Contributions

L’Etat despotique, entre légendes et réalités.par Mustapha Ghobrini

Contribution d’un universitaire au débat sur la sortie de la crise que connaît notre société, à vos plumes chers lecteurs nos colonnes vous sont ouvertes!

Raina
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Mustapha Ghobrini à droite en blanc


L’Etat despotique, entre légendes et réalités.


Entre la légende et la réalité, c’est le mythe qui a prévalu. Quelle appréciation peut-on verser dans le débat, après cette rupture dans la symbolique de la société. Le départ du général Mediene, une mesure qui a déchainé des vagues d’opinions, des émotions, voire une angoisse, n’exprime, sur le fond, qu’un seul symptôme : les réactions d’une société contrôlée. Ce qui, dans une république moderne serait passé pour une simple information ou un fait divers, le départ d’un puissant général d’un état de non droit, a bouleversé toute la société et déstabilisé les institutions, à tel point que, juste après la liquidation de Médiene, comme rapporté par la presse nationale, et au terme d’interminables luttes d’appareils, de négociations et de compromis, en réalité, des luttes de palais, Bouteflika a réuni, dans l’urgence, le haut conseil élargi de la sécurité nationale et clarifié les mesures prises, leurs portées dans la région et les implications des réformes engagées au niveau des services de sécurité et de l’ANP ainsi que les principales tâches à l’ordre du jour qu’il s’agit d’engager. Pour les acteurs du pouvoir, la préparation minutieuse de l’après Bouteflika, reste l’enjeu essentiel du moment, avec tout ce que cela suppose de garanties des intérêts et privilèges de toutes sortes, des forces détentrices du pouvoir réel, y compris en articulant ces intérêts dans le jeu des alliances internationales.
Le projet de l’Etat-nation inachevé
Historiquement, la tâche qui est à l’ordre du jour, et qu’il s’agit d’évaluer, d’analyser, en formulant, en conséquence, une démarche alternative concrète, stratégique, c’est le projet de l’Etat-nation qui n’a pas abouti, qui est resté inachevé. C’est un chantier qui exige une approche pluridisciplinaire articulée à un engagement militant. Dans cette contribution, on versera notre appréciation, remarques et propositions alternatives, sur tout ce processus de changement autoritaire, non démocratique, qui a concerné, essentiellement les appareils répressifs (du fait de leurs rôles dominants dans le fonctionnement de l’état), l’armée et les services de sécurité, qui a retenu l’attention et les inquiétudes de toute la société, acteurs et institutions. Notre approche s’inspire d’une conception moderne de l’Etat, qui tienne compte des aspirations citoyennes au progrès social, à la justice sociale et à la démocratie. Et s’inscrit dans la continuité du combat libérateur de Novembre.
Dans cet ordre d’idées, on ne peut analyser le rôle d’un responsable, aussi important que le général Toufik, en dehors du système politique dans lequel il a travaillé et évolué. Selon notre point de vue, on évalue un responsable, en particulier, s’il est au centre des décisions de l’Etat, par rapport à sa contribution à la modernisation du fonctionnement de l’état, en s’appuyant sur des indicateurs institutionnels (gouvernance, corruption etc.), économiques (place de l’économie productive) et sociaux (respect des droits sociaux, lutte contre l’arbitraire etc.) et surtout à la démocratisation de la société, car ce sont les états despotiques, des structures juridico-administratives qui n’obéissent pas au principe universel de la séparation des pouvoirs et ne respectent pas le suffrage universel. Et aussi, en faisant des comparaisons régionales et internationales entre les systèmes de développement : place de l’école et de ceux qui produisent le savoir, du système de santé, place et statut de la femme dans la société etc. Cette démarche mérite d’être soutenue par les résultats des recherches dans les sciences sociales. Ce n’est pas l’objet de cette contribution, mais c’est la direction d’approche, la plus objective et la plus rationnelle. Encore mieux, c’est une culture citoyenne à développer. Etat moderne et projet de Novembre, répartition des richesses nationales et lutte contre les inégalités sociales, culture citoyenne et démocratie, sont nos concepts clés, notre fil directeur.
Dans un monde caractérisé par la révolution de l’information et l’introduction des nouvelles technologies, les états-nations en formation, réfractaires à la liberté d’expression et à la transparence dans les différents domaines du fonctionnement de l’état et de ses institutions, n’ont plus de frontières étanches. L’engouement des citoyens algériens pour les réseaux sociaux, ces « espaces de libertés » qui échappent au contrôle de la bureaucratie de l’état despotique, expriment une dynamique universelle à laquelle ces états de non-droit arrivent difficilement à s’adapter et à s’y intégrer. Dans une société algérienne bouillonnante, fortement protestataire, qui aspire fortement à se hisser dans la liste des pays émergents, consciente qu’elle dispose des moyens nécessaires, en termes de ressources humaines, économiques, d’infrastructures et aussi d’une dimension historique, d’une forte symbolique, forgée dans la guerre de libération nationale.
La première impression qui se dégage quand on lit la presse enflammée par cette thématique du « général déchu » qui est resté un quart de siècle dans l’institution la plus sensible, les services de sécurité, le cœur de la grande machine de ce système despotique qui a, pour plusieurs raisons historiques, trop tardé à se démocratiser et à participer avec ses élites, du fait de sa position privilégiée dans les institutions, à produire les fonctionnalités essentielles de l’Etat de droit. Et une opinion contrôlée affirme, sans pudeur, devant la société, qu’ « il y a péril en la demeure !».
Face à la crise économique, le gouvernement ne répond pas par une stratégie d’ensemble
Dans ses premières réactions, face à la dure et seconde épreuve de crise économique (après celle de 1986), due à la baisse, prévisible, du prix du pétrole, le gouvernement ne répond pas par une stratégie d’ensemble, sur le long terme. Autant il espère une remontée du prix du pétrole, autant il continu de ramer à contre-courant des exigences de ruptures historiques, condition préalable pour une réelle réforme économique. Dans une tentative illusoire, d’allier les intérêts des couches parasitaires, du puissant lobby des importateurs à ceux des couches populaires dont les transferts sociaux octroyées constituent une expression concrète (23 % du budget de l’état, en 2016) mais imparfaite, parce que évoluant dans une économie non productive, le secteur productif ayant régressé, en quelques années, de 35 % à 05 %.
Interrogeons-nous sur le débat d’actualité, posé dans les termes de l’urgence, en relation avec la baisse des prix du pétrole et s’ils seront portés ou non par des tendances haussières. Est-ce réellement le vrai débat ? Les experts, les conseillers, analysent le marché, proposent des alternatives et des scénarios, mais dans le cadre de la logique propre du pouvoir despotique, dans le cadre d’un système institutionnel et économique, non viable, que le pouvoir autoritaire a lui-même construit. L’exemple de la Corée du Sud, d’une superficie de 98.480 km2, qui ne possède aucune ressource naturelle et dispose d’une économie fortement exportatrice (en 2014, l’excédent commercial a atteint un niveau record de 47,4 milliards USD) et est classée en tant que quinzième puissance économique mondiale est édifiant. C’est le meilleur argument qu’on peut inscrire dans ce débat.
Au fond, la crise n’est pas, fondamentalement, énergétique ou économique. La crise dont la solution détermine l’avenir du pays, est politique. Il faut donc, à mon sens, dans l’analyse de la crise, par laquelle passe la société algérienne, articuler le politique et l’économique, en sachant que c’est le politique, dans les conditions historiques propres de l’Algérie, qui est déterminant, en dernière analyse. C’est la résolution de cette crise politique profonde, qui permettra d’ouvrir des perspectives de règlement durable de la crise économique, en Algérie.
Dans le même esprit, si on veut illustrer l’absence d’une ferme volonté politique, avec parfois, des hésitations, du gouvernement de relancer le secteur productif, nous citons deux faits, tirés de l’actualité : l’attitude face au conflit social paralysant le complexe sidérurgique El Hadjar où une grève des travailleurs s’est déroulée durant plus de quatre mois, sans intervention énergique, du gouvernement, en laissant pourrir la situation, avec comme conséquence directe, une grande perte pour l’économie nationale (Sonatrach comprise), alors que l’état a versé, au titre de l’investissement et du redressement industriel, un milliard de dollars. La décision, prise dans l’opacité, de reprendre la totalité des actions au profit du seul partenaire, l’état algérien, qui a surpris plus d’un expert, pose le problème des termes de la négociation avec le partenaire indien. Quel deal avec le partenaire indien qui, certainement, a été le seul gagnant dans l’affaire ? Alors que l’ambition des propriétaires était de doubler, à l’horizon 2017, la capacité de l’usine à deux millions de tonnes. Seul un bilan critique de ce partenariat avec le partenaire indien, en partant des objectifs définis initialement, peut permettre à l’état algérien d’évaluer correctement cette expérience et de faire en sorte, de ne pas renouveler, les erreurs commises. L’enjeu est important puisque l’Algérie importe pour 10 milliards de dollars de produits sidérurgiques et 01 milliards de dollars de tubes. Les implications et mesures qui seront prises nous éclaireront sur les intentions réelles de ceux qui ont opté pour ce choix.
