Politique

LES DETTES ALLEMANDES ET LA DETTE GRECQUE Deux poids, deux mesures

Par Pr Chems Eddine CHITOUR – Lundi 13 Juillet 2015

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Il n’y a pas de justice pour les faiblesIl n’y a pas de justice pour les faibles
«L’âne vint à son tour et dit: J’ai souvenance Qu’en un pré de Moines passant. La faim, l’occasion, l’herbe tendre.(..). Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net. A ces mots on cria haro sur le baudet. (…) Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir» Jean de la Fontaine: Les animaux malades de la peste

Ça y est, c’est dit-on, la reddition en rase campagne – sans contrepartie d’AlexisTsipras en face de la machine de guerre allemande, celle de l’Eurogroupe et celle du FMI. Le Premier ministre grec a donné l’illusion au peuple grec qu’il avait le droit à la parole et en définitive renié une à une toutes les promesses, Les propositions soumises par Alexis Tsipras reprennent largement, les propositions formulées par l’Eurogroupe le 26 juin. Toute cette tragédie pour rien! On a caressé l’espoir de voir enfin la parole du peuple dans le cadre de la démocratie qui prit naissance d’ailleurs chez eux, écoutée. Il n’en fut rien. Tsipras aurait organisé un référendum en Grèce pour ensuite ne pas revenir devant le peuple et se suffire du vote des députés pour accepter globalement les injonctions de Mme Merkel. Pourtant, la demande de la Grèce était on ne peut plus réaliste. Celle d’arrêter les dégâts de la politique d’austérité qui lui a été imposée à cause de sa dette et repartir d’un bon pied. Curieusement, les Etats-Unis qui surveillent du coin de l’oeil les Européens, ont tenté d’intervenir. Le FMI – c’est-à-dire de fait les Etats-Unis – reconnaît aujourd’hui que la voie à suivre est celle d’une restructuration de la dette pour qu’elle soit supportable. En effet, la directrice générale du FMI et le secrétaire au Trésor américain, appellent à la résolution de la crise financière grecque et à l’allègement de sa dette colossale.

La dette grecque expliquée simplement
La situation grecque est inhumaine. On connaît la situation sociale de la Grèce: hausse de 45% de la mortalité infantile, hausse de 42% du taux de suicides, baisse de trois ans de l’espérance de vie, 44,6% de retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté. Comment les banques allemandes et françaises ont financé la banqueroute de la Grèce? «La Grèce, lit-on dans cette contribution, doit maintenant aux créanciers 323 milliards deuros, ce qui représente environ 175 pour cent du PIB. Comment est-on arrivés à une dette si élevée? «Nous devrions clairement le reconnaître: presque rien des sommes énormes qui ont été prêtées à la Grèce, n’ont, en réalité, pas fini en Grèce,» a rappelé le prix Nobel déconomie et ancien économiste en chef de la Banque mondiale, Joseph Stiglitz, dans un entretien au quotidien The Guardian. «elles ont été dirigées vers le paiement des créanciers du secteur privé, y compris les banques allemandes et françaises.»» (1) Parlant de la tentation des banques grecques: «Un récent rapport de l’organisation CorpWatch appelée les profiteurs de la zone euro peut éclairer quelque peu cette réalité. Il est certes vrai que de ces banques, les politiciens grecs corrompus ont emprunté des milliards pour leurs projets gouvernementaux douteux, mais en même temps il y avait une très bonne raison pour laquelle ces financiers n’ont pas évité ces prêts téméraires: ils étaient sous la pression des bureaucrates de l’Union européenne pour concurrencer sur le marché mondial les banques britanniques et américaines. (…) Mais, les banques françaises savaient,qu’elles n’allaient pas se faire des milliards en allant à la bataille concurrentielle en Allemagne, de même que l’Allemagne n’attendait pas le triomphe en France. Au lieu de cela, elles se sont cherché un marché plus simple et plus facile, auquel elles allaient prêter ces masses d’argent qu’elles avaient, et ce marché devait être celui formé par les Etats plus pauvres, la plupart des Etats de l’Europe du Sud, qui en 1999 avaient accepté l’adhésion à la monnaie commune appelée l’euro. La logique était claire: au milieu des années quatre-vingt-dix, les taux d’intérêt, par exemple, en Grèce ou en Espagne étaient autour de 14 pour cent, et idem en Irlande durant la crise monétaire de 1992 et 1993.. Les candidats aux prêts ont donc accueilli avec enthousiasme les banquiers du Nord avec des ressources apparemment illimitées de disponibilités à bon marché à un taux d’intérêt compris entre un et quatre. (..)» (1)
La tentation était forte et le piège s’est refermé sur le peuple qui s’endette en payant les banques. On sait que depuis plusieurs années, l’ampleur de la dette publique européenne ne cesse d’augmenter.

