Économie

La convertibilité totale du Dinar : une option suicidaire

Notre économie ne s’est pas encore remise des dégâts et dommages que lui ont causés la libération totale du commerce extérieur et la convertibilité courante du dinar qui ont provoqué la destruction du tissu industriel public et privé et ont favorisé le développement des activités souterraines, l’évasion fiscale et d’autres pratiques frauduleuses. Aujourd’hui, la production industrielle est tombée au-dessous de 5% du produit intérieur brut (PIB) et l’Algérie est devenue un vaste marché où se déversent toutes sortes de produits importés, souvent de contrefaçon et de mauvaise qualité. Certains amateurs de « réformes de seconde génération » voudraient encore aller plus loin : rendre le dinar totalement convertible. Ceci, au nom de la transparence et de la fluidité des transactions, soutiennent-ils.
Il faut rappeler que l’adoption de la convertibilité totale du dinar a été envisagée pour la première fois, en relation avec «l’accord de confirmation» signé en avril 1991 avec le FMI, par le gouvernement de Mouloud Hamrouche. Dans la fameuse «lettre d’intention» adressée au directeur général de cette institution, le gouvernement des Réformateurs indiquait clairement que les politiques économique et financière qu’il entendait mettre en œuvre en 1991, «visent à accélérer la réforme profonde de l’économie nationale…, en vue de parvenir pleinement et rapidement à une véritable économie de marché fondée sur une monnaie stable et convertible». L’ex gouverneur Abderahmane Hadj Nacer avait comme programme à la Banque centrale, fin 1992, la convertibilité du dinar. Ceci, il faut le noter, alors que le contexte économique était au plus bas. En 1990 et 1991, en effet, l’Algérie ployait sous le poids de la
dette dont le service représentait respectivement 66,4% et 74,0% des recettes d’exportations avec de plus, des réserves de change d’un niveau extrêmement bas soit 0,77 milliard et 1,61 milliard de dollars respectivement, correspondant à 0,8 mois et à 2 mois d’importations !
Le FMI revient à la charge en octobre 2005, la mission d’évaluation de l’économie algérienne entreprise par les experts de « l’institution internationale » conclue à la nécessité « de mettre en œuvre sans délai la réforme du système bancaire et d’assurer la liberté totale de la convertibilité courante du dinar». L’avancée prudente de la politique de change algérienne, on le savait, n’emporte pas les faveurs de l’institution de Bretton Woods. Mais elle va avoir le soutien d’experts nationaux. L’ex-ministre du Trésor du gouvernement Ghozali, Ali Benouari, installé en Suisse à la tête d’une société de conseil en finances, reprend cette orientation et recommande à l’Algérie l’abolition du contrôle des changes, c’est à dire donner « la possibilité pour un résident détenteur de dinars de pouvoir les convertir sans avoir besoin de satisfaire à une montagne d’exigences » . La convertibilité du
dinar n’est pas seulement réservée aux riches, soutient-il. « Le marché du change est resté le seul secteur administré », argumente-t-il, encore alors que la libéralisation du régime de change est, à ses dires, l’élément le plus déterminant dans l’attractivité de la place algérienne ».
D’autres voix d’anciens hauts cadres des finances vont s’exprimer dans le même sens. L’ex-gouverneur de la Banque d’Algérie, Hadj Nacer a ses certitudes, une monnaie, soutient-il, ne vaut que si elle est convertible. « Je pense, déclare-t-il, que la convertibilité rapporte plus qu’elle ne coûte. La convertibilité, c’est de la confiance. C’est ce que nous vendons avant tout. Pourquoi voulez-vous créer une situation de non-confiance ?». Intervenant dans le débat, qu’il qualifie au passage de « malintentionné » et d’ « infondé », le secrétaire général du RND Ahmed Ouyahia juge sévèrement tous ceux qui défendent cette théorie, ils « servent, selon lui, des intérêts qui ne sont pas positifs pour le pays. L’idée de la convertibilité du dinar serait ravageuse pour l’économie du pays ». Et c’est au ministre des Finances, Karim Djoudi, de trancher net, en mai 2009 : « il est exclu d’aller vers une
convertibilité totale du dinar ».
Le plus remarquable, cependant, dans ce qu’il ne serait pas exagéré de qualifier de conspiration des experts contre la monnaie nationale est que ce sont des experts étrangers qui mettent en garde contre l’aventure du saut périlleux de la convertibilité totale du dinar. Lucio Guerrato alors ambassadeur de l’UE à Alger, à ce moment, rappelle que le taux de change dépend fortement de la politique industrielle du pays, or l’industrie algérienne, fait-il observer, ne satisfait même pas son propre marché et a besoin d’être renforcée. Le représentant de l’ONUDI à Alger, M. Parla Tore, est, quant à lui, catégorique: « il serait suicidaire pour l’Algérie, juge-t-il, d’aller vers la convertibilité totale sans avoir finalisé la réforme des systèmes bancaire et fiscal ».
L’ex gouverneur de la Banque d’Algérie B. Nouioua revient aujourd’hui sur les risques et défis de cette opération dans l’article qui suit.

