Société

Une pensée pour Rebah Ben Youcef

13450202_290070404674445_6898456351280788794_n.jpgUne pensée pour mon frère Rebah Ben Youcef qui a rendu son dernier souffle le 30 mars dernier, des suites d’un arrêt cardiaque, peu après son admission dans un hôpital algérois. Quelques jours avant, nous évoquions, ensemble, une vidéo montrant Enrico Berlinguer, le secrétaire général du Parti communiste italien, à Padova, debout à la tribune de son ultime meeting électoral, le micro à la main, envahi par un malaise cardiaque et continuant malgré tout à s’adresser aux militants, comme pour leur signifier que la lotta continua, sourd à leurs cris le suppliant d’arrêter, «Enrico basta, Enrico basta !».Jusqu’à ce qu’il s’écroule… Nous avions tant de choses encore à se dire. J’aurais aimé qu’on reparle de Palestro quand nous étions descendus dans le village manifester drapeaux vert et blanc,nadjma wahlal déployés, quelques jours à peine après la proclamation du cessez-le-feu. Ben Youcef était en tête du cortège avec notre autre frère Mohammed et l’Imam du village. Nous croyions que c’était vraiment la fin. Erreur, l’armée française a tiré, faisant un mort… Ben Youcef est parti, trop tôt, trop vite, pour nous. Doucement, comme il l’aurait souhaité, sans faire de bruit ni souffrir ses proches. Je l’associe au souvenir de notre ainé Nour Eddine, qui aurait eu 85 ans aujourd’hui (20 juin)13450100_290070164674469_8683607494061805163_n.jpg« Nouredine Rebah frére de feu Benyoucef,Militant du parti communiste Algérien, tombé au maquis à Bouhandès en wilaya 4 le 13 septembre 1957. »
Dont il partageait non seulement les traits physiques mais aussi l’éthique de l’engagement. Une allure de jeune premier, le port élégant, le visage doux et le sourire qui communiquaient bonté et générosité, Ben Youcef semblait comme arborer les marques d’une éternelle jeunesse. Homme de goût dans sa manière fine de s’habiller et de tact dans sa relation aux autres, il ne sacrifiait pas pour autant au pêché de jouer les vedettes. Chez lui, l’engagement déterminé et courageux était tout aussi discret et efficace que désintéressé. Il en fera la tranquille démonstration aussi bien au service de notre idéal socialiste, notamment en tant que journaliste à Alger Républicain au lendemain de l’indépendance, qu’à celui de l’industrialisation du pays, accomplissant un travail remarquable et apprécié dans les filières réussies de la confection en cuir et du préfabriqué saharien qui étaient alors parmi les fiertés de l’Algérie. Ben Youcef était unanimement apprécié par les travailleurs pour sa disponibilité à aider, à rendre service, et sa capacité à lier avancées sociales et performances professionnelles. Homme de profondes convictions de progrès et d’ouverture humaniste, il savait, lucide, tout le long chemin de luttes à accomplir pour que notre pays y entre par la grande porte. Dépourvu de toute mystique, il était étranger à la sacralisation des idées et des causes et aux mystifications qui en dénaturent le contenu humaniste et libérateur. Arrêté à trois reprises, torturé pendant la guerre d’indépendance, il n’en a jamais parlé ou presque. Pas plus qu’il n’en a exigé des avantages ni une reconnaissance type attestation communale wamaachbaha, fidèle en cela à la noblesse de l’engagement et au sacrifice exemplaire des camarades dans la guerre de libération nationale. Dévoué à notre cause, il avait réalisé les premiers aménagements des locaux du siège du PAGS au Telemly conjointement avec Giorgio Acampora qui s’était chargé de la partie sécurité des lieux. Dans l’enthousiasme de l’époque, Ben Youcef, sans doute comme nombre d’entre nous, était loin de penser que ce siège n’allait être, en définitive, qu’une sorte de gare de triage qui en verra par la suite, certains partir se replier, outre-mer, sous des cieux plus cléments, abandonnant le navire à la furie des vents ennemis, d’autres, restés au pays, tentant de résister, affrontant à découvert les lames et les balles assassines du terrorisme, sans ni abdiquer l’idéal communiste ni se redéployer sous de nouvelles enseignes ou bien recyclés « dans la vie civile», comme il est d’usage de dire, comme s’ils se vivaient en orphelins d’une cause et de leaders perdus, égarés dans la dialectique sédative des ceci et des cela… …Menacé par les terroristes, Ben Youcef ne quitta l’usine- dont il était le directeur et qui était implantée dans une zone intégrée à un de ces «triangles de la mort» surgis dans la Mitidja- que sur l’insistance des travailleurs qui ne pouvaient plus, en 1997, lui garantir leur protection. Il fut particulièrement affligé quand les terroristes ont mis le feu à son usine pour détruire les installations de production qui faisaient vivre des dizaines de familles. Un jour, peut-être, un poète dira son odyssée, partagée avec une multitude de ses compatriotes, dans cette longue nuit glaciale de la décennie 1990 livrée aux mahchouchates et aux camions piégés des intégristes montés à l’assaut de la république.
Abdeltif Rebah .
20 juin·

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