Économie

Nouvelle alerte du FMI sur la croissance mondiale

LE MONDE ECONOMIE |
12.04.2016 à 16h09•
Mis à jour le13.04.2016 à 10h25
|Par Chloé Hecketsweiler

Maurice Obstfeld, l’économiste en chef du FMI lors d’une conférence à Washington le 12 avril 2016. MOLLY RILEY / AFP
La croissance économique mondiale est « trop faible, depuis trop longtemps ». Dévoilé mardi 12 avril, le nouveau diagnostic du Fonds monétaire international (FMI) est encore plus pessimiste que les précédents. Selon la dernière édition des Perspectives de l’économie mondiale, le PIB mondial ne devrait s’accroître que de 3,1 à 3,2 % en 2016 et de 3,5 % en 2017, un niveau « décevant », selon Maurice Obstfeld, l’économiste en chef de l’institution créée en 1944. La dernière prévision, faite en janvier, tablait sur une croissance de 3,4 % de la richesse mondiale en 2016.

Dans un discours prononcé devant le who’s who de la finance mondiale réuni cette semaine à Washington pour les traditionnelles réunions de printemps du Fonds et de la Banque mondiale, M. Obstfeld n’a pas caché son inquiétude. « Nos prévisions sont de moins en moins optimistes », a souligné cet universitaire, nommé au FMI en septembre 2015, et qui était auparavant conseiller économique du président américain, Barack Obama.

Demande en berne

Les risques qui pèsent sur l’économie mondiale sont bien connus : la chute du prix du pétrole, les conséquences de la guerre en Syrie, les menaces terroristes, ou encore la perspective du « Brexit » (c’est-à-dire la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne). Mais ce qui laisse le FMI perplexe, c’est l’absence d’efficacité des remèdes conventionnels.

Compte tenu des politiques monétaires « accommodantes » des banques centrales, l’argent n’a jamais été si bon marché, et pourtant, la demande, qu’il s’agisse de la consommation ou de l’investissement, est en berne. S’ils ne veulent pas s’enliser dans une situation que plusieurs économistes, parmi lesquels l’Américain Lawrence Summers, qualifient de « stagnation séculaire », les Etats doivent réagir « immédiatement ». « Il n’y a plus beaucoup de place pour l’erreur », a averti Maurice Obstfeld.

Dans ce contexte incertain, le FMI se soucie plus particulièrement de l’avenir des pays émergents, frappés de plein fouet par l’effondrement du prix des matières premières. Tant qu’ils n’auront pas diversifié leur économie, un retour à la croissance semble peu probable. « En principe, les pertes enregistrées par les pays producteurs devraient se traduire par des gains équivalents pour les pays importateurs, mais le bilan s’avère négatif », soulignent les économistes du Fonds. Entre janvier et avril, ils ont notamment abaissé de 0,9 point leurs perspectives pour le Nigeria, premier exportateur africain de pétrole, dont la croissance devrait se limiter à + 2,3 % en 2016.

Le Brésil, plongé dans une grave crise politico-financière, et la Russie, frappée par les sanctions liées à l’Ukraine, devraient de leur côté s’enfoncer dans la récession cette année avec un PIB en recul respectivement de 3,8 % et 1,8 %, d’après ces nouvelles prévisions. La Chine tire bien mieux son épingle du jeu avec une croissance de 6,5 % un peu plus dynamique que prévu.

Les Douanes chinoises ont annoncé mardi 12 avril un rebond marqué des exportations de la Chine en mars (+ 11,5 %), qui interrompt un plongeon de plusieurs mois. Ce résultat, s’il dure, est de nature à conforter le diagnostic du Fonds. Mais la transition de Pékin vers une économie davantage fondée sur la consommation pourrait être « moins douce » que prévu, au risque de créer de nouvelles turbulences financières, avertit le FMI.
Le quasi statu quo que l’organisation internationale prédit aux économies avancées n’est guère plus enthousiasmant : ses estimations pour les Etats-Unis comme pour la zone euro sont encore plus faibles que prévu (− 0,2 point), avec une croissance de 2,4 et 1,5 % respectivement. Selon ses calculs, le Japon devrait par ailleurs tomber en récession en 2017. Dans ces économies, « l’impact négatif de la démographie, la faible croissance de la productivité et les séquelles de la crise financière continuent d’entraver la reprise de l’activité », regrette le FMI.

