouissant sur ce front, il faut bien le reconnaitre. Un rapport sur les « Tendances mondiales de l’emploi 2011 » révèle que 55% de la hausse totale du chômage enregistrée dans le monde depuis 2007, sont survenus dans la région des économies développées et de l’Union Européenne alors que cette région ne compte que pour 15% de la population active mondiale. Dans le secteur industriel, l’indice ISM qui rend compte de l’activité manufacturière aux Etats-Unis s’effondre depuis 19 mois, et a réalisé une croissance nulle depuis quatre ans. En Europe, où il y a toutes les semaines des victimes désespérées du système acculées au suicide, les peuples vivent à leur tour, après les pays du« Sud », les diktats des « nouvelles politiques d’ajustement structurel » qu’essaient de leur imposer, sous couvert de contraintes de la «dette », les classes dirigeantes du « capital mondialisé », européen et international. Dans cette Europe des 27, le chômage frappait en mai 2012, 24,9 millions de personnes soit près de deux millions de plus que l’année dernière et neuf millions de plus par rapport au premier trimestre 2008. En France, où le débat sur l’Islam fleurit actuellement, le chômage a poursuivi sa hausse pour le 16e mois consécutif au mois d’août, franchissant la barre des 3 millions. Selon des experts, le chômage est appelé à augmenter fortement dans ce pays. De septembre 2012 à décembre 2013 ce sont probablement 700 000 personnes qui perdront leur emploi.
Les plus touchés sont les jeunes de 15 à 24 ans non scolarisés. Le chômage des jeunes a augmenté de 50 % dans l’Union Européenne depuis 2008. En mars 2012, près de 5,517 millions de jeunes Européens (hors étudiants) n’avaient pas d’emploi en Europe. Un peu partout dans l’UE, du Portugal à l’Europe de l’Est, les taux de chômage des moins de 25 ans s’envolent. 22,7 % des jeunes sont ainsi à la recherche d’un emploi dans l’Union européenne. Mais plus d’un jeune sur deux est sans travail en Grèce et en Espagne, la Slovaquie (38,8 %), le Portugal (36,4 %) et l’Italie (36,2 %) dépassent la barre fatidique des 30 %,tandis qu’ en France, un jeune sur quatre n’a pas de boulot. Des pays qui se vident d’un nombre croissant de jeunes diplômés, à l’exemple de l’Estonie, pays qui comptait 1,5 million d’habitants en 1995 et qui en a perdu plus de 200000(médecins en Finlande, experts informatiques aux Etats-Unis) !Jamais l’avenir n’a semblé à toute une génération aussi bouché.
L’hyperpuissance US, quant à elle, n’est guère mieux logé,on le sait. La banque centrale américaine, la FED, a beau injecter de l’argent dans les caisses des banques dans le but proclamé de faire redémarrer la machine économique, on enregistre toujours plus de pauvres, plus de chômeurs, plus de précaires. Le chômage des jeunes atteint des niveaux dignes de la Grande Dépression de 1929. Depuis 2007, les USA se sont » enrichis » de six millions de chômeurs en plus et de 20 millions de détenteurs de Food stamps (bons d’aide alimentaire) supplémentaires. En 2012, ils sont 47 millions d’Américains à émarger à l’aide alimentaire, soit un Américain sur sept. Près de 47 millions d’Américains sont non assurés parce qu’ils sont incapables de se payer une couverture médicale. Selon des indications, le revenu brut mensuel moyen par foyer bénéficiant des Food Stamps est de 731$ et le revenu mensuel net est 336$. C’est, dit autrement, vivre avec 10$ par foyer et par jour (avant Food Stamps) pour des dizaines de millions de personnes. Sans oublier le drame des victimes de la duperie des prêts hypothécaires. Aux Etats-Unis, depuis 2009, les banques ont saisi plus de 4 millions de logements jetant à la rue des centaines de milliers de personnes
Euroland : le désamour
Dans les yeux des citoyens européens et en particulier des jeunes, l’Europe devient de moins en moins une solution, de plus en plus un problème. .La perception négative de l’Union européenne grandit chez des centaines de millions d’européens. Présenté, il y a dix ans encore, comme la clé de l’Eldorado, l’euro est devenu indésirable pour des pays qui en rêvaient encore il y a peu. Déjà trois pays non-membres de la zone euro (la Bulgarie, la Lituanie et la Lettonie) ont annoncé officiellement vouloir mettre en attente leur adhésion à l’euro ! Le ministre bulgare des Finances Simeon Djankov n’a pas craint d’annoncer que son pays « ne voit actuellement aucun avantage à intégrer la zone euro. L’opinion aurait, selon lui, changé au sein de la population et du gouvernement ». Chypre doit réfléchir à sa présence au sein de la zone euro si ses créanciers de l’UE, de la BCE et du FMI posent des conditions trop dures en contrepartie de leur soutien financier, a déclaré un dirigeant du parti AKEL au pouvoir. Pour l’Espagne, l’issue la plus rapide à la crise pourrait être de quitter la zone euro, estiment les économistes Santos M. Ruesga et José Manuel Lasierra dans le quotidien de centre-gauche El País : « On en est arrivé au point de se demander avec insistance si notre situation ne serait pas meilleure hors de la zone euro. Nous reviendrions alors à notre propre devise qui donnerait au pays la possibilité de mener une politique monétaire nationale ». Jusqu’au pilier de l’Euroland, l’Allemagne qui devrait, selon le célèbre multimilliardaire George Soros, sortir de l’euro pour permettre de résoudre la crise.