Pour rester sur le même registre, on a un exemple édifiant en matière de dialogue social, la préparation de la tripartite. Alors que l’état a réglementé le pluralisme syndical, dans l’organisation de la tripartite dont l’importance n’est pas à démontrer, les syndicats reconnus par la loi et représentatifs, à l’exemple de la coordination nationale des syndicats de la santé ou des syndicats de l’éducation, par le pouvoir de l’arbitraire, les pouvoirs publics font participer les organisations patronales, les représentants du gouvernement, mais la représentation syndicale est assurée uniquement par l’UGTA, un syndicat qui a opté pour défendre, quel que soit les changements, la politique du pouvoir, contrairement au règlement intérieur de l’organisation syndicale.
A qui profite cette situation de confusion ? La question, fondamentalement de nature politique, mérite d’être posée : jusqu’à quelle limites ? Autrement dit, quelle issue à la crise d’Etat ? Et donc répondre à la veille question : « qui l’emportera ? ». L’expérience universelle nous enseigne que dans les moments de crise et même à la limite de l’effondrement de ces systèmes totalitaires, les acteurs du système despotique, ne sont pas à l’écoute des propositions de solutions rationnelles et s’inscrivent dans une autre logique que celle de la forte opinion publique des citoyens. Ces acteurs sont prisonniers d’une logique contraire aux lois historiques qui régissent et produisent les dépassements du système despotique. Ils ne sont tentés que pour des changements adaptés, de façade. Toute l’expérience des sociétés qu’on a appelé les pays du « socialisme réel », sur le sujet du grave déficit des libertés et de l’exercice de la démocratie, pourtant dans des conditions économiques et sociales, de loin, meilleures que les nôtres, peut être mise à profit dans le cadre de cette réflexion.
La société s’interroge sur un style presque philosophique et ne trouve pas de réponse appropriée sur les motifs de détournement des missions de l’Etat-nation, même si, sur le terrain des luttes économiques et sociales, elle ne fait pas de compromis et considère, c’est sa perception des choses, que ce sont des droits légitimes et acquis. Quelle est cette mécanique du processus historique qui a inversé les rôles des acteurs, en portant au sommet du pouvoir les forces sociales qui ne défendent pas, économiquement et idéologiquement, les intérêts de la majorité de la société et en mettant au bas de la pyramide sociale, les forces qui ont joué le rôle moteur dans la libération nationale ? Alors que tout le parcours historique de la société algérienne, résistance, souffrances et sacrifices a tracé dans le feu de ce combat les perspectives de libération nationale et sociale.
Le management du système génère le gaspillage des ressources
La presse spécialisée aborde constamment les problèmes de la performance de l’entreprise ou du rendement du travailleur algérien. Comment expliquer que ce type d’organisation et de gestion des ressources ne génère pas le développement de la rentabilité, à large échelle, la compétitivité ou les valeurs de la culture du travail, il faut le souligner, même après les augmentations salariales ? Les ministres qui sont les acteurs de ce système, abordent cet état des choses, de manière paternaliste, quand on prend l’exemple des entreprises du bâtiment. Ils font l’apologie des entreprises chinoises, japonaises ou allemandes. En réalité, peu d’efforts sont faits pour réhabiliter et encourager le cadre gestionnaire performant et les problèmes bureaucratiques, des tutelles et autres misères des entreprises sont toujours là, pesant, étouffant les énergies des entreprises. Où est la « faille », si on veut reprendre l’expression utilisée, récemment, dans la presse ?
Ce sont les limites du système, en ce sens qu’il ne veut pas dépasser ses propres contradictions. La performance n’est abordée que dans les termes, d’une stabilité interne de l’institution et le rejet systématique des conflits, au lieu et place, de l’écoute et de la négociation, si l’on prend l’exemple des différents secteurs de la fonction publique, comme la santé ou l’éducation. Que de fois, un wali ou un ministre, en visite sur les lieux de travail, pour des faits qui nécessitent une enquête appropriée et le regard attentif des structures légales de contrôle (conseil d’administration etc.) prennent des décisions suspensives à l’encontre du responsable concerné. Face à ces anomalies et incohérences dans la gestion, les autorités ne réagissent pour «améliorer», qu’en intervenant non sur le système managérial, la qualité du service ou sur le système d’évaluation qui touche tous les niveaux de l’organisation de l’état, y compris le sommet, mais sur le quantitatif, c’est-à-dire les achats, les projets d’extension, de renouvellement de moyens ou de réaménagement des infrastructures etc.
Le modèle simplifié et pédagogique de Leontief, d’analyse des rendements et de la performance, fondé la corrélation entre les inputs et les outputs et l’interrogation du process dans l’analyse des résultats, explique clairement, sur la base de paramètres identifiés, pourquoi l’institution hospitalière, le système éducatif ou d’une manière générale, l’entreprise publique ne produit pas la qualité et n’est pas compétitive. Dans ce sens, l’OCDE affirme dans un rapport que, l’Algérie dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats par rapport à des pays similaires au niveau de la région MENA, « alors qu’il s ‘agit de s’attaquer au fonctionnement de la société : bureaucratie, système financier et système socio-éducatif inadapté, le foncier, occasionnant des coûts de transaction élevés ». Les ministères, pour tout l’or du monde, n’auront jamais la volonté de classer, objectivement, les walis ou les présidents d’APC, par ordre de mérite, les hôpitaux ou les maternités sur une échelle nationale de performance ou les directeurs de wilaya de l’éducation par rapport aux résultats scolaires obtenus, avec les sanctions positives ou négatives. Et qui va évaluer, auditer les cadres des ministères et les ministres ? Ce sera, au bout du compte, une remise en cause du système lui-même, car à l’origine, le choix du cadre candidat ne se fait pas en fonction des critères liés à la compétence et à l’engagement professionnel, mais sur la base des réseaux de famille, d’allégeance et autres critères liés à la répartition de la rente.
Ce système, de part son management (centralisation, mépris du partenaire social etc.), toutes les statistiques l’attestent, le valident, gaspille toutes les ressources, à commencer par les compétences. Il n’y a qu’à consulter les statistiques des cadres algériens, formés par l’université algérienne qui s’exilent, souvent, forcés, en France, au Canada ou vers les pays asiatiques. Par milliers. Qui sanctionner ? Au bout du compte, dans le Tableau De Bord de l’état, ce sont dix milliards de dollars à verser, annuellement, au titre des services (études, expertises etc.).
En Algérie, une grande partie du personnel qui gère les assemblées élues, nationales et locales, sont issues, pour l’essentiel, des partis-état (FLN et RND) et des autres organisations qui entretiennent avec le pouvoir des rapports d’allégeance. De plus, ces assemblées sont conçues pour ne pas fonctionner de manière démocratique. L’opposition est présente pour s’exprimer et protester, mais non pour décider. Ce jeu de rôles pré-établi, ne favorise pas le développement ou la promotion des compétences et des valeurs de la citoyenneté. Des échos que rapporte, régulièrement, la presse nationale, font état de nombreuses affaires de corruption ou des actes de non-respect de textes ou de procédures, en particulier dans l’élaboration ou l’exécution des marchés qui concernent ces assemblées qui ne disposent pas, en particulier au niveau local, d’une réelle autonomie et des moyens, organisationnels et humains, appropriés. Comment, donc, concevoir un développement économique et culturel, s’attaquer, avec efficacité, à des problèmes difficiles, aussi bien de l’hygiène que de la violence ou de la drogue dans les quartiers, avec, en plus, une population exigeante, quand les fondements du travail de proximité ne sont pas totalement respectés ? Les contradictions qui minent le fonctionnement du système despotique font qu’il a produit la dernière loi de 2011 qui régit le mouvement associatif mais qui, pratiquement, ne vise qu’à limiter, voire à décourager, la création et le développement du mouvement associatif, en sachant bien que l’essentiel de l’activité des assemblées locales repose sur une riche coopération avec le large réseau du mouvement associatif.