Réformer le marché du travail

L’ordonnance du Fonds est assez classique, avec les politiques de grands travaux comme bon vieux remède. « Pour un certain nombre de pays, il peut être opportun d’investir dans les infrastructures (…) afin de profiter de la baisse des taux réels d’emprunt », indique Maurice Obstfeld. Afin d’inciter les entreprises à investir, notamment dans la recherche, l’économiste encourage aussi les gouvernements à adopter des politiques fiscales plus « amicales ». Le tout sans plomber les finances publiques.

Préoccupé par le niveau élevé du chômage dans de nombreux pays, le Fonds consacre un chapitre entier de son rapport à la réforme du marché du travail. Pour faciliter le travail des femmes par exemple, il plaide pour des réductions du coût des gardes d’enfant, des aménagements dans les congés parentaux et des allégements d’impôts sur le deuxième salaire au sein d’un couple. Il insiste aussi sur la nécessité de mieux intégrer les jeunes en mettant l’accent sur la formation, la baisse des cotisations sociales et l’adoption d’un salaire minimum spécifique. L’intégration des migrants fait l’objet de recommandations spécifiques comme l’autorisation de travailler pendant l’examen de la demande d’asile, la prise en charge d’une partie de leur salaire ou encore la reconnaissance des qualifications professionnelles.

Le Fonds suggère en revanche de limiter la durée et le niveau des indemnités versées à ceux qui ont perdu leur emploi et de faciliter l’ajustement du temps de travail et du salaire en fonction de l’activité. Il reconnaît cependant que les effets de telles réformes peuvent créer des tensions à court terme. « Des réformes dans les systèmes de protection de l’emploi peuvent déclencher des licenciements rapidement alors que les embauches peuvent prendre plus de temps à se concrétiser », reconnaît le rapport.

Conscient qu’un tel exercice d’équilibrisme est loin d’être gagné à l’échelle mondiale, le FMI demande aux Etats de plancher sur un « plan de secours » au cas où la croissance économique continuerait de ralentir. Pour « améliorer à la fois le fonctionnement du système monétaire international et la stabilité des marchés financiers, la coopération internationale est fondamentale », a-t-il insisté. « Beaucoup de progrès ont été accomplis depuis la crise financière [de 2008] mais il reste beaucoup à faire. » Un constat qui sonne d’abord comme un aveu d’impuissance.

Croissance mondiale : le FMI alarmiste sur les conséquences d’un Brexit
12/04/16
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mercure 12/04/2016 – 23h45

3,1% par an, c’est peu enthousiasmant à court terme, mais à long terme c’est intenable. C’est multiplier la production par 2 en 25 ans; par16 en un siècle; par 4000 en 3 siècles.

Cynique du Bon Sens et Raison 12/04/2016 – 22h28

Un jour il faudra peut-être trainer devant les tribunaux tous ces « experts » qui nous auront poussés dans le précipice… pour autant qu’on y survive ! Notre système économique est piloté par des bandes de Dr Folamour de l’économie.

inimaginable! 12/04/2016 – 19h35

Les mesures préconisées pour les juins, les migrants, les femmes, les salariés vont rendre les gens fous ! Tout cela pour maintenir un système en train de crever, et de tout détruire! L’absence de croissance signale une panne décisive, et l’occasion de tout réorienter !

