LE CONTEXTE
Le monde est entré dans une période mouvementée de transition globale, une évolution de fond, à très long terme, qui signale le crépuscule d’une époque où, en paraphrasant Marx, une partie du monde en tant que tel est traitée par l’autre comme une simple condition organique et matérielle de sa propre reproduction. Nous sommes au seuil d’une inflexion majeure des rapports de forces géopolitiques internationaux, entraînée par l’ascension économique fulgurante de la Chine- passée première puissance commerciale mondiale en 2013 et première économie mondiale, en 2014, en termes de produit intérieur brut (PIB) exprimé en parité de pouvoir d’achat, remettant en cause le leadership des États-Unis. Un bouleversement géoéconomique extraordinaire sans précèdent.*
Les lignes bougent, en effet. La Chine est devenue l’économie la plus grande et la plus dynamique au monde, hissant sa part dans le PIB mondial de 1,7% en 1978 à 17,7% en 2023.Le PIB total de la Chine qui représentait en 1978, à peine 6,4% de celui des États-Unis, en constitue déjà, en 2021, l’équivalent de plus des trois-quarts, 77%, plus exactement. La croissance du Sud dépasse celle du Nord et la Russie a retrouvé sa place de puissance mondiale. De nouvelles alliances, qui bousculent la hiérarchie mondiale occidentalo-centrée, se forment, consacrant l’émergence de pôles alternatifs de puissance économique, financière et politique.
Les BRICS, un formidable contrepoids à la puissance hégémonique occidentale
—A l’origine, un terme financier
A l’origine, les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) sont un acronyme financier, inventé, en 2001, par l’économiste britannique de Goldman Sachs, Jim O’Neill, pour désigner des opportunités de placement à l’intention des Fonds de pension et des compagnies d’assurance,” le moteur du capitalisme du XXIème siècle”. Ils deviendront BRICS avec l’adjonction de l’Afrique du Sud, en 2011. Un groupement de pays qui revendiquent un statut dans les instances internationales à la mesure de leur poids économique. En effet, leurs membres réunis ne disposent que de 15 % des droits de vote à la Banque mondiale (BM) et au Fonds monétaire international (FMI), contre 17% pour les Etats-Unis à eux seuls. En outre, le président du FMI est toujours européen et celui de la BM est toujours américain.
Les BRICS se posent comme une alternative économique aux crises émanant du monde occidental, en écho, notamment, à celle de 2008, ambitionnant d’établir une meilleure gouvernance de l’économie mondiale. Les BRICS partagent des atouts communs : richesse en ressources naturelles et humaines, marchés domestiques vastes, énorme potentiel de développement, avec de brillantes perspectives grâce à la coordination des politiques.
—Un potentiel économique dynamique
Les BRICS, qui ont évolué en une plateforme de coopération intergouvernementale sur les plans financier et économique, ont célébré, en novembre 2021, le 20e anniversaire de leur constitution et ont été rejoints, depuis le 1er janvier 2024 (conformément aux décisions du Sommet qui s’est tenu du 22 au 24 Aout 2023, à Johannesburg, en Afrique du Sud), par l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, les Émirats arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite (qui n’a pas, toutefois, formalisé son adhésion). Dans cette nouvelle configuration regroupant dix pays, (après que l’Argentine a retiré son adhésion, suite à l’élection de Javier Milei à la présidence en décembre 2023), les BRICS Plus représentent dorénavant 45,7 millions de km2, soit environ 35% de la superficie du globe. C’est plus de deux fois plus que le Groupe des Sept (G7 : États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Canada, France, Japon). Leur population totale sera de 3,6 milliards de personnes environ, soit 45% de la population mondiale (c’est plus de quatre fois plus que le nombre d’habitants du G7). Quant à leur PIB, il atteindra une part mondiale de 35% environ. La part des membres des BRICS dans le PIB mondial en termes de parité de pouvoir d’achat, quant à elle, atteindra, en 2024, un niveau record de 36,7%, contre 29,6% pour les pays du G7. Quatre des dix pays des BRICS Plus font partie aujourd’hui des dix premières puissances économiques mondiales en termes de PIB à parité de pouvoir d’achat (PPA) (Chine 1ere, Inde 3e et Russie 6e, Brésil 9 -ème).