Abdelatif Rebah.

[rouge]Convertibilité totale du dinar : Risques et défis[/rouge]
Par B. NOUIOUA.
Source: http://www.elwatan.com/contributions/convertibilite-totale-du-dinar-risques-et-defis-10-05-2014-256558_120.php

La convertibilité totale du dinar est réclamée très souvent et certains pensent qu’il faudrait l’établir même si toutes les conditions ne sont pas réunies pour assurer le succès de l’opération.

Le niveau actuel des réserves de change, lesquelles approchent les 200 milliards de dollars, le permettrait dans une certaine mesure.
Rendre le dinar totalement convertible contribuerait, selon ce point de vue, à régler beaucoup de problèmes et à rétablir la confiance. Cela ferait notamment disparaître le marché parallèle de devises et pousserait les détenteurs de capitaux à l’étranger à les rapatrier.
Avec la convertibilité totale du dinar, les entreprises et les particuliers pourront certainement effectuer leurs transactions et leurs opérations avec l’étranger sans entraves. Outre l’importation des biens et services et le libre transfert de capitaux, il leur sera possible de faire, à l’étranger même, des achats et toute autre opération.

La convertibilité totale du dinar rendra sans doute de grands services aux uns et aux autres, mais peut-elle être engagée sans beaucoup de risques en l’absence de conditions nécessaires qui permettent son instauration. La référence aux conséquences de ce qui est appelé «la convertibilité courante du dinar», qui est appliquée à l’heure actuelle dans notre pays et qui concerne essentiellement le commerce extérieur de biens et services (facteurs et non facteurs), incite plutôt à la prudence.

Cette convertibilité permet à toute entreprise (individuelle ou collective) qui dispose d’un registre du commerce prévoyant l’import, de procéder au transfert des montants nécessaires pour couvrir ses importations. Cela était devenu possible avec la libération totale du commerce extérieur intervenue en 1997 et a pu être maintenu grâce à la hausse des prix des hydrocarbures, dont l’exportation engendre des ressources suffisantes en devises. Certes, cette mesure a permis de mettre fin aux pénuries fréquentes connues les années antérieures et de trouver maintenant sur le marché intérieur les marchandises nécessaires, aussi bien pour la consommation que pour les productions industrielle et agricole.

Cependant, la libération totale du commerce extérieur et la convertibilité courante du dinar, instaurées sans avoir au préalable assaini et renforcé les administrations et les institutions liées au commerce extérieur et sans avoir mis en place un cadre réglementaire clair et efficace pour protéger et encourager, du moins au début, la production nationale, ont eu des effets très néfastes. Elles ont provoqué la destruction du tissu industriel public et privé et ont favorisé le développement des activités souterraines, l’évasion fiscale et d’autres pratiques frauduleuses.