Nicolas Lerestif 12/04/2016 – 18h50

Parceque baisser les cotisations sociales, s’attaquer au SMIC ce n’est pas conventionnel pour les libéraux? je veux dire c’est pas ce qu’ils défendent depuis 30ans? Mais bon quand une méthode ne marche pas c’est pas parcequ’elle est mauvaise c’est parcequ’on ne l’a pas assez mise en place.

Myxnis 12/04/2016 – 18h21

Un aveu d’impuissance qui devrait, un moment, et à un moment, amener à poser des questions plus fondamentales. Est-ce que nos pays développés ont encore besoin de croissance? Est-ce que nos pays développés ne jouissent pas déjà d’une gamme de produits, de confort, d’infrastructures difficilement améliorables, et si elle l’est encore, est-elle vraiment nécessaire et conseillé pour le développement humain et terrestre? Et si le problème ne venait pas de cette contradiction..

Brésil, Europe, Iran, US, Arabie Saoudite – Retour du souverainisme national : Vers un nouveau baroud d’honneur des états-nations ?

La crise systémique globale compose depuis bientôt 10 ans un impressionnant « canon »[1] symphonique où crise financière, crise économique, crise sociale, crise politique, crise idéologique et crise géopolitique, toutes de nature globale, jouent des lignes mélodiques semblables mais s’enchaînant de manière différée.

Nous le disons depuis de nombreux mois désormais : c’est l’aspect politique de la crise qui domine actuellement l’agenda global de façon impressionnante et très préoccupante. L’affaiblissement des Etats sous le coup de ces crises politique, combiné aux chocs géopolitiques ou économiques auxquels sont exposés ces Etats, aboutit actuellement à un repli national qui n’augure rien de bon pour la démocratie sur le plan intérieur ni pour la paix sur le plan international. Tout ceci, nous l’avons déjà vu en détail. Mais il s’agit de bien comprendre les caractéristiques de ce repli national multidirectionnel.

Crises politiques en série et fragilisation des états, dans un premier temps

Le cas le plus emblématique actuellement de cette crise politique nous est fourni par le Brésil et cette deuxième tentative des classes politiques du pays de destituer leur présidente démocratiquement élue[2]. Mais ce cas de figure, s’il touche désormais des pays modernes et de taille et d’importances globales, est loin d’être isolé. Quasi-simultanément, une tentative de destitution, finalement avortée, a touché Jacob Zuma, le président sud-africain[3]. Auparavant, bien que plus populaires comme dynamiques, nous avons assisté à des remises en question violentes en Turquie envers Erdogan[4] ou en Russie envers Poutine[5]. Bien entendu, le cas Ianoukivitch[6], en Ukraine, est à mettre dans cette même catégorie des destitutions ou tentatives de destitutions de chefs d’état élus. Même l’Europe a son exemple avec l’Italie, pays dirigé par un chef de gouvernement non élu depuis la démission contrainte d’Enrico Letta en 2014[7] (bien peu liée à une quelconque demande populaire, celle-ci). Bien entendu, toutes ces perturbations trouvent leur modèle dans les printemps arabes, même s’il est intéressant de remarquer que, au fil du temps, les dirigeants sont expulsés dans le cadre de systèmes démocratiques de moins en moins contestables.

De manière générale, cette tendance est à relier à l’impératif de transparence qu’impose désormais internet et à celui, également issu de la révolution internet, de réinvention de nouvelles méthodes démocratiques que nous relevons souvent dans ces pages. Indéniablement, à l’ère d’internet et des tissus sociaux globalisés et ultra-connectés, l’ancien système de validation démocratique des dirigeants politiques par élections périodiques ne suffit plus à créer une légitimité suffisante pour gouverner. De nombreux intellectuels travaillent à la réinvention des outils de la légitimation démocratique du politique, mais à ce stade, ce que les citoyens voient de ce travail n’est pas très impressionnant, consistant essentiellement en l’apparition de nouveaux partis, en reversements de dirigeants élus, et en referenda sans effet[8]. La réforme attendue sur cette question majeure est infiniment plus profonde.

