Société

Remarques et objections sur le projet de Constitution

 par Sid Ali Bensaidane

L’avènement et la conjonction de deux situations émanant de la situation présente, celle de la pandémie et celle de la Constitution dominent à elles deux la scène sociale et politique. Nous allons vraisemblablement passer encore une fois à côté et rater des opportunités pour réellement impulser et donner une solide base de soutien et de renforcement à nos institutions à travers une mobilisation conséquente des masses populaires.

Notre pays connait de multiples menaces frontalières exercées par nos voisins de l’ouest notamment, mais aussi par les hordes intégristes émanant de toutes parts ainsi que les tentatives d’encerclement et de déstabilisation des puissances impérialistes.

Malheureusement, hormis l’ANP qui demeure et état d’alerte permanente, rien n’indique que sur le plan politique on ait pris ces menaces à leur juste proportion de gravité et que l’on s’intéresserait réellement aux voies et moyens de contrer ces méfaits qui recherchent l’éclatement de notre nation, de ses institutions et la division de notre peuple.

Il y a réellement un manque fatal de prise de conscience et de sous estimation de la situation. On combat les effets de l’agitation politique dans le pays sans en combattre les causes et les instigateurs de ce projet maléfique dressé contre notre nation et notre peuple. En effet, ces instigateurs et maître d’œuvre étrangers ne sont jamais montrés ni dénoncés et l’on s’attelle à viser quelques propagandistes nationaux qui reprennent à leur compte de façon consciente (en leur qualité de diffuseurs locaux), d’autres qui les reprennent de façon inconsciente, et enfin de cibler d’autres militants séduits et subjugués uniquement par les idées abstraites des droits de l’homme, de démocratie et des libertés « en l’air ». Ces derniers semblent inconscients des enjeux politiques et idéologiques qui se trament à l’initiative de certaines officines étrangères et de certaines ONG porte voix de celles-ci.

Hélas, le travail de mobilisation autour de la Constitution, tel qu’il a été initié a été dévoyé au départ. Face à la faiblesse dans la représentation des Partis politiques, y compris de ceux affiliés à l’ancienne coalition présidentielle. Auparavant, la Issaba a fortement réussi son coup grâce à de diaboliques stratagèmes en les vidant de leur contenu et en éliminant toutes les possibilités de déploiement et de développement de leurs capacités. Les Partis coalisés sont actuellement frappés de sclérose de par leur méthode de travail et de compromission avec la Issaba.

Dès lors, face à ce vide de la représentation politique et l’absence d’une large frange politique de soutien, les pouvoirs publics vont devoir faire recours aux membres du Gouvernement, aux membres des associations et permettre aussi à ceux des Partis de l’ancienne coalition de mener la campagne de soutien au projet de Constitution afin de palier le manque d’animation de la dite campagne. Nous verrons plus loin dans ce point de réflexion que ce palliatif demeure inapproprié.

Cette situation de menaces ira aussi en s’aggravant avec l’intervention des partisans du chaos qui vont concourir de l’intérieur et faire jonction avec les agissements néfastes impérialistes.

Cette situation sera sans doute aggravée avec les problèmes économiques et sociaux liés à la crise dans toutes ses dimensions qui risquent d’affaiblir la capacité de résilience et de défense du pays. De même qu’elle risque de créer des perturbations et des mouvements sociaux d’autant que la manne financière du pays s’amenuise constamment et n’est déjà guère en mesure de répondre aux aspirations des travailleurs et des masses populaires ainsi qu’à à leurs multitudes attentes politiques et socio économiques, d’éliminer la mal vie et la pauvreté chroniques qui caractérisent le pays depuis les années 80.

L’observation de prés de la Constitution pose un préalable, celui de rappeler que celle-ci a été réalisée sur la base de l’ancienne, ce qui crée à juste titre des réticences et certainement suscité des critiques d’autant qu’elle n’a servi pour l’ancien pouvoir que comme un paravent de façade pour séduire les investisseurs étrangers, leurs représentants et les observateurs.

Notre critique visera non seulement le contenu substantiel du projet à travers quelques thèmes circonscrits, mais aussi l’élément et le pivot essentiel sur lequel est basé le dit projet. Il s’agit du peuple et de la conception adoptée pour le mobiliser et le servir, aspect important du texte.

L’aspect dominant de notre démarche est essentiellement politique comme le sens du projet l’est aussi et les tournures techniques et constitutionnelles le sont, de même, politiques en dernier ressort.

