Contributions

Pour une relance réelle et durable du Mouvement Communiste et Ouvrier en Algérie Saïd Bouamama et Kamel Badaoui

Des militants de l’ex-PAGS ont réagi à l’article de Sadek Hadjerès (membre du Secrétariat du CC du PCA avant 1966, puis 1er secrétaire du PAGS de 1966 à 1990), publié (via le site socialgerie.net) à l’occasion du 50ième anniversaire de la création du PAGS (fondé le 26 janvier 1966), et intitulé « Le PAGS et le PAYS : CINQUANTE ANNÉES PLUS TARD ».

Deux questions ont été amenées par cet article et les réactions qui l’ont suivi : le bilan et la destruction du PAGS.

Ce sont, évidemment, des questions d’une importance première pour les communistes algériens.

Comme l’est celle de la contre-révolution dans l’ex-URSS et l’ex-camp socialiste qui a tant pesé et pèse encore sur l’ensemble du mouvement communiste et ouvrier international (MCOI).

Nous vous soumettons ce premier avis, avec l’objectif, sans prétention, mais avec une conviction de communistes, de contribuer à lancer et instaurer un débat approfondi sur les succès et les échecs du mouvement communiste et ouvrier en Algérie (MCOA).

Un tel débat, mené de façon démocratique, acceptant les différences et divergences, voire autorisant la polémique politique argumentée (notamment à cette étape d’échanges), ne sera fécond que s’il aide à impulser et à orienter les luttes syndicales sur des bases de masse et de classe, les luttes sociales, culturelles et politiques sur des bases idéologiques offensives, indépendantes de l’idéologie bourgeoise dominante (y compris dans sa variante religieuse), et aide à progresser dans la formulation toujours plus claire des étapes de reconstruction d’un parti communiste : un parti armé de la théorie marxiste-léniniste, au service des exploités et internationaliste.

Car, pensons-nous, comme d’autres militants communistes, un tel parti ne peut-être le résultat de conclaves ou d’une auto-proclamation. Il ne peut être que le résultat d’un processus de fusion entre la théorie marxiste-léniniste et le mouvement ouvrier. La première sans ancrage dans le mouvement ouvrier ne dispose pas de la base d’enquête permettant « une analyse concrète de la situation concrète ». Le second sans la première peut mener des combats courageux mais sans perspective victorieuse de long terme.

Un tel parti ne peut être réduit à la seule fonction syndicale de défense des intérêts immédiats des couches populaires, comme il ne peut se passer d’un front syndical de masse et de classe.

Comme nous pensons que le futur parti communiste ne peut être basé sur un regroupement affectif et nostalgique de militants de l’ex-PAGS, ou encore de militants non remis de leur démoralisation après les cycles prolongés et encore actuels des défaites du camp du travail, donc prisonniers d’une vision mortifère de l’avenir des luttes qui vaut souvent abandon des luttes.

Nous nous adressons donc aux militants convaincus de la nécessité de la reconstruction d’un tel parti, qui organise l’effort collectif de liaison (théorique et pratique) entre les luttes quotidiennes et les luttes pour le socialisme, pour être en capacité stratégique d’anticiper le mouvement historique de la société algérienne vers le socialisme.

La question de l’organisation du débat (formes, cadres, consignations et publicité des échanges, …) fait partie du débat.

Toutefois, il nous semble important de rappeler qu’elle ne doit pas l’emporter sur les objectifs du débat.

En particulier, les expériences politiques et organiques des uns et des autres (après la destruction du PAGS) ne doivent freiner ni le débat, ni le déploiement d’actions unies construites collectivement par des militants communistes non organisés et des militants communistes organisés dans divers collectifs, y compris ceux organisés au sein du PADS quand ils reconnaissent (dans le discours et la pratique) que le PADS n’est peut-être qu’un noyau de ce parti à reconstruire (cf. « Le PADS dans la continuité et la fidélité aux idéaux communistes, Double anniversaire PCA-PAGS 1936-1966 », republié en janvier 2016).

Nous souhaitons rappeler que nous militons au sein de l’immigration en France.