Durcissement des états et abandon des principes d’ouverture et de démocratie, dans un deuxième temps

Or en l’absence de solutions, les déstabilisations politiques de plus en plus importantes auxquelles nous assistons fournissent les conditions idéales pour le durcissement des Etats, l’abandon des principes démocratiques et la mise au pas, par des intérêts autochtones ou non, des collectifs nationaux. Entre mise sous tutelle étrangère et nationalisme bon teint, partout où ces bouleversements au sommet des pyramides politiques ont lieu, les peuples ne vont pas avoir la priorité sur le débat public dans les années à venir.
Coté nationalisme, nous avons les exemples de Poutine et d’Erdogan, dirigeants endurcis par les crises qui les ont frappés. Coté mise sous tutelle, nous avons l’Ukraine, l’Egypte,…

Amérique du Sud : mise sous tutelle US ou entrée dans le XXIème siècle ?

Pour ce qui est du Brésil, nous avons anticipé il y a au moins un an dans ces pages que l’Amérique du Sud, après s’être débarrassée de ses dictatures militaires à la fin du XXème siècle, pourrait aussi avoir à tourner la page sur les révolutions populaires avant de pouvoir regarder l’avenir sereinement. Bien sûr, on est en droit de s’inquiéter d’un retour de la main-mise des Etats-Unis sur le sous-continent dans les chocs affectant les Cristina Fernandez en Argentine[9], les Dilma Rousseff au Brésil, les Nicola Maduro au Venezuela[10]… Mais tous ces politiques ont pour caractéristique d’être les héritiers de ces gauches révolutionnaires au passé indiscutablement glorieux, mais également ancré dans une histoire désormais anachronique.

Or, leurs pays ne parviendront pas à prendre la place qui leur revient dans le monde de demain tant que cette filiation pourra être utilisée contre eux. Lorsque Dilma Rousseff, en toute modernité, œuvre au renforcement du MERCOSUR ou à la contribution du Brésil à la réforme de la gouvernance mondiale via les BRICS, il est trop facile pour certains de mettre cela sur le compte d’un anti-américanisme primaire.

Alors bien sûr, dans un premier temps, les changements de régime dans ces pays vont créer de l’incertitude et un sentiment de retour en arrière, en partie justifié d’ailleurs. Mais l’Amérique d’aujourd’hui et celle des années 50 n’ont aucune mesure commune. La Chine n’est pas près de rentrer chez elle ni Internet de disparaître durablement. Et le durcissement politique que vont connaître ces pays sera équivalent à celui que tout le monde va expérimenter dans les prochaines années. Les Macri et autres Temer[11], certes amis de la finance et des Américains, auront vite fait de s’apercevoir que leurs sponsors ont les poches et la tête plus vides qu’ils croient. L’exemple italien est éloquent de ce point de vue : Matteo Renzi, mis au pouvoir en pleine crise euro-russe et très certainement poussé par des intérêts transatlantiques, a tôt fait de devenir l’un des principaux critiques des sanctions contre la Russie[12].

Iran : Vers un sort identique ?

Cela dit, ce durcissement des systèmes politiques en réaction aux risques de désordre véhiculés par les innombrables crises frappant tout le monde, n’est pas fait pour rassurer. Voici un exemple d’une remise en question politique qui aurait des conséquences dramatiques. En Iran, le dirigeant réformiste qu’est Rouhani (qui a connu en février une nouvelle victoire électorale[13]), pourrait ne pas être aussi solide en fait. Il surfe actuellement sur le succès de la levée des sanctions internationales et les perspectives d’ouverture qui s’offrent enfin à cette grande puissance. Cela dit, les lenteurs d’application de la levée effective des sanctions de la part des Etats-Unis[14] font monter en Iran un sentiment de trahison. Or, les ultra-conservateurs n’ont pas disparu du pays. Si les succès de Rouhani en matière d’ouverture économique du pays font décliner leur influence, il ne faudrait pas que l’attitude des Etats-Unis fasse perdre la face au camp réformiste et créé un regain d’influence du camp conservateur. Inutile de préciser que ce sont exactement là les circonstances qui autoriseraient Israël, l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis à attaquer l’Iran, à la rescousse duquel viendraient la Russie, l’Inde et la Chine, déclenchant probablement un effet domino des plus dramatiques pour le Moyen-Orient et bien au-delà. Si l’Amérique d’Obama a prouvé qu’elle était capable de comprendre qu’il fallait éviter ce genre d’erreur, celle d’une Clinton ou d’un Cruz pourrait bien avoir cette bêtise.