Des retards considérables dans la construction de l’Etat moderne
Historiquement, l’Algérie a pris beaucoup de retard dans la construction de l’Etat moderne. L’Etat algérien devait, sous la pression des changements économiques, sociaux et politiques (en intégrant aussi l’évolution internationale), changer, se transformer et dépasser la structure institutionnelle inadaptée, bloquante, de deux pôles et de deux centres de décisions dominants dans un état. L’institution de la présidence, en tant qu’expression de la centralité de l’Etat et centre officiel de la finalité du processus décisionnelle et le DRS, devenu un véritable pouvoir, un « état dans un état », comme on le nomme, une institution qui dans le domaine des décisions stratégiques, a toujours subie les influences et injonctions du Haut Commandement de l’ANP qui s’est toujours réservé, dans les moments de crise ou des fausses alternances, la décision finale, le dernier mot sur le « personnel dirigeant », à tous les échelons de l’état. Le champ politique, il faut le rappeler, a toujours été la « mission particulière » et le domaine privilégié de la police politique, une organisation bien huilée, dotée d’un personnel expérimenté et professionnel.
La leçon à retenir de l’affaire Tiguentourine
Un évènement majeur qui a marqué l’actualité nationale et internationale et qui mérite d’être rappelé et apprécié à sa juste valeur. En relation avec le fil directeur qui anime cette contribution, la problématique de la construction de l’Etat moderne et de son autorité dans la société reviennent avec force et au premier plan, à chaque fois qu’on aborde, à bâtons rompus, des problèmes sécuritaires, économiques, de violence scolaire, de prise en charge des enfants diabétiques ou de corruption, mais qui restent sans solution et qu’on recherche la « solution commune », la « clé », qui sont articulés à tous ces problèmes de fond de notre société en mutation. L’affaire du site gazier de Tiguentourine qui n’a pas livré tous ses secrets constitue, à notre avis, une rupture manifeste, violente, contre la cohérence et la centralité de l’état national. Sans revenir aux faits qui sont, sur l’essentiel, connus de tous, on peut considérer que par rapport aux missions du DRS, cet évènement majeur exprime, au-delà des luttes de clans et des manipulations internes ou externes, de graves erreurs professionnelles.
L’appréciation peut-être difficile, car c’est le propre des états despotiques, du moins, dans le cas algérien. Des dirigeants qui s’affirment patriotes et qui se situent au-dessus de la loi, fonctionnent et évoluent dans l’interpénétration des structures officielles et informelles dans le fonctionnement de l’état et des jeux de rôle correspondants. C’est ce qui explique, aussi, qu’il n’y a pas eu, à notre connaissance, de sanctions rendues publiques contre les responsables concernés, comme dans les états de droit. Mais, à notre avis, la principale leçon à tirer de cet évènement tragique est que les responsables algériens aient évité le piège de l’internationalisation de cet évènement et l’intervention des parties étrangères. Cet évènement est chargé de la plus grande alerte pour la refondation de l’Etat républicain, en particulier dans un contexte régional plein de risques et d’exigences qui vont se renouveler, à l’avenir, sous différentes formes, ne constituant, dans la meilleure des hypothèses, que des pressions sur le noyau de l’ANP qui résiste fortement à l’intervention étrangère dans les affaires internes des pays, à la participation de notre armée à des conflits internes de pays voisins et à l’implantation de bases militaires étrangères sur le sol de l’Algérie.
Les janviéristes : sursaut patriotique et absence de projet républicain.
Le 11 janvier 1992, est une date historique. Les militaires janviéristes ont, dans un sursaut patriotique, préservé l’état algérien de tomber entre les mains d’un pouvoir théocratique, aventurier. A ce titre, la société ne peut que leur être reconnaissante. Par quels cheminements, les institutions de l’état et les services de sécurité, dont les capacités d’anticipation se sont subitement atrophiées, sont arrivés à cette impasse de société où l’initiative a presque échappé des mains de l’état. Dans un moment historique où des « amateurs », des personnalités non imprégnés de la culture de l’état, c’est le moins qu’on puisse dire, ont voulu négocier un projet de société. Des questionnements et des interrogations de fond qui ne peuvent que nous mener vers la question centrale, celle des incohérences dans le pilotage de l’état.
Toute l’expérience algérienne valide le principe général, universel, dans la construction de la république moderne, que la mission de l’institution militaire ne peut, dans les moments de crise, qu’accompagner cette période tumultueuse, même progressivement, vers un Etat de droit, un état civil qui consacre la primauté du civil sur le militaire, un principe énoncé dans la plate-forme de la Soummam, en 1956, qui explicite la nature de l’Etat : « C’est enfin la lutte pour la renaissance d’un Etat Algérien sous la forme d’une république démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues ».
Avec le recul, on peut affirmer que le noyau des janviéristes n’a pas produit des élites imprégnées de la culture républicaine (de façon dominante), ni de personnalités charismatiques, des leaders qui cristallisent le large courant patriotique et républicain. Ce noyau n’avait donc pas cette grande ambition de continuer de construire le projet inachevé d’un état moderne, républicain. Pour preuve, Boudiaf, un des pères de la Révolution algérienne qui a su capter l’intérêt et les aspirations de la jeunesse et projetait avec une équipe dont le leader syndical Abdelhak Benhamouda, a été assassiné par « le système ». C’est assez significatif et très révélateur que le groupe des janviéristes n’avait pas l’ambition d’opérer des ruptures dans le fonctionnement général de l’état et de projeter sa refondation, de le moderniser, alors que la crise qui a mis à nu les incohérences du système de gestion et de gouvernance des institutions stratégiques de l’état, constituait un signal d’alerte fort qui appelait à traiter la crise systémique dans ses racines.
