Histoire

Hommage à Henri Alleg Par Saïd Ould-Khelifa

C’était un soir de décembre du début des années 90, sur le plateau «d’Ombres Blanches », un homme au sourire généreux et au regard fraternel débarque. Visite de cour-toisie. Le grand Rouiched est là, il vient de terminer une prise. On pose tous les trois. Photo souvenir. Elle fera la Une d’«Alger Républicain », du lendemain. Rouiched, en est tout retourné. Il regrette de n’avoir pas été «plus bavard comme de coutume». « Ya mhaïnek , tu ne m’a pas prévenu de l’arri-vée de ce grand monsieur, j’ai été pris de court ! ». En vérité Rouiched était tout sim-plement ému, de parler avec Abdelhamid Benzine, le patron du légendaire quotidien progressiste. Ils causèrent de …cyclisme ce soir-là. Mais en se quittant, Rouiched, osa une demande « Si Hamid, la prochaine fois, ramenez-nous Henri Alleg… le moudja-hid.». Pour toute réponse, Benzine l’em-brassa avec un sourire tout aussi chargé d’émotion. Par la suite, Rouiched revint sur
cette visite pour redire son admiration pour ces hommes de conviction et de cou-rage : « On a reçu le ministre de la Culture… Benzine,avec la venue prochaine de Alleg, ce sera comme si le président de la République débarquait ici ». J’ai souvent pensé à cet hommage rouichedien, chaque fois que j’ai rencontré Alleg. Mais, je n’ai jamais pu lui rapporter cette anecdote. Lui qui aimait les blagues, aurait sans doute apprécié. Mais était-ce vraiment un trait d’humour ? Deux semaines plus tard, invité par Mohamed Khadda à partager le repas de fin d’année, auquel prenait part sa fidèle compagne (de route aussi), Nadjet, ainsi que Alloula et Lucette Hadj Ali, je confiais mon histoire au grand peintre, qui se faisait une joie à l’idée de jouer un petit rôle dans ce premier film avec Rouiched et Momo, (mais la maladie, fulgurante, qui se déclara par la suite, en décida, hélas, autrement). «Rouiched, n’a fait que refléter un senti-ment de respect et de reconnaissance, assez présent chez notre peuple, à l’égard de ceux, qui, comme Henri Alleg, ont fait leur choix de devenir algérien, en risquant leur vie ». Henri et son alter-égo Gilberte (native de Mostaganem), resteront donc, à jamais le symbole de cette «race » de Justes qui ont fait leur, le combat des milliers d’Algériens, vivant depuis 1830, sous le joug d’un véritable apartheid. Israélites tous les deux, ils ont veillé, pour autant, tout comme Maurice Laban, Daniel Timsit, à ne pas faire de leur judéité d’origine, le socle de leur action. Henri, ne manquera pas de le redire à sa façon, lorsqu’il fit part, avec Boualem Khalfa (un autre grand patriote), de son désaccord avec l’approche confessionnelle, mise en avant par Jean Pierre Lledo dans son très intéressant documentaire, par ailleurs, « Un rêve algé-rien » (2003) : « Ce sont nos sentiments, anticolonialistes et notre rejet de toute forme d’injustice, qui nous ont réunis.
Nous n’avions pas une démarche oeucumé-nique mais militante et progressiste », confieront Henri Alleg, Boualem Khalfa, sous l’œil approbateur de l’enfant de Ténès, Jean-Pierre Saïd. Me prenant à l’écart, Jean-Pierre Saïd, un autre ancien d’Alger
Républicain, fera part, lui aussi, de sa dés-approbation face à l’approche du réalisa-teur : « C’est ce genre de clivage, qui pousse certains à faire preuve d’amnésie, comme ceux qui ont débaptisé la rue Pierre Ghanassia à Ténès, un cousin mort au champ d’honneur, pour la nommer, rue Al Qods ! ». Cette basse besogne, diablement-démagogique, fut celle d’une APC fraîche-ment élue, en 1990… « L’une des figures les plus attachantes était celle de notre infir-mier zonal, Hadj. Nous l’appelions ainsi, mais son vrai nom était Ghenassia. Il était israélite et parlait très bien l’arabe. Pour tous ceux qui tiennent comme un fait établi le prétendu antagonisme de nos origines religieuses, je voudrais qu’on le sache : Hadj est mort, refusant d’abandonner ses bles-sés.» Ces lignes ont été écrites par le Commandant Azzedine, dans « On nous appelait fellaghas » (1976). Sans commen-taire. Sauf que la disparition du moudja-hid Henri Alleg, est une occasion, de bous-culer cette amnésie quasi « mongolienne », celle qui ne nous mettrait pas à l’abri de l’ingratitude qui sclérose les peuples. Et malheureusement l’absence totale de réac-tion officielle, ne parlons pas de celle des partis politiques ou des associations, laisse peu de place à un hypothétique sursaut, celui que le « nif » aurait,en d’autres temps, dicté sans hésitation aucune. L’honneur de l’Algérie libérée se trouvait aussi dans cette terrible « Question » posée dès 1957, de la prison Barberousse et entre deux séances de torture, par Henri Alleg à ses tortionnai-res et au reste du monde. Alleg avait aussi mis à nu cette pratique médiévale et néan-moins barbare que les Bigeard, Massu,
Ausaresses et leurs hommes de mains avaient érigée en méthode de «défense du monde civilisé » (sic).
Nous devions, nous revoir, avec Henri Alleg, pour poursuivre un travail autour d’un projet de long-métrage «La Robe jaune » qui relaterait les derniers jours de son compagnon de lutte, Maurice Audin mais aussi les conditions de son arresta-tion, dans la souricière que lui avait tendue les paras de Massu, au domicile de Josette et Maurice Audin, le 12 juin 1957, à Alger.
Mais, en ce 17 juillet 2013, tout n’est pas perdu, la rue, bruissait ; la disparition à 92 ans, a laissé muet, plus d’un. Et à bas bruit les choses essentielles étaient dites. Yacine C. : « C’est un grand homme que ses pas ont volontairement conduit vers l’Algérie. Ce n’est pas un « ami de l’Algérie », c’est un Algérien, de nationalité, celle obtenue, non pas au nom du droit du sol, mais par le sang resté sur les mains de ces tortionnai-res», et Nadia A. de confier à son tour : « Je perds un 2ème père, spirituel celui-là. Le premier biologique, Ali, était compagnon d’Henri ainsi que ma mère Louiza! Une famille de convictions fortes et fécondes. C’est la perte d’un être que j’ai toujours senti proche, si humain, et quand j’y pense, je repense aussi à mes parents, à tous, aux compagnons, espagnols, algériens, fran-çais…Je garde au fond de moi un sentiment de grande fraternité à laquelle je crois, comme « un fil rouge » à travers le monde.Et là, je souris. ».
Merci, Henri, d’avoir montré la voie, avec toi, je fais mienne cette phrase de René Char : « L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de repère ». Gloire au moudjahid que tu fus et paix et fraternité à tous tes compagnons tombés au champ d’honneur ou encore en vie. Grâce à vous, on continuera de croire en l’Humain.
Merci. à des mots-fenêtres.
S.O.K.

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