La dette publique des Etats de l’Union européenne
«Au dernier trimestre de 2014, la dette des 28 Etats membres se porte à 86,6% du PIB. Celle de la zone euro équivaut quant à elle à 92,1% du PIB. Individuellement, six pays affichent un niveau de dette publique supérieur à 100% du PIB. Il s’agit de la Grèce (176%), de l’Italie (131,8%), du Portugal (131,4%), de l’Irlande (114,8%), de la Belgique (108,2%) et de Chypre (104,7%). En France, la dette publique est supérieure à celle de l’Union européenne et de la zone euro, et s’élève à 95,3% du PIB en 2014. Le pays ne cesse de s’approcher de la barre des 100%.» (2) «La dette publique grecque est de loin la moins élevée d’Europe.En valeur absolue, la Grèce n’est pas la lanterne rouge de l’Europe. Athènes se fait largement devancer par les grandes économies du continent: Espagne, France, Grande-Bretagne, Allemagne et l’Italie qui cumulent parfois plusieurs milliers de milliards de dette. La Belgique. qui peut compter sur le même nombre d’habitants que la Grèce, traîne 387 milliards d’euros de dette, soit 101,5% de son PIB. la Belgique fait peser à ses habitants une dette de 34.875 euros contre 28.217 euros pour les Grecs. (…) Alors que l’Espagne et le Portugal sont régulièrement épinglés par Bruxelles pour laisser filer leurs comptes publics, ces pays imposent à leurs citoyens une dette moins élevée que l’Allemagne, pourtant érigée en vertu en matière de contrôle des dépenses publiques. Le poids de la dette qui repose sur les épaules des Portugais atteint 15.780 euros contre 24.896 euros pour les Allemands Par habitant la dette de la Grèce est inférieure à celle de La France, de l’Italie, du Royaume-Uni, de la Belgique, des Etats-Unis et du Japon. Les Français sont à 29 300 euros par personne, les Anglais (31.712 euros). Les Etats-Unis dont le plafond de la dette est régulièrement relevé pour éviter le «shutdown», a cumulé 12.600 milliards d’euros de dette, soit 39.850 euros par citoyen américain. Quant au Japon, le ratio est le plus élevé au monde avec 245% du PIB soit (71 015 euros) par habitant» (3).

L’intransigeance et le mépris allemand pour la Grèce
Pour le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, les négociations avec Athènes sont ´´extrêmement difficiles´´. Il dénonce ´´une confiance détruite de manière incroyable et il met en doute clairement la fiabilité du gouvernement grec. Non sans ironie, il rappelle à Washington que dans les Caraïbes, Porto Rico avec une dette de 73 milliards de $ est en train de sombrer. Obama refusant de l’aider: «Ces jours-ci, j’ai proposé à mon ami Jack Lew de prendre Porto Rico dans la zone euro si les Etats-Unis étaient prêts à accepter la Grèce dans le système du dollar.» Enfin, selon une source citée par l’AFP, les Allemands pensent qu’«au cas où la soutenabilité de la dette et les propositions de réformes ne seraient pas réalistes, il faudrait proposer à la Grèce une sortie temporaire de cinq ans de la zone euro, avec une possible restructuration de sa dette, si nécessaire dans un club de Paris». La volonté de puissance est affirmée. Justement, la chancelière allemande qui gouverne l’Europe dirige un pays qui lui-même à trois dettes majeures qu’il n’a jamais totalement honorées. Nous allons les citer en honnête courtier. Il est curieux de constater qu’au sortir de la guerre, l’Allemagne a demandé et obtenu des Alliés l’effacement en partie de sa dette. Laurent Martinet de Reuters écrit à ce sujet: ««L’Allemagne est Le pays qui n’a jamais remboursé ses dettes. Elle n’est pas légitime pour faire la leçon aux autres nations.»