Si le groupe des janviéristes n’a pas su maintenir sa cohésion politique, s’est disloqué et a perdu l’initiative historique, c’est précisément parce que ses ambitions, sa perspective stratégique était de courte vue. On sait, maintenant, le recul aidant et avec des données précises et dans une claire configuration politique, sur quoi a débouché ce sursaut patriotique qui, rappelons-le, était soutenu par un large front patriotique, de partis démocratiques et de gauche, des personnalités et des syndicalistes, tous rassemblés dans le Comité National de Sauvegarde de l’Algérie (CNSA) et à qui nous rendons un grand hommage. Cette alliance entre des officiers supérieurs patriotes et un large mouvement démocratique, républicain, constituait le socle sur lequel devait se construire, la République sociale, le rêve de plusieurs générations de chouhadas, de militants et d’intellectuels patriotes. Pourquoi ce projet n’a pas suffisamment muri, dans le cadre de la crise d’Etat ? Où situer les faiblesses ? A notre avis, les jeunes officiers supérieurs, la nouvelle génération (qui viennent généralement des couches populaires), qui sont constamment en contact avec le monde extérieur et ses transformations, formés dans les grandes écoles et sensibles aux problèmes liés à la modernisation de l’état et de la société, qui supportent l’essentiel de la charge de travail, aux différents échelons de l’ANP et des services de sécurité, ont un rôle à jouer, dans la modernisation de l’état et dans la réappropriation des valeurs et principes de Novembre. C’est, dans ce cadre précis d’analyse et d’évaluation, qu’il s’agit de situer le rôle joué par le groupe des officiers supérieurs de l’ANP et du général Toufik. Et non dans des récits fantastiques de rivalités personnelles, des énigmes de romans policiers ou des histoires mystérieuses.
C’est un échec, pouvons-nous conclure, du système politique, en tant que tel. Autrement dit, ce système n’est pas réformable et a épuisé toutes ses « ressources » et possibilités de reproduction. Tous les indicateurs économiques, sociaux sont au rouge et expriment, historiquement, la fin de ce « système », de ce mode de gouvernance, d’utilisation et de répartition des ressources de la nation. Un tel système est en totale inadéquation avec les besoins urgents, émergents et vitaux de la société moderne. Toutes les tentatives de débureaucratiser l’appareil de l’état, de combattre les réseaux de la corruption ou de relancer, stratégiquement, le secteur économique productif n’ont pas réussies parce qu’elles n’ont pas pris comme postulat de départ que c’est le politique qui est déterminant, en dernière instance, dans la résolution de la crise de l’Etat.
Les dossiers de corruption sont toujours un sujet sensible dans la société parce que, justement, ils concernent la moralisation et la crédibilité des institutions de l’état. Les dossiers de corruption que font sortir les services du DRS, dans des moments sensibles, sont utilisés dans les luttes de clans et de positionnement dans les structures de l’état, comme un moyen de pression et de chantage et où les services de sécurité sont « juge et partie », alors que dans une république de droit, toute l’enquête sur les dossiers de corruption, est sous l’autorité de la justice. Et, c’est à la justice de trancher, en dernière instance. C’est dans la logique de ce système que des organes de contrôle aussi importants que la cour des comptes ou l’Inspection Générales des Finances, soient marginalisés et que leur personnel ne bénéficie pas de toute la considération professionnelle et des moyens nécessaires à leur mission. Le tableau serait incomplet, si on ne rappelle pas cette incohérence structurelle du système qui, malgré le dispositif juridique décidé par le gouvernement, dans son intention de lutter contre la corruption, maintient toujours son refus de délivrer l’agrément à l’association nationale de lutte contre la corruption, pourtant reconnue, au niveau internationale.
Dans un contexte international d’intégration des économies et du développement des réseaux mafieux et de la spéculation, l’état devrait protéger ses fonctionnaires et cadres par une législation appropriée. En faisant en sorte que les membres du gouvernement, les principaux responsables militaires, le personnel diplomatique et d’une manière générale, le personnel qui représente l’état, ne possèdent pas d’intérêts financiers, ou seraient liés au milieu des affaires dans les pays étrangers, ce qui deviendrait non conforme à leur mission professionnelle et affecterait la moralité et la crédibilité de l’état. Le mieux, est que cette mesure soit une disposition constitutionnelle.
Dans ce moment d’évaluation, il faut noter un aspect essentiel de cette évolution tragique pilotée par les janviéristes, en alliance avec d’autres forces au pouvoir dont le général Mediene était un de leur leader, qui a débouché sur des « compromis contre-nature », comme ce fut les cas des 3eme et 4eme mandats. Dans cette évaluation, on peut s’interroger sur ce qui amené les forces dites patriotiques, à réaliser un consensus contre les intérêts supérieurs de la nation, en adoptant le projet de loi relatif aux hydrocarbures et la tentative de privatisation de SONATRACH, la plus importante entreprise publique du pays, qui procure au pays plus de 95 % de ses recettes en devises et plus des 2/3 de ses ressources fiscales, celle qui fait vivre toute l’Algérie. Même la personnalité de monarque de Bouteflika, ne peut expliquer le basculement de nombreuses forces patriotiques vers la trahison de la société et de son idéal de justice sociale, forgé depuis la nuit des temps, des circoncellions, à l’époque romaine, jusqu’aux combattants de la guerre de libération nationale, en passant par les révoltes contre la récolte de l’impôt turque et les mouvements de résistance, entre soulèvements et insurrections, durant la longue nuit coloniale, qui ont maturé le projet de novembre 1954. Officieusement, on raconte que c’est grâce à l’intervention de l’anti-impérialiste Hugo Chavez auprès de Bouteflika que le projet, déjà ficelé, a été mis au placard. En toute objectivité, on peut considérer cette mesure comme étant la première rupture avec le consensus national de la société algérienne fondé sur les valeurs de la guerre de libération nationale.
De ces considérations, le citoyen s’interroge : quelles sont les origines de la crise politique ? Et quelles sont les alternatives concrètes ? L’hypothèse générale qu’on propose est que l’état despotique (ses institutions, dont sa police politique) est devenu une contrainte majeure au développement des forces productives (entendre « relance économique », les diverses propositions du FCE etc.) et au renforcement de la cohésion de la société. Une contrainte objective, historique, qu’il s’agit de lever. La seule solution, incontournable : déclencher un processus pour aller vers un Etat démocratique et social, un Etat de droit. Il n’y a pas d’issue, toute tracée, conçue d’avance. C’est aux acteurs, aux intellectuels patriotes, civils et militaires, d’imaginer toutes les pistes, toutes les issues, possibles et imaginaires, de manière créative et audacieuse. Dans la filiation de l’idéal de Novembre.