C’est ainsi, à titre d’exemple, que la production industrielle est tombée au-dessous de 5% du produit intérieur brut (PIB) et que l’Algérie est devenue un vaste marché où se déversent toutes sortes de produits importés, souvent de contrefaçon et de mauvaise qualité. En outre, certains importateurs, peu délicats, procèdent à des fuites colossales de capitaux au moyen de surfacturations, de fausses importations et d’autres procédés. L’importance des comptes ouverts par des Algériens auprès de banques à l’étranger, les achats de biens immobiliers en Espagne, à Paris, où le prix du mètre carré est exorbitant, ou ailleurs, indiquent l’ampleur des saignées que subit le pays.

Les devises qui servent à ces opérations sont prélevées sur les réserves de change où elles ne sont pas perçues pour contribuer à les accroître.Etablir la convertibilité totale du dinar, dans les circonstances actuelles, risque de favoriser davantage cette fuite de capitaux. Cela d’autant plus que les grosses fortunes se trouvent entre les mains d’une petite catégorie de citoyens, dont certains se sont enrichis en recourant à la spéculation, à la contrebande, à la fraude, à la corruption, etc. Ceux-là mêmes qui usent le plus souvent de tous les subterfuges pour mettre leurs avoirs à l’étranger.

Les sorties massives de capitaux entraînent inévitablement une forte diminution des réserves de change et pourraient, par conséquent, conduire les autorités à annuler la convertibilité totale du dinar.
Il y a lieu de préciser qu’il ne s’agit pas d’incriminer la libéralisation du commerce extérieur et la convertibilité courante du dinar. En fait, ce sont l’absence de volonté de mettre en place les conditions adéquates, le laxisme, parfois la complicité ou l’incompétence, le manque de moyens aussi, d’une part, la passivité et le laisser-faire devant les pratiques nuisibles, d’autre part, qui font que des politiques, conçues pour améliorer le fonctionnement de l’économie, produisent des effets contraires ou du moins n’atteignent pas les objectifs visés.

Ces raisons et d’autres expliquent que des mesures appliquées ailleurs réussissent mais échouent chez nous ou ne donnent pas tous les résultats escomptés.Cela étant, il reste que pour réaliser la convertibilité totale du dinar dans notre pays, une convertibilité qui rendrait les services attendus sans aggraver les pratiques préjudiciables existantes à l’heure actuelle et qui ait plus particulièrement un caractère durable, il est indispensable de créer à cet effet les conditions requises dont il convient de citer deux qui semblent les plus importantes : des entrées diversifiées et suffisantes de devises et la confiance des entreprises et des particuliers.

Les entrées diversifiées et suffisantes de devises

L’Algérie bénéficie depuis l’an 2000, grâce à la hausse du prix du pétrole brut, de recettes importantes en devises. Ces recettes ont varié durant la période allant de 2000 à 2013 entre 21,65 milliards de dollars et 78,65 milliards de dollars par an.
Le problème est qu’elles sont procurées par une seule source : l’exportation des hydrocarbures, dont les prix fluctuent d’une manière parfois très accentuée. En 1986, le prix du baril de pétrole brut est tombé à 10 et même 7 dollars. Si on prend une période plus récente, on constate qu’entre 1999 et 2013, ce prix, bien qu’il soit resté ces dernières années à un niveau relativement élevé, a fluctué entre 12 et 114 dollars.

Outre la fluctuation du prix du baril, les hydrocarbures sont des ressources naturelles non renouvelables, appelées à s’épuiser, leur production étant déjà en baisse constante depuis 8 ans. Comme les ressources provenant de l’exportation des hydrocarbures représentent plus de 97% des recettes commerciales en devises, et alimentent dans la proportion de 2/3 le budget de l’Etat, il en résulte une forte dépendance qui souligne la fragilité et la vulnérabilité de la situation de notre pays. De ce fait, malgré l’importance actuelle des recettes annuelles en devises et le niveau des réserves de change, il n’est pas possible d’établir la convertibilité totale du dinar. Pour que cela puisse se faire, il faut des entrées de ressources en devises régulières, suffisantes et surtout diversifiées.

