Pour un secteur public puissant et efficient, au service de la majorité de la population, garant de la souveraineté nationale et populaire !
RAÏNA, le journal électronique de la MOUBADARA du 24 Février (1971-2011), a organisé dernièrement deux débats : le premier autour du livre de Abdelatif Rebah (économiste spécialiste de l’énergie) « le développement national contrarié », et le second, sur les « guerres impérialistes, nouvelles guerres coloniales » avec le journaliste écrivain Michel Collon. Deux initiatives bien heureuses et d’un intérêt certain qui méritent d’être multipliées. Pas seulement parce que ce sont des sujets d’actualité, mais parce qu’elles aident à comprendre les liens réels entre stratégie de développement économique et social d’une part et, d’autre part, le champ politique tant à l’interne (état des libertés démocratiques) qu’à l’externe (positionnement politique de l’Etat et du gouvernement à l’international).
En effet, il est aisé d’observer l’involution de l’Algérie (depuis les années 80) en matière de choix économiques et, concomitamment, le retournement de ses positions sur les problèmes internationaux.
Après plus de 30 ans d’orientation économique capitaliste, initié par un démantèlement méthodique du secteur public (industriel, agricole et commercial), l’Algérie est replongée dans une division du travail de type colonial : ventes des produits (quasi-bruts) de l’industrie extractive (hydrocarbures essentiellement) ; un secteur privé confiné dans l’importation de biens et produits destinés à la consommation finale, avec une activité marginale dans le montage ou la fabrication sous licence ; une présence active des firmes multinationales (notamment dans le secteur pétrolier) intéressées par le déversement de leurs produits et services mais fort réticentes au transfert technologique.
Les institutions internationales (FMI et Banque Mondiale), au service des firmes multinationales et des pays dominants, pérorent à longueur de publications que la santé financière du pays s’est améliorée, l’inflation a été jugulée (par rapport aux années 90). Ce n’est pas tout à fait faux : il n’y a plus de pénuries. Mais ne dit-on pas chez nous que « le mort n’a pas de fièvre » (El Miyat ma aândou skhana) ! Car qui peut nier que l’accès aux étalages bien achalandés, aux biens et services de première nécessité est devenu plus difficile pour de larges couches de la population ? Qui peut nier que le chômage est plus endémique que jamais ? En réalité, il n’y a pas de secteurs qui ne soient affectés négativement par ces choix lesquels ont induit une situation non seulement anormale, inacceptable, mais aussi fort dangereuse : dans un tel contexte social dégradé, marqué par les manifestations, révoltes et protestations, donc un rejet de ces choix (pas toujours politiquement conscient, il est vrai), comment pourrait-on faire face aux pressions des firmes multinationales, aux appétits politiques de leurs relais « entrepreneurs importateurs », voire à une intervention étrangère type Mali, Lybie, ou Syrie ? N’est-ce pas là la source du ramollissement ou du retournement des positions politiques anti- impérialistes de l’Algérie ? A considérer les mensonges, fausses accusations, faux documents et autres prétextes des récentes interventions impérialistes, ces dangers ne relèvent pas d’une vision abstraite. Les abcès de fixation ne manquent dans notre pays (Ghardaïa, Kabylie, Touaregs, atteintes aux libertés individuelles et collectives, corruption massive, …). Face à cela, le souci premier du pouvoir (quand il ne les construit pas) est d’empêcher la conjonction des diverses luttes et leur traduction en revendication de véritable changement d’orientation politique et économique. Quant aux officines des renseignements des pays impérialistes, on ne peut douter de leur volonté et capacité à les intégrer de façon opportune dans leur agenda politique de domination du monde.
Pouvait-il en être autrement ? Nombre de pays ont expérimenté cette voie : infitah, privatisations, ouverture aux IDE, apaisement politique dans les relations avec les pays capitalistes dominants (en fait alignement sur leurs positions sans contreparties consistantes) …. Sont-ils sortis du sous-développement ? Dans le meilleur des cas, il en a résulté un capitalisme de bazar, dépendant totalement des pays capitalistes dominants, avec son lot de recul des droits économiques et sociaux de la majorité de la population, un suivisme humiliant en matière de rapports internationaux.
Méditons l’exemple du Mexique.
