Société

Grèves des étudiants de l’université de Boumerdès Quels enseignements en tirer?

Grèves des étudiants de l’université de Boumerdès
Quels enseignements en tirer?


Ce n’est pas la première fois que les étudiants de l’université de Boumerdès ont recours à la grève pour poser leurs problèmes. Mais, ce qui nous interpelle, aujourd’hui,c’est le type d’organisation et le caractère récurrent de ces grèves qui rompent avec les mouvements de revendications classiques. Les étudiants protestataires n’organisent ni assemblée générale et ne rédigent pas de plate forme de revendications. Ils commencent d’abord par fermer les accès aux facultés empêchant tous les autresétudiants de regagner leurs cours fusse-t-il par la force. La situation de blocage entraîne l’administration à engager des discussions avec les étudiants grévistes pour trouver des solutions à leurs problèmes. L’issue du conflit résulte du rapport de force qui se met en place. Les étudiants maintiennent leur mobilisation « par la force » enoccultant l’avis de la majorité de leur camarades et l’administration ne cède que diffi-cilement pour ne pas se remettre en cause et surtout pour ne pas satisfaire facilement des revendications à la limite du raisonnable.

Citons trois cas de protestations d’étudiants pour mieux illustrer ce nouveau typede revendications et aussi pour appréhender les mécanismes qui minent la gestion de l’université et l’empêche de poser les problèmes de la qualité dans les formationsassurées et le rôle de l’université dans la société.

1) Le système d’évaluation du LMD offre la possibilité aux étudiants de passer à l’année supérieure avec des dettes (des modules à refaire et à acquérir). Souvent, certains étudiants arrivent à la fin de leur cycle sans avoir épongé leurs dettes. Ceci est une source de conflits dont la gestion n’est toujours pas aisée au regard du manque de suivi réel des ces étudiants en état d’échec. L’administration ne prend pas en compte sérieusement ce problème et n’anticipe pas ses conséquences sur le déroulement de l’activité pédagogique. Les étudiants dans cette situation sont dans l’impasse ne trouvent que le recours au blocage de la faculté pour faire entendre leurs doléances, c’est à dire éponger leurs dettes. D’âpres discussions s’engagent alors, pour finalement trouver des solutions « peu réglementaires » mais qui permettent le déblocage et la reprise des cours. C’est l’essentiel aux yeux des gestionnaires. Mais, avec le temps cette manière de solutionner le problème devient la règle aux yeux des étudiants.

2) Les étudiants n’ayant pas obtenu les notes requises pour leur passage en année supérieure demandent d’être rachetés. Là encore le conflit éclate, le déroulement des cours est paralysé par les étudiants en échec de la même manière en fermant les accès de la facultés à leurs camarades. Des tractions administrations enseignants concernés et étudiants s’engagent. Chaque partie défend sa manière de voir le problème. Parfois des solutions sont rapidement trouvées mais souvent les négociations prennent des semaines avant d’aboutir à des concessions de part et d’autres.

3) Le passage du premier cycle au second cycle (passage Licence Master) est en principe réglementé. Les étudiants, on peut les comprendre, devant l’absence de débouchés pour les licenciés exigent le passage au master sans conditions. Il faut encore beaucoup de temps aux gestionnaires de l’université pour comprendre que les étudiants sont déterminés à aller jusqu’au bout. Encore une fois les revendications des étudiants sont satisfaites et les cours reprennent après plusieurs jours de grève. On peut observer que les conflits de ce type mettent essentiellement en jeu des rapports de force fondamentalement violents entre les protagonistes. D’une part les étudiants croyant en la justesse de leurs revendications mobilisent tous les moyens pour imposer leurs solutions. Leur seul langage devient le recours systématique à la fermeture des accès de l’université aux autres étudiants. Ce qui est une forme violence. D’un autre côté l’administration brandit « l’arme de la réglementation » pour menacer les grévistes de sanctions si le conflit perdure. Ce « marchandage » d’un côté comme de l’autre finit par marquer les esprits pour longtemps. Il donne aussi à ces formes de revendications une certaine légitimité rarement démentie par la réalité. Le plus dramatique, le succès de ces formes de luttes rend inutile aux yeux de l’ensemble des étudiants les formes d’organisation démocratique comme les associations ou les syndicats.

Qu’en pensent les enseignants de toute cette situation et de ces conflits cycliques ? Il n’existe pas en réalité, jusqu’à ces derniers temps, une position partagée et concertée des enseignants sur ces problèmes qui secouent l’université. Le constat d’échec de la gestion du temps pédagogique est fait unanimement mais, la question : que faire devant une telle situation où il semble que les étudiants grévistes obtiennent toujours gain de cause, reste la question centrale qui anime les discussions dans les rares assemblées générales organisées à l’occasion. Souvent la solution qui se dégage des débat des enseignants pour les uns obliger l’administration de faire appel aux forces de l’ordre pour d’autres d’obliger les étudiants à céder en agitant l’épouvantail du semestre à blanc. Une sorte de « marchandage » et c’est aussi une forme de violence. Les étudiants non grévistes pris ainsi en otage entre leurs camardes grévistes et les enseignants ne savent plus où donner de la tête. Ils sont traumatisés.


