Société

L’agresseur d’un non-jeûneur enfin puni

Une vue de la capitale des Hammaditesunnamed_2_-6.jpg
L’évolution qu’a connue cette question, cette année, est un prélude à une véritable prise de conscience quant à la réalité religieuse en Algérie.

L’agent de la Protection civile de Béjaïa, qui s’est rendu coupable d’une interpellation et d’une menace à l’endroit d’un non-jeûneur, la semaine dernière, sur la plage de Boulimat, sur la côte ouest de Béjaïa, a été suspendu de ses fonctions par sa direction. Il devrait passer prochainement en conseil de discipline. La victime, avocat de son état, attend toujours la réaction de la justice saisie dans cette même affaire. C’est la première fois qu’une institution de la République prend des mesures coercitives dans ce genre de conflit. Même si ce qui a été décidé par la direction de la Protection civile relève du règlement intérieur de l’institution dans le sens où l’agent en question n’avait pas à s’ingérer dans des situations qui ne relèvent pas de ses prérogatives, il n’en demeure pas moins que cette prompte réaction n’aurait pas pu se produire, il n’y a pas si longtemps. C’est la première fois qu’une institution de la République réagit à une action contre un non-jeûneur. Une première, sachant que c’est la troisième année de suite que des citoyens algériens posent sur la voie publique l’épineuse question de la liberté de conscience. Et à chaque fois, ils sont malmenés par d’autres citoyens, d’obédience salafiste, sous les yeux d’agents de l’ordre public, lorsque ce ne sont pas eux-mêmes qui interviennent pour les arrêter et les présenter devant les procureurs. Si au début, toutes les actions des non-jeûneurs et leurs soutiens dans les milieux politiques et associatifs, ont été sévèrement critiquées, la situation a, en revanche, pris une tournure plus positive, notamment cette année, pour se singulariser par des mesures restrictives contre les personnes qui s’attaquent aux non-jeûneurs. En 2014, des non-jeûneurs ont failli être lynchés sur l’esplanade de la Maison de la culture de Béjaïa pour avoir osé manger en public. A l’époque, aucune institution n’est intervenue, ni pour les sauver des mains de leurs bourreaux, ni pour prendre des mesures contre les agresseurs. Le combat pour la liberté de conscience, pourtant garanti par la Constitution, a pris une autre tournure depuis l’année 2013, lorsqu’à Tizi Ouzou, des citoyens décident de braver l’interdit en dé-jeûnant sur la voie publique en plein mois de Ramadhan. Le même jour, à Aokas, sur la côte Ouest de Béjaia, un groupe de jeunes a entrepris une opération similaire dans les rues de cette station balnéaire. Durant le Ramadhan 2014, l’action des «dé-jeûneurs» s’est élargie à d’autres communes de la Kabylie. A Tizi Ouzou, à Aokas, à Akbou (wilaya de Béjaïa) et dans la ville de Béjaïa, des sit-in ont été organisés, à midi, sur la voie publique. Cette année, des citoyens d’Oran se sont impliqués en manifestant en compagnie de leurs enfants des slogans qui revendiquent le droit au non-jeûne. A Akbou, une cafétéria, ouverte en pleine journée, a fait l’objet d’une «descente policière», vite démentie par la Dgsn. En 2013, l’action des dé-jeûneurs de Tizi Ouzou a été interprétée comme un acte de souillure et une tentative de porter atteinte à la religion musulmane.
Les initiateurs avaient été accablés de reproches et perçus comme des mécréants, des semeurs de troubles, des perturbateurs, incitant à la fitna (anomie ou désordre social). En réaction, Ali Belhadj, l’ex-dirigeant de l’ex-Front islamique du salut (FIS), accompagné de religieux, s’est permis une prière publique sur le lieu du rassemblement afin de le purifier. En 2014, on est passé à la répression physique à Béjaïa. Les non-jeûneurs sur l’esplanade de la Maison de la culture de Béjaïa ont été violemment agressés et chassés des lieux manu militari. Le soir même, des salafistes ont, à leur tour, occupé l’esplanade de la Maison de la culture et rompu le jeûne, avant de procéder, comme à Tizi Ozou, à la purification du lieu. Profitant de l’occasion et du laxisme de l’Etat, ils iront jusqu’à suspendre une activité culturelle qui s’y déroulait chaque soir. A Oran, la police a procédé à l’arrestation d’un groupe de non-jeûneurs. Le combat pour la liberté de conscience et de religion est particulièrement mis en avant ces dernières années en raison du flou, voire de la contradiction existant dans les textes de loi. Si la Constitution stipule dans sont article 2 que l’islam est la religion de l’Etat, ce même texte garantit la liberté de culte et de conscience, dans l’article 36 qui met l’accent sur «l’inviolabilité» de la liberté de conscience et de la liberté d’opinion. L’article 32 va jusqu’à garantir «les libertés fondamentales et les droits de l’homme et du citoyen». Cette liberté de pratiquer une autre religion que l’islam reste limitée et devient caduque dès qu’elle porte atteinte à l’ordre public et à la moralité. Elle est même sanctionnée par des peines d’emprisonnement. L’évolution qu’a connue cette question, cette année, est-elle un prélude à une véritable prise de conscience quant à la réalité religieuse en Algérie? S’achemine-t-on vers l’acceptation de l’Autre avec ses différences, quand bien même religieuses? Dans tous les cas de figure, l’Algérie gagnera beaucoup en faisant respecter les lois de la République. La cohabitation est possible pour peu que chacun y mette du sien. Un défi majeur que les Algériens dans leur ensemble doivent relever pour vivre en paix et prospérer dans les meilleures conditions.
Par Arezki SLIMANI – 13 Juillet 2015 l’expression

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