Société

DU RENOUVEAU AU THEATRE NATIONAL

DU RENOUVEAU AU THEATRE

Une pièce de théâtre fabuleuse a été représentée à la salle du T.N.A. Elle dénote d’une immense capacité de mise en scène, de chorégraphie et d’un niveau de représentation très appréciable par une troupe éblouissante formée de jeunes (et de moins jeunes) acteurs bien au fait de leur art. L’auteur et le metteur en scène est Ahmed Rezague. L’intitulé est Terchaka.

Cela fait bien longtemps que nous n’avons eu écho d’une représentation de cette envergure du fait certainement d’avoir sans doute « décroché » depuis si longtemps, avant de renouer accidentellement avec le théâtre. On est sorti sidérer de cette représentation de haute facture et par la présence d’un public très jeune qui a accompagné, par son effervescence juvénile de façon magistrale et avec complicité les acteurs tout le long de la représentation. Bref, un public très présent et enthousiaste qui n’a pas décroché un seul instant durant tout le spectacle, dans une salle archi comble occupant les trois étages de la salle et toutes les allées…

Un public enjoué et complice donc a, d’emblée, saisi sur le vif les propos et les messages émis et captés savamment avec une vivace adhésion, de quoi vous coller la chair de poule en comparant avec le marasme du dehors de la salle …

Mais essayons, en résumé, de restituer le contenu et le sens ainsi que la portée de cette pièce. Cette histoire (car c’en est une) peut être reprise sous forme de « hadjitek madjitek » ou, selon, sous forme de « amachahou », en tentant d’enlever le calfeutrage théâtral et de mise en scène dans lequel est confiné (à juste titre) la pièce.

Il était donc une fois, dans une contrée lointaine –mais qui peut ressembler à toutes les contrées -un pays gouverné par un roi charismatique et absolu qui régnait sur un peuple composé d’Allumettes (hommes er femmes) vivants regroupés dans des boîtes. Ce peuple était à la merci de ce dominateur et de sa cour, très asservi et vouée à ses désirs et à ses caprices. Le monarque avait le droit de vie et de mort sur ses sujets qu’il pouvait, à tout moment, faire disparaître en les allumant. Parqué et enserré dans des boîtes étroites, ce peuple dépendait donc du bon vouloir du royaume et de ses vassaux pour continuer d’exister. Il vivait dans la soumission, l’étroitesse et le froid et devait évidemment s’effacer devant le roi et les membres de sa cour.

Un jour ce roi, décida d’agrandir sa smala et à porter son choix sur une jeune fille (Allumette) qu’il voulait épouser en quatrième noce. Mais cette dernière, du nom de » Terchaka », était amoureuse d’un jeune homme « Zalamite » à qui elle vouait tout son amour. Malgré l’insistance de ses parents et face à la présence du monarque, Terchaka décida de disconvenir à la décision du roi à vouloir l’épouser. Cet incident va créer un précédent inouï et un scandale et ce, pour deux raisons : la première est celle d’avoir rejeter la décision du roi en refusant son offre. La seconde est celle d’avoir exprimé en public un sentiment et un attachement à un jeune homme, jusqu’ici inconnus dans le royaume. L’attachement sentimental est non seulement banni, il est aussi honni.

En attendant d’utiliser tous les subterfuges pour ramener Terchaka à la raison et assouvir ses lubies, il fallait à tout prix épargner le royaume d’un très grave danger qui le guette désormais. Le phénomène nouveau de l’amour est considéré comme contagieux et destructeur à la fois, un mal qui risque fatalement de contaminer toute la société. Une opération d’envergure et de haute importance ayant pour but le lavage des esprits et le combat de toute velléité sentimentale, est menée. Pendant ce temps Terchaka aura tout le temps pour regretter son attitude.

Une des épouses du roi, la préférée, prit à cœur l’objectif de détruire le couple rebelle, Terchaka et Zalamite. Elle arriva à ses fins par la débauche et en pervertissant le jeune homme qui est, malheureusement, tombé sous son charme, le poussant ainsi, sous l’effet de l’alcool à renier son amour porté à Terchaka. Moment tragique de la pièce (ou de l’histoire) : Zalamite s’est réveillé et a regretté son acte et ses propos. Terchaka les refusa avec dignité. Le jeune homme sombra alors dans un état dépressif dramatique et finit par s’allumer et de s’éteindre définitivement …