La dette de guerre allemande: des effacements successifs
La phrase est de Thomas Piketty. D’autres voix se font un plaisir de rappeler que Berlin n’a jamais payé entièrement les réparations que les vainqueurs ont exigé en 1919. Et pour cause: à la fin des années 20, malgré un bon redémarrage économique, les caisses sont vides. Les réparations sont réduites d’un tiers et rééchelonnées, explique La Tribune. En 1932, l’économie ayant replongé, les Alliés renoncent même à exiger leur paiement. Trop tard pour éviter l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Et la question de la dette contractée dans les années vingt et trente sur les marchés poursuit l’Allemagne jusqu’en 1953. Cette année-là, à Londres, le chancelier Konrad Adenauer obtient des Alliés un nouveau rééchelonnement, et surtout, un remboursement en dollars au taux actuel, qui permet d’économiser 40% par rapport au mark-or des années vingt. La dette allemande est réduite de moitié par rapport à son poids d’avant-guerre, estime un chercheur de l’université de Yale cité par La Tribune. La dette allemande sera officiellement complètement payée en 2010, après la réunification. «L’Allemagne a été le plus mauvais payeur de dette du XXe siècle», dénonçait en 2011, au début de la crise grecque», l’économiste allemand Albert Ritschl.» (4) On remarquera que l’Allemagne aura mis plus de cinquante ans pour purger sa dette.»

La dette allemande de l’occupation de la Grèce pendant la guerre
Qu’en est-il de la dette envers l’occupation inhumaine de la Grèce? Alexis Tsipras en fait un argument de négociation: la Grèce a «l’obligation morale et historique» de réclamer à l’Allemagne des indemnités de guerre, auxquelles elle a échappé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est la première fois qu’Athènes évoque une évaluation précise des réparations de guerre qu’elle réclame à Berlin. Ce travail d’expertise grec ne devrait toutefois rien changer à la réponse allemande. Pour la première fois, Athènes a évoqué un chiffre: 278,7 milliards deuros. Devant le Parlement grec lundi soir, à l’occasion de la mise en place d’une commission parlementaire sur l’origine de la dette du pays, le secrétaire dÉtat au budget Dimitris Mardas a mentionné une évaluation précise des réparations de guerre réclamées par la Grèce à lAllemagne. Pour le gouvernement grec, l’emprunt forcé qu’Athènes a dû accorder en 1942 au régime nazi et qui n’a jamais été remboursé s’élève aujourd’hui à 10,3 milliards d’euros. Le reste de la somme citée par Mardas correspond aux dédommagements dus aux victimes et au coût des infrastructures détruites par l’occupant, entre 1942 et 1944. Selon le gouvernement grec, 50.000 documents ont été examinés par une équipe de six personnalités. La Grèce «pourrait aller jusqu’à un procès. Le travail d’expertise grec ne changera rien à la réponse de Berlin, pour qui le dossier des réparations de guerre est «juridiquement et politiquement clos», comme l’a redit la chancelière Angela Merkel au Premier ministre Alexis Tsipras le 23 mars. Les traités de 1953 puis de 1990, acceptés par la Grèce, ont fermé la porte à tout recours.» (5)
Pourtant, on s’en souvient, le président allemand n’avait pas totalement fermé la porte à cette demande qui par la suite fut définitivement enterrée avec le «nein» allemand.