Complété par les cinq nouveaux membres (l’Arabie Saoudite représentant à elle seule 12,9 % de la production mondiale de pétrole), le Groupe BRICS Plus s’érige en puissance pétrolière et gazière, comptant, désormais, parmi ses membres, quatre des plus grands producteurs d’hydrocarbures au monde (Arabie saoudite, Russie, Iran, Émirats arabes unis), trois membres de l’OPEP (Arabie saoudite, Iran, Émirats arabes unis), cartel qui est lui-même le plus grand exportateur de pétrole au monde, et deux des plus grands importateurs de pétrole au monde (la Chine et l’Inde). Il possédera 44,35% des réserves mondiales de pétrole et 49% des réserves mondiales de gaz naturel. La part des BRICS dans la production pétrolière passera de 20,4 % à 43,1 %, soit plus du double de ce qu’ils représentaient auparavant. Dans la production mondiale de gaz, la part des BRICS Plus atteindra 35%, tandis qu’ils représenteront 36 % de la consommation mondiale de pétrole.
Élargi, le groupe comptera pour 51 % de la production mondiale des énergies fossiles —pétrole, gaz, charbon. En outre, les BRICS Dix représenteront près de la moitié de la production alimentaire mondiale et environ 38,3 % de la production industrielle mondiale, contre 30,5 % pour le G7. Le taux de croissance annuelle de l’économie des BRICS après l’élargissement sera de 4,4% en 2024-2025, contre une moyenne mondiale de 3,2%. Enfin, sur un tout autre plan, avec l’adhésion de l’Egypte et de l’Ethiopie, les BRICS s’assurent la maitrise de l’accès aux points de passage-clés du commerce mondial (le Canal de Suez et la mer Rouge).
—Des modèles alternatifs de financement
Par ailleurs, les nouvelles institutions multilatérales et les modèles alternatifs de financement du développement émergeant des pays du Sud prennent de l’ampleur. Les BRICS se sont dotés d’une Banque de développement « New Development Bank » (NDB) et d’un système de réserve en devise (Contingent Reserve Arrangement, CRA). Créée en 2014,avec un capital initial de 100 milliards de dollars et un siège social à Shangaï (Chine), pour s’occuper principalement des projets de développement et des infrastructures dans ses 5 pays, la NDB est considérée comme un équilibre par rapport au FMI et à la BM.
La NDB a porté, entre autres, des projets-phares en termes développement durable et intelligent. Parmi ces derniers, citons : (1), la ceinture économique de la route de la soie à travers l’Europe, l’Asie et l’Afrique conduit par la Chine; (2), le projet de développement de 100 villes intelligentes connectées par des trains à grande vitesse de l’Inde; (3), le projet visant à transformer l’Extrême-Orient russe en un nouveau pont économique entre l’Europe et l’Asie grâce au développement de zones économiques spéciales avancées ; et (4), le projet d’expansion de l’agriculture industrielle à grande échelle au Brésil et en Afrique du Sud.
La fameuse Initiative la Ceinture et la Route (BRI), « Route de la soie », a le soutien de 80 % des États membres de l’ONU, représentant environ 64 % de la population mondiale, leurs économies combinées représentant 52 % du PIB (parité de pouvoir d’achat) mondial en 2022. Les nouvelles Routes de la soie chinoise (OBOR) ont donné lieu à la signature de plus de 200 accords de coopération avec plus de 150 pays, en Asie, Afrique, Europe, et Amérique du Sud, ainsi que 30 organisations internationales, soit l’un des plus grands plans d’infrastructure jamais lancés par un seul pays.
— Les BRICS, une attractivité grandissante
L’aspiration à la « multi polarisation » du monde et à la reconnaissance de sa diversité et de sa pluralité, a poussé une quarantaine de pays à exprimer leur intérêt à rejoindre les BRICS. Le 16ème Sommet des BRICS tenu à Kazan, en Russie, en octobre 2024 a permis d’accueillir treize nouveaux membres ayant le statut de pays partenaires. Il s’agit de l’Algérie, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, l’Indonésie, le Kazakhstan, la Malaisie, le Nigéria, la Thaïlande, la Turquie, l’Ouganda, l’Ouzbékistan et le Vietnam.
Algérie : L’inclusion de l’Algérie, acteur clé dans le secteur énergétique africain, notamment dans le pétrole et le gaz naturel, renforce l’influence des BRICS sur les marchés mondiaux de l’énergie.