Europe : Super-état ou espace d’harmonisation de politiques nationales ?

Un dernier mot sur l’Europe qui elle aussi se barricade graduellement derrière ses frontières, ses certitudes, et le modèle national qu’elle a inventé. Cela dit, dans ce cas particulier, le recours aux outils « durs » de la souveraineté (armée, police, frontières) se mobilise à deux niveaux, le niveau national et le niveau supra-national européen, en un mélange d’alliance objective et de lutte entre les deux étages du système politique unique européen. Et le continent oscille entre deux évolutions :

– l’une d’elle consiste à transférer les outils de la souveraineté au niveau européen, mettant en perspective l’émergence d’un super-état qui aura tous les attributs nécessaires pour prendre sa part à la confrontation globale qui se dessine peu à peu

– mais l’autre est beaucoup plus intéressante et réellement à l’œuvre également : le niveau européen assume en partie le rôle de gardien des valeurs européennes (celles d’après 1945, espérons-le) tout en laissant la main aux niveaux nationaux qu’elle s’attache à coordonner entre eux. Par exemple :

. dans le cas des banques italiennes, l’Europe a simplement produit une règle, légitime et compréhensible de surcroît, consistant à interdire les aides d’état au secteur bancaire[15]. Puis elle laisse les pays se débrouiller avec ça. C’est ainsi que l’Italie a mis en place un fond de sauvetage abondé par le secteur bancaire lui-même et non sur deniers publics[16]

. sur la question des frontières, les parlementaires européens proposent actuellement que les nouvelles forces douanières soient sous contrôle du Conseil de l’UE (Etats-membres) et non de la Commission ; cela dit, le niveau européen légifère en autorisant le voisin d’un pays qui déciderait de ne pas fermer sa frontière à recréer la sienne[17]

. en matière de pollution, les échecs constatés en Mer Baltique justifient aujourd’hui un rapport incendiaire de la Cour des Comptes européenne mettant la pression sur les états riverains à appliquer les décisions communes[18]

Dans les trois cas, l’Europe produit les orientations stratégiques et les règles/lois, et les Etats-membres utilisent leurs outils de souveraineté pour les appliquer. Aux deux bouts de cette chaîne de gouvernance, il y des chantiers : d’un côté, le renforcement de l’autorité européenne en matière d’application des règles ; et, de l’autre, l’invention du mécanisme de légitimation démocratique des orientations stratégiques décidées par le niveau européen, une fonction essentielle que le Parlement européen en l’état actuel ne parvient pas à remplir.

Dans le premier cas, on voit se mettre en place une Europe qui s’accapare les outils nationaux de la souveraineté et échoue dans son projet originel d’invention d’un nouveau modèle politique. Dans l’autre, la voie s’ouvre vers une Europe fondée sur ses Etats et responsable de leur mise en cohérence (qui n’autorise pas pour autant à faire l’économie de la démocratisation européenne).

Nous l’avons toujours dit, la voie que choisira l’Europe influencera celle que prendra le monde, notamment sur l’aspect des risques de conflictualisation globale. A ce jour, notre équipe estime que le niveau national est le plus inquiétant (montée de mouvements xénophobes, mise en berne de la démocratie, augmentation des budgets militaires,…) et que le niveau européen contribuerait plutôt, quant à lui, à maintenir le cap des principes fondateurs[19].