Notre activité politique principale actuelle est de contribuer à la construction d’une organisation de masse des jeunes immigrés (le Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires, FUIQP) comme instrument politique auto-organisé et autonome (vis-à-vis des forces sociale-démocrates) au service des habitants des quartiers populaires en lutte contre le racisme d’Etat, l’islamophobie, les crimes racistes et sécuritaires, les violences policières systémiques, les discriminations à l’école et au travail, contre leur paupérisation et leur précarisation, pour le droit de vote des étrangers, les droits et la dignité des Chibanis et Chibaniyas, contre les guerres impérialistes (notamment en Palestine occupée).

Né début janvier 2012, le FUIQP a acquis une audience nationale (dans l’immigration en France) grâce à l’engagement et l’activité d’une centaine de sympathisants et de militants agissant dans cinq comités dans de grandes villes de France (Marseille, Grenoble, Lille, Saint Etienne et Paris).

Nos idées de communistes (exprimées dans le respect du caractère de masse de l’organisation) ont un très large écho et autorisent un grand espoir pour former et recruter de futurs militants communistes dans l’immigration algérienne.

Enfin, précisons, qu’en exposant ces idées critiques, nous ne nous en abstrayons nullement.

Le bilan des acquis incontestables du MCOA (PCA et PAGS) ne sera pas abordé dans cet avis et reste à réaliser collectivement.

Aussi, nous réaffirmons notre respect pour tous les camarades aînés qui se sont engagés sans limites pour l’avenir socialiste de l’Algérie, notamment celles et ceux tombés en martyrs de la lutte armée de libération nationale et celles et ceux assassinés par les hordes fascistes du FIS-GIA-FIDA.
Une analyse matérialiste
Une analyse matérialiste des succès et des échecs du MCOA est nécessaire. Une analyse dans laquelle causes et conséquences ne risquent pas d’être inversées.
C’est en dépassant le seul partage du constat, en partageant l’analyse des causes de la défaite que l’effort collectif de la reconstruction sera durable et fructueux.

Cela implique déjà de ne pas s’emprisonner dans des explications évènementielles ou centrées sur les personnes.

C’est parce que certaines conditions, précisément qu’il nous faut mettre en évidence et caractériser par cette analyse matérialiste, ont existé que, au-delà des personnes responsables, aux « commandes » de l’appareil, des orientations politiques ont pu naître et s’imposer, puis se déployer et se concrétiser en succès ou échecs du MCOA.

Cela est aussi vrai pour la destruction du PAGS.

D’emblée donc, et comme nombre de militants communistes l’ont déjà affirmé, nous ne souscrivons pas à la thèse de l’infiltration policière comme facteur explicatif principal, et encore moins comme facteur exclusif, de la fin du PAGS.

On pourrait même invoquer comme contre-argument à l’inconsistance de cette thèse, la longue expérience du PCA, puis du PAGS, dans le travail clandestin et la protection physique et des militants communistes : près de 40 années en clandestinité sur un peu plus d’une cinquante années d’existence (depuis la création du PCA les 17, 18 octobre 1936).

Cette infiltration du PAGS au plus haut niveau de direction, aujourd’hui avérée, suite à de nombreux témoignages convergents, est à analyser comme le résultat d’un processus qui l’a rendue possible et a anesthésié la résistance des communistes puis leur défaite au sein du PAGS.

Infiltration politique policière et sociale-démocratisation du parti se sont nourries mutuellement.
Nous éviterons aussi le terme de trahison qui focalise sur la responsabilité des personnes (laquelle est réelle, notamment au niveau dirigeant) et farde les facteurs objectifs qui ont autorisé et même accéléré la destruction.

De même, la qualification d’implosion, en évoquant l’idée de soudaineté, empêche de déconstruire puis reconstruire le processus qui a mené à la défaite.
On ne peut donc partir de la fin du film et regarder les photos une à une, sans saisir les liens entre elles : il nous faut mettre en évidence les germes qui, dès le début, en remontant y compris à la naissance du PCA, ont contribué à rendre possible ce cheminement.
A ce propos, le document du PADS cité plus haut (déjà publié en octobre 1996) comporte des éléments d’appréciation sur le PCA et le PAGS fort utiles à ce débat.