Biélorussie : Alliée proche de la Russie, la Biélorussie apporte une valeur géopolitique stratégique, notamment en Europe de l’Est, où les tensions entre l’OTAN et la Russie restent élevées.
Bolivie : Connue pour ses riches réserves de lithium, la Bolivie devrait contribuer aux plans des BRICS pour étendre leur rôle dans la production mondiale d’énergie verte.
Cuba : Ses liens de longue date avec la Russie et la Chine font de Cuba un allié politique important dans les régions des Caraïbes et d’Amérique latine.
Indonésie (275 millions d’habitants) : La plus grande économie d’Asie du Sud-Est 6ème économie mondiale et 1ère économie de l’ASEAN, l’Indonésie affiche une croissance de long terme de + 5,3 % depuis la crise asiatique de 1997. Membre du G20, le partenariat de l’Indonésie signale l’engagement croissant des BRICS dans cette région. L’Indonésie détient les plus importantes réserves mondiales de nickel; la transformation du nickel pour la fabrication de batteries électriques est la clé de son programme de développement national.
Kazakhstan : Le plus grand pays enclavé du monde et un acteur clé dans la région économique eurasienne, le Kazakhstan apporte d’importantes ressources naturelles, dont l’uranium et le pétrole.
Malaisie : Grand exportateur d’électronique et de matières premières, la force économique de la Malaisie ajoute davantage de diversité aux alliances économiques des BRICS en Asie du Sud-Est. Nigéria : La plus grande économie d’Afrique, le partenariat du Nigeria avec les BRICS offre une porte d’entrée vers l’Afrique de l’Ouest et l’accès à d’immenses ressources naturelles, dont le pétrole et le gaz.
Thaïlande : Hub central dans les secteurs de la fabrication et du tourisme en Asie du Sud-Est, l’inclusion de la Thaïlande devrait renforcer les liens commerciaux régionaux au sein des BRICS.
Turquie : Pont géopolitique entre l’Europe et l’Asie, le partenariat de la Turquie avec les BRICS pourrait modifier les dynamiques de pouvoir régionales, notamment au Moyen-Orient et en Europe de l’Est.
Ouganda : Acteur émergent en Afrique de l’Est, le potentiel de l’Ouganda dans l’agriculture et la production pétrolière renforce l’empreinte des BRICS sur le continent africain.
Ouzbékistan : Riche en minéraux et hub stratégique en Asie centrale, le partenariat de l’Ouzbékistan apporte une valeur économique et géopolitique, notamment pour connecter les marchés asiatiques.
Vietnam : Connu pour sa croissance économique rapide, le rôle du Vietnam en tant que puissance manufacturière en Asie ajoute un poids significatif aux stratégies économiques des BRICS.
Ainsi, les BRICS Plus élargis aux pays partenaires, couvrent aujourd’hui un large spectre des productions mondiales (produits manufacturés, énergie, matières premières, métaux stratégiques, produits agricoles, services).
Les BRICS, reflet de la fragmentation irréversible de l’ordre mondial
L’ancien ordre mondial se lézarde sur ses piliers, monétaire, financier, énergétique et géopolitique. La guerre d’Ukraine rebat les cartes, tandis que la guerre d’extermination perpétrée on line par Israël à Ghaza ravive les rancœurs historiques des peuples et des Etats du Sud global contre cet Occident collectif qui affiche, de manière crue, cruelle et criarde, sa politique de double standard, quand le mis en cause fait partie de son camp, permettant «le génocide le plus transparent de l’histoire de l’humanité », comme le relève, implacable, Richard Falk, spécialiste du droit international et expert de l’ONU.
Jouissant d’une impunité garantie par l’Occident collectif, Israël a ignoré avec mépris et arrogance, les ordonnances de la Cour internationale de Justice prises à son encontre et la décision du procureur de la Cour pénale internationale relative à des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahou et son ministre de la Guerre. Depuis la création du Conseil de sécurité des Nations unies en 1945, les Etats-Unis ont utilisé à 86 reprises le droit de veto dont 46 fois pour empêcher une résolution condamnant, leur allié, Israël.