Monde multipolaire : D’un monde composé de grandes régions intégrées à un monde de super-puissances nationales

Mais en dehors de l’Europe dont le processus d’intégration régionale, malgré son échec sur la dimension politique, est le plus avancé au monde, l’espoir d’un monde multipolaire fondé sur de grandes régions intégrant tout le monde, est en train de disparaître sous nos yeux. On voit bien un monde multipolaire émerger mais il est composé de super-Etats menant des politiques régionales de plus en plus clairement hégémoniques :

. les Etats-Unis, bien sûr, tentant de reprendre le contrôle de ce qu’ils considèrent comme leurs deux back-yards, l’Europe et l’Amérique du Sud ;

. l’Europe, aussi en fait, en tous cas une certaine Europe qui rêve d’une gigantesque zone d’influence constituée de pays faisant allégeance et s’offrant aux entreprises d’Europe occidentale en échange de libéralisation des visas… et de promesses d’intégration éternellement déçues (Géorgie, Turquie, Ukraine….)[20] ;

. la Russie inévitablement, qui se bat pour maintenir sa sphère d’influence historique en Europe orientale, dans les Balkans, le Caucase et les républiques turcophones – dans le but notamment de repousser le plus loin possible l’encerclement auquel procède inexorablement l’OTAN depuis la chute du Mur ;

. la Chine (comme on le verra plus loin dans ce numéro de GEAB), qui s’installe dans le monde et a elle aussi besoin d’établir sa zone de sécurité autour d’elle et d’assurer les routes nécessaires à l’approvisionnement de son milliard et demi de citoyens ;

. l’Arabie Saoudite qui, en dehors des radars, avance ses pions depuis de nombreuses années, ayant transformé les principautés du Golfe en zones franches et ayant étendu, à coups de pétro-dollars, son influence idéologique dans tout le pauvre monde arabe qui ne les aime pas plus pour autant et dont les tissus sociaux souffrent considérablement de cette polarisation entre modernité occidentale et archaïsme saoudien, choix dans lequel les aspirations authentiques peinent à trouver leur place[21] ;

. l’Afrique du Sud, à son échelle, présente également des caractéristiques hégémoniques, bien peu repérées dans nos médias mais réelles et documentées[22].

D’un renforcement du nationalisme au retour des idéologies

Ce renforcement de pôles nationaux, au lieu de pôles régionaux, s’accompagne d’une idéologisation croissante de chacun de ces méga-acteurs, annonciatrice de la prochaine dimension de la crise systémique globale, qui pointe déjà son nez : la crise idéologique.

Le monde « multi-giga-pôles-nationaux » se retranche aussi graduellement derrière ses spécificités culturelles en un mouvement de rejet complet du modèle dominant occidental auquel la planète entière a dû faire allégeance pendant des décennies. Désormais la Russie revendique la légitimité de son modèle de leadership, l’Arabie Saoudite son modèle religieux, les Etats-Unis présentent une version du modèle occidental de plus en plus divergente de l’acceptation habituelle, la Chine élabore son modèle spécifique ancré dans 3000 ans d’histoire, et l’Europe, l’Europe… continue à penser ses valeurs universelles et indépassables, parangon du Bien, oubliant bien facilement l’inquisition et le nazisme.

On le voit, l’émergence de super-états aux intérêts désormais ouvertement en compétition et construisant des idéologies polarisantes n’annonce rien de bon, inutile d’élaborer là-dessus. Le jeu des postures agressives et de retranchement est lancé depuis 2014 et la crise euro-russe, toujours non résolue. Les camps ne dialoguent plus. Il est par exemple inconcevable que les négociations en cours entre les Balkans et l’UE, notamment avec la Serbie, continue à se faire en bilatéral et non en invitant la Russie à la table, faisant courir à cette région le risque d’un embrasement à tout moment.