Cette diversification peut être obtenue grâce à l’exportation de produits industriels et agricoles variés, des services également, tels que le transport et les études effectuées pour le compte de pays étrangers. Les transferts de devises faits par des nationaux vivant et travaillant dans d’autres pays, les investissements entrepris par des étrangers, les dépenses réalisées par des touristes y contribuent de leur côté. Il s’agit donc de créer un environnement propice qui encourage les investissements dans les secteurs productifs, de façon à disposer de produits de qualité et compétitifs susceptibles d’être exportés. Un environnement qui favorise également la multiplication des autres sources d’entrées de devises.

La confiance

Il faut d’abord la confiance dans la monnaie, ce qui implique que le dinar soit relativement stable et ne soit pas soumis à des fluctuations fréquentes et importantes. En outre, la confiance des entreprises et des particuliers vis-à-vis de l’Etat, de ses institutions et de ses politiques est nécessaire pour générer un climat favorable à l’instauration de la convertibilité totale du dinar.

En l’absence d’une telle confiance, la convertibilité risque d’entraîner des fuites considérables de capitaux et d’être remise en cause, même s’il y a une diversification des entrées de devises. Etablir ou rétablir la confiance n’est pas une tâche facile. Cela suppose des changements profonds qui introduisent plus de transparence, plus de rigueur dans la gestion des affaires publiques. Des changements qui tendent aussi à mettre le citoyen, sa sécurité, son bien-être présent et futur au centre des préoccupations des responsables à tous les niveaux et des politiques à mettre en œuvre.

Conclusion :

En 1991, l’adoption de la convertibilité totale du dinar a été envisagée pour la première fois. En relation avec «l’accord de confirmation» signé en avril 1991 avec le FMI, il est indiqué dans la «lettre d’intention» adressée au directeur général de cette institution, que les politiques économique et financière, que le gouvernement algérien entendait mettre en œuvre en 1991, «visent à accélérer la réforme profonde de l’économie nationale…, en vue de parvenir pleinement et rapidement à une véritable économie de marché fondée sur une monnaie stable et convertible».

Or, en 1990 et 1991, la dette extérieure était respectivement de 26,7 milliards et 27 milliards de dollars et le service de cette dette représentait 66,4% et 74,0% des recettes d’exportations. Quant aux réserves de change, elles s’élevaient, les deux années en question, à 0,77 milliard et à 1,61 milliard de dollars et correspondaient à 0,8 mois et à 2 mois d’importations, lesquelles ne sont pourtant que de 9,77 milliards et 7,77 milliards de dollars. Les exportations des hydrocarbures procuraient annuellement 96% des recettes en devises, en l’absence d’autres produits exportables.

La situation économique et financière s’est détériorée davantage par la suite, et il a fallu de nouveau faire appel au FMI en 1994 et accepter ses programmes de restructuration et de rééchelonnement de la dette extérieure. En fait, il n’y avait aucune chance, compte tenu de la situation difficile prévalant à l’époque, d’établir la convertibilité totale du dinar.

A partir de l’an 2000, la situation financière s’est considérablement améliorée grâce à la hausse du prix du baril de pétrole comme cela a été indiqué plus haut. Toutefois, en dehors des importants programmes d’infrastructures économiques et sociales, il n’y a pas eu une action sérieuse destinée à développer et à diversifier la production nationale en vue d’avoir des produits variés et de qualité qu’il est possible d’exporter. Cette même action a fait défaut pour créer un climat des affaires transparent et sain qui stimule les activités susceptibles de générer des entrées diversifiées de devises. Ces temps-ci, la question de la convertibilité totale du dinar n’est ni abordée ni évoquée au niveau des responsables, lesquels hésitent encore à assouplir seulement le contrôle des changes ne serait-ce que pour limiter le recours des citoyens honnêtes au marché parallèle de devises.

Il ne faut pas perdre de vue, cependant, que compte tenu des potentialités économiques que recèle notre pays, la convertibilité totale du dinar reste à notre portée. Elle peut être réalisée si elle devient un objectif déclaré et si les mesures appropriées pour l’atteindre sont arrêtées et appliquées.

[rouge]B. Nouioua : Ancien gouverneur de la Banque centrale d’Algérie[/rouge]

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