Politique

Voyage au cœur des territoires palestiniens

En exclusivité pour Raina
Entretien avec Nassia Ladjal sur son séjour à El Quds en octobre 2015
réalisé par KELTOUM STAALIplayer_preview.jpg

Dans les territoires occupés, le calvaire palestinien continue, dans l’indifférence générale. Brutalités, humiliations coloniales sont le lot quotidien des Palestiniens. Les espoirs qu’avait soulevés les accords d’Oslo se sont envolés depuis longtemps. Une nouvelle génération, née et grandie dans l’occupation et sans aucune perspective, s’est lancée dans ce que certains appellent « l’intifada des couteaux ». Nassias Ladjal, jeune franco-algérienne, militante associative, émue et révoltée, est partie seule, en Cisjordanie pour se rendre compte sur place de la situation. Elle en est revenue, encore plus bouleversée et révoltée par l’injustice subie par tout un peuple, depuis soixante ans.

1 En octobre dernier tu t’es rendue en Cisjordanie pour un séjour de plusieurs semaines. Quel était le but de ce voyage ?

Je suis partie en Palestine pour visiter et rencontrer des gens. Je voulais voir quelles étaient leurs conditions de vie et par quels moyens on pouvait les aider. Je voulais, par ma visite leur témoigner ma solidarité. Je suis partie pleine d’ambition, avec une liste de villes que je souhaitais visiter. J’y suis allée aussi dans l’idée de lier des contacts associatifs en vue de créer des échanges. J’ai fait un bref passage à El Quds, j’y ai visité la vieille ville et Al Aqsa. Durant l’été nous avions reçu, des enfants d’Al Khalil (Hebron)dans le sud de la France ; je suis allée les voir au sein de leur association, j’y ai donné des cours de français. J’ai visité quelques familles. J’ai également visité l’université d’Hebron, j’y ai rencontré les étudiants en français . C’est dans cette ville que, finalement je suis restée le plus longtemps. J’ai quand même pu me rendre à Naplouse , où j’ai été accueillie dans une famille. C’était la période de récolte des olives, j’ai eu la chance de les accompagner au pressoir ; nous y avons apporté la cueillette du jour et sommes repartis avec 130l litres d’huile d’olive.

2 Il semble que tu as eu des difficultés avec les autorités israéliennes pour pouvoir débarquer?
Les problèmes ont commencé à mon arrivée à l’aéroport Ben Gurion de Tel Aviv. Je savais déjà que j’allais faire face à long contrôle et j’y étais préparée. Ils m’ont gardé 6h dans une salle, avec des Maghrébins du monde entier, où ils venaient nous chercher régulièrement pour des interrogatoires. Ils ont même fouillé mon téléphone afin de vérifier si je n’avais pas de contact palestinien. Au matin quelqu’un est enfin venu me remettre un visa sur une petite carte (pas de tampon sur mon passeport).

3 Tu as vécu en immersion pourrait-on dire chez des familles palestiniennes. Quel est le quotidien de ces familles ?
Malgré le fort taux de chômage, la plupart des pères de famille que j’ai croisés avaient un emploi , certaines femmes aussi mais essentiellement celles qui avaient fait des études. La plupart travaillaient dans le commerce, l’éducation ou l’administration. J’ai également rencontré de jeunes ouvriers. Rares sont les loisirs, les jeunes hommes se retrouvent dans les cafés pour fumer des chichas ou regarder des match de foot. Dans les foyers, la télévision est allumée en quasi permanence sur les chaînes infos. La circulation de ville en ville est possible mais elle peut s’avérer longue , compliquée par les fermetures incessantes de routes, voire dangereuse à certains endroits et à certaines périodes. Le passage de check point est un moment redouté. J’ai pu remarquer que certains chauffeurs faisaient une prière avant d’y arriver. Je suis arrivée dans un moment de « soulèvements », beaucoup de jeunes ont été tués par l’occupation; j’ai ressenti chez les familles un sentiment d’inquiétude pour leurs enfants. Les valeurs communes à toutes les familles que j’ai rencontrées, toutes catégories sociales confondues, étaient la religion, la famille et l’amour de leur pays. Ils ont un très grand sens de l’accueil et sont toujours contents de recevoir de la visite. Je n’ai pas eu de soucis, moi qui n’ai pas le sens de l’orientation car ils sont toujours contents d’aider les « internationaux » (là-bas on ne dit pas « étrangers », c’est péjoratif). Je les ai trouvés même un peu trop protecteurs, j’étais gênée, pour moi, c’était le monde à l’envers.

