Société

Il crée son parti dans le maquis: Le pouvoir autorise-t-il Mezrag à revenir dans le jeu politique ?

Qui l’aurait cru : l’ancien chef terroriste lance son parti politique ! Après l’accord secret signé entre deux généraux-majors de l’armée et l’organisation terroriste Armée islamique du salut, en juin 1997 dans le maquis de Jijel, le pouvoir est en passe de concrétiser son pacte avec le «diable».


Qui l’aurait cru : l’ancien chef terroriste lance son parti politique ! Après l’accord secret signé entre deux généraux-majors de l’armée et l’organisation terroriste Armée islamique du salut, en juin 1997 dans le maquis de Jijel, le pouvoir est en passe de concrétiser son pacte avec le «diable».

Amnistié par le président Bouteflika puis réhabilité politiquement par Ouyahia qui l’a invité à la Présidence pour donner son avis sur la révision de la Constitution, Madani Mezrag, devenu un allié «stratégique» pour le régime, passe à l’étape supérieure.
Après la tenue de son «camping d’été» dans un maquis de Mostaganem au début du mois, voilà qu’il annonce la création d’un parti politique à partir de son maquis historique, Kaous, dans la wilaya de Jijel : le «front algérien pour la réconciliation et le salut».
Jouant sur les failles d’un système menacé de toutes parts, mais surtout jouissant d’un soutien tacite ou implicite d’une partie du pouvoir, l’ancien chef terroriste a «réussi» l’improbable, voire l’incroyable. Au bout de vingt ans, il passe du statut de chef terroriste dont l’objectif est de faire disparaître l’Etat à celui de «leader politique» courtisé y compris par les plus éradicateurs du système.
S’appuyant sur un arrangement secret – conclu dans le dos du président de l’époque Liamine Zeroual – entre son organisation et des chefs de l’armée, l’ancien bras armé du FIS dissous affirme, à chacune des sortie médiatique, que l’accord de juin de 1997 lui permett de «jouir de ses droits civiques et d’exercer la politique».
Jamais une autorité politique ou militaire officielle n’est venu lui apporter la contradiction et démentir ses affirmations. Le silence aussi embarrassant que troublant des autorités du pays ne fait qu’encourager l’ancien chef terroriste dans son entreprise, qui ne manque pas de choquer l’opinion publique et, particulièrement, les victimes du terrorisme.
Un silence complice ? Dans leur stratégie de lutte contre le terrorisme, certains chefs de l’armée – dont le patron du contre-espionnage, Smain Lamari, un des signataires de l’accord avec l’AIS – ont cru bon de négocier une trêve. Madani Mezrag a su comment transformer la capitulation de son organisation en une stratégie de retour dans la vie politique.
Glissant entre les contradictions du système au moment où Abdelaziz Bouteflika s’employait à asseoir sa légitimité dans une «guerre d’usure» contre des chefs militaires, s’est rallié le soutien des islamistes et des chefs terroristes graciés.
Surfant sur la vague et sur les périlleuses ambiguïtés du système, l’ancien émir de Texenna apporte son «total soutien» à la démarche présidentielle en appuyant le deuxième mandat de Bouteflika, puis la charte pour la paix et la réconciliation nationale qui absout définitivement de leurs crimes les terroristes trompeusement repentis.

Nouvelles alliances

Activement impliqué dans la défense de la charte de Bouteflika, Madani Mezrag signe définitivement sa rupture avec les historiques du FIS dissous, mais déclare dans le même temps la «guerre aux éradicateurs à l’intérieur du régime». Par le truchement sordide d’un pouvoir en quête de nouvelles alliances et au gré des rapports de forces dans et à l’extérieur du système, Madani Mezrag et ses compagnons opèrent graduellement un retour à la vie politique.
C’est le fait accompli. Ils s’engouffrent dans chaque espace abandonné par le pouvoir, qui menait la vie difficile aux opposants de la mouvance démocratique qui étaient fortement mobilisés dans la lutte contre le terrorisme.
Etrange retournement de situation… Si l’article 26 de la charte pour la réconciliation prévoit que «l’exercice de l’activité politique est interdit, sous quelque forme que ce soit, pour toute personne responsable de l’instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale», le chef de l’Etat laisse la «porte ouverte» pour rendre caduc cet article.
Car dans l’article 47 de la loi en question, il est dit qu’«en vertu du mandat qui lui est conféré par le référendum du 29 septembre 2005 et conformément aux pouvoirs qui lui sont dévolus par la Constitution, le président de la République peut, à tout moment, prendre toutes autres mesures requises pour la mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale».
Se dirige-t-on alors vers l’introduction d’une autre disposition pour officialiser le retour d’anciens terroristes dans le jeu en vue d’une nouvelle reconfiguration politique ? La bataille de la succession semble autoriser toutes les manœuvres. Le rôle attribué en tout cas à Madani Mezrag, qui organise ses troupes, participe-t-il à ce théâtre d’ombres ?
«Elevé» au rang de personnalité nationale invitée solennellement à la Présidence, toléré à tenir son «camping d’été» au nom même de l’AIS, puis un «congrès» dans un maquis annonçant la création d’un parti politique, l’ancien chef terroriste «reconverti» est devenu un partenaire politique de choix pour le pouvoir, ou du moins pour une partie du pouvoir. A moins que l’ancien chef de l’AIS soit utilisé comme «carte» dans la lutte clanique au sein du sérail en vue d’une succession problématique.
Dans les deux cas, il apparaît que les tenants du pouvoir, en ces temps troubles, s’affairent à redéfinir leur pacte, qui serait aux dépens des anciens alliés (islamistes et républicains). Mais surtout contre toutes les victimes du terrorisme. Suprême insulte à leur mémoire. Une abdication. Une faute politique et morale qui ne sera pas sans conséquences.

Hacen Ouali, El Watan

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