Un Occident collectif qui a ouvertement et à maintes reprises, violé les règles de l’ONU après la fin de la Guerre froide, comme en ont fait la démonstration, les États-Unis et leurs alliés qui ont attaqué cinq pays sur quatre continents sans l’autorisation de l’ONU : Panama, Serbie, Afghanistan, Irak (la deuxième guerre) et Libye. Le Nord global est, plus que jamais, perçu comme le bloc des anciennes puissances coloniales, tenues pour responsables de l’état de sous-développement dans lequel le Sud est maintenu depuis des siècles et de la nature injuste de l’ordre mondial existant. La profonde asymétrie entre le Nord et le Sud, qui plonge ses racines dans des rapports de domination et d’exploitation séculaires, s’est creusée, en particulier pour les pays les moins avancés.
Le rapport 2024 d’Oxfam intitulé Inequality Inc. avertit : Les pays du Nord concentrent 69 % de la richesse mondiale et 74 % des fortunes des milliardaires. Oxfam souligne que la concentration contemporaine des richesses a commencé avec le colonialisme et l’empire. Depuis lors, « les relations néocoloniales avec le Sud global persistent, perpétuant les déséquilibres économiques et truquant les règles économiques en faveur des nations riches ». En réalité, le développement au centre capitaliste et le sous-développement à sa périphérie sont les éléments corrélatifs d’un seul processus, il condamne la périphérie à une « éternelle » accumulation primitive au bénéfice du Centre.
Les BRICS: Quelle alternative à l’ordre mondial existant?
–Une priorité: mettre fin à l’impérialisme du billet vert
L’attractivité croissante des BRICS est portée par la vague de fond qui défie l’hégémonie occidentale jusque dans son pilier par excellence, la devise US, le dollar. L’Occident contrôle le monde par les médias, l’information, autant que par la monnaie, la puissance militaire, la technologie et c’est donc sur ces terrains, que les puissances alternatives des BRICS veulent introduire des changements et des rééquilibrages. Mais, un de leurs axes prioritaires reste la dédollarisation et en tout premier lieu, la dé pétro dollarisation. D’où des choix énergétiques et géostratégiques des BRICS, à cette étape, visant à contrôler dans un premier temps, le pétrole et les voies de navigation et à diminuer de l’influence des Etats-Unis et de l’Union Européenne (UE), en réduisant le poids du dollar et de l’euro dans leurs échanges mutuels.
Caractéristique de cette remise en question de l’ordre monétaire mondial est la multiplication des initiatives visant à s’affranchir de la domination de la monnaie-étalon, en privilégiant le recours aux monnaies locales dans les transactions commerciales bilatérales. Les BRICS, en effet, se positionnent de plus en plus comme un contre-pouvoir face à l’hégémonie occidentale, notamment en matière monétaire. La part des monnaies nationales dans les règlements mutuels augmente et fait tache d’huile. La Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde, les pays de l’ASEAN, le Kenya, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes commerciaux. Moscou et Pékin ont réduit à presque zéro les règlements commerciaux mutuels en dollars et en euros, à la fin de l’année 2023 et règlent déjà leurs comptes en roubles et en yuans. En mai 2024, la part du yuan dans les échanges commerciaux a de nouveau atteint un nouveau record, atteignant 53,6 pour cent. Sa part sur le marché de gré à gré était de 39,2 pour cent ». Ainsi, le yuan devient la principale monnaie de change et de règlement en Russie.
Les BRICS: principal « challenger de l’ordre monocentrique occidental »
En ligne de mire, une hiérarchie de caractère euro atlantiste affirmé, issue de rapports de forces forgés tout le long des siècles de l’industrialisation et de la colonisation, dotée du « pouvoir structurel » de façonner et de déterminer le destin du monde, qui se voit contestée et remise en cause dans ses institutions-clé. Les BRICS qui se posent en tant que « champion des besoins et des préoccupations des peuples du Sud » et comme le principal « challenger de l’ordre monocentrique occidental », entendent œuvrer à la construction de nouveaux équilibres globaux, à une nouvelle répartition du pouvoir mondial, à un rééquilibre vers un ordre mondial multipolaire plus inclusif, plus juste et démocratique et, in fine, poser les jalons d’une organisation économique alternative à celle de l’Occident, qui échappe au contrôle politique Otanien et donc au contrôle économico-financier de Wall Street, du Trésor américain et de la City de Londres. En d’autres termes, remodeler l’ordre qui régente le monde depuis des siècles. Vaste ambition, il va sans dire, aux dimensions planétaires et aux visées multiples, politiques, économiques, géostratégiques, qui implique nécessairement de s’interroger quant au potentiel, aux capacités et aux atouts dont disposent, dans cette optique, les BRICS.
