Société

Femmes en Algérie: Combat et archaïsmes

Combat et archaïsmes
Par Malika Boussouf

En 1962, l’Etat estimait qu’il avait d’autres priorités à satisfaire. Le statut de la femme ne revêtant, selon les nouveaux dirigeants de l’Algérie indépendante, aucune espèce d’urgence, on se promettait de s’en occuper plus tard. Il y avait bien la charte de Tripoli dans laquelle le FLN s’engageait à “supprimer tous les freins à l’évolution de la femme et à son épanouissement”, mais cela ne semblait pas constituer pour l’époque une réelle priorité.
Bien que renvoyée à plus tard, l’idée d’asseoir juridiquement un code de la famille n’est pas pour autant enterrée et c’est alors que commencera la longue et pénible marche vers celui de juin 1984.
Plusieurs tentatives sont initiées au fil des années. L’analyse de ces dernières fait surtout apparaître une négation progressive des notions d’ijtihad”. Leurs auteurs semblent, en effet, ne pas avoir mesuré les évolutions de la société algérienne depuis plusieurs décennies.
Le premier essai infructueux du ministère de la Justice remonte au début de l’année 1964 avec la mise en place d’une commission chargée d’élaborer le nouveau code. Très vite émergent, en effet, des contradictions d’ordre idéologique entre conservateurs et partisans d’une égalité absolue entre hommes et femmes.
Le ton est donné par Mohamed Bedjaoui, ministre de la Justice. “La commission qui étudie le code de la famille ne saurait perdre de vue que l’islam est religion d’Etat”, affirme-t-il, illustrant ainsi l’ampleur des divergences. Elles sont telles que le projet tourne court. Il est “provisoirement” retiré.
La question revient sur le tapis deux ans plus tard, en février 1966, lorsque la presse annonce un séminaire de formation organisé par le même garde des Sceaux. Le 8 mars de la même année, le président Boumediene déclare que “le code qui est appelé à paraître est celui de la préservation du droit de la femme et de la famille algérienne”. Mais cette tentative est de nouveau archivée et Mr Bedjaoui en dément jusqu’à l’existence.
Le texte circule pourtant dans le pays puisqu’il est publié en 1967 par Fadéla M’rabet dans un ouvrage, Les Algériennes, qui fait grand bruit et perturbe un peu mais pas trop le pouvoir en place.
Il faut noter qu’à l’exception de la loi Khemisti de 1963 qui recule l’âge du mariage, l’avant-projet ne propose aucune solution de modernité.
Le ministère de la Justice organise en mai 1968 le colloque maghrébin sur “L’instabilité de la famille et le droit de l’enfant au Maghreb”. Une rencontre houleuse, troublée par un fort courant islamiste.
Fin 1969, une autre commission est installée et annoncée par le quotidien El Moudjahid. Là aussi, on en reste au discours et le silence retombe jusqu’en 1981.
Bien que “confidentiel”, l’avant-projet de loi circule. Il est de nouveau bloqué grâce, cette fois, à la mobilisation de militantes féministes et d’anciennes moudjahidate.
Le 9 juin 1984 est promulgué le code de la famille. “Tout en s’inspirant des transformations imprimées à certains concepts du fiqh, ce texte n’en reflète pas moins l’orientation archaïsante des auteurs de ce code. La plupart des propositions cantonnent les femmes et les familles dans un système juridique contredit par les courants laïcisants et les réalités sociales”, écrit, en 2002, Lucie Pruvost dans Femmes d’Algérie, société et citoyenneté, un ouvrage paru aux éditions Casbah.
La remarque principale que l’on fait alors est relative au lien que l’on établit systématiquement entre le code de la famille et la religion. Un débat s’instaure dans la presse faisant part de différentes opinions de lecteurs. Les interventions des islamistes deviennent, elles, de plus en plus violentes.
Statut des femmes et droit de la famille se retrouvent, ainsi, réduits, comme jamais auparavant, à une vision monolithique de l’islam et surtout de la société. On en arrive même à écrire que modernistes et conservateurs sont unis par “le Coran qui constitue l’instrument essentiel de l’élaboration de la loi, tout en différant au niveau des nuances et de la façon dont sont interprétés le Coran et la Sunna”.
Le code de la famille est voté par une Assemblée dominée par la tendance islamiste du FLN — les “barbefélènes” —, qui, dès que la matière s’y prête comme pour le mariage ou la succession, par exemple, reprennent mot à mot les formulations du Coran. Le texte y gagne une forme moyenâgeuse, en contradiction totale avec les options modernistes.
Un autre ministre de la Justice, Boualem Baki, déclare pour avaliser le texte rétrograde : “Le code est un choix gouverné par une morale socialiste qui respecte les valeurs arabo-islamiques du peuple algérien.” Nous sommes toujours en juin 1984.
L’équilibre entre modernité et respect des traditions n’est, en fait, nullement atteint et “la famille n’est pas sauvée de la crise dans laquelle elle est plongée”, affirme, en 1997, Omar Lardjane dans Identité collective et identité individuelle, un ouvrage publié lui aussi par Casbah éditions.
Commence alors le combat pour le changement puisque, dès sa mise en application, le code de la famille fait l’objet d’oppositions qui s’expriment sur plusieurs registres : articles de presse et interventions virulentes d’associations féministes surtout depuis 1989. Aussitôt s’élèvent des voix menaçantes, d’une rare violence, pour barrer la route aux revendications, affirmant que le seul objectif de ces “femmes occidentalisées” était “l’instauration d’une société où l’être humain reconnaîtrait difficilement ses racines et même son père” ! (en page trois du journal Al Chaâb du 7 janvier 1989 qui qualifiait, pour les besoins de la dérision, l’homme d’“Algérienne” et la femme d’“Algérien”).
