Politique

« Le Maroc a besoin de créer des crises externes, pour gérer ses crises internes »

Le journaliste sahraoui Malainin Lakhal 13277940_221703268216109_406959379_n.png
telechargement-20.jpg

Malainin Lakhal est un journaliste sahraoui, qui milite pour les droits de l’homme. Déjà étudiant, il a commencé sa lutte pour les droits de son peuple, à la fin des années 1980, dans le territoire du Sahara occidental sous occupation marocaine. Malainin a été victime de disparition forcée, en 1992, et jusqu’à l’an 2000, il a fait l’objet de plusieurs arrestations et intimidations. Il a décidé de fuir une nouvelle arrestation et a donc rejoint les campements de réfugiés de Tindouf, où il continue sa lutte comme activiste de la société civile sahraouie.


Raïna : Les 10 mai dernier, les Sahraouis ont célébré le 43è anniversaire de la création du Front Polisario. Dans quel contexte s’est déroulée la commémoration ?


Malainin Lakhal : La commémoration s’est déroulée dans un contexte politique très tendu, en raison notamment du non-règlement du conflit, qui dure depuis plus de 40 ans maintenant : 43 ans après la constitution du Front de libération nationale POLISARIO. Tout récemment, le Maroc a publiquement fait savoir à la communauté internationale qu’il refuse de collaborer avec l’ONU, avec son Secrétaire général et l’envoyé personnel pour le Sahara occidental, qui ont tout tenté pour trouver une solution politique, mais en vain. La France soutient Rabat de façon inconditionnelle dans cette aventure coloniale, au détriment des droits les plus fondamentaux du peuple sahraoui et dans un mépris total de ses prétendues valeurs de liberté, de droits de l’homme et de démocratie. L’ONU, pour sa part, reste incapable d’avancer sur la voie du règlement, à cause justement du veto non-déclaré mais exercé de la France à toute solution ou à toute idée de solution pacifique… A croire que Paris veut pousser délibérément les Sahraouis, surtout, vers le retour à la guerre.


Comment se présente la situation sur le plan diplomatique ?


Du coté diplomatique, la cause sahraouie a au contraire réussi plusieurs percées de taille. Par exemple, je cite les nombreuses motions ou résolutions de plusieurs parlements européens et latino-américains en faveur de la reconnaissance de la RASD. C’est le cas des parlements de Suède, du Danemark, du Chili, du Brésil, sans oublier les partis politiques dans plusieurs pays qui demandent la même chose.

En Afrique, le Maroc peine à trouver du soutien, hors du cercle francophone, qui n’a pas de voix ni de crédibilité au sein de l’Union africaine : l’UA reste ferme dans son soutien à l’indépendance totale de la RASD. Tout le monde sait, surtout en Afrique, que le Maroc use de moyens pour le moins non-intègres, afin de s’acheter des positions politiques de court terme, qui ne servent à rien, sinon à semer la confusion au sein de l’opinion publique.

Cette année a aussi enregistré une victoire pour la RASD, à savoir la confirmation de son adhésion comme membre de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA). Maintenant, le Royaume du Maroc siège comme membre à côté du Front Polisario qui représente le territoire non autonome du Sahara Occidental. Alors, que va faire Rabat ? Est-ce qu’il va rester dans cette Commission et reconnaitre de facto qu’il n’a pas de souveraineté sur le Sahara Occidental et qu’il y a bel et bien un représentant du peuple sahraoui ? Ou bien va-il entrer en conflit avec cette Commission de l’ONU, comme il a déjà fait avec le Conseil de Sécurité ? Pour le moment, le Maroc ne dit rien.

Pour faire court, on peut dire que ces derniers années, même si elles n’ont rien apporté en terme de règlement du conflit de la dernière colonie en Afrique, elles ont quand même apporté plusieurs victoires au peuple sahraoui, en isolant le Maroc dans divers domaines.


Que retenez-vous d’essentiel concernant l’évolution de la question du Sahara occidental ? Y a-t-il plus d’acquis ou assistons-nous à des retournements de situations ou remises en causes ?


Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il n’y a absolument pas de retournements de situation, car la question est toujours traitée par le Conseil de sécurité et par la 4ème Commission de décolonisation de l’ONU. A l’exception du Maroc et de la France, tout le monde est sûr maintenant de l’impossibilité d’imposer une solution au Sahraouis, qui ne passe pas par les principes fondamentaux de l’autodétermination, clairement définis dans les résolutions 1514 et 1541. Tout le monde sait également que les deux parties au conflit sont le Maroc, la puissance d’occupation, et le Front Polisario, le mouvement de libération. Toutes les tentatives marocaines visant à impliquer l’Algérie pour projeter la région dans une confrontation globale et régionale, sont désormais démasquées et vaines. En d’autres termes, la puissance coloniale n’a pas réussi à changer les données ni les éléments du conflit au Sahara occidental. Mais, c’est vrai qu’elle essaie de gagner du temps et elle mise sur l’affaiblissement, voire la destruction de la résistance sahraouie, à l’intérieur des territoires, via tous les moyens connus, à savoir les violations et abus des droits de l’homme, l’usage des drogues, la manipulation des menaces terroristes, le crime transfrontalier. Malgré toutes les manœuvres du Maroc, la RASD est toujours présente à l’UA et le Polisario est toujours sur le terrain, encore plus fort avec les nouvelles générations de résistants, qui sont attachés à l’indépendance de leur pays.