Le déclassement social des couches moyennes
La crise a ébranlé les bases du niveau de vie des classes moyennes. Longtemps la middle-class US avait profité de la faiblesse de l’inflation donc des prix, les biens importés de Chine, n’étant pas porteurs d’inflation, et des crédits à bas taux d’intérêt grâce à l’abondance des liquidités provenant des fonds souverains. Le pouvoir d’achat était préservé, les classes moyennes pouvaient voyager, consommer, et surtout emprunter pour devenir propriétaires. La globalisation avait du bon. Dans cette « économie d’archipel », où 2,5 milliards de pauvres sur la planète continuent de survivre avec moins de deux dollars par jour, 95 000 personnes possédaient chacune, en 2006, un patrimoine supérieur, et pour certains, très supérieur, à 30 millions de dollars. Ensemble, ces grands gagnants de la mondialisation, possédaient, toujours, en 2006, plus du quart de la richesse produite dans le monde, en cette année.
A présent, avec la crise, la mondialisation, pour les Etats-Unis, n’est plus un jeu gagnant-gagnant mais un jeu à somme nulle. L’opinion publique américaine parait s’être retournée contre le libre-échange. Selon un sondage réalisé en décembre 2007 pour NBC et le Wall Street Journal, ils n’étaient plus que 28% à considérer que la mondialisation est favorable à l’économie américaine contre 42% en 1997. Le doute quant aux bienfaits inconditionnels du libre-échange gagne y compris le cercle des économistes de renommée mondiale. Deux prix Nobel, Paul Samuelson et Paul Krugman, semblent remettre en question le libre-échangisme. Comme si le fossé d’inégalités que la mondialisation a creusé, se découvrait subitement, Robert Reich, professeur à l’université de Berkeley, ex-ministre du Travail de Bill Clinton et actuel conseiller de Barack Obama, signale qu’aux Etats-Unis, le salaire moyen ajusté à l’inflation est à peine supérieur à ce qu’il était en 1970. Le 1% d’Américains les plus riches, révèle-t-il, accapare aujourd’hui 20% du revenu national, quand la moitié de la population ayant les revenus les plus faibles n’en reçoit que 12,6%.Déjà criantes, les inégalités se sont considérablement creusées. Les riches s’enrichissent. Les classes moyennes s’appauvrissent. Selon le Harvard Magazine, 66 % de la croissance entre 2001 et 2007 est allée à 1 % de la population. Les différents hold-up postérieurs à 2007, de la crise des subprimes aux saisies de biens immobiliers et faillites personnelles, ont encore aggravé ces inégalités. En 1970, la classe moyenne représentait 62 % du revenu national, contre 29 % pour les plus riches. Mais en 2010, cette part est descendue à 45 % du revenu national, tandis que celle des plus riches se hissait à 46%. L’indice d’insécurité économique est à son plus haut depuis 25 ans. Si les ménages pauvres ont vu leur insécurité économique doubler sur cette période, le rapport de la Rockefeller Fondation insiste sur “l’agitation croissante de la middle class”.
Le pacte social est rompu. La décomposition du mode de vie des classes moyennes, pilier du consensus libéral-conservateur, est synonyme de menace pour le système. Scénario similaire en Europe où le niveau de vie des couches moyennes est entré directement en ligne de mire des politiques d’austérité et de coupes libérales et où le processus de dégringolade sociale de ces catégories a pris des formes dramatiques et révoltantes.