Cette « marchandisation » des rapports entre les principaux acteurs de l’université algérienne n’est, en réalité, que le reflet de la crise que traverse la société depuis quelques décennies. C’est aussi la conséquence des mutations profondes sociales et économiques qui affectent notre société. Le système rentier mis en place fonctionnant sous la houlette du capitalisme international, a modifié complètement les rapports sociaux. Les universités, dans un système rentier dans une société non industrielle et donc non productive, n’ont objectivement aucun rôle dans la société. Le savoir et la maîtrise technologique ne constituent pas une richesse en eux même si la société n’en tire pas un profit. Les seules fonctions des universités deviennent, alors, leurs contributions au maintien et la reproduction du système qui se traduisent sur le terrain par la gestion des flux et à éviter les perturbations. Ceci expliquera le choix par le pouvoir des gestionnaires qui auront pour mission d’appliquer cette vision et remplir ces nouvelles missions à l’université. Cette gestion n’a pu s’imposer qu’en étouffant l’expression des mouvements de protestation démocratiques. Une telle gestion, dont les plus concernés ne sont pas parties prenantes a eu pour conséquences :

– Les problèmes des dettes en fin de cycle de certains étudiants. Absence totale de prise en charge des étudiants en fin de cycle mais qui ont encore des modules non acquis. Un suivi administratif et aussi pédagogique aurait pu être mis en place pour éviter à ces étudiants la situation difficile dans laquelle ils se trouvent. Au contraire l’étudiant est abandonné à son sort et n’intéresse les gestionnaires que lorsque il devient le sujet du conflit.

– Les problèmes liés au système d’évaluation comme le passage avec
un rattrapage. Le laxisme de l’administration à appliquer la réglementation a complètement dénaturé les objectifs de l’évaluation pédagogique. La gestion des flux, pour le maintien du système, exige un taux de réussite conséquent. Mais dans la réalité le taux d’échec est plus important que prévu et devient un sérieux problème. La nécessité de revoir, par les gestionnaires, les règles de passage des étudiants s’impose et entraine la série de conflits enseignants-administration-étudiants. Avec le temps, les solutions à ces antagonismes avaient fini par faire perdre au système d’évaluation toute sa signification. Gestion chaotique des résultats des étudiants par les services administratifs, gonflement des notes des étudiants par certains enseignants, développement de l’esprit de « marchandage » des notes chez les étudiants avec certains enseignants, généralisation de la fraude aux examens sans graves sanctions de ses auteurs, ce sont là quelques tares de ce système qui caractérisent la situation de l’université aujourd’hui.

– Le passage de la licence au Master. C’est un problème qui devrait être discuté à l’échelle nationale. L’introduction du LMD en Algérie avait parmi ses objectifs l’inversion de la pyramide des diplômés. A moyen terme l’université devrait former plus de licenciés que de titulaires d’un Master. C’est pour des raisons évidentes d’économie du budget pour la formation supérieure et aussi inonder le marché de travail avec des titulaires de Bac+3. Ce calcul s’est avéré erroné. Les étudiants, confronté à la dure réalité du marché du travail, ont très vite compris que les titulaires de licences étaient des chômeurs en puissance. C’est aussi d’ailleurs le cas pour les diplômés Master, mais faute de trouver un emploi, il vaut mieux pousser le plus loin possible ses études.

Dans un pays, sans un système économique productif basé sur le travail qui peut seul faire émerger les compétences, le système de sélection perd tout son sens. En conséquence ceci se traduira par une sous utilisation des diplômés comme on le constate aujourd’hui à tous les niveaux. Souvent les postes de travail n’exigent pas des compétences spécifiques liés au diplômes leur donnant accès. Cet état des choses fait naitre chez les plus médiocres ou les moins diplômés les plus grandes ambitions qui se traduisent par la question « pourquoi pas moi ?. »
Le « passage de Licence au Master » n’est pas un problème simple. Il pose en réalité une question fondamentale : Quel type de société nous voulons construire dans notre pays ? Une société démocratique dont la richesse principale serait le travail ou une société qui vit de la rente et dont l’avenir est incertain ?

Les étudiants comme les enseignants doivent admettre que l’absence de cadres démocratiques pour débattre des problèmes de l’université est un vrai handicap. la situation de l’université découle aussi de certains choix économiques et politiques. C’est une nécessité d’en débattre démocratiquement pour garantir une université performante à la hauteur de leurs aspirations.


Pour Raina
Mohamed Mezghiche

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