Histoire

L’Enset d’Oran refuse un hommage à Abderahmane Fardeheb

Il aurait été tout à fait normal et logique que cet hommage se tienne au sein de l’université que mon père devait rejoindre comme tous les matins, lorsqu’il a été assassiné. Pourtant, de telles commémorations pour des universitaires, ont déjà eu lieu au sein de la même institution.

Je me rends compte, à présent, qu’un hommage à Abderrahmane Fardeheb, a été jugé inacceptable au sein de l’université. Pourquoi une telle réaction ? 18 ans après son assassinat, alors qu’il gît dans sa tombe, il continue à déranger. Rien donc n’aura changé et la lutte de mon père, hier, pour son pays, est portée aujourd’hui par de nouvelles générations, elle reste absolument actuelle. Ce refus et ce rejet est pour nous une autre blessure. Pas une seconde mort car il ne s’agit que d’une décision arbitraire à laquelle nous sommes habitués; une hogra qui nourrit encore plus ma colère.

Comme le disait un ami, nous devions, sa famille, ses amis, ses anciens étudiants nous retrouver à l’ENSET, deux petites heures, le temps d’une évocation intime, le temps de retracer son parcours d’homme universitaire, de chercheur, d’homme de sciences et de savoir. Rien de plus. Sans aucune arrière-pensée, ni ambition politique. Ainsi, l’argument avancé pour nous interdire la cérémonie à l’université est d’autant inacceptable. Plus que jamais, ce refus injuste doit nous pousser, et c’est là notre devoir, à lutter contre l’amnésie collective qui nous menace, et à ne pas oublier toutes ces femmes et tous ces hommes qui rêvaient d’une Algérie meilleure, moderne, et qui ont été assassinés. Il est important de préserver cette mémoire, de la protéger et de la nourrir. Aujourd’hui, tout tend à l’effacer et la piétiner. Le déni de mémoire les assassine et les enterre une seconde fois.

Je vous avoue que cet hommage, chez lui, nous l’attendions depuis longtemps ma mère, mon frère et moi-même.

En 1997, l’université de Grenoble avait déjà honoré le mémoire de mon père à la faculté des sciences économiques où il avait soutenu sa thèse de doctorat d’Etat sous la direction de Gérard De Bernis. Une salle de cours y porte, depuis, le nom Abderrahmane Fardeheb. En ce jour anniversaire, dans la ville qu’il aimait tant, ses amis et anciens étudiants, lui rendent cet hommage. Je voudrais souligner que la qualité première de mon père était sa foi en la jeunesse de son pays, en ses étudiants au service desquels il avait mis tout son savoir et son énergie. Dire aussi que, humaniste convaincu, il se battait pour un idéal de paix, de fraternité et pour une Algérie démocratique où règneraient la prospérité, l’équité et la justice.

C’est pour tout cela qu’il est mort, assassiné.

J’étais très émue mais heureuse d’avoir revu ma grande famille réunie ce jour. Le temps a fait que nos chemins se sont séparés hélas. J’ai perdu de vue certains, et c’est à présent l’occasion de nous rassembler et de nous retrouver tous, pour honorer la mémoire d’un Homme, mon père qui a été le frère, l’ami, le collègue, le camarade, le voisin de chacun d’entre vous.

Je remercie Adnan Mouri, à l’origine de cette commémoration en lui demandant de nous pardonner pour tous les tracas que nous lui aurions causés. Un grand merci à Fatma Boufenik et à Malik Cheklalia qui m’ont soutenue dans les pires moments d’incertitude et sans qui cette rencontre n’aurait pas eu lieu. Merci à ma famille, mes tantes, mon oncle ainsi que mes cousins pour leur présence. Un grand merci à tous les intervenants présents ce jour : Hassan Remaoun, Makhlouf Amer, Benabbou Senouci, Abdellilah Radia et Kader, Kateb Said, Fatma Boufenik, Raja Alloula, Zine Sebbagh, Fateh Agrane.

Merci à ceux qui n’ont pu être présents, et qui ont participé par leurs témoignages et textes: Sadek Hadjeres, Abdelatif Rebah, Arab Izerrouken, Mohamed Ghalem et Fouad Hakiki. Des textes qui relatent un long parcours de mon père, aussi bien dans sa vie universitaire, syndicale que politique.
Merci à l’association « le petit lecteur » de nous avoir accueillis.

Amel Fardeheb

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