En souscrivant à nombre d’appréciations contenues dans ce document, il nous importe d’affirmer notre conviction qu’on ne peut être partie prenante de la reconstruction du parti communiste et s’auto proclamer LE parti des communistes algériens.

Le MCOA et la question nationale

Il n’est pas inutile de se rappeler que le PCA est né dans une Algérie colonie française et pays d’Islam, sous la coupe idéologique et organique du PCF. A l’origine, Le PCA était la région algérienne du PCF. Le PCF, tout en adoptant les recommandations bolchéviques de la 3ième Internationale, n’a pas moins véhiculé, à plusieurs périodes clés de l’histoire de la France et de l’Algérie, des idées réformistes vis-à-vis de l’avenir de l’Algérie colonisée et de l’Algérie indépendante.

Ainsi en est-il de la période 1936 du Front Populaire et la thèse de l’union du peuple de France (y compris des colonies) : la victoire du prolétariat de la métropole entraînerait celle des peuples colonisés. En conséquence de quoi, le mot d’ordre d’indépendance, avancé déjà par les communistes algériens dès les années 20 (dans l’immigration, au sein de l’Etoile Nord Africaine), est tu.

Les ambiguïtés du PCF sur la question algérienne ont ainsi été à plusieurs reprises critiquées par l’internationale communiste. Cette dernière revient également à plusieurs reprises de manière critique sur les lenteurs du PCF à « algérianiser » sa région algérienne pour qu’elle se transforme réellement en parti national.

De même, pour la période de la 2ième guerre mondiale, la lutte anti coloniale était considérée comme secondaire par rapport à la lutte antifasciste, voire un frein comme l’illustre l’erreur d’appréciation du PCF et du PCA sur le soulèvement populaire du 8 mai 1945.

L’interprétation des thèses du 7ième congrès de l’internationale communiste sur la lutte antifasciste comme une stratégie alors qu’il s’agissait d’une tactique prenant en compte la nouvelle situation du monde avec le développement du fascisme.

Cette interprétation droitière hiérarchise la lutte antifasciste et la lutte anticoloniale alors qu’il s’agissait de les articuler comme l’a fait le parti communiste vietnamien.

Ces erreurs « originelles » ont été identifiées et rectifiées par la direction du PCA après 1945.

Pleinement engagé dans la lutte armée pour la libération nationale (au sein des CDL et au sein de l’ALN), le PCA est apparu, depuis, plus un parti national que de classe.

Il est probable que ces erreurs « originelles », ont développé un sentiment profond au sein des directions successives du MCOA (PCA et PAGS) : celui de la peur d’apparaître comme anti national ou insuffisamment national.

Cela a pu entraver à l’indépendance l’affirmation des différences de classe entre les communistes et les autres fractions du mouvement national.

Ce sentiment a vraisemblablement perduré avec la création et le développement du PAGS.

On peut observer en effet que le PAGS, dès sa naissance (sur la base de la plateforme de janvier 1966), et jusqu’à sa sortie de la clandestinité (en 1989), a surtout joué le rôle de front : subjectif, comme cadre organique commun à des communistes et à des non communistes, et objectif, sur le terrain des actions unies avec d’autres forces politiques.

Ont été ainsi mises au second plan les questions stratégiques pour un parti communiste : la lutte pour une influence communiste toujours plus grande sur les tâches de la RND, et la question du pouvoir.

Même si la résolution du CC du PAGS du 9 mai 1969 a rappelé l’objectif du socialisme, sa traduction politique sur le terrain a peiné à être conséquente : la lutte pour l’activité indépendante et légale du parti était éludée, y compris pour l’élévation du niveau de formation communiste de cadres en interne.

La politique de « soutien critique » du PAGS

Cette politique a certes donné des résultats probants quant à l’impulsion de la mobilisation de masse (pour les tâches d’édification nationale). Mais elle a aussi confiné le parti dans un rôle de pompier et d’alarme sur les dangers guettant la RND, pour orienter fréquemment l’expression publique du parti vers les progressistes au sein du pouvoir et des institutions.

A la base de cette démarche, n’y avait-il pas la conviction de la direction politique du PAGS que le FLN était capable de se rénover et de se transformer en parti d’avant-garde ?