La dette concernant le coût de la pollution chimique allemande à l’Europe
Stephane Fouccart du journal Le Monde, nous informe d’une dette autrement plus importante de l’Allemagne: «Un fait plus discret est que la vertueuse et intransigeante Allemagne traîne elle aussi quelques impayés, dont il n’est pas déraisonnable de penser qu’ils surpassent de très loin l’ardoise grecque. Et on ne parle pas ici de l’Allemagne exsangue de l’après-guerre. On parle bel et bien de l’Allemagne d’aujourd’hui, avec sa puissante industrie, son budget impeccable, etc.(…) il faut se pencher sur un numéro récent du Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism (JCEM). En avril, la revue publiait une série d’études conduites par une vingtaine de chercheurs internationaux et coordonnées par Leonardo Trasande, spécialiste de santé des populations, professeur à l’université de New York. Leur but était d’évaluer le coût économique des dégâts sanitaires dus aux pollutions chimiques dans l’Union européenne. Avec 2010 comme année de référence, leur estimation chiffre la valeur médiane de ces dégâts à 1,3% du produit intérieur brut des Vingt-Huit. Soit 157 milliards d’euros par an, en frais de santé(…)e pays domine de très loin le secteur avec des géants comme Bayer ou Basf, et il est très clair qu’une grande part de ces 157 milliards d’euros lui incombe. L’Allemagne aurait beaucoup à perdre, si les mesures adéquates étaient prises pour éviter ces dégâts collatéraux(…)». (6) Cette information a permis au professeur d’économie Jean Gadrey d’analyser finement cela, il écrit: «157 milliards d’euros par an comme coût supporté par les Européens, 1,3% du PIB. Chiffre qui se limite à un périmètre restreint de coûts sanitaires vraiment évaluables sur des pathologies bien identifiées. Sur les dix dernières années, cela ferait un coût cumulé de 1570 milliards. (…) Pour le compléter, j’ai été regarder le poids de la chimie allemande en Europe et c’est environ 25%. Si on appliquait cette proportion aux 1570 milliards, cela ferait presque 400 milliards d’euros, plus que la totalité de la dette grecque actuelle (320 milliards)! Estimations à la louche? Assurément, mais quand «y a pas photo» la louche fait l’affaire, pas besoin de balance de précision. Méthodes critiquables? Comme je suis assez chatouilleux sur certaines valorisations monétaires douteuses (voir mon billet «Quand la monétarisation de tout – pour la bonne cause – tourne au délire économique», je suis allé à la source de l’article scientifique qui fournit les chiffres cités par Stéphane Foucart. Pour moi, c’est du sérieux, il s’agit bien de coûts réels mesurés et observables, avec comme toujours dans ces estimations des hypothèses et des conventions, mais l’ordre de grandeur obtenu est fiable. (…) Un dernier chiffre pour la route: quel est le coût par Européen des dégâts sanitaires de la chimie sur dix ans? Réponse:1570 milliards d’euros divisés par 510 millions, soit en gros 3000 euros».(7) Que faut-il en conclure? Personne ne peut dire cela à l’Allemagne. Rien de nouveau sous le soleil! Le peuple grec traité de tous les noms, paresseux, non besogneux, n’en peut plus de souffrir, il a donné mandat à un Premier ministre qui a présumé de ses forces face à une troïka qui a changé de masque en euro-groupe et FMI mais qui est toujours sans pitié pour les faibles. La Grèce mise en coupe réglée, on lui demande de privatiser à tour de bras, même les Îles et les prédateurs sont là pour les bonnes affaires. Imaginons la suite. Le Grexit, Un défaut des autres pays qui dépassent le ratio des 100%; le Portugal l’Espagne ensuite la Belgique, l’Italie, la France. Resteront alors que les pays du Nord. Est-ce cela la vocation de l’Europe? Ou est-ce le début de la fin pour cette utopie qui ne peut résister au laminoir néolibéral? Souvenons-nous! Il n’y a pas de justice pour les faibles.

1.https://citizenactionmonitor.wordpress. com/2015/07/01/how-german-and-french-banks-financed-greeces-bankruptcy/
2.http://www.touteleurope.eu/actualite/la-dette-publique-des-etats-de-l-union-europeenne.html
3.http://www.challenges.fr/economie/20140509.CHA3601 /
4. http://www.lexpress.fr/actualite-economique/ crise-en-grece-quand-l-allemagne-faisait-effacer-une-partie-de-sa-dette_1696548.html# 5jTe3V7c7X0I63SW.99
5. Nicolas Barotte: La Grèce réclame 278,7 milliards d’euros à l’Allemagne le figaro.fr 07/04/2015
6.http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/07/06 /une-dette-allemande_4672279_3232.html# iV4XrkZ0BM9oCmxW.99
7.http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey /2015/07/08/dettes-allemagnegrece-merci-a-stephane-foucart-du-monde/

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