Lors de la 4e Conférence mondiale sur la lutte pour l’égalité, le développement et la paix, tenue à Pékin du 1er au 15 septembre 1995, le rapport présenté par la délégation algérienne aborde l’ensemble des aspects concernant la situation de la femme.
Les associations présentes au “forum des ONG” profitent alors de la tribune qui leur est offerte pour dénoncer l’inégalité et la violence dont les femmes sont victimes. Le collectif Maghreb-Egalité présente alors cent mesures visant à parvenir enfin à l’égalité de l’homme et de la femme en droits et en devoirs devant la loi.
Cette revendication avait été consignée dans la déclaration finale de la conférence de Pékin. Cinq années plus tard, à la fin 2000, rien n’autorisait quiconque à dire que ladite revendication avait été entendue par le pouvoir politique.
En avril 1996 sont organisés des “ateliers pour la protection et la promotion de la famille”. Les participantes que sont les associations féministes, les femmes indépendantes et les représentantes de partis politiques à l’exception du Parti des travailleurs proposent 22 amendements au code de la famille. Le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, déclarait alors que ce texte n’était ni tabou ni sacré.
Aussi modérées que soient les propositions, elles sont, malgré tout, repoussées par le groupe interministériel mis en place en 1996. Le document est examiné en Conseil du gouvernement fin février 1997 mais il est très vite “oublié” en raison des voix islamistes qui contestent “les propositions d’amendements en contradiction avec les préceptes de la religion”.
Les recommandations de ce dernier, rendues publiques en février 1998, renforcent, par contre et on ne peut mieux, le code de 1984 dans ses options fondamentales.
Organisé en octobre 1999 à l’initiative du Haut-conseil islamique (HCI), un colloque sur les droits des femmes en islam relance, pour sa part, le débat dans le sens d’une réforme.
Du 11 au 13 octobre 1999, le HCI situe fort bien la problématique dans laquelle est enfermé le statut des femmes en Algérie. Les conclusions de ce colloque susciteront de grandes espérances. Le président du HCI, feu Abdelmadjid Méziane, homme de savoir et d’ouverture, leur donne l’appui moral et religieux dont elles ont besoin. Celles-ci sont regroupées dans trois titres : “Droits de la femme et de l’enfant”, “Pluralité d’épouses” et “Inconvénients de la répudiation”.
A l’instar du mouvement féminin, le colloque insiste sur la dimension politique d’une transformation du code de 1984 en raison de son lien avec la démocratie.
En réalité, aussi bien argumentées que sont les propositions et recommandations du HCI elles n’ont qu’une valeur consultative. Elles sont aussitôt violemment critiquées par les opposants à toute réforme du code de la famille. Peu après le colloque, des membres du HCI désavouent publiquement leur président dont ils dénoncent les “dérives verbales”. On reproche vivement à Abdelmadjid Meziane de prendre des initiatives “contraires à la parole de Dieu” !
Les choses restent en l’état jusqu’au colloque organisé du 8 au 10 mars 2000 à l’initiative de l’association Rachda de Khalida Toumi.
Le grand remue-ménage et la grande agitation qui avaient marqué la rencontre ont débouché sur un superbe fiasco résumé ainsi par Simone Veil invitée à cette rencontre que l’on annonçait comme sans précédent parce que clôturée par Abdelaziz Bouteflika : “Dieu que l’attente du président fut longue et Dieu que la déception fut grande !”
Bouteflika qui avait annoncé qu’il répondait à l’invitation en tant que “citoyen” déclarera quelques instants plus tard : “La nécessité d’établir un dialogue entre les diverses sensibilités du pays et le désir de ne pas susciter affrontements et violence et donc fitna et division appellent à tenir compte des spécificités propres à chaque société.”
En cinq années, Bouteflika est resté fidèle à lui-même, ignorant totalement les femmes et leurs droits avant de se raviser, à quelques jours de l’élection du 8 avril 2004, et de promettre de “révolutionner” le statut des femmes en installant une commission de révision du code de la famille dont les propositions ne pourraient même pas être examinées par la présente Assemblée. Les voix des féministes se sont tues ; certaines par intérêt, d’autres parce qu’elles sont encore une fois tombées dans le piège.
L’objet de cette chronique n’était pas destiné à commenter le combat mené en Algérie par les femmes parce que celui-ci continue à être exemplaire et parce que les femmes qui militent pour leur émancipation et celle de leurs filles ont raison d’y croire dur comme fer. Ces quelques lignes se voulaient, un bref témoignage sur toutes les étapes qu’elles ont traversées. Il ne faut pas douter qu’un jour le soleil brillera même pour celles qui continuent de croire qu’elles sont à l’abri.
M. B.

[bleu marine]C’est une chronique que Le Soir d’Algérie avait publié il y a quelques années . Elle est plus que jamais d’actualité[/bleu marine] .

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