Ce projet est l’œuvre de technocrates, qui se veut répondre à un moment de domination de la bourgeoisie bureaucratique. S’inscrivant dans une situation de rapport de forces d’un moment, Il recherche des points d’ancrage et des points d’appui dans la société à travers les principes de nationalisme, des constantes nationales, de souveraineté nationale et voulant prendre comme pivot de soutien de sa politique le peuple, sans tenir compte de ses composantes et de ses disparités sociales. Rappelons toutefois que ces valeurs anciennes, sans cesse renouvelées ont été constantes, depuis les premiers fondements de l’Etat national. A ces valeurs constantes est ajoutée Tamazight comme langue nationale et officielle, à côté de l’arabe. Dans ce texte de projet comme celui initial de la Issaba, les initiateurs ont confirmé l’option de la voie libérale tout en ajoutant les valeurs normatives occidentales de démocratie abstraite, des libertés en tout genre désormais reconnues et du respect des droits de l’homme tout comme la précédente Constitution, il a confirmé le schéma d’un Constitution qui se veut normalisée.

Dans sa forme, ce texte est clair, assez aéré, bien compartimenté et abordable. Mais la nouvelle mouture est calquée en grande partie sur l’ancienne, avec toutefois quelques précisions et rajouts d’articles apportés. IL est d’essence pragmatique et a subi des corrections, notamment sur la vacance du pouvoir, il a fait donc l’objet de corrections et de précisions compte tenu de la précédente présidentielle. Mais la formulation et l’articulation des idées sont demeurées identiques. On serait à même de tenter de croire que le nouveau texte produirait les mêmes effets. Si tel serait le cas, il faut rappeler que les pouvoirs publics précédents ont exercé un « cadrage politique » s’assurant de l’hégémonie sur les structures, les institutions et sur l’action politique.

Dans le fond, nous commencerons par le pouvoir du Président qui se trouve aussi confirmé dans son ensemble de par la grande place qui lui est consacrée. C’est la confirmation d’un pouvoir présidentiel tel qu’il a été défini par la précédente Constitution. Tout comme celui du Chef de Gouvernent (mais à un degré moindre,) son rôle est prépondérant. Il possède une capacité importante notamment dans les nominations dans les institutions. L’esprit de cooptation demeure assez largement reconduit. Là il semble que l’on n’a pas tiré suffisamment de leçons sur l’expérience ancienne et du rôle joué par la Issaba dans l’exercice du pouvoir jusqu’aux dérives que nous connaissons. Le Droit constitutionnel des pays avancés laisse un champ plus consistant au jeu démocratique, même si en vérité ce jeu est biaisé. De plus la suprématie du pouvoir présidentiel a été même renforcée sacralisant un système de gouvernance concentré et centralisé sur l’unique Président. De ce fait toutes les institutions, y compris le Sénat, sont investies du pouvoir de cooptation du Président (par le tiers présidentiel).

Cette concentration créera évidemment des déséquilibres des pouvoirs dans le cas du jeu de l’alternance prévu pour l’exercice du pouvoir exécutif. Nous évoquons l’alternance parce que nous admettons, comme peut être les concepteurs du projet le pense, que cette Constitution intègre de futures situations de non continuité du présent pouvoir. Il n’est pas prévu de limitation dans le temps de la gestion par ordonnances par la présidence. On souligne que cette dernière peut intervenir durant la période de vacance des chambres.

Ce déséquilibre de pouvoirs existe dans les faits entre la présidence et le Gouvernement. Durant l’ancienne situation où des ministres se sont trouvés contredits par les portes paroles de la présidence. Aussi avons nous assisté dans le passé à une double action identique, celle menée par le Gouvernement et celle par la Présidence portant sur les mêmes tâches. Les citoyens ont été aussi confrontés à des statistiques différentes entre celles du Gouvernement et celles de la Présidence sur un même sujet. Si cette dernière continuera à être étoffée comme la précédente, il serait certain de retrouver les mêmes redondances déroutantes qui seraient animées par une panoplie de cadres supérieurs. Problèmes de confiance ou de compétence : nous ne saurions que dire . Toujours est il que la présente Constitution va peut être validé ce double pouvoir selon ou non le renforcement à l’extrême des structures présidentielles et selon la nouvelle répartition des tâches et des responsabilités, ceci dit sans préjugés des décisions qui seront prises et du nouveau schéma d’organisation arrêté.

Toujours est-il que le Président de la République jouit d’une grande confiance dans l’exercice de ses pouvoirs ; En même temps, il doit assumer une grande responsabilité. Sans spéculer ni porter un jugement sur son intégrité, sa capacité ni même ses compétences par ailleurs avérées, il aurait été plus convenable de placer des garde fous afin d’éviter tout dérapage éventuel. Cela n’est pas prévu et l’on compte probablement sur l’unique confiance accordée en la personne du Président. Dans ce cas comment pourrait-on représenter une situation concrète de déroulement de l’alternance ? devrait-on, dans ce cas, procéder à une redéfinition des pouvoirs et devons nous faire appel à une nouvelle Constitution ?