Aux origines de la crise :
1. L’absence d’un parti qui représente les forces politiques au pouvoir
Toute l’évolution future du nouvel état algérien, en particulier après le coup d’état de 1965, fut marquée par un handicap majeur, l’absence d’un parti qui représente effectivement les forces politiques dominantes au pouvoir, celles qui dirigent réellement l’état. C’est à notre avis, un FLN, en fin de mission, après l’indépendance, transformé en parti bureaucratique, ayant un programme politique formel et des personnalités dirigeantes, en réalité des fonctionnaires, évoluant et changeants au gré des changements des rapports des forces dans l’état et non l’inverse (dans le parti). Le « comité central », les idéologues, les analystes, sont tous au cœur de l’état. Le cœur de l’état s’est formé, historiquement, à partir de la guerre de libération nationale où l’armée était la principale force. La longue hégémonie de l’armée sur les principaux leviers du pays, a affaiblit le fonctionnement de l’état. Ce qui, au départ, était une faiblesse dans l’organisation de l’état, devint par la suite, un grave dysfonctionnement de l’état.
Cet handicap explique le rôle excessif de la police politique, visant à réduire, par tous les moyens répressifs (légaux et illégaux), la marge de manœuvre des différents groupes politiques en présence. Et d’anticiper les conflits, les crises éventuelles, les secousses dans la société. C’est ce qui laisse à conclure, et à tromper, une large opinion dont des intellectuels que ce système a « réussi » à dompter la société, à dépasser ses propres conflits, à maitriser ses équilibres internes et à stabiliser, essentiellement par la rente, la société. Une autre approche critique, dans les couches moyennes et les profondeurs des couches populaires, se veut moralisante, loin du discours et de l’approche rationnelle. Au-delà des divisions des uns et des autres, la majorité des algériens, bien que mettant la stabilité du pays au premier rang de leurs préoccupations et sans diminuer du mouvement protestataire, sur les conditions sociales et économiques, est consciente de la nécessité d’un changement radical.
Après l’ouverture d’octobre 1988 et la constitution de 1989, comme le notait un communiqué du cercle de Nedjma (janvier 2014), « La gestion autoritaire de la société par le moyen de la police politique a été érigée en système. La répression, l’infiltration et la manipulation des associations, des syndicats et des partis autonomes les empêchent de jouer les rôles indispensables de représentation des forces sociales et d’intermédiation. Tout contribue à anémier la société civile, à défaire le moindre signe de lien social, à casser son dynamisme et à décrédibiliser l’idée de démocratie. Tout cela n’a fait que mener au délitement des institutions existantes ». Ainsi, toutes les données, sociales (un taux élevé de protestations, d’émeutes), institutionnelles (problème de crédibilité), ainsi que les résultats des différentes élections, (taux de rejet significatif, essentiellement de la jeunesse), expriment un rétrécissement de la base sociale du pouvoir et sa non représentativité d’où donc un sérieux problème de légitimité des institutions et de ceux qui dirigent le pays.
2. La forme autoritaire de l’Etat
Si la forme autoritaire de l’état pouvait, à l’origine, c’est à dire dès le début de l’indépendance, s’expliquer par une conception populiste des couches sociales au pouvoir, en adoptant un programme économique et social progressiste, les développements ultérieurs contradictoires de l’état et de la société ainsi que l’émergence, d’un marché informel florissant qui est évalué à plus de 40 milliards de dollars et des forces prédatrices rentières qui se sont développées principalement dans le commerce de l’importation et après les tragiques et destructrices périodes (qui se complètent et préparent la période néolibérale), celle caractérisée par la chasse aux milliers de cadres du secteur public sous le motif de « mauvaise gestion » et la longue période du terrorisme islamiste qui visait principalement l’élite algérienne, la forme autoritaire actuelle s’articule et se confond avec l’affirmation du caractère de classe du pouvoir néolibéral. D’où une projection du pouvoir, en cours, sur une recomposition contrôlée, aussi bien institutionnelle (lire Etat) qu’au niveau de la classe politique.
Ce sont les fameuses luttes d’appareils, signe révélateur d’une hégémonie d’un groupe sur un autre, en réalité une « transition » forcée, autoritaire et sans négociation avec la société. En fait, un réaménagement de la colonne vertébrale de l’état. Loin de la perspective d’un état civil. En l’absence, il faut le souligner, d’un réel et dominant secteur productif et d’une refondation démocratique vers un état de droit. Dans cette parenthèse historique, les espoirs de libertés et la dynamique du mouvement démocratique et de gauche libérés dans les évènements d’Octobre 1988, vont se confrontés à une stratégie de rouleau compresseur des forces prédatrices, de division des forces du camp républicain et d’un pluralisme de façade. Les tendances autoritaires héritées des contradictions du mouvement de libération national, sont articulées et « pétris » dans un nouveau rapport des forces, né de l’émergence d’un « pouvoir » dont le dénominateur commun est le Capital avec ses origines diverses, sale, parasitaire, de la corruption, mais aussi des crédits des banques publiques, servis, généreusement, par les réseaux de la bourgeoisie bureaucratique.
Les enjeux de l’étape actuelle : réhabiliter l’ANP et le DRS dans leurs missions constitutionnelles
Le rapport des forces actuel, issue de la « transition » forcée, sous la forme d’une restructuration des services de sécurité et de l’ANP, dans l‘objectif d’imprégner une « cohérence » de décision au noyau qui dispose des principaux leviers de commande, n’a pas affaibli, à notre avis, ni les services de sécurité, ni l’ANP qui continue son programme de modernisation. Ce qui discrédite, décrédibilise et affaiblit l’ANP, c’est la gestion despotique des affaires de l’état, les dossiers de corruption qui éclaboussent la moralité de ses institutions et l’implication de la direction de l’ANP dans les luttes de clans et même de partis. Une des conclusions des récents évènements dont, entre autres, cette confrontation publique entre groupes influents de l’armée et de l’état, le limogeage et arrestations des généraux, est que l’armée algérienne n’arrive pas à trancher et à faire la part entre ses intérêts de clans, liés à la distribution de la rente, au niveau des institutions de l’état, et les taches de son fonctionnement constitutionnel, républicain. Ce changement était prévisible. Il était, en quelque sorte « programmé » dans la génétique de ce système totalitaire qui, en faisant abstraction de la société, de ses élites et de ses contre-pouvoirs, ne pouvait changer, dans une première étape, que par l’implosion, de l’intérieur du système.