Al Khalil est une ville occupée par 500 colons religieux, on raconte qu’ils sont protégés en ce moment par 2000 soldats. Les conditions sont plus ou moins difficiles selon les quartiers. Les Palestiniens qui vivent près de la mosquée Ibrahimi doivent sans cesse affronter les humiliations et les répressions de la part des colons qui souhaitent s’emparer de la vieille ville. Les soldats se postent sur les toits, jettent des détritus sur les passants, il n’y reste que peu de familles et presque tous les commerces ont été fermés par l’occupation. Depuis les toits, j’ai pu voir que toutes les cuves d’eau avaient été percées par des balles. Le quartier de Tel Romeida est connu pour être régulièrement pris pour cible par les colons.
Israël se permet de fermer régulièrement des rues en y imposant d’énormes blocs de béton qui forment parfois un mur. Depuis des années les habitant réclament la réouverture de Shuada street. Les habitants de cette zone ne peuvent pratiquement pas recevoir de visite, ils ont eux-mêmes un numéro qui leur permet de passer le chekh point ; un passage qui peut être long et humiliant . C’est généralement à ces passages que les jeunes palestiniens se font tuer.
Ce qui m’a frappée c’est leur capacité à rester joyeux malgré tout. A célébrer des mariages, écouter de la musique, rire, chanter , jouer au foot.

4 Comment les Palestiniens résistent-ils face à la colonisation qui se poursuit ?
La résistance la plus visible est celle de la rue. J’ai pu assister à différentes manifestations. Certaines plus familiales, d’autres où il n’y avait que des jeunes hommes venus exprimer leur colère, leur frustration, leur envie de vivre libres .
Durant la période où j’étais à Hebron il y avait beaucoup de monde dans la rue. La raison principale était qu’ils voulaient récupérer les corps des jeunes martyres, gardés par l’occupation,afin de les enterrer dignement.
Il y a ceux qui choisissent de se sacrifier en martyr; en attaquant les colons au couteau ou à la voiture « bélier. »
Quelques que soient les positions de chacun, gloire est rendue aux martyr. Les funérailles sont un moment de rassemblement où tous les hommes de la ville viennent exprimer leurs condoléances , ils peuvent se retrouver parfois à des dizaines de milliers pour la salat « Janeza. »
Il y a une solidarité qui se met en place quand l’occupation vient détruire des maisons (souvent d’un prisonnier ou d’un martyr). Les plus courageux n’hésitent à s’y rassembler pour faire front. Souvent sans succès. Ils ont l’habitude de mettre en place des collectes publiques pour reconstruire ces maisons. Là-bas, il est impensable de laisser une famille à la rue.

Et puis, il y a un tas d’organisations qui luttent chacune à sa façon. Certaines pour défendre et accompagner les prisonniers et leurs familles, d’autres se battent pour le boycott des produits israéliens ; la plupart des familles que j’ai rencontrées, m’ont avoué qu’il était trop difficile de boycotter l’occupant, en raison du blocus, il n’y a pas vraiment d’autre choix.

Les études sont aussi une façon de résister. J’ ai rencontré des étudiants très assidus malgré les conditions.
D’ailleurs dans toutes les facs, ils se forment des groupes de résistants

5 Les Algériens sont dans leur grande majorité, sensibles au calvaire du peuple palestinien, pour des raisons historiques, et expriment régulièrement leur solidarité comme on l’a vu dernièrement dans les stades . Comment cette solidarité est-elle perçue ?

lls m’ont tous et toutes simplement dit qu’ils aimaient et respectaient beaucoup l’Algérie, les Algériens ! Que nous étions des frères.
L’Algérie, un million et demi de martyrs ! me disaient ils….
Les plus engagés qui aimaient parler politique m’ont exprimé toute leur reconnaissance car selon eux l’Algérie était le seul pays qui les soutenait réellement, politiquement.
On m’a également raconté que de nombreux jeunes étaient en contact avec des Algériens via les réseaux sociaux et qu’ils échangeaient sur « des techniques de résistance ».

6 Qu’est-ce que ce séjour t’a apporté ?
D’abord , ce voyage m’a amenée à me poser beaucoup de questions sur l’histoire de l’Algérie, celle de ma famille; je les ai beaucoup questionnés à mon retour, car ils ne m’en ont jamais vraiment trop parlé.
Je me sens encore plus proche des Palestiniens. Je suis plus déterminée que jamais à leur apporter tout mon soutien. Je me suis donné pour missions de renforcer les liens et de multiplier les actions pour leur témoigner de notre solidarité, car j’avais honte et mal au coeur, quand ils m’ exprimaient leur sentiment de solitude et de délaissement de la part des pays arabes et de la communauté musulmane.

Entretien réalisé par Keltoum Staali

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