L’activité du parti tendait ainsi à se contenter de soutenir les fractions les plus progressistes de la petite bourgeoisie radicale et à reléguer au second plan l’affirmation d’une position de classe indépendante.

Sur la période 1980-1990, le pouvoir devenant de plus en plus anti populaire, ce soutien critique équivalait, aux yeux des masses, à un soutien tout court.

Trois idées ont nourri (à chaque fois dans un contexte national et international précis) ce glissement idéologique et favorisé une social-démocratisation rampante du PAGS (même si ces idées n’étaient pas coagulées ni formulées expressément et publiquement comme ci-dessous) :

La thèse mécaniste que le développement des forces productives, indépendamment des formes de propriété, était en soi une garantie d’un achèvement victorieux de la RND.
Le choix économique des « industries industrialisantes » – tout en démultipliant les forces productives, tout en répondant aux besoins de vie et de travail des couches populaires, tout en élargissant la base sociale de la RND par l’accroissement des effectifs de la classe ouvrière – n’a pas était accompagné de luttes conséquentes et victorieuses pour traduire politiquement le rôle économique de plus en plus grand des producteurs de richesses, et, ce faisant, consolider l’option socialiste.

Or, comme le disait Lénine, « le socialisme, c’est les soviets plus l’électricité », c’est-à-dire à la fois un état des forces productives et un changement des rapports sociaux. Le développement des forces productives ne peut jamais nous faire faire l’économie de la prise du pouvoir d’Etat sans lequel aucun changement des rapports sociaux n’est possible.

La thèse de la voie non capitaliste de développement et ses conséquences (possibilité de construire le socialisme sans parti communiste, parti d’avant-garde comme fusion de communistes et de non communistes, surestimation du poids des démocrates révolutionnaires, eurocommunisme et spécificité du socialisme de chaque pays, …).
Cette thèse promue par une Union Soviétique déjà touchée par le révisionnisme, depuis les réformes de Khroutchev, conduit une nouvelle fois à la négation de l’objectif de la prise nécessaire du pouvoir et, en conséquence, à la négation de la nécessité de construire un parti communiste susceptible de mener à bien cette tâche historique.

La thèse de la suprématie des intérêts sociétaux sur les intérêts de classe (gorbatchévisme).
Si Khroutchev enclenche avec ses réformes le processus révisionniste, Gorbatchev le clôt avec cette thèse. La contradiction de classe cesse d’être perçue comme la contradiction fondamentale du système capitaliste mondial. D’autres contradictions peuvent alors prendre cette place selon les pays et ces dernières ne sont pas analysées sur la base de la contradiction de classe.

En écho à cette thèse, les rédacteurs de la résolution politico-idéologique (RPI) abandonnent l’analyse en termes de luttes des classes pour la réduire en luttes entre fractions de la classe bourgeoise : des capitalistes « modernes » qu’il faut soutenir, et des capitalistes « archaïques » qu’il faut combattre.

Ce raisonnement n’est pas sans rappeler la thèse raciste, exprimée par la section de Sidi Bel Abbès du PCA (en 1921, exclue par la suite), sur l’incapacité des indigènes à mener le développement de l’Algérie.

Le soutien critique a également conduit à plusieurs angles morts pour préserver des « alliances » au sommet, ou, pour le moins, ne pas entraver la convergence avec certaines fractions du pouvoir. Ces luttes ont été délaissées et cela a mis la classe ouvrière et les masses populaires à la remorque de l’idéologie bourgeoise.

Libertés collectives et individuelles : s’il est juste d’un point de vue matérialiste de mettre en avant les droits économiques collectifs comme l’a fait le PAGS, il est cependant erroné de les opposer aux droits démocratique individuels. La classe ouvrière a besoin du maximum de libertés démocratiques pour construire son parti et son combat. Les communistes doivent être à l’avant-garde du combat pour les libertés démocratiques. L’étape de la révolution est bien la RND, c’est-à-dire la prise en main des tâches nationales et démocratiques.

Faute d’une prise en charge de ces tâches par les communistes, d’autres forces s’en emparent à des fins réactionnaires.