La fuite en avant antisociale et militariste de l’empire
Le système donne l’impression de fuir par tous ses pores mais face à cette situation, la politique des dirigeants occidentaux se résume à conjuguer coupes sociales drastiques et recours effréné à la planche à billets. Des mesures pour ranimer la machine économique dont l’inanité n’est pas sans rappeler, les efforts désespérés pour éteindre le feu nucléaire à Fukushima, à l’aide de sceaux d’eau et de lances de pompiers. « Rustines sur le Titanic », pour reprendre l’image très expressive d’un journaliste du Monde Diplomatique. En vérité, les problèmes fondamentaux ne peuvent être résolus que par la voie de la sortie du système capitaliste. Car, la banqueroute du néolibéralisme ne représente pas seulement la faillite de la politique de gestion du capital mais aussi la faillite du capitalisme lui-même.
La contestation populaire des politiques libérales, elle, ne faiblit pas, en Grèce, en Espagne, au Portugal, notamment. Les peuples en ont marre et le clament haut et fort. Mineurs, pompiers, policiers et militaires, enseignants, salariés des institutions publiques, chômeurs donnent de la voix. La multiplication des sources et des foyers de remise en cause potentielle de l’ordre libéral euro-atlantique souligne le caractère explosif de la situation. La grande hantise des classes dirigeantes occidentales c’est justement que ces mouvements se radicalisent et prennent pour cible les véritables responsables de leur situation. A défaut de pouvoir continuer à leur seriner les bienfaits du système, elles s’efforcent d’en bloquer toute issue pour en sortir et font feu de tout bois : antidote, contre-feux, diversions, émiettement, un ordre peut se gouverner à l’aide du chaos, affirment leurs théoriciens. Et une vieille recette dont ces classes ont le secret, continue d’avoir leur préférence : dresser les peuples les uns contre les autres. C’est la fuite en avant agressive de l’empire qui n’épargne aucun peuple. On sait avec quel brio inégalé il conduit encore, contre des petits pays démunis, des guerres chirurgicales qui déciment des centaines de milliers de personnes et ravagent leurs biens et leurs infrastructures mais qui sont pour lui l’occasion de servir des débouchés à un de ses rares secteurs qui tournent encore à plein régime, l’industrie militaire. Le Wall Street Journal du 4/2/2003 écrit qu’au moment de la préparation de l’intervention en Irak, les dépenses militaires représentent le seul aspect positif d' »une économie américaine faible». En profitent un des secteurs les plus importants de l’économie US, l’industrie aéronautique, électronique des télécommunications et computers et bien sûr la R/D dans les technologies les plus modernes et une centaine de entreprises et des millions d’employés .Comme l’industrie militaire n’est pas menacée par la concurrence internationale, tout est bénéfice pour les compagnies américaines. De plus, depuis le 1er accord GATT de 1947, l’industrie militaire US jouit du privilège des mesures protectionnistes et de subventions, au nom des impératifs de la sécurité nationale, ce qui n’est pas permis aux autres secteurs. En 2011, les USA ont triplé leurs ventes d’armes. Les ventes d’armes en provenance des États-Unis constituent les trois quarts de toutes les ventes d’armes dans le monde. Les États-Unis ont pu ainsi malgré la dépression économique se constituer un bénéfice de 66,3 milliards de dollars, le montant total des ventes d’armes dans le monde en 2011 ayant atteint 85,3 milliards de dollars.
Et tout cela grâce principalement aux ventes d’armes aux théocraties islamiques du Golfe persique, comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Oman, qui ont atteint des niveaux record. L’Arabie saoudite a acheté 84 avions de chasse F-15 modernisés, des missiles divers, de la logistique d’appui et a également mis de l’argent dans la modernisation des 70 avions F15 de sa flotte. En outre, les Saoudiens ont acheté des dizaines d’hélicoptères Apache et Blac Hawk et donc le volume total des échanges avec les États-Unis s’est établi à 33,4 milliards de dollars. Ce surarmement n’est pas, est-il besoin de le préciser, destiné à faire contrepoids à celui d’Israël. Il est dirigé contre un autre pays islamique, l’Iran. On voit combien font si bon ménage avec l’islamophobie « occidentale » ces puissants dignitaires de l’Islam à la tête des pétromonarchies du Golfe, alliés fidèles et soutiens locaux de l’empire. C’est que la diversion a l’inestimable avantage d’être à usage aussi bien interne qu’externe. D’où son intérêt pour les monarchies pétrolières et pas seulement … En somme, un une-deux mutuellement profitable et tant pis pour les dindons de la farce.
Abdelatif Rebah 30 septembre 2012

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