Mais, contrairement au travail de sape et de destruction, les sentiments ont commencé à faire leur chemin et d’irriguer les milieux populaires. Comme prévu, le peuple d’Allumettes s’est emparé de la nouvelle trouvaille. Les feux de la passion s’est éteint en un endroit, mais a permis la transmission à d’autres foyers innombrables en s’emparant de tous les rapports intimes et sociaux. La liberté réside désormais dans l’amour mutuel qui permet d’avoir des ailes dans le comportement vis-à-vis des autres, dans les différents rapports et notamment une adversité avec le pouvoir en place en suscitant un dépassement et en s’octroyant le droit de construire un espoir de vie et de liberté et bâtir un nouveau monde. Les Alumettes ont fini par ôter définitivement leur coiffe rouge en signe de ne plus être considérées comme objets. N’est ce pas là une vision intéressante à explorer ? De l’amour nait l’espoir de changement et de combats pour améliorer sa vie de tous et celle commune.. Sans tomber dans la crédulité, ce combat est devenu bien réel. Le moteur en est l’amour évidemment, mais pris dans toute sa dimension, l’amour de ses proches, des autres, de son pays et sa patrie, l’intérêt qu’on attache à la vie ainsi qu’à celle des autres, etc. Bref, ce peuple est sorti de sa torpeur, de ses peurs et craintes ainsi que d’une certaine paresse due à la soumission et prend sa destinée en main !!

A la sortie du spectacle dans la cohue, j’avais repéré un ancien camarade que je n’ai pas revu depuis des lustres. J’ai réussi à le rejoindre. Il rayonnait aux anges par, certainement le grand moment d’enthousiasme qu’il venait de vivre. Par la suite, il me confia, non sans tristesse l’évocation de l’illustre Alloula, dont l’ombre planait sur la scène par, notamment, le passage où les acteurs entonnèrent en cœur la chanson de » Nouara benti ». Cette évocation lui rappela drôlement des moments de lutte et de résistance face aux menaces intégristes. Il me confia alors que c’était l’air qu’il reprenait souvent, chaque matin , où il devait traverser un trançon menaçant entre le Puits des Zouaves à Bouzaréah et l’autoroute de Frais Vallon en passant par la Route Neuve, la peur au ventre surtout pour ses deux enfants innocents … Il ajouta, les larmes aux yeux, « c’était entre autres des moments difficiles à supporter » avec l’assassinat de beaucoup de camarades et d’autres cadres journalistes et intellectuels, femmes et hommes, dont notre camarade Alloula évoqué dans la pièce. Comment le théâtre arrive t’il à rythmer et à intervenir dans notre quotidien, à instiller et à façonner nos rêves, et notre comportement, y compris en des moments si difficile ? C’est le génie de Alloula et de tous ceux qui ont agi pour introduire la vie, en bref, la réalité, sur les tréteaux. Ce camarade avisé m’a souligné qu’il a senti l’inspiration et l’espoir jadis colportés ainsi que les traces et l’impact du théâtre d’avant-garde animé à l’époque par des troupes qui sillonnaient les villes, les villages et les campagnes du pays, Mirages ? non, les roses refleuriront !!

Je remercie beaucoup la petite Sonia pour m’avoir sorti de mes turpitudes en ayant tellement insisté pour m’amener voir cette pièce prodigieuse. Cette dernière revient à plusieurs reprises dans le programme du T.N.A et peut être ailleurs. Elle mérite évidemment un détour agréable. Allez la voir, un baume au cœur est assuré ! N’oublions pas de rappeler ce sublime public très au fait de l’art exprimé mais aussi très enthousiaste de par sa complicité totale et par l’accueil sans pareil des critiques, des allusions à la réalité d’aujourd’hui et des messages distillés par cette pièce. Gage d’avenir pour un meilleur présage ? Sans aucun doute !!

Il est toutefois une moralité de la pièce qu’on tentera de cerner à travers les quelques remarques suivantes : des sentiments naît le mouvement et l’action. On prend conscience de ce pourquoi nous existons réellement et de nos capacités à pouvoir agir pour façonner notre vie présente et future. Ce processus qui s’inscrit dans le prolongement et la transformation progressive de la société et le monde dans lesquels nous vivons, n’a rien de naïf. Il transcendera les hésitations et les difficultés voire nos erreurs par des dépassements pour s’inscrire dans l’objectivité. Les chemins qui alimentent ce processus sont divers : artistiques, syndicaux, politiques, scientifiques, conscience de sa position de classe, religieux … Bref, ce processus aboutit forcément à la prise de conscience des injustices sociales qui s’exercent sur soi et/ou sur les autres. On se met alors à imaginer des objectifs en commun et à tendre à les réaliser, tendre donc à réaliser les besoins objectifs de la société et un avenir toujours qualitativement meilleur. On se situerait désormais bien plus loin de la seule addition des colères et des attitudes nourries de nihilisme, suscitant et souhaitant le chaos comme unique solution.

S. A. ALLILOU.

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