Les langues et les cultures : s’il est juste de mettre en avant l’unité nationale contre l’impérialisme, il est erroné de la mettre en opposition avec les revendications culturelles et linguistiques des différentes composantes de la nation.
L’unité nationale n’est pas synonyme d’unicité culturelle pour les communistes, comme en témoigne la politique des nationalités de l’URSS.
Une nouvelle fois faute de prise en charge de ces luttes, ce sont des réactionnaires qui s’en emparent.

La religion et les mouvements politiques sous couverture identitaire religieuse : s’il est juste de travailler à rassembler les travailleurs (en majorité croyants dans un pays d’Islam) dans les luttes nationales et de classe, il n’est pas moins important de veiller en permanence à élever le niveau de formation idéologique des communistes (à tous les niveaux de responsabilité, et notamment ceux versés dans le mouvement de masse) pour parer à toute illusion d’une convergence entre matérialisme historique et idéologie religieuse.

D’autant plus que le FIS (principal parti à couverture religieuse) menait très tôt d’intenses campagnes sociales dans les quartiers populaires (pour grossir ses troupes) et apparaître comme un défenseur de l’islam des mousstedâfine (équivalent de la théologie de la libération).

Le combat, qui s’imposait aux communistes, ét ait de combattre le FIS comme force politique de droite (de par ses objectifs de libéralisation et de « bazardisation » de l’économie, et ses méthodes putschistes), mais aussi de lutter pour prendre la tête du mouvement populaire de protestation et de contestation du pouvoir allié objectif du FIS de par sa soumission et son adhésion aux injonctions politiques et économiques du FMI et de la Banque Mondiale.

Les actions fascistes du FIS-GIA-FIDA, dans un contexte de mouvement identitaire religieux populaire et de masse, ont probablement poussé le parti à ne pas marquer ses différences idéologiques pour ne pas être traité d’anti religieux.

Dans le même temps, au cours des révoltes 1988 et après, la direction du PAGS, dans son hésitation à soutenir le mouvement de colère populaire ascendant, a soutenu les réformes d’infitah d’un pouvoir devenu largement anti populaire … considéré comme garant de stabilité sociale et de sauveur de la « République » et de la nation.

La tête de la contestation populaire, place naturelle des communistes, est devenue vacante, et le FIS, identifié comme ennemi principal, l’a occupée et bien exploitée en criant haut et fort « ennemi du FIS égal ennemi du peuple ».

Le fonctionnement du PAGS dans la clandestinité et à la sortie de la clandestinité

Une donnée majeure doit être prise en compte : le PCA a vécu longtemps en clandestinité ; tandis que le PAGS est né dans la clandestinité et a vécu presque entièrement dans la clandestinité (de 1966 à 1989).

Cette situation, imposée aux communistes, a profondément façonné leur fonctionnement.

La clandestinité a certainement contribué à protéger physiquement des militants du parti des services de répression policière, avant et après l’indépendance, comme elle a permis au parti de maintenir et de mener des activités politiques d’envergure nationale et même internationale.

Cela étant, des conséquences négatives s’en sont suivies et ont perduré parce que le parti ne les a pas corrigées. A la sortie à la légalité, elles sont devenues plus évidentes ; elles se sont même amplifiées dans certaines situations en raison d’une conception erronée de la clandestinité.

Deux idées, favorisées par la clandestinité, ont présidé à cette conception :

Un militantisme d’apparence élitiste, dirigé par des cadres (comme des « minorités agissantes ») qui transmettent, fréquemment par contacts individuels, des orientations et des instructions toutes ficelées (par un BP ou CC inconnus et inaccessibles) pour être appliquées par des militants « porteurs d’eau », supposés convaincus démocratiquement et formés pour être capacité d’agir en communistes. La vie politique des cellules (et des nombreux isolés) s’en trouve très réduite (à la réception de Saout Echaâb, aux finances) par l’absence de débats contradictoires et de formation.

Le cloisonnement (entre organes du parti, voire entre militants) et la vigilance (vis-à-vis des services de répression) ont souvent été opposés au travail de masse. Ce dernier s’en est trouvé largement sous-estimé, au profit d’un travail des militants tourné vers l’interne, avec prédominance des tâches organiques et surabondance des rapports écrits.