Les BRICS peuvent-il vraiment émerger comme un collectif qui rejettera l’ordre néolibéral actuel ?
Le projet politique des BRICS peut-il réellement s’inscrire dans le sillage de la conférence de Bandung qui, en 1955, avait marqué l’émergence du mouvement des non-alignés qui va revendiquer un nouvel ordre économique international?
L’Algérie et les BRICS: quelles perspectives?
Le président Abdelmadjid Tebboune a mis l’accent sur l’intérêt que représente pour l’Algérie une adhésion aux BRICS: « Les BRICS nous intéressent, car ils permettent de s’éloigner de l’attraction des deux pôles. Ils constituent une force économique et politique […] Il faut des conditions économiques pour intégrer les BRICS et l’Algérie remplit une bonne partie de ces critères ».
Le chef de l’Etat a noté, en même temps, que le sous-développement n’a pas que des raisons internes. « Ce sont plutôt les déséquilibres flagrants dans la structure des échanges internationaux et dans l’hégémonie exercée par certains Etats qui en sont la cause. »
L’impasse est de nature structurelle et elle traduit l’impossibilité radicale d’apporter les réponses qu’exige le développement économique et social de nos pays dans le cadre de la dépendance de la mondialisation capitaliste.
Quelles opportunités historiques, quelles perspectives ouvre, donc, ce bloc géopolitique alternatif à l’hégémonie occidentale, à l’Algérie, de changer de file, de s’émanciper des rapports de puissance et de subordination séculaires, porteurs de logiques systémiques de dépendance et de sous-développement ? Un remodelage potentiellement porteur d’une redistribution du rapport de forces géopolitiques mondial qui pourrait ouvrir des espaces d’autonomie de décision nationale à l’Algérie. Un rapport de forces qu’il s’agira de tourner au profit de notre combat vital pour le développement national et le progrès social, sachant qu’il n’est point de vents favorables à celui qui a perdu son gouvernail.
Il s’agit, essentiellement, des défis que pose la réalité objective de notre économie et de ses handicaps historiques, de l’extrême faiblesse de son tissu productif, industriel en particulier, et de ses capacités managériales, en fait, pour tout dire, de l’absence encore de tissu industriel et entrepreneurial enraciné et d’un Etat doté de capacités de régulation éprouvées.
Plus fondamentalement, il s’agit des défis que pose la rupture avec le statut de périphérie subordonnée du capital global, confinée au rôle de pourvoyeur d’énergie, de marché solvable et de fournisseur de main d’œuvre qualifiée. Une périphérie surdéterminée économiquement.
Quels sont les atouts de l’économie algérienne dans cette optique ? Quelles sont les transformations que requiert l’insertion de l’Algérie dans le remodelage géopolitique et la division internationale du travail qui se met en place, dans les termes les moins défavorables à l’Algérie ?
Il nous faut explorer le champ des possibles qui s’ouvre pour l’Algérie, du point de vue indissociable de sa perspective historique de développement national et de ses marges de manœuvre.
–Les défis de la réorientation des choix économiques et sociaux
-Un constat préalable
L’économie algérienne reste encore marquée par les conséquences économiques et sociales lourdes de plus de trois décennies de restructurations et réformes libérales et de démantèlement des acquis du développement national.
La dynamique de développement initiée au cours des deux premières décennies de l’indépendance a été brisée avant que ne soient corrigées ses fragilités et atteinte sa phase de maturité. L’expérience industrielle de l’Algérie a été avortée avant que ne s’enclenche le processus de changement dans ses multiples facettes. L’apprentissage technologique qui aurait permis à la main-d’œuvre d’assimiler la logique de fonctionnement d’un système productif à base industrielle n’a pas pu s’opérer. Le système de production locale reste incapable de répondre aux besoins des consommateurs qui sont couverts quasi intégralement par des importations, elles-mêmes financées uniquement par des revenus pétroliers. L’économie algérienne est dépendante des importations pour ce qui est de l’alimentation et de la technologie. L’Algérie est dépendante des importations (déficit de la balance commerciale agricole et agroalimentaire de 9,5 Md€ en 2022), particulièrement en céréales et poudre de lait. L’Algérie importe 60% de sa consommation de lait sous forme de poudre.
