Société

Les thèmes de bataille des élites libérales algériennes

Les thèmes de bataille des élites libérales algériennes

Par A. Rebah.

Les réformes ont constitué la colonne vertébrale d’un reprofilage graduel mais intensif du rôle des élites de l’économie
L’argumentaire des élites libérales s’est construit autour des principaux thèmes de bataille des institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI), mais aussi des institutions de l’Union Européenne.
Les élites converties puisent volontiers dans le lexique forgé par la mondialisation au nom de l’universalité des règles de « la science économique »

LA SYMPTOMATOLOGIE

Une symptomatologie exacerbée qui s’attache à dresser l’inventaire systématique et disqualifiant des « maux » de la politique, de l’économie, de la société, symptomatologie qui s’assimile à une interminable recension d’échecs, de blocages, de ratés, d’impasses et de crises dont les racines socioéconomiques et politiques sont occultées et qui renvoie finalement à une sorte de malédiction dont on attend impatiemment la délivrance. Par qui? Pour aller où?
Cette symptomatologie a pour but de participer à la formation d’une perception de la réalité socio-économique et politique sur le mode de la catastrophe imminente et ses dilemmes cornéliens : « statu-quo ou changement réel », « Réformes ou suicide collectif » et ses qualificatifs de prédilection : « inéluctable, incontournable, impératif, lancinant, urgent », etc. Il s’agit de produire un sentiment de l’urgence et de la fatalité des « réformes structurelles » mais pour imposer, comme conclusion logique, des grilles de lecture de la réalité, de ses pathologies et des thérapies à soumettre, conformes à la doxa des « institutions internationales ». Exemple il devient « impératif » de : « créer des Fonds souverains, « intégrer l’OMC, « instaurer la convertibilité du dinar », « adopter des règles conformes à celles en vigueur à l’échelle internationale », etc., etc.

LE BENCHMARK

L’idée normative est opposée à la réalité contingente de l’Algérie. Les élites s’appliquent à mettre en évidence l’écart qui sépare la réalité politique et socio-économique du pays de ce modèle abstrait d’ordre sociopolitique conforme aux « concepts et aux notions les mieux établis en sciences économiques et en économie politique » idéaltype posé comme la norme à atteindre
Les contingences sociales et historiques sont évacuées. Tout est en failles et en attentes, c’est-à-dire dans l’attente de ce qui devrait être. Les classements des « institutions internationales » notamment du « doing business » sont érigés en références absolues. Il s’agit d’importer les success stories et les logiciels qui ont réussi dans d’autres contextes, exemple, la Corée du Sud. Un rapport du FEMISE n’hésitait pas à conclure en septembre 2001 qu’ « ’il restait à l’Algérie, sur la voie de la libéralisation économique, 30% du chemin nécessaire pour approcher la situation de l’Union Européenne ». (Rapport du Forum Euro-Méditerranéen des Instituts de Sciences Economiques, séminaire des experts gouvernementaux sur la transition économique, 27-27 septembre 2001.)
Ainsi, forgée en référence aux représentations normatives, juridiques et morales des démocraties libérales occidentales, la grille de lecture de la réalité ne peut, par la suite, que produire le constat d’un pays en constant décalage, pointant les écarts négatifs comme autant de preuves cumulées de l’échec. En un mot, l’image du gâchis. Toute la perspective historique de l’Algérie se résume alors à réunir les conditions de sortie de cette « impasse » et celles du passage à ce « modèle universel », panacée de tous les maux présumés ou réels de l’Etat national algérien.

LA THEMATIQUE RENTIERE

En Algérie, la problématique du « système rentier » constitue la clé de voute de, pratiquement, toutes les élaborations traitant des réformes du régime socio-économique et politique algérien . Les facteurs explicatifs de tous les dysfonctionnements qui affectent le « système », renvoient systématiquement et invariablement à cette catégorie. Depuis la fin des années 1980 et dans le sillage des programmes de libéralisation de la Banque mondiale et du FMI, elle est devenue le pivot central des entreprises de déconstruction et de disqualification de la politique de développement national suivie, dans le passé .
Son omniprésence actuelle dans l’espace médiatique témoigne d’un engouement redoublé qui n’est pas sans relation d’affinité avec le contexte idéologique dominant. Mobilisée, le plus souvent, dans des usages politiques, à forte charge idéologique, la notion de rente s’est imposée comme la figure obligée quasiment de tous les argumentaires déployés à l’appui de « l’impérieuse nécessité » du « changement . A l’heure des « printemps » arabes, la rente pétrolière devient le terreau qui fermente les révoltes populaires . Ainsi, rapports économiques, rapports politiques, rapports sociaux, tout gravite autour de la rente pétrolière.
-Le thème des dépenses publiques excessives au service d’une cause, sous-entendue politicienne et donc douteuse : l’achat de la paix sociale.
-Le thème du secteur public inefficace par définition, gouffre financier et ses très nombreuses déclinaisons

