Le hirak, qui a conduit au renversement de Bouteflika et au démantèlement de l’oligarchie mafieuse ayant accaparé les rouages de l’État et une partie de l’état-major de l’ANP, a permis d’éviter que le pays ne s’enfonce davantage encore dans un sous-développement endémique héritage du statut de colonie que devait conforter le virage libéral des années 80.
Ce sous-développement rendait l’Algérie vulnérable et entièrement dépendante de l’Occident, notamment de la France. Un tel contexte économique favorisait l’enrichissement illicite d’une minorité au détriment de la majorité, le pillage des deniers publics, la bureaucratie, la corruption, la fuite des capitaux, les inégalités sociales, le développement de l’informel de subsistance et de l’informel criminel (trafics d’armes et de drogue), la pauvreté, la misère, l’exil, la déculturation, le reflux des idées progressistes et révolutionnaires, la montée des idéologies identitaires et de l’irrationnel religieux, ainsi que l’absence de démocratie et la hogra.
Après la démission de Bouteflika et l’arrestation des principaux responsables de la corruption et du pillage des ressources de l’État, les partisans de la destruction de l’Algérie post-indépendance ont révélé leurs véritables intentions. Leur objectif était de rejouer, dans le fond, le 5 juillet 1962 en fermant la parenthèse Boumédiène, c’est-à-dire en effaçant la période de construction des institutions et de l’économie de l’Algérie indépendante, ainsi que ses traditions de solidarité anti-impérialiste. Leurs slogans, tels que « yatnahaw gaâ », « yasqot ennidham », « indépendance », « dawla madania machi 3asqaria », étaient portés par une coalition hétéroclite de courants berbéristes, libéraux pro-occidentaux, islamistes héritiers du FIS et du GIA (comme Zetout), ainsi que d’anciens communistes convertis au social-libéralisme et au romantisme démocratique des bobos occidentaux.
Cette ligne politique reflète l’hégémonie idéologique exercée par les Occidentaux, qui, tout en se présentant comme des « démocrates défenseurs des droits de l’homme », soutenaient les dirigeants exilés du FIS revendiquant leurs crimes depuis Paris, Londres, Bonn, Genève et Washington. Cette influence a conduit à l’abandon de la théorie de l’impérialisme et à la substitution des clivages fondamentaux « exploiteurs-exploités », « dominants-dominés », « oppresseurs-opprimés » par une nouvelle ligne de démarcation : « démocratie-autoritarisme », « capitalisme autoritaire-capitalisme démocratique ».
Ainsi, les idéaux de libération nationale et d’émancipation sociale qui ont guidé les luttes anticoloniales et anti-impérialistes des peuples du Sud ont été remplacés par une idéologie des droits de l’homme instrumentalisée comme arme de déstabilisation, de changement de régime et de révolutions colorées, ciblant les États nationaux réfractaires à la tutelle occidentale.
C’est cette ligne qui a dominé le hirak, empêchant les masses populaires de poser leurs problèmes socio-économiques sous prétexte que ce n’était pas le moment, « machi waqtha ».
Le « hirak 2 », après le départ de Bouteflika, s’est progressivement détaché des masses populaires. C’est à ce moment que sont apparues clairement les accointances avec l’agenda impérialiste, poussant au renversement du pouvoir et à la considération de l’État national comme une institution ennemie. Les acteurs les plus déterminés dans cette voie étaient les islamistes et les berbéristes, dont Rachad et le MAK. Quant aux « démocrates », ils apportaient, consciemment ou non, leur caution de gauche et le vernis d’un discours « progressiste », prônant une Algérie libre et démocratique. Ces catégories sociales, souvent francophones ou francophiles, étaient idéologiquement subordonnées à l’idéologie libérale.
L’Algérie indépendante et souveraine a été sauvée par les courants patriotiques les plus larges, incluant les couches populaires et démunies, les masses patriotes ainsi que les appareils civils et militaires de l’ANP, malgré les contradictions internes, notamment la sous-estimation des questions démocratiques. Ces forces ont œuvré à la préservation de l’État national, des acquis historiques de l’Algérie indépendante et de ses traditions de solidarité anti-impérialiste.
Aujourd’hui, il est essentiel de rompre avec les approches et les idéologies eurocentriques sur la démocratie et les droits de l’homme, et d’adapter nos analyses aux réalités concrètes de l’Algérie. Ce qui se passe à Gaza, par exemple, est plus qu’un enseignement. Pour l’Algérie, la séquence historique post-hirak représente une seconde phase de libération nationale, marquée par la nécessité de résister à la balkanisation orchestrée par les puissances impérialistes. La défense de l’État-nation novembriste et des acquis de l’indépendance reste cruciale. Le processus de rattrapage et de développement économique autonome, résilient et souverain doit être soutenu pour permettre au pays de s’extraire du sous-développement.
Nous devons nous ré-ancrer dans les réalités sociales et nationales, rompre avec les dogmatismes stériles et nous adapter aux défis du monde multipolaire. En clarifiant les enjeux et en nous engageant dans les luttes quotidiennes, nous pouvons contribuer, là où nous sommes, à la défense de l’indépendance nationale et à l’émancipation sociale. C’est à cette condition que l’Algérie pourra retrouver la voie du développement économique, du progrès et de justice sociale.
N’en déplaise aux pleureuses et aux pleureurs, aux défaitistes, aux nihilistes, aux cassandres et aux supplétifs de l’ordre néocolonial, aux démocrates romantiques, aux opportunistes et aux réactionnaires identitaires, le train de l’Algérie post-hirak est désormais sur les rails.
Alger, le 25 février 2025Collectif « ÉCHOS DE LA VIE ICI-BAS »