Société

Mouloud ! rendez-vous au paradis !

Mouloud ! rendez-vous au paradis !

Par quoi commencer ? Par le début ou la fin ? La fin est trop triste, alors je vais commencer par le commencement.

Mouloud Djazouli est venu à Alger républicain dès les premiers mois de l’indépendance.

La terrible lutte de libération avait décimé le millésime des années cinquante, des collaborateurs de l’ancienne équipe il ne restait pas grand-chose : maquis, morts au combat, prisons, tortures, camps, cachots et grève de la faim, clandestinité, évasions et exils ont essaimé les rangs. Les rescapés ont « ramassé leurs tripes » comme on dit et ont repris le harnais. L’appel à l’aide a été entendu. Des volontaires, surtout des jeunes sont venus d’un peu partout.

El Asnam a été des plus généreuses, terre des femmes et hommes de progrès, elle envoyé quatre de ses fils à la rédaction : Hafid Khatib, Abdelkrim Chaoui, Mustapha Chaieb et aussi Mouloud Djazouli.

C’est ainsi que je me suis retrouvé avec Mouloud à la rédaction internationale. Notre ami était d’une discrétion absolue, se faisait petit malgré sa grande taille, et ne voulait gêner personne.

Quelques semaines de présence, puis nous étions « envoyés au feu » : mise en page et imprimerie, en plus de notre travail à la rédaction. Un jour à la sortie du journal vers 2H30, Mouloud n’avait pas où passer la nuit, je l’invite à venir chez moi à Bab El Oued où j’habitais en famille. Notre invité est installé sur un cosy. Je lui demande s’il avait besoin de quelque chose. Il me répond j’ai soif. Je lui apporte une carafe d’eau et un broc de petit lait. Le matin je m’aperçois que Mouloud avait quitté la maison. A la reprise du travail je lui demande : « pourquoi tu es parti aussi tôt ? » Il se contenta de sourire et un autre camarade répondit à sa place « tu es fou de lui proposer du l’ben, tu veux l’empoisonner ? ». J’ai un fou rire à mon tour et je dis à Mouloud ça t’apprendra à dire de quoi tu as soif et tu as dormi sur la caverne d’Ali Baba sans le savoir !»

Il fallait du temps pour connaitre Djaz, comme nous le nommions entre nous. Connaitre sa richesse intérieure, sa discrétion, son humour, sa grande culture, sa générosité, sa discrète attention envers les autres. Il fallait découvrir son style et son écriture riche et simple, claire et limpide, il avait l’étoffe d’un écrivain de talent s’il avait voulu s’y mettre. Il dévorait les livres, il lui arrivait de se mettre accroupi, d’ouvrir un livre et de s’y noyer en oubliant le temps et l’espace !

Il parlait peu mais savait raconter une blague avec finesse en peu de mots. Quand quelqu’un pénétrait dans la salle de rédaction et nous demandait « où est Mouloud ? » Nous ne répondions pas et lui non plus, tapi dans un coin. Ou bien il voulait répondre et alors jaillissait sa réponse « LIBALA ! »

Il aimait bien aller par beau temps au cabanon du journal à La Madrague. Les camarades en famille invitaient les célibataires à partager leurs repas.

Je me souviens d’un samedi, nous ne travaillions pas ce jour, Alger rép ne paraissant pas le dimanche, je revenais du marché, je rencontre Mouloud près de la grande poste, il me paye un apéro au Dôme et je l’invite pour le repas de midi à la maison.

A midi personne, même chose à 13H et à 14H notre invité « libala ».On ne l’attend plus ! Sortie à 17H pour une petite ballade à pied. Je passe devant le Dôme et par curiosité je jette un coup d’œil et je trouve notre invité à la même place sur son tabouret. Il n’a pas vu le temps passer !

Heureux jours passés au journal ; nous commencions nos sorties et nos reportages à l’étranger : le regretté Hacène Benrahal ; l’élégance innée, part au Soudan, Mouloud va faire un reportage, avec les combattants du MPLA en Angola et revient avec ses articles et une maladie qui met ses intestins à rude épreuve. Le coup d’Etat du 19 Juin 1965 met fin à la nouvelle aventure d’Alger Républicain. Les articles de Mouloud ne seront pas publiés, moi je ne partirai pas au Viêtnam.

Les travailleurs du journal vont connaitre une nouvelle fois avec les autres progressistes du FLN et les militants du Parti Communiste Algérien les arrestations, la prison, les tortures, la clandestinité et l’exil et l’isolement.

Mouloud préservera avec d’autres amis la librairie el idjtihad, toujours près des livres

A notre rencontre après des années de clandestinité il me dit simplement qu’il est à Blida et qu’il donne rendez-vous à ceux qui veulent le voir les mardi matin à la librairie. Nous n’eûmes pas, hélas, l’occasion de nous voir souvent.

Mouloud tu sais que nous sommes toujours des rêveurs et que nous gardons toujours espoir même dans les moments les plus tristes, comme ceux de la disparition d’un des nôtres. Tel que je te connais tu dois être certainement au paradis. Alors profite à fond de ce qu’il y a de meilleur là haut. Il parait qu’il y a des ruisseaux ou coulent les meilleurs nectars et meilleurs crus. Comme tu aimes partager nous te demandons de réserver de bonnes places pour les copains !

Noureddine Abdelmoumène

Les commentaires sont clos.