L’impératif de la transformation de la structure sectorielle du PIB
La composition sectorielle du PIB illustre les handicaps structurels de l’économie algérienne : un secteur industriel rachitique dont la contribution ne pèse plus que quelques 5% du PIB et un secteur des services hypertrophié, 45,5% dont 28,6% pour les services marchands (commerce de détail, principalement). Services marchands et BTP, secteurs où, de surcroît, se localise, en très grande partie, l’informel, constituent 41,2% du PIB. La production matérielle occupe la portion congrue. Une structure du PIB qui traduit l’extrême faiblesse du tissu productif industriel et le poids considérable de l’informel, confirmé par la part marginale des salariés du secteur structuré qui représentaient, en 2019, à peine 26% de la population en âge de travailler (contre près de 80% en France), dont 14% dans le secteur public (dont 7% dans la fonction publique), et 12% dans le secteur privé, un secteur constitué à 90% de TPE (très petites entreprises), des entreprises familiales, sans consistance productive, ni technologique, ni managériale, ayant une faible capacité de création d’emplois.
Sans perspectives d’absorption productive ni de débouchés adéquats de la force de travail instruite, éduquée, de plus en plus nombreuse et de plus en plus féminine. Faiblesse de la base manufacturière et faiblesse technologique du tissu industriel. Plus de 80% de l’industrie, 82,2%, est à faible intensité technologique. Taux d’intégration dans l’industrie faibles 10%, à porter à 30%, 40%. Les industries agroalimentaires algériennes fonctionnent majoritairement avec des matières premières importées. Faiblesse des investissements productifs de nouvelles richesses. En 2021, ce taux d’investissement a baissé à moins de 40 %, voire jusqu’à 35 % du PIB du pays. Hors gouvernement, à savoir les investissements privés ou étrangers, le taux d’investissement a baissé de 18 % du PIB du pays en 2015 à moins de 10 % du PIB en 2021. Faible part du numérique dans le PIB national, 0,5% contre une moyenne africaine de 3%. Les branches d’activité modernes, Hydrocarbures, Energie, Transports, Télécommunications, Construction, qui sont des branches qui relèvent du secteur d’Etat, se caractérisent par une faible efficacité, un bas niveau de productivité et des phénomènes de népotisme, de clientélisme et de corruption récurrents, le terreau nourricier des rentes régaliennes.
Selon le rapport de la Cour de comptes pour l’exercice 2018, la valeur ajoutée (VA) du secteur public marchand (SPM), Groupes et EPE autonomes y compris les banques et les compagnies d’assurance, a contribué à hauteur de 25,88% à la formation du produit intérieur brut (PIB). Toutefois, hors secteur de l’énergie (Sonatrach et Sonelgaz), sa contribution dans le PIB n’est plus que de 5,51% dont 2,39% au titre des banques et assurances publiques, ramenant la part de la VA des entreprises hors secteur énergie, dans le PIB, à 3,13%.
Autre composante du secteur d’Etat, les services publics, santé, éducation, administration publique sont notoirement réputés de qualité médiocre et souffrent d’un manque d’investissements et de personnel qualifié. Des services publics reflet, en réalité, d’un Etat administrativement et techniquement affaibli qui a été amputé pendant plus de trente années de ses instruments de planification, et donc de toute dimension à moyen et long terme du développement économique, de ses outils d’intervention économique et de son encadrement qualifié et expérimenté.
Hors cette sphère publique évoluant dans le cadre des lois et de la règlementation, une sphère privée, informelle, ce que l’on appelle le secteur informel qui regroupe des activités qui s’exercent en marge de la règlementation, qui échappent au fisc et ne sont pas enregistrées. Vecteur de l’anomie, l’informel décompose et recompose au quotidien les processus éco et sociaux.
L’intégration économique de la jeunesse instruite et féminine, notamment.