Récemment, l’ancien conseiller principal au département d’Etat américain, Dr William Lawrence, a confié à Impact 24 que la question du Sahara occidental se résume à une question de gouvernance et à la recherche d’un nouveau statut, en regrettant que le Maroc n’ait pas fait « assez » pour « améliorer la situation dans le Sud ». Que vont inspirent de tels propos ?


Ces propos relèvent de l’ignorance de l’état des choses sur le terrain ! Ce conseiller ne connait apparemment rien sur le statut juridique et politique du Sahara Occidental qui, je rappelle, est toujours un « territoire non autonome », c’est-à-dire une colonie éligible à l’autodétermination. M. Lawrence ignore peut-être que personne, pas même la France, ne reconnait la souveraineté du Maroc sur le territoire sahraoui. A moins qu’il parle simplement du vrai Sud du Maroc, puisqu’il a mentionné « le Sud ». Si tel est le cas, je suis d’accord avec lui, car le sud du Maroc, mais également tout le territoire du Maroc, ont « besoin d’une meilleure gouvernance et d’un nouveau statut différent de celui actuel ». C’est d’ailleurs ce que demandent plusieurs Marocains : le changement du système monarchique médiéval en un système démocratique, peut-être même républicain. C’est là une question qui ne nous concerne pas ; c’est aux Marocains d’en décider.



Malainin, quelle est votre lecture sur l’attitude du Maroc qui a refusé, dernièrement, l’accès du territoire sahraoui occupé au secrétaire général de l’ONU et qui a mis fin à la mission du personnel du segment politique de la MINURSO ?



Je ne suis pas surpris par l’attitude du Maroc, car c’est une constante dans sa politique depuis longtemps. Le régime du Maroc a toujours eu recours aux escalades et à la fuite en avant, quand il se trouve isolé ou en crise, comme c’est le cas maintenant avec l’ONU.

D’ailleurs, en 1975, la situation de crise a poussé le défunt Roi Hassan II à l’invasion du Sahara Occidental, pour mater son armée et l’éloigner de ses palais. Le Maroc a besoin de créer des crises externes, pour pouvoir gérer et calmer ses graves crises internes, et ce sont toujours les voisins qui paient la facture. Par ailleurs, le Makhzen utilise très subtilement la méthode de la carotte ou le bâton, particulièrement dans ses relations internationales. Il suffit de voir comment il réussit à exercer le chantage à l’Espagne et à l’Europe, en usant des questions de trafic de drogue, de migration et de terrorisme, pour comprendre cela.

Malheureusement, la communauté internationale, principalement l’ONU, succombe souvent à ce chantage politique du Maroc, qui est toujours soutenu par la France, et qui est souvent toléré par les autres grandes puissances. L’attitude de la communauté internationale risque de contraindre le peuple sahraoui et ses représentants à changer de comportement et à envisager la confrontation inévitable, sous d’autres formes, probablement plus violentes et plus graves pour toute la région.


Pensez-vous que l’ONU et son Conseil de sécurité ont bien réagi cette fois vis-à-vis de l’occupant marocain ? Ont-ils été à la hauteur de leurs responsabilités à l’égard du peuple sahraoui ?


Absolument pas ! Il suffit de lire les réactions des membres du Conseil de sécurité eux-mêmes : à l’exception de la France et de ses deux soutiens que sont le Sénégal et l’Egypte, les autres membres ont clairement reconnu que le Conseil a donné un mauvais message au Maroc, en tolérant ce qu’il a fait. La Royaume-Uni, la Russie et même les Etats-Unis, ont exprimé leur mécontentement pendant les délibérations, mais à la fin, le Conseil de sécurité n’avait pas d’autre choix que d’approuver la nouvelle résolution avec les amendements français, pour éviter le pire, pour éviter le Veto Français et la fin de la Minurso (Mission des Nations unies pour un référendum au Sahara occidental, ndlr).

Cela dit, j’aimerais dire que le Conseil de sécurité n’a jamais été à la hauteur, quand il s’agit de la question sahraouie et ce, depuis le premier jour. En effet, il a choisi de traiter une question de colonisation et d’invasion d’un territoire non autonome par la force sous le chapitre 6, au lieu du chapitre 7… Mais, dans toute cette affaire, peut-on taire la volonté du peuple sahraouie ? La résistance sahraouie restera toujours indomptable.

Entretien réalisé par Hafida Ameyar

Les commentaires sont clos.