— Le thème de la « crise du système »
Pour les élites, l’objectif qui doit exprimer le sens du changement de système est le régime du droit et de l’Etat de droit, avec des pouvoirs séparés et équilibrés et le respect des libertés individuelles et collectives . Avec en ligne de mire, l’émancipation de « l’autoritarisme rentier »
Mais, faire émerger un système juridique de quel paysage économique et social ? La question de la reconfiguration des structures institutionnelles et politiques du pouvoir peut-elle être envisagée en soi et pour soi, en laissant en suspens les interrogations relatives à ses déterminants structurels, à ses forces motrices, à son contenu socioéconomique, bref à ses enjeux essentiels ?
En d’autres termes, un changement institutionnel et politique à quelles fins ?
– pour passer une vitesse supérieure dans la libéralisation économique et l’insertion dans la mondialisation libérale et financière, porteuses d’exclusion sociale, d’aggravation des inégalités sociales et territoriales, d’approfondissement de la dépendance et donc grosses de risques de dislocation du tissu social et d’effondrement de l’Etat national,
-pour instaurer la démocratie dans son volet libéral, droits de la propriété privée, des contrats, de la libre concurrence, et l’État de Droit qui garantit la propriété privée, en définitive une démocratie qui s’accommode de l’absence de droits économiques et sociaux comme du statut d’économie dépendante, de périphérie capitaliste subordonnée et dont le multipartisme relève de la nécessité fonctionnelle car il importe de fournir un exutoire aux tensions et frustrations engendrées inévitablement par la libéralisation économique, en un mot, une libéralisation politique offerte comme exutoire pour les victimes des nouvelles règles du jeu ou,
-en tant que levier pour relever les défis de la démocratisation des rapports sociaux, de l’élargissement et de l’affermissement des pouvoirs de négociation des organisations syndicales et ceux de participation des organisations de jeunes, de femmes, etc, où le processus de démocratie accompagne le développement économique et social et où l’économie est un moyen au service d’une fin qui consiste à développer le pays et à construire une vie heureuse et digne pour son peuple et finalement un changement au service du renforcement des bases populaires d’un projet de développement national souverain qui apporte progrès, bien-être et justice ?
L’occultation de la réalité contemporaine du capitalisme mondial et de sa crise actuelle
Une vision idyllique de l’économie mondiale : le mythe du gagnant-gagnant
Impulsé par ces élites, le «débat» économique national est dédié pratiquement sans réserve à la cause de l’insertion internationale de l’économie algérienne et son corollaire fatal, l’obligation «impérieuse» d’adaptation des institutions, des structures, des mécanismes, des ressources humaines et bien entendu, des choix nationaux. A l’ancienne lecture « dominants-dominés », s’est substituée la rhétorique « gagnant-gagnant »; « tout le monde a sa chance dans le jeu de la mondialisation, il suffit de savoir s’en saisir(les fameuses fenêtres d’opportunité) » La métaphore du jeu et des joueurs renvoie à une image connue mais elle est incomplète; il y manque le joueur qui a le privilège de jouer, de distribuer les cartes, de faire les comptes et de sanctionner; ce sont les Etats-Unis
Dans cette vision idyllique de l’économie mondiale guidée par des «règles universelles», les échanges seraient, pour l’essentiel, affaire d’avantages comparatifs, de croissance et de développement, le dollar est un «signe impartial et international des échanges» ; ONU, FMI, Banque mondiale, GATT, OMC, etc. sont des institutions internationales de régulation créées «pour éviter que les conflits ne dérapent», etc. Bref, tout l’enjeu se situe dans la capacité à améliorer sa productivité, à développer de nouvelles richesses.
Une crise de nature systémique et de proportion globale aux retombées domestiques sous estimées

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