Nouvelle gouvernance mondiale : Des raisons d’espérer tout de même

En 2014, le monde a pris le mauvais aiguillage. Il reste néanmoins des moyens de canaliser les évolutions dans des directions moins effrayantes. Tout va dépendre de la capacité de ces Etats et super-Etats à travailler ensemble, à reconstituer des enceintes de dialogue et de coopération.

Nous avons souvent parlé dans ces pages du travail de la Chine et des BRICS en matière de réforme de la gouvernance mondiale.

Actuellement, notre équipe met beaucoup d’espoir dans la conférence des pays producteurs de pétrole qui doit avoir lieu le 17 avril[23], destinée à mettre d’accord 17 pays sur un ralentissement de la production. Cette conférence va mettre autour de la table des pays aussi peu amis que possible : Russie, Arabie Saoudite, Venezuela, Iran, Mexico[24]… Pour éviter une conflagration générale à l’horizon 2020, le monde multipolaire doit acter de ses différences, reconnaître la légitimité des contraintes de chacun et chercher les terrains d’entente. Le succès ou non de la conférence de Doha incitera à l’optimisme ou au pessimisme sur le potentiel de réinvention de nouveaux mécanismes de gouvernance mondiale. A suivre donc…

Guerre ou paix, le pivot US

En effet, les Etats-Unis sont opposés à cette conférence et souhaitent la voir échouer. Il faut d’ailleurs se demander pourquoi un pays prétendument producteur de pétrole peut ne pas souhaiter le succès d’une telle initiative[25]. Mais au-delà des raisons que cet article n’a pas pour objet d’explorer, force est de constater que tous les indispensables efforts de réorganisation du monde se voient contrecarrés par les Etats-Unis. Tant que cette situation perdurera, les citoyens du monde auront du souci à se faire.

Ce qui incite à l’optimisme, c’est certains progrès tout de même dans la prise de conscience américaine de leur place dans le monde. Au nombre de ces avancées, on trouve le fait que la Fed cesse enfin de parler de remontée de ses taux et prenne cette décision dans le cadre d’une prise en compte de la situation globale. Il est assez rassurant que Yellen produise enfin un discours responsable et cohérent avec le statut de monnaie de réserve internationale du dollar[26] : on ne peut pas, d’un côté, s’accrocher à ce statut international et, de l’autre, gérer sa monnaie de manière provinciale en visant des objectifs de taux national d’inflation de 2%.

Il serait de bon ton que les Etats-Unis soient également cohérents avec leur récente arrivée au nombre des pays exportateurs de pétrole[27] et participent donc aux enceintes internationales destinées à harmoniser les politiques dans ce domaine.

Sur l’Iran enfin, pour être crédibles dans le rôle qu’ils prétendent avoir joué dans la levée des sanctions internationales, les Etats-Unis se doivent d’être les plus prompts à l’appliquer. Ou alors, des questions vont se poser : qui était à la manœuvre en fait dans cette levée des sanctions ? et quelle influence les Etats-Unis ont-ils réellement sur le plan international ? ou même chez eux d’ailleurs ?

Obama a clairement contribué à amener son pays à prendre conscience de ses responsabilités internationales et de ce que cela signifie qu’être une puissance globale dans un monde où l’on n’est plus tout seul. Mais le grand danger, c’est un grand retour de bâton : repli et provincialisation définitive des Etats-Unis qui sortent du jeu international faisant tomber un rideau de fer sur eux-mêmes dont le fracas risque de retentir très loin.

Aujourd’hui leur « establishment », comme beaucoup d’autres de par le monde, est éminemment divisé sur les pistes d’avenir que le pays doit emprunter. Comme nous l’analysons plus loin dans ce numéro du GEAB, cette division est rendue visible par le chaos complet des primaires de l’élection présidentielle à venir. Bien malin celui qui peut prédire à quoi ressemblera l’Amérique à la fin de l’année, sachant que l’option Clinton est loin d’être aussi bénigne qu’on veut nous le faire croire.