Une large opinion, dans la société, est arrivée à cette perception, à tort ou à raison, que « derrière chaque grand projet ou scandale, il y a un général ». L’ANP et ses officiers supérieurs ne gagneraient à une plus grande crédibilité dans la société que dans un Etat de droit et donc dans la mise en œuvre de leurs obligations constitutionnelles. Dans le même esprit, on ne peut concevoir une modernisation de l’armée algérienne, dans toutes ses branches, sans une vision et un pilotage stratégiques global, c’est-à-dire sans l’intégration de cet effort de modernisation dans le projet d’un ensemble économique productif et à une société civile qui développe l’esprit de la citoyenneté et la solidarité ainsi qu’en optant pour une relance de la recherche-développement. Peut-on, enfin, considérer que le critère d’une société moderne, dans le cas de notre pays, réside dans le surarmement ou dans une société possédant une forte économie nationale, intégrée et une riche vie démocratique ? La réponse est évidente.

Dans ce sens, quel est l’intérêt d’intenses efforts d’armement, même justifiés, du fait des contraintes et risques objectifs du contexte régional, si la transparence et le contrôle de la société ne s’exercent pas, par les cadres de contrôle légaux, sur ces investissements qui sont l’argent public ? Il est temps de porter un regard lucide sur cette course à l’armement et de leadership, entre l’Algérie et le Maroc, (financé par les monarchies pétrolières). Objectivement, si notre principe de départ est l’intérêt commun des peuples de la région, la perspective de l’Union du Maghreb reste la solution du long terme.