Plans du FMI, accord de libre échange ALENA, ouverture aux investissements étrangers, réforme du travail (baisse du coût du travail), le pétrole (principale richesse du pays, 40% du budget fédéral, nationalisé depuis 1938) vient d’être dénationalisé avec la privatisation de la PEMEX (équivalent de la SONATRACH en Algérie), 8ième producteur de pétrole. Prétexte de la privatisation : la société est moribonde, endettée, corrompue, …. Alors que pendant des décennies, L’Etat mexicain a pompé 55%des revenus de la société pour financer les programmes sociaux (autant dire sa stabilité) ! En face, les maquiladores (véritables zones franches pour les firmes états-uniennes) sont quasiment exonérés de tout impôt ! Résultat : une industrie réduite à l’état de sous-traitant de l’économie américaine, une explosion de la misère et de l’émigration vers les Etats-Unis, et, en miroir, le Mexique peut se vanter d’avoir l’homme le plus riche du monde Carlos Slim (il empocherait 17 millions de $ par jour, soit autant que … 22 millions de Mexicains qui vivent avec moins de 1 $ par jour) !
A la base de ces choix, il y a la vision des dirigeants du pays que les rapports économiques internationaux ne sont plus des rapports de domination. Ou encore (et souvent simultanément), que le développement économique est une question étroitement technique. Cet écueil du développementalisme – conception qui consiste à attendre le progrès social comme un résultat mécanique du développement des forces productives (de l’injection massive de capitaux pour schématiser et faire bref) – n’est pas inconnu dans notre pays : une analyse critique et constructive de la période dite des « industries industrialisantes » serait riche d’enseignements. Ce courant d’idées a cours aujourd’hui dans le cadre d’une orientation opposée à celle des années 1970.
Dans de nombreux pays, notamment ceux abondamment pourvus en richesses naturelles (et humaines), l’accès de larges couches de la population aux biens et services essentiels n’est pas toujours possible. Cela n’est pas sans relation avec le contexte de mondialisation du capitalisme, et donc de domination des monopoles internationaux lesquels font feu de tout bois pour s’accaparer des richesses naturelles et humaines et réaliser le profit maximum (guerres contre les peuples, guerres économiques, …).
Marx avait déjà avertit que « … le profit soit convenable, et le capital devient courageux : 10% d’assurés, et on peut l’employer partout ; 20%, il s’échauffe ; 50%, il est d’une témérité folle, à 100%, il foule aux pieds toutes les lois humaines ; à 300%, et il n’est pas de crime qu’il n’ose commettre, même au risque de la potence. Quand le désordre et la discorde portent profit, il les encourage tous deux ; pour preuve la contrebande et la traite des nègres».
En continuité avec la mondialisation coloniale, la mondialisation capitaliste en cours prolonge et aggrave l’inégalité des échanges entre pays dominants et pays dominés. Ces échanges sont inégaux parce que fondés sur des productivités inégales, nettement supérieures dans les pays capitalistes développés. Cette inégalité de productivité ne peut être effacée ou rattrapée dans le cadre de rapports capitalistes : il n’y pas de concurrence, souvent même pas d’affrontement, entre les capitaux des pays dominants et ceux des pays dominés. Ces derniers sont inexistants ou très faibles et localisés dans la petite production. Au pire, ils peuvent être éliminés par des moyens économiques violents et/ou militaires.
A-t-on jamais observé un capital national d’un pays dominé rejoindre le niveau de productivité international ? Même entre pays à capitalisme développé, les capitaux n’affrontent la concurrence internationale qu’après avoir rejoint le niveau de productivité des capitaux les plus productifs, au besoin, en passant par la couveuse de l’Etat protectionniste. En Angleterre, l’abolition des Corn Laws (interdiction à tout navire non anglais de commercer en Angleterre) n’est décrétée qu’en 1846. Plus récemment (en 2006), en France, l’affaire Alsthom et Arcelor ont illustré le « patriotisme économique » de l’Etat capitaliste.
Mais alors qu’apporterait un secteur public dans tel contexte de rapports inégaux et de domination ?
Dans l’idéal, un secteur public puissant et efficient est un facteur de démocratie (accès réel et équitable de la majorité de la population aux biens et services nécessaires) et renforce l’indépendance de la décision politique nationale. Ce n’est donc pas seulement l’aspiration de militants attachés à la justice sociale. Il s’impose pour au moins cinq raisons :
Dans le cas de richesses naturelles stratégiques (comme les hydrocarbures en Algérie) : soit c’est l’Etat qui en assure le monopole, soit c’est fatalement le privé qui l’assurera. Dans ce dernier cas, il sera bien compliqué de concevoir un mécanisme politique pour exercer un contrôle social, d’autant que les multinationales ont tout prévu pour protéger leurs investissements (y compris contre des Etats puissants)
Pour certains biens et services (alimentation, éducation, santé), la prise en charge directe par l’Etat pour y faire accéder les plus démunis, est une meilleure alternative à la mise en place d’un contrôle des prix ; l’octroi d’aides sociales ou le financement par l’impôt incite fréquemment le secteur privé (notamment en situation de monopole dans la distribution)) a augmenté les prix, et donc, à grever le budget de l’Etat
L’absence d’entrepreneurs ou, du moins d’entrepreneurs en mesure de s’engager sur des investissements sur le long terme avec des retours sur investissement incertains (comme dans le secteur Recherche et Développement) rend le secteur public incontournable
Seule la grande industrie, basée sur des investissements durables et de niveau étatique, permet de mettre en place une véritable politique de l’emploi et de la formation à même de contenir des taux de chômage élevés
Le caractère durable du chômage et la faiblesse chronique de la demande (des salaires), y compris dans une économie de « marché » (c’est-à-dire capitaliste développée) contraint l’Etat a engagé des dépenses publiques lesquelles prennent la forme d’investissement public.