Face à cette immense incertitude, le monde se prépare, beaucoup de monde se prépare… et l’année promet de continuer à être riche en rebondissements…(Abonnez-vous pour lire l’entier bulletin GEAB 104)

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[1] Source : Wikipedia
[2] Source : Reuters, 15/04/2016
[3] Notre équipe a suivi les deux tentatives de destitution, dont l’une, en Afrique du Sud, touche un personnage au profil beaucoup plus trouble que l’autre, au Brésil. Nous nous étions amusés à spéculer que, ironiquement, c’est le plus trouble qui échapperait à la destitution tandis que l’autre, non. Pour ce numéro du GEAB, à peu de chose près, nous ne pourrons pas être certains d’avoir eu raison à 100%, mais nous avons déjà eu raison à 50%…
[4] Source : Al Monitor, 02/06/2013
[5] Source : CSMonitor, 06/05/2013
[6] Source : KyivPost, 22/02/2014
[7] Source : The Guardian, 14/02/2014
[8] Le référendum néerlandais sur l’accord de partenariat économique EU-Ukraine fournit un bel exemple de ce genre de désillusion : des citoyens se mobilisent, obtiennent un referendum, font campagne, dépensent une énergie gigantesque, obtiennent le minimum de participation requis (30%)… tout cela pour rien car le système démocratique européen, en l’état, est bien incapable de faire quoi que ce soit d’un tel effort : la décision concerne l’Europe mais la démarche est nationale, une grosse moitié d’un tiers de néerlandais disent « non » et alors ? Les institutions totalement illégitimes qui signent ce genre d’accord, ont la partie belle à balayer d’un revers de main ces initiatives démocratiques. Non, décidément, nous sommes loin du compte pour faire valoir nos intérêts collectifs. Source : NLTimes, 07/04/2016
[9] Cristina Fernandez qui a quitté le pouvoir par respect de la Constitution se voit aujourd’hui poursuivie pour corruption alors que c’est son opposant, Macri, désormais au pouvoir, qui figure dans les Panama Papers… Source : StraitTimes, 08/04/2016
[10] Source : Washington Times, 10/02/2016
[11] Michel Temer, successeur probable de Rousseff en cas de destitution. Source : Bloomberg, 29/03/2016
[12] Source : Reuters, 16/12/2015
[13] Source : BBC, 28/02/2016
[14] Source : Step, 21/01/2016
[15] Source : Irish Times, 07/04/2016
[16] Source : Financial Times, 12/04/2016
[17] Source : EUObserver, 12/04/2016
[18] Source : EUObserver, 12/04/2016
[19] L’exemplaire réaction des médias belges aux attaques terroristes, questionnant leur système plutôt que se répandant en invectives contre l’Islam (contrairement aux médias français), nourrit ce sentiment que partagent actuellement les membres de notre équipe selon lequel l’Europe (dont Bruxelles est également la capitale) contribuerait à amortir les réactions aux événements. Source : Le Vif/L’Express, 08/04/2016
[20] Source : Visa-free.eu
[21] Nous ne parlons pas des deux autres super-puissances régionales, actuellement hors-jeu, que sont l’Iran et la Turquie. Mais derrière la domination de fait de l’Arabie Saoudite sur le monde arabe en lambeaux, se profile bien entendu, au niveau régional, l’émergence d’un Moyen-Orient multipolaire autour de ces trois puissances, et dont il convient bien sûr d’observer attentivement les évolutions.
[22] Source : South Africa’s Symbolic Hegemony in Africa, Chris Alden and Maxi Schoeman, 2014, Palgrave Macmillan
[23] Source : GulfTimes, 14/04/2016
[24] Source : Financial Times, 14/04/2016
[25] Source : CNBC, 12/04/2016
[26] Source : Bloomberg, 29/03/2016
[27] Source : Wall Street Journal, 13/01/2016

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