Pour revenir au pouvoir législatif , si la nomination des représentants cooptés demeure significatif dans les institutions et dans les organes de mise en application, cela laisse à croire, comme pour l’ancienne Constitution, que « l’encadrement politique» des institutions est assuré, les courroies de transmission joueront à loisible. De ce fait, les chambres ne pourront pas jouées entièrement le rôle de contre pouvoir. Le bicaméralisme ne sera pas d’une grande utilité dans ce cas avec l’existence de deux chambres, une suffirait pour éviter là aussi une certaine redondance et des économies de ressources. Mais il est vrai que nous ne pouvons observer le futur dans la sérénité compte tenu des menaces en tous genres qui pèsent sur la République et la nation. Toujours est-il que cet état de fait ne pourrait être exploité dans l’alarmisme à des fins politiques. Il faudrait arriver à prendre la juste mesure des choses en les évaluant en toute lucidité : les menaces tendent à reculer selon le nouveau rapport de forces internes et externes, bien qu’elles demeurent existantes et coriaces. Presque chaque jour notre pays en fait les frais.

C’est à l’aide de cette démarche « d’encadrement politique » que la Issaba est parvenue à verrouiller le champ politique en suscitant chez des citoyens un rejet. Elle a diabolisé toutes les oppositions, mises dans un même sac. Elle a fait du principes pourtant énoncé dans l’ancienne Constitution. Le combat politique se mène par des idées politiques qu’il s’agit d’assumer en créant et en réunissant ses propres forces et moyens de luttes. Les Partis de l’ex coalition se sont cantonnés en des opérations de soutien à la politique de l’Etat et d’émargement à la rente. Climat et esprit des affaires aidant, ils ont été déviés de leur fonction originelle avec l’apparition de la nouvelle notion de chékara. L’intervention policière ne peut régler les problèmes socio économiques et politiques et les risques d’embrasement sont latents, malgré les précautions prises. Dans l’état actuel des choses, les masses populaires devraient être mobilisées pour répondre à la situation. Le peuple a besoin d’une analyse sincère et des limites des possibilités actuelles que peut offrir l’Etat. Il doit être suffisamment conscient des enjeux qui se trament ici et là, tissés à son détriment. Il a démontré ses capacités et sa conviction durant les premiers moments du Hirak. Il ne se suffit pas d’être pris comme un réceptacle vers qui convergent les flatteries et les adorations verbales, ni même de demeurer l’objet, une option et le destinataire d’une politique et des résultats attendus. Notre peuple est monté d’un cran pour devenir un acteur actif sur la scène politique et veut s’impliquer dans le processus décisionnel. Il suffit de trouver les voies et moyens nécessaires. Justement on aurait dû assister à une mise à contribution à travers des débats ouverts d’explication Du projet de constitution en augurant réellement une nouvelle politique de rapprochement et de mobilisation populaire.

La sollicitation des représentants populaires dans les institutions n’est pas relevée dans le texte. Doit-on comprendre que sa participation se limite uniquement aux joutes électorales ? Auquel cas le domaine juridique serait l’apanage des seuls experts et techniciens du domaine. Si le Droit est l’expression du réel, il ne peut transcender la société qu’il régit. Le droit à la représentation aurait dû être repris par la Constitution. Récemment, il a été question qu’une Cours (des assises ?) voudrait négliger la présence des jurés pour la bonne raison que ceux-ci n’ont pas le niveau requis pour intervenir dans les séances. Le syndicat des avocats aurait réagi en posant la nécessité d’assurer une formation adéquate aux jurés. Ce problème s’est posé à la veille des élections du projet de Constitution.

La défense des institutions est l’affaire de tous. Dans l’état actuel des choses et plus que jamais, les masses populaires devraient être impliquées dans le fonctionnement des institutions et plus généralement dans la marche du pays. L’action de substituer le peuple à l’action des associations ou des représentants de l’ancienne coalition peut s’avérer non efficace. En effet les premiers dits représentants de la société civile animent des actions en largeur avec les limites du fait de leur objet, du domaine et du lieu d’intervention. Les seconds totalement désarticulés, ont fait dévier leurs organisations au-delà de leur objet comme Partis et ont versé dans le clientélisme. D’ailleurs la plupart de leurs interventions durant la campagne présente sont à l’image de leurs capacités mobilisatrices. Sans préjugés, nous pensons que ces différentes organisations possèdent des militants honnêtes, notamment à la base. Soit dit par ailleurs, la notion de société civile ne renvoie pas uniquement aux associations mais à toutes les composantes socio politique de la société qui auraient pu prendre au débat. Enfin les tâches du Gouvernement durant la campagne s’avèrent difficilement soutenables dès lors que le Ministre doit couvrir sa charge ministérielle en plus et il est à même de s’occuper de la gestion des affaires publiques. Leur mise à l’œuvre ne pourrait être permanente.

