Société

Le courage au temps du choléra

telechargement_2_-3.jpgLe courage au temps du choléra

Par Selim M’SILI – Jeudi 10 Juillet 2014

«Le vrai courage ne se laisse jamais abattre.» Fénelon
Un parti unique, quand il cesse d’être révolutionnaire, peut s’avérer une malédiction. Dans tous les régimes issus de révolutions violentes ou de guerres de libération, s’installe inéluctablement une administration pléthorique et parasitaire qui s’ingéniera à détourner, d’abord les fruits de la classe laborieuse et ensuite, les buts que s’était tracé cette flamboyante révolution. Pour se maintenir au pouvoir, la classe parasitaire qui deviendra bientôt rentière, emploie tous les moyens: répression féroce des contestataires ou des libres-penseurs qui refusent de passer sous les fourches caudines de la pensée unique et recrutement d’une clientèle obéissante et corvéable à merci. Il va sans dire que les hypocrites qui pleurent à chaque coin de journal ou au détour de bilans peu flatteurs l’inexorable fuite des cerveaux qui anémie le pays chaque jour un peu plus, oublient de situer les causes profondes de cet incommensurable gaspillage d’énergie. Le parti unique élève les gens de peu d’envergure qui embrassent la main qui les nourrit grassement et bannit dans l’anonymat le plus complet ceux qui crachent dans le bouillon qu’on leur sert et refusent de participer à la farce tragique qui se joue par-dessus leur tête. Cela est valable surtout chez les intellectuels qui maîtrisent les concepts et peuvent fixer des prospectives sur l’impasse ou mènent immanquablement ceux qui tournent le dos aux valeurs humanistes des révolutions. C’est dans cette douloureuse situation de marginalisation qu’on peut évaluer le patriotisme et la combativité des victimes de l’ostracisme idéologique. Certains choisissent volontairement l’exil pour pouvoir s’exprimer et mener leurs recherches dans des conditions de confort matériel et spirituel, d’autres, par contre, choisissent de rester au pays et de continuer leur travail en s’arc-boutant et en s’accrochant pour ne pas être emportés par le fleuve détourné. C’est le cas du professeur Benhassine, éminent spécialiste des questions économiques et enseignant à l’Université d’Alger, qui vient de disparaître à la veille du Ramadhan dans un silence étonnant, de la part des services où il a oeuvré toute une vie durant ou de certains de ses collègues, généralement plus disposés à noircir des pages de journaux sur des sujets plus valorisants. Heureusement qu’il y a toujours quelque part, dans un petit coin d’une bibliothèque désertée, un survivant des tempêtes passées pour nous rappeler le grand homme que fut Lakhdar Benhassine. Je ne pourrais rien ajouter au panégyrique qu’a fait M.Mahi dans un quotidien national, mettant en relief, les talents multiples de ce travailleur acharné qui, non seulement était polyglotte, mais aussi s’intéressait à tout ce qui avait trait à la science au service du progrès et de la justice sociale, son universalisme qui le poussa aussi bien vers les oeuvres de Karl Marx que vers celles de Ibn Khaldoun, son extrême humilité malgré l’étendue de son savoir, sa fidélité et sa constance à ses engagements de jeunesse, ses qualités humaines qui le rendaient toujours disponible au service des plus humbles et des justes causes. Je ne pourrais, hélas, donner un avis, moi qui suis étranger au travail universitaire, sur toutes les tâches dont il s’est honorablement acquitté depuis son engagement à l’Ugema, En RDA jusqu’à son poste d’enseignant à l’Université d’Alger où il s’intéressa et enseigna avec la rigueur qu’on lui connaissait en ne négligeant aucun aspect des réalités économiques, culturelles et sociales de son pays. Son patriotisme lui conférait un courage et une fermeté étonnants. Moi qui ne le connaissait pas, j’ai longtemps remarqué sa longue silhouette enveloppée dans un trois-quarts, ses lunettes et son front dégarni qui lui donnaient un air d’intellectuel. Je l’avais souvent rencontré aux réunions du RAIS, mouvement initié par des artistes, des intellectuels et des scientifiques pour résister au fameux article 120 du FLN qui priva de parole une bonne partie de l’intelligentsia nationale. L’anecdote qui me rapprocha de lui fut la démarche commune que nous effectuâmes auprès de la Dgsn pour demander la libération d’un jeune réalisateur de la RTA qui avait été arrêté pour avoir passé un tract du Pags à un collègue de travail. Une semaine de sévices corporels avait suvi cette arrestation. C’était au moment où le gouvernement procédait aux restructurations criminelles des entreprises publiques qui induisaient une chasse aux sorcières dans les rangs de la gauche. M.Lekhdiri qui occupait ce poste reçut avec courtoisie les deux militants de l’Union des arts audiovisuels et les deux professeurs d’université. Le directeur de la Sûreté essaya vainement d’afficher son opposition à toute forme de torture en proclamant qu’il avait été lui-même durement molesté par les hommes du pouvoir de 1962… Il se heurta et perdit sa contenance devant la fermeté du Pr Belhassine qui, non seulement refusa de serrer la main du Dgsn, mais menaça de porter l’affaire devant les organisations internationales. C’était tout cela le professeur Benhassine

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