Le parti fonctionnait plus comme un ensemble de réseaux.

Le parti est devenu plus clandestin vis-à-vis des masses que des services de police, comme l’ont montré les nombreuses arrestations de militants communistes lors des évènements d’octobre 1988.

A contrario, les nombreux recrutements lors des luttes de masse (UNEA et Volontariat pour la R.A.) ont montré combien l’activité de masse était bénéfique.

Trois conséquences majeures à cela :

La faiblesse (qualitative et quantitative) du travail de masse n’a pas favorisé la formation et l’émergence de cadres communistes issus de la classe ouvrière et des couches populaires, pour mettre en adéquation la composition sociale du parti (notamment des organes de direction) avec ses objectifs.
Le centralisme démocratique s’est trouvé réduit au centralisme sans démocratie.
La cooptation systématique des responsables a aggravé le fossé entre base et direction du parti ; fossé dont l’ampleur a été illustrée par le congrès de 1990 : le nouveau 1er secrétaire est l’élu (proposé par la direction sortante) qui a obtenu le moins de voix !

L’information et sa circulation (dans les deux sens de la direction vers la base et inversement), était prisonnière du contrôle politique du circuit en réseau, un contrôle non collectif et donc non démocratique.
Le cloisonnement, dans ces conditions, a contribué à anesthésier la résistance collective des communistes face à la sociale-démocratisation du parti.

Basculement contre-révolutionnaire et social-démocratisation du PAGS

C’est avec ces héritages que le parti aborde la dernière phase du processus de dégénérescence qui opère un basculement qualitatif définitif vers la social-démocratisation du PAGS.

Influence de l’eurocommunisme et de la défaite du MCOI : URSS et camp socialiste

L’eurocommunisme est au cours de la décennie 70 une nouvelle offensive idéologique impérialiste pour miner de l’intérieur le MCOI.

Au prétexte de s’opposer aux limites du « socialisme réel », les dirigeants des partis communistes européens prônent la dissociation du « soviétisme » et du « socialisme ». Ces limites ne sont pas attribuées aux conditions matérielles concrètes de la construction du socialisme et du rapport de forces mondial mais à un défaut de la théorie marxiste-léniniste qu’il faudrait réviser. Elles ne sont pas analysées comme conséquence d’un processus révisionniste largement entamé dans le camp socialiste mais comme défaut congénital du marxisme-léninisme. L’antisoviétisme porté par l’eurocommunisme n’était qu’un anticommunisme.

Le PCF (dont la proximité idéologique avec le MCOA est encore réelle) décide, dès 1976 l’abandon de la dictature du prolétariat, arguant « qu’elle ne recouvre pas la réalité, de notre politique, la réalité de ce que nous proposons au pays » (Rapport du comité central au 22ème congrès).

Le PCI (un des plus grands partis d’Europe), dirigé alors par Berlinguer, tire en 1981 la conclusion logique de ce révisionnisme en disant : « La force progressiste issue de la Révolution d’Octobre est définitivement épuisée ».

L’approbation ou l’absence de démarcation du PAGS d’avec l’eurocommunisme révèle l’état idéologique du parti à ce tournant de son existence. L’eurocommunisme est perçu comme justifiant des erreurs et déviations déjà anciennes du parti (voie non capitaliste de développement et sous-estimation de la nécessité et des conditions de la prise du pouvoir, confusion entre parti et front, abandon de la perspective socialiste, etc.).

La victoire de la contre-révolution en URSS sera perçue de la même façon. Alors que le Gorbatchévisme est la clôture du processus révisionniste enclenché avec les réformes de Kroutchev, il est salué par plusieurs dirigeants du parti qui y voient une « rénovation ».

Aucune analyse matérialiste des causes de la défaite n’est mise en route laissant les militants isolés idéologiquement face à ce séisme.

Influence de l’agressivité idéologique de la bourgeoisie à l’échelle internationale : crise du capitalisme et ses répercussions sur le mouvement ouvrier et syndical en Algérie
La contre-offensive impérialiste mondiale de la seconde partie de la décennie 70 prend également la forme de la théorie monétariste diabolisant toute intervention de l’Etat.