Il faut ajouter que, dans le contexte du capitalisme mondialisé, les gouvernements des Etats dominés (comme le nôtre) rivalisent entre eux pour offrir le plus d’avantages aux multinationales pour les inciter à s’installer dans leur pays. Il s’ensuit une réaction en chaine : les Etats en question doivent renoncer à toute industrialisation et/investissement ; ce qui renforce le pouvoir de domination des monopoles, donc des prix de monopoles, avec leur cortège de creusement des inégalités, … Il reste un seul moyen de contrer cet égoïsme, c’est l’Etat producteur.
Il importe de rappeler que le mouvement des capitaux est une des expressions de la crise du capitalisme : la baisse tendancielle du taux moyen de profit due à la contradiction entre le haut niveau de production et d’accumulation des biens, d’une part, et, d’autre part, l’étroitesse de la distribution et de la consommation due à la contraction du pouvoir d’achat des salariés, la plus grande force de consommation. Ces capitaux sont donc en mouvement erratique et s’orientent vers les pays où les niches de profit existent, dans les pays sous-développés, pour contrer cette loi du profit. Il leur faut donc des conditions de rentabilité meilleures : rapatriement des bénéfices, avantages fiscaux, coût bas de la main d’œuvre, des terrains et des matières premières. Dès l’épuisement de ces sources de profit, les capitaux s’envolent. Historiquement, il n’a pas été observé de capitaux étrangers, ni de PAS, qui ont fait sortir ces pays de la logique coloniale ou de dépendance économique.
Cela étant, le recours aux capitaux étrangers, non pas en tant que fin en soi, mais comme instrument, temporaire, pour une politique d’indépendance est une vraie question.
Mais alors pourquoi ce bannissement quasi général du secteur public en Algérie, accusé de tous les maux, jusqu’à la qualification méprisante de « peuple assisté » ?
Si la comparaison de la situation actuelle avec celle des années 1970 doit être poursuivie et approfondie, la vigilance doit être de mise sur la démarche méthodologique. En particulier, la question du mode de fonctionnement et des buts du secteur public est fondamentale.
Le secteur public ne peut avoir les mêmes objectifs que les monopoles privés : il ne peut donc être géré de la même manière pour viser un profit maximum. Cette insuffisance apparente de profit (car le profit social est occulté) ne peut être assimilée à de l’incompétence ! Le secteur public peut et doit réaliser des profits sans adopter les méthodes du privé (spéculation foncière, spoliations de terres, licenciements massifs de travailleurs, manipulations ou opérations financières).
Le secteur public, par nature, s’oppose ou limite les pouvoirs des monopoles étrangers et nationaux. Peut-on donc attendre autre chose que du dénigrement de la part des multinationales et des capitalistes ? Pourquoi alors s’empressent-ils d’acquérir ses actifs (aux coûts les plus bas possibles bien sûr) ?
Il va sans dire que l’efficacité du fonctionnement du secteur public dépend fortement de l’orientation politique et de la volonté politique des dirigeants et de la base sociale qui le compose.
C’est l’une des principales raisons qui explique le recul du secteur public en Algérie.
D’abord le secteur privé s’est développé à l’ombre d’un fonctionnement défaillant, non corrigé, du secteur public (transfert de plus-value à partir des prix réglementés uniquement pour le secteur public, de subventions étatiques comme la protection sociale, de protection douanière, de prix du foncier, …). Avec des profits grossissants, les appétits politiques naissent et se précisent.
Ensuite, et surtout, le contexte de contre-révolution dans les ex-pays socialistes aidant, les luttes de classe au sommet de l’Etat comme au sein de la société se sont développées dans un sens défavorable aux forces sociales et politiques qui portaient le secteur public.
Il reste (tout un programme) à recréer ce front national (d’ouvriers, d’ingénieurs, de cadres, de militants) pour revendiquer et rebâtir un secteur public efficient. au service des larges masses. C’est aussi le moyen de contribuer à la transformation de l’Etat actuel en un nouvel Etat au service des larges masses.
Kamel Badaoui
Fevrier 2014