Une des nouveautés dans le projet de Constitution touche à la souveraineté nationale. Jusque là l’Algérie jalouse de son intégrité a toujours refusé la présence armée étrangère, comme elle a de tout temps refusé des interventions à l’étranger. Le projet de Constitution a innové en donnant la possibilité à notre armée de procéder à des actions de paix en dehors du territoire. Il est donné au Président de la République d’initier cette action si besoin serait, à condition d’un soutien parlementaire à hauteur des deux tiers des voix exprimées. L’opinion publique est réticente sur ce point. Elle voit cette action avec inquiétude. Nous ne savons pas à quoi répond cette initiative. Est-il dans l’intérêt du pays d’aller faire le gendarme en dehors de ses bases ? Nous savons pertinemment que le fait de protéger par exemple une population, nous allons nécessairement gagner l’aversion de l’autre partie sur le terrain et se créer des ennemis. Les guerres sont des conflits d’intérêt. Elles sont très souvent fomentées par les pays impérialistes qui nous combattent par ailleurs. Cette situation éventuelle peut amener le pays vers des situations inextricables qui peuvent durer longtemps. Il n’y a qu’à voir le devenir des armées interventionnistes et même celles sous l’égide de l’ONU qui finissent par s’embourber avec des conséquences dramatiques et financières y compris les USA et la France qui déclame sa présence dans plusieurs pays africains. Avec la politique diplomatique efficace de soutien aux causes justes, sa position de toujours faciliter la paix dans le monde, la nécessité de négociation et de rapprochement entre belligérants, la nécessité de nouer des rapports fondés sur le respect de chacun et de l’équité contribuent à la réalisation de cette paix dans le monde. Aussi nous avons tout à gagner en restant sur nos principes intangibles de souveraineté et continuer à l’opposer à toute épreuve.

Un autre volet dans le projet est le principe énoncé des droits de l’homme qui est repris dans le texte ancien et nouveau. Ce concept, tout comme celui de démocratie bourgeoise, est abstrait et n’a pas de prise sur et dans la réalité. Ce sont des notions créés pour des besoins avant tout d’ordre idéologiques et politiques par les forces dominantes. Le concept des droits de l’homme a été façonné par des officines à la solde des multinationales afin d’asservir leurs peuples et ceux des pays dominés. Sa connotation morale donne l’occasion de classifier les entités nationales et de le brandir dès qu’il devient nécessaire d’asservir un pays. Cette connotation est alléchante : droits, c’est-à-dire qu’on reconnaît l’existence à tout être humain alors que la réalité est tout autre : les droits réels sont totalement bafoués dans les pays capitalistes avec l’ère de la flexibilité qui remet en causes tout droit accordé jusqu’ici aux travailleurs et à la classe ouvrière y compris le droit à l’emploi qui est émietté et précarisé. Le patronat s’octroie par contre Le droit de venir en toute impunité déboulonner les machines et les expédier à l’étranger où le coup de main d’œuvre est peu cher et abandonner ses premiers salariés, ainsi que le droit au licenciement massif…

Certes les travailleurs ont besoin du droit d’expression, mais aussi de revendication pour mieux défendre leurs droits et se faire entendre quitte à aller à la grève. Il revendique le droit à l’organisation pour les besoins de représentation, bref le droit à la vie tout court.

La notion de l’homme est subjective. Elle renvoie à une autre notion, celle de l’individu ou la somme des individus pris séparément. Mais cette somme ne veut rien représenter si elle n’est pas nouée et moulée dans les relations et les rapports sociaux qui les lient, par la conscience et le sort communs. Dans l’acception capitaliste la réussite est avant tout individuelle et non commune. D’où cette notion abstraite de l’homme.

Tout compte fait, ce projet de texte nous laisse perplexe. Tout dépendra de sa mise en ouvre et du contenu des lois pour sa mise en application. Il pose en effet beaucoup d’interrogations. Malgré les imperfections qui le caractérisent, il reste que ce texte agit tout de même pour le renforcement des institutions. Finalement ce texte ne vaut que par sa mise en œuvre positive. Tout dépendra de la volonté du » cadrage » politique ou non « cadrage » par le spectre hégémonique qui le hante comme l’ancienne Constitution. Son opportunité s’inscrit dans le futur. Bien difficile de se prononcer pour ou contre, je rejoins la position de la majorité des camarades qui ont pris option pour le nul, par discipline. Notre réticence est amplifiée par les différents faits observés depuis les élections présidentielles. La non autorisation de regroupements des Partis opposés, l’empêchement des manifestations, les arrestations, l’autorisation accordée par contre aux Partis de l’ancienne coalition de tenir des meetings de soutien au projet de Constitution … crée une situation de contrariété peu soutenable.

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