L’Etat républicain et l’instrumentalisation de l’islam politique

De nombreux citoyens et journalistes soutiennent le discours anti-salafiste, du ministre des affaires religieuses, Mohamed Aissa, alors qu’en réalité, aussi respectable qu’il soit, il fait partie d’un système despotique et corrompu. Au-delà de la sincérité de ses propos, son action idéologique s’insère dans une démarche globale : légitimer l’action et mesures du pouvoir en place. La stratégie du système, c’est d’exiger de Mohamed Aissa de produire une cohérence idéologique avec les mesures anti-démocratiques et néolibérales du système despotique en place, recherchant par la même occasion de maintenir l’islamisme politique et sa base sociale, dans une position que le pouvoir peut contrôler et instrumentaliser.

Le ministre des affaires religieuses fait sortir des archives du gouvernement un ancien dossier, celui de l’ouverture du haut comité islamique, une version d’El Azhar Egyptien. Voilà l’approche et le consensus du pouvoir actuel quant à sa manière de régler la crise profonde qui traverse société et institutions de la république. On n’est plus dans la perspective d’un Etat de Droit qui consacre la séparation du politique et du religieux, pour guérir le mal à la racine. En mettant à profit les leçons de la tragique décennie noire qui a endeuillée toute l’Algérie et pour longtemps. La nouvelle constitution, selon la version du ministre des affaires religieuses, consacrera le «haut comité islamique», une instance religieuse qui n’est pas autonome de l’Etat, chargée de l’« interprétation du texte religieux dans la société ».