L’heure est à la « libéralisation de l’économie », à l’ouverture à la concurrence internationale et à la « bonne gouvernance », au prétexte de combattre les « lourdeurs de l’Etat » et la bureaucratie.

Les décennies 1980 et 1990 voient le pouvoir algérien reprendre cette logique monétariste avec en conséquence un arrêt du processus d’industrialisation, l’abandon de la construction des bases industrielles d’une économie indépendante, et le déploiement en grand de la politique du « commerce international » industrialisant.

Si le PAGS critique certains aspects du processus, il ne s’en démarque pas entièrement. La poursuite de sa politique de « soutien critique » dans un tel contexte a signification d’approbation des réformes. Les communistes algériens qui auraient dû être à la tête d’une contre-offensive ouvrière et syndicale de rupture avec Hamrouche se retrouvent une nouvelle fois désarmés par ce « soutien critique ».

La montée du mouvement politique de droite sous couvert de religion : FIS, GIA, FIDA, …
La contre-offensive impérialiste mondiale est une telle ampleur qu’elle anticipe les réactions des masses populaires devant la dégradation de leurs conditions matérielles d’existence.

Tout en sapant l’outil stratégique qu’est le parti par l’eurocommunisme puis le gorbatchévisme, elle développe les outils de la répression des luttes ouvrières que ce soit sous la forme de coup d’Etat comme au Chili, ou sous la forme de groupes politiques se couvrant de la religion pour détourner la révolte populaire et si nécessaire la réprimer. Ces forces et partis sont à la fois critique du pouvoir en place et défendent un programme de libéralisation total de l’économie algérienne.

S’il y a certes opposition avec une fraction du pouvoir sur le rythme et les bénéficiaires de la libéralisation, il y a également convergence sur sa nécessité. La violence fasciste de certains de ces groupes n’a pas été reliée à sa base économique. La contre-révolution économique en cours a pu se développer à la fois par les « réformes » du pouvoir et par l’anesthésie populaire du fait des violences fascistes de masse.

Le besoin d’une analyse de classe de « l’Islam politique » n’a pas été rempli par une direction développant une critique unilatéralement idéologique de l’islam politique dans ses différentes variantes algériennes. Bien avant la RPI la contradiction de classes était déjà remplacée par une soi-disant contradiction modernité/barbarie.

La RPI

La résolution politico-idéologique est l’aboutissement de ce long processus.

Elle n’est que la formalisation d’une ligne droitière déjà en œuvre depuis plusieurs décennies.

Elle signifie un seuil qualitatif préparé antérieurement par une accumulation quantitative de décisions d’abandon du marxisme-léninisme.

Sans être exhaustif au moins quatre dimensions de la RPI sont significatives de son caractère de seuil nouveau transformant définitivement le parti en parti social-démocrate.

Abandon de l’analyse en termes de luttes des classes

La contradiction principale n’est plus dans la RPI celle entre la classe ouvrière et la bourgeoisie mais celle entre la modernité et la barbarie.

Cette « mutation » se réalise alors même que les classes sociales se sont coagulées depuis l’indépendance et que l’Algérie se caractérise désormais par l’existence des deux classes fondamentales du capitalisme dans un contexte national où les tâches nationales, paysannes et démocratiques ne sont pas encore entièrement achevées.

On retrouve ici la vieille théorie révisionniste des forces productives prônant que le socialisme est le résultat mécanique des forces productives.

Ce développement est ainsi absolutisé comme « modernité » à défendre.

La lutte et les alliances nécessaires contre les forces ultraréactionnaires et fascisantes n’est pas avancée comme une tactique liée au rapport des forces mais comme une stratégie couvrant toute une époque.

Il ne s’agit rien de moins que de l’abandon de la lutte des classes et de l’organisation autonome de la classe ouvrière.

La destruction du parti n’en est qu’une conséquence logique et inévitable.

La colonisation aurait pu être plus utile si pas de sang et de feu !

Cette théorie révisionniste des forces productives ne pouvait que déboucher sur du révisionnisme historique à propos de la colonisation.

Ce qui est reproché à la colonisation c’est désormais sa forme (violente et oppressive) et non son principe.