Le gâchis des forces productives
L’emploi en Algérie rend compte toujours d’un faible niveau du taux d’activité 40%, en 2020, selon la BM ; moins de la moitié de la population en âge de travailler qui exerce une activité rémunérée ou est en chômage. Ce taux d’activité de 40% est parmi les plus bas au monde (Afghanistan 47%, Arabie saoudite 55%, Maroc43%, Tunisie 46%, Egypte 43%). Décliné par sexe, le taux d’activité était de 66,8% chez les hommes et de 17%, chez les femmes (ONS 2019). Décliné par sexe, le taux d’emploi atteint 60,7% auprès des hommes et 13,8% chez les femmes. Le taux de chômage en Algérie, 12,49% en 2022, le nombre de bénéficiaires de l’allocation chômage : «2 823 043 jeunes ont bénéficié de cette aide de l’Etat jusqu’à avril 2024 ». ».
Une grande partie des 150 000 diplômés qui sortent chaque année des universités du pays ne trouve pas de débouchés. Le taux d’emploi n’est que de 50,9 % chez les filles diplômées de l’université.
Les échanges commerciaux de l’Algérie: l’asymétrie
Les pays de l’Europe sont restés les principaux partenaires de l’Algérie. Les échanges commerciaux de l’Algérie avec l’Europe représentent 51,5% de la valeur totale des échanges de l’Algérie qui ne pèsent, en revanche, que 0,75% des échanges commerciaux globaux de l’UE et les importations européennes en provenance de l’Algérie constituant, à peine, 0,66% des importations totales de l’UE. Les importations européennes se composent essentiellement d’hydrocarbures et produits miniers (93.5%), suivis par les produits chimiques (3.3%).
En 2021, les échanges commerciaux de l’Algérie représentaient 0,6% des échanges commerciaux de la France qui pesaient, de leur côté, 12% des échanges commerciaux de l’Algérie. L’Algérie représente 0,74% des exportations françaises et 0,72% des importations françaises.
En revanche, les échanges commerciaux réalisés par Algérie avec les pays appartenant aux BRICS, occupent des proportions relativement modestes. La part du Brésil est de 2,71%. Sensiblement la même que celle de la Russie. L’Inde constitue 2,31 % de nos importations et 4,24 % de nos exportations. La Chine (principal fournisseur de l’Algérie représente 18,25% de ses importations et 4,58 % de ses exportations. Les pays de l’Afrique dans leur totalité représentent 4,6% des échanges commerciaux de l’Algérie.
On notera que la Chine qui n’est apparue dans le Top Ten des fournisseurs de l’Algérie qu’en 2002, avec 2,8% à peine de ses importations, contre 22,5%, alors, pour la France, va se hisser, en 2014, au rang de 1er pays fournisseur de l’Algérie couvrant, 14,1% de ses importations contre 10,8% pour la France. En 2018, la Chine conforte sa place de 1er fournisseur avec 15,36% des importations algériennes, surclassant largement la France, 9,91%. Quant au volume global des échanges algéro-chinois, il a connu une évolution particulièrement rapide, puisqu’il a été multiplié par 50 en 14 ans, faisant passer ces échanges de 200 millions de dollars en 2000 à 10 milliards de dollars en 2014. En outre, un millier de sociétés chinoises s’activent en Algérie principalement dans le bâtiment, travaux publics et l’import-export.
L’impératif d’un nouveau cap ciblant:
— la diversification productive de notre structure économique sous le double impératif de la sécurité alimentaire et de la sécurité énergétique.
–réorientation géographique de nos échanges internationaux sous l’impératif de la préservation de la souveraineté nationale et de l’autonomie de décision nationale.
—in fine, une économie enracinée, entraînée par des activités fortement productives, offrant de meilleures perspectives d’absorption productive d’une main d’œuvre instruite et qualifiée, nombreuse et de plus en plus féminine, et des possibilités d’innovation et d’accroissement de la valeur ajoutée. Une économie basée sur l’effort endogène d’innovation technique, économique, managériale, institutionnelle, sociale, en appui sur la mobilisation des facteurs scientifiques et technologiques nationaux.
La dynamique de redressement en cours: Une ligne de relance du développement national productif
Principaux indicateurs
La croissance économique de l’Algérie est restée dynamique en 2023, le PIB enregistrant une hausse de 4,1 %.
En 2023, 3ème PIB du continent africain, estimé à 244,7 milliards (Mds) USD, selon le FMI, et le PIB par habitant le plus élevé du Maghreb, atteignant 4 982 dollars en 2023.