La perspective à l’ordre du jour : l’Etat démocratique et social
Dans un contexte international qui porte une économie en pleine crise et des solutions dangereusement radicales, où la marge de manœuvre des états nationaux (des pays en développement) qui résistent à « l’encerclement » est réduite et malgré l’émergence des BRICS comme un nouveau pôle d’équilibre international des forces et le recul de l’hégémonisme de l’empire américain, quel serait, dans le cadre d’une projection, la place et le rôle d’un grand pays, en termes de dimension historique et de réelles capacités de développement, d’une Algérie dirigée par un état despotique qui n’a pas, par instinct de préservation, construit une économie productive et des institutions modernes ? Autrement dit, quelles sont les possibilités d’un sursaut national des forces patriotiques, aussi bien de l’état que de la société, qui déclencherait une alternative de rupture et non un partage de privilèges dans le système, dans la perspective d’un état démocratique et social, seule et unique voie de secours d’une Algérie moderne ?
Toute la société est en attente de décisions symboliques, institutionnelles et politiques de ruptures dans la perspective de la refondation de l’Etat, vers une deuxième république. L’Algérie est en manque d’un véritable projet de société, démocratique et social, et d’un état républicain qui assure la cohésion de la nation, considérant que la mesure de l’officialisation de Tamazight, en tant que langue nationale et officielle, s’inscrit naturellement, dans cette perspective. Mais, l’affaiblissement et la marginalisation des organisations démocratiques et des partis de gauche, explique en grande partie le désarroi idéologique dans la société et le « flou» dans les perspectives de sortie de crise. C’est à partir de cette analyse, que commencent le travail d’éclairage politique et le rassemblement des patriotes modernistes et de gauche.

Il faut, justement, mettre en évidence, que le tableau n’est pas aussi noir qu’on le pense. Et que toute la responsabilité des élites est de faire découvrir à la société, à ses collectifs de militants, ce qui est émergent, dans le cadre de la nouvelle société en gestation, ces rayons d’espoir qui ne sont pas apparent à la société. Dans ce sens, l’appel des militants de gauche et des courants modernistes à un changement radical ne peut être assimilé à une approche nihiliste qui fait abstraction de tous les progrès économiques et sociaux accumulés, au cours de ces 50 années d’indépendance. Aussi, une grande confusion est entretenue par les tenants du pouvoir politique, entre « le système despotique », appelé historiquement à disparaitre et l’Etat, ses institutions et toutes les réalisations économiques, sociales et culturelles. Justement, c’est ce système qui dévalorise, avec ses prédateurs, ses méthodes de gestion contraires aux principes universels et sa police politique, toutes ces potentialités, particulièrement les précieuses ressources humaines, acquises avec l’argent du peuple et au moyen d’énormes sacrifices.

La conclusion de la contribution, « Appels à l’armée et transition démocratique », des quatre grands universitaires et chercheurs algériens, Madjid Benchikh, Ahmed Dahmani, Aïssa Kadri, et Mouloud Boumghar, dans laquelle on se reconnait, s’inscrit en droite ligne de notre réflexion et mérite d’être rappelée : « En réalité, Il ne sert à rien de proclamer, le pluralisme politique, syndical et associatif, des élections libres, une justice indépendante tant qu’existent en fait une police politique qui conduit à une pratique politique qui n’a rien à voir avec le système décrit par la Constitution ». D’où le préalable de « la dissolution des différents rouages qui organisent la surveillance et le contrôle politique, en particulier la police politique sous toutes ses formes ».

Ainsi, la construction d’un rapport de forces favorable à une telle entreprise « ne peut être mené qu’avec une action en profondeur des syndicats, des partis politiques, des associations et des groupements informels de différentes sortes dans les régions, dans les villes et dans les campagnes, dans les universités et les lieux de travail. En soulignant que « Sans cet engagement de fond, long et difficile, les ouvertures opérées par un système autoritaire n’aboutissent dans le meilleur des cas, comme on l’a vu avec la Constitution de 1989 et les quelques réformes qui ont suivi, qu’à une démocratie de façade pour cacher l’emprise des détenteurs du pouvoir réel qui décident de mettre fin à ces expériences dès qu’ils estiment qu’elles remettent en cause leurs intérêts ».

Dans le même ordre d’idées, le rapport de Missoum S’bih sur la réforme de l’état mérite d’être repris par les experts et actualisé à la lumière des changements internationaux et des évolutions locales. Il ne suffit pas de concevoir le projet et l’architecture du futur état de droit, fut-il le meilleur et le plus adapté. Il faut surtout définir, par quels chemins pacifiques, on doit y arriver. C’est là une des tâches essentielles des élites républicaines, civiles et militaires. Face aux partisans d’une économie néolibérale, parasitaire et spéculative, qui ampute l’Etat algérien, de ses dimensions historiques et constitutionnelles « Démocratique et Populaire », s’organise patiemment un Front patriotique de la Résistance et un mouvement de gauche qui traversent l’état et la société et captent toutes les forces patriotiques de la nation et ses élites. C’est le principal enjeu politique de l’étape actuelle.

Mustapha Ghobrini, universitaire, militant MDS.
Ghob.mosta@live.fr

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