Ce qui est occulté ici c’est ce que le 6ième congrès de l’Internationale Communiste a mis en avant : le colonialisme ne signifie pas le développement des forces productives dans les colonies mais un développement restreint aux intérêts de la métropole coloniale.

La théorie des forces productives conduit en outre à des explications culturalistes arguant que l’état de développement d’une société n’est pas le résultat de la lutte des classes qui la caractérise mais de la pénétration ou non de la « modernité » dans son fonctionnement. Le peuple et sa « culture » sont ainsi présentés comme responsables de la situation alors qu’ils sont les victimes d’une contre-révolution économique et idéologique.

Il ne reste comme solution que l’alliance avec les partisans de la « modernité » comme jadis certains défendait l’alliance avec le colonialisme censé apporté la « modernité » et les « forces productives ».

La RPI n’est ainsi qu’une nouvelle justification de la mise en dépendance de la nation algérienne à l’impérialisme dans un vocabulaire rénové mais qui débouche sur les mêmes conclusions que la « mission civilisatrice » coloniale.

Question du pouvoir non posée, ce qui limite le parti à des actions de défense syndicale.

Une telle analyse signifie l’abandon explicite de la question de la prise du pouvoir par la classe ouvrière.

Cette tâche est considérée comme n’étant pas à l’ordre du jour, tant à court terme qu’à long terme. Toute une période historique de développement de la « modernité » est présentée comme nécessaire et incontournable avant d’aborder cette tâche et de préparer le parti à sa réalisation.

Il ne reste pour les communistes qu’une mission de promotion de cette « modernité » d’une part et une mobilisation de type syndicale pour que cette dernière soit plus « sociale ».

Le parti est ainsi réduit à des actions de défense syndicale dans un front avec tous les partisans, même bourgeois, de la « modernité ».

Accompagner l’exploitation capitaliste des travailleurs par la promotion d’un « accompagnement social » cela a un nom : la social-démocratie.

La lutte anti-impérialiste déconnectée de la lutte anti capitaliste au plan interne.

Le maintien d’un certain discours anti-impérialiste (d’ailleurs partiel et inconséquent) sur le plan international ne doit pas faire illusion.

Cette dénonciation se réalise sans articulation avec les classes sociales nationales.

Or l’impérialisme n’est pas qu’une réalité extérieure. Il s’appuie sur des classes nationales pour maintenir et développer sa mainmise.

Il est de ce fait illusoire de vouloir le combattre en faisant front avec les classes nationales qui en sont l’expression au prétexte de développer la « modernité ».

Ces quatre dimensions de la RPI suffisent à la caractériser comme le passage qualitatif à la social-démocratie, c’est-à-dire comme la clôture d’un long processus d’abandon du marxisme-léninisme, lui-même rendu possible par une série de facteurs : les mutations du rapport de force mondial ; la coagulation de la bourgeoisie en tant que classe depuis l’indépendance ; les conditions non démocratiques de fonctionnement du parti ; la composition de classe du parti ; etc.

Que faire en priorité pour que la rupture avec la social-démocratisation à la base de la destruction du PAGS soit réelle et définitive, pour que la relance du Mouvement Communiste et Ouvrier en Algérie soit réelle et durable ?

Ce qui est possible et nécessaire pour aller dans cette direction c’est, d’abord, d’être utile à celles et ceux qui se battent contre l’exploitation, l’oppression et contribuer à rompre le cycle prolongé des défaites du camp du travail.

Car les questions des conditions de vie et de travail, de privation d’emploi (chômage), sont des préoccupations majeures par lesquelles les travailleurs prennent conscience de la nécessité de l’organisation de la lutte politique, jusqu’à la nécessité du parti communiste.

Dans des combats de classe et de masse, des forces militantes (anciennes et nouvelles) seront ainsi accumulées pour nourrir et composer u futur parti de classe.

Dans le même temps, développons des échanges et des débats sur le MCOI et le MCA, pour comprendre la contre-révolution en URSS et dans le monde, pour apprendre des succès et des échecs de nos aînés communistes, pour mieux connaître la formation économique et sociale algérienne, pour mieux combattre la social-démocratie en Algérie.

Pour être communiste dans l’Algérie d’aujourd’hui !

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