Les réserves de change ont atteint 68,9 Mds USD à la fin de 2023 (contre 61 Mds USD en 2022) soit 16,1 mois d’importations à la fin de l’année 2023. Dette extérieure (2023) : 1,5 % du PIB. La croissance des prix à la consommation s’est modérée pour atteindre 5,0 % au premier trimestre 2024.
Le développement du secteur productif, de la production matérielle.
— basée sur la PME/PMI et l’économie familiale industrialisation de substitution aux importations
—industries légères-électrodomestique
—industrie de transformation agroalimentaire ; 40,4% de la VA
L’industrie agroalimentaire emploie près de 700000 personnes, soit 10% de la population active, et contribue à plus de 50% du PIB hors hydrocarbures. Il s’agit de la 2e industrie du pays, après celle de l’énergie, qui représente 40% du chiffre d’affaires total des industries algériennes hors hydrocarbures. Les principales industries céréalière, laitière et sucrière fonctionnent avec une matière première majoritairement importée. La part de marché des industries agroalimentaires publiques est passée en moyenne de 24% en 1999 à 5% en 2020 (mouvement de privatisation des entreprises publiques lancé par une ordonnance de 2001). Huile brute et sucre raffiné : entrée en production, avant la fin de 2024 de deux usines à Jijel et dans la zone industrielle de Larbatache à Boumerdès.
—–pharmaceutique Médicament: 6 millions d’euros d’exportations et 1.2 million dollars d’importation (contre 4 millions USD en 2020). La production locale couvre aujourd’hui 72% des besoins nationaux
—-Industrie des matériaux de construction 9,8% de la VA
Ciment : les besoins du marché national en ciment sont de 18 Mt, avec une surcapacité exportable de 12 Mt. En 2023, environ 10 Mt de ciment ont été exportées par l’Algérie, (dont 1,2 Mt représentent du ciment fini, soit à peine 12%) pour une valeur totale de 400 millions de dollars
—-industrie de valorisation des ressources minières
Lancement du projet d’usine de traitement du minerai de fer à Tindouf
….enfin, Gara Ddjebilet renaîtra-t-il de ses poussières ?
Aujourd’hui, les importations de produits sidérurgiques cumulent une facture d’environ 4 à 5 milliards de dollars par an. Cette usine, dont la première pierre a été posée par le président de la république, en novembre 2023, va permettre de produire 2 à 3 millions de tonnes/an dans une première étape (2022-2025) avant d’atteindre, à l’horizon 2040, entre 40 et 50 millions de tonnes/an avec la mise en service de la ligne ferroviaire Gara Djebilet-Béchar qui s’étend sur un linéaire de 950 km.
Financement des projets structurants
Selon les données officielles, les budgets d’investissement consentis par l’Etat ont atteint, ces trois dernières années, 6500 milliards de dinars, soit 48 milliards de dollars, dont 1900 milliards alloués en 2021, soit 14 milliards de dollars, 1900 milliards en 2022 et 2700 milliards en 2023, soit 20 milliards de dollars. Le budget 2024 prévoit, quant à lui, des autorisations d’engagement de dépenses d’investissement pour un montant de 2800 milliards de dinars.
Les principaux projets structurants financés sur le budget de l’Etat
—le complexe de phosphate intégré bénéficiant d’un montant de financement de 700 milliards de dinars,
—-le projet d’exploitation de la mine de fer Gara Djebilet avec un montant de 1014 milliards de dinars et
—la réalisation de sept stations de dessalement de l’eau de mer pour un montant de 206 milliards de dinars.
—–projet d’équipements et d’extension du métro d’Alger avec un montant de 1157 milliards de dinars, e
— et des projets des énergies renouvelables de 126 milliards de dinars
— projets de modernisation des réseaux ferroviaires pour 2786 milliards de dinars.
Ces efforts de financement public s’ajoutent à ceux engagés aussi par la sphère financière et bancaire du pays. A la fin avril 2024, l’encours des crédits d’investissement de la place bancaire avait atteint 10.000 milliards de dinars.
En résumé, une ligne de relance du développement national productif, comme base réelle du progrès social et de la consolidation de l’indépendance nationale. Pas de FMI, pas d’endettement extérieur, renforcement de l’Etat régulateur. Rénovation, mise aux normes modernes du Système d’information statistique, numérisation de l’administration.
Abedlatif Rebah.