Il est maintenant de notoriété publique que les tensions politiques et médiatiques actuelles autour de la libération de Sansal et des obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont instrumentalisées par l’extrême droite nostalgique de l’Algérie française et revancharde et certains responsables politiques français et amplifiées par les médias du milliardaire Bolloré. Pourtant, la relation entre la France et l’Algérie mérite une analyse plus lucide et pragmatique. Plutôt que de s’enliser dans des polémiques ruineuses et des postures rigides, il est essentiel de reconnaître l’importance des enjeux économiques, géopolitiques et stratégiques qui imposent un dialogue renforcé entre Paris et Alger. La stabilité régionale, la sécurité, les échanges commerciaux et les liens humains tissés entre les deux pays nécessitent une coopération constructive, loin des déclarations inutiles.
Les débats récents sur les OQTF et les interventions de figures politiques comme Bruno Retailleau ou Gérald Darmanin ont réduit les relations franco-algériennes à une simple question migratoire et sécuritaire. Cette vision réductrice, on le sait, ne reflète ni la complexité des liens entre les deux pays ni la diversité des coopérations existantes. Si la question migratoire est un sujet légitime, elle ne doit pas occulter les autres aspects fondamentaux de la relation bilatérale.
L’histoire et les sensibilités politiques ont souvent rendu le dialogue difficile, mais il est aujourd’hui impératif de dépasser cette logique d’affrontement stérile. Les défis contemporains – crises géopolitiques, montée en puissance de nouvelles puissances économiques, enjeux climatiques et énergétiques – nécessitent une approche pragmatique et concertée soucieuse, d’abord et avant tout, des intérêts fondamentaux de notre peuple. Il convient de rappeler qu’une relation solide et durable ne saurait se concretiser si elle ne repose pas sur le traitement d’égal à égal, l’exclusion de la vision néocoloniale et des ingérences dans les affaires intérieures.
Des liens économiques et énergétiques incontournables
Malgré les tensions politiques, la France reste un partenaire économique majeur de l’Algérie, notamment dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures et des services. Des entreprises comme TotalEnergies et Engie continuent d’investir en Algérie, tandis que le pays cherche à diversifier son économie et à attirer des investisseurs étrangers.
Dans un contexte de transition énergétique mondiale, l’Algérie dispose d’un potentiel considérable en énergies renouvelables, notamment dans le solaire. La France, avec son expertise dans ce domaine, pourrait jouer un rôle clé dans le développement de ce secteur stratégique. Plutôt que de se focaliser sur des tensions diplomatiques, il serait plus judicieux de favoriser des accords économiques mutuellement bénéfiques.
De plus, l’Algérie représente un marché de consommation important pour les entreprises françaises, notamment dans l’agroalimentaire, la santé et les nouvelles technologies. Une détérioration des relations pourrait profiter à d’autres partenaires internationaux au détriment des intérêts économiques français.
Une diaspora au cœur des relations bilatérales
La communauté algérienne en France, forte de plusieurs millions de personnes, constitue un lien humain et culturel essentiel entre les deux rives de la Méditerranée. Ces relations familiales, professionnelles et culturelles ne peuvent être ignorées au profit de discours simplistes et électoralistes.
Une relation apaisée entre Paris et Alger permettrait de mieux aborder les défis liés à l’intégration et de renforcer la coopération éducative et scientifique. Universités, centres de recherche et entrepreneurs des deux pays ont tout à gagner d’une collaboration accrue, notamment dans les domaines du numérique, de la recherche, de la formation et de l’innovation.
Une coopération sécuritaire et diplomatique indispensable
L’Algérie et la France partagent des enjeux multiformes communs, notamment la lutte contre le terrorisme et la stabilisation du Sahel où, depuis plusieurs années, la coopération entre leurs services de renseignement a permis de prévenir des menaces majeures. Dans un contexte où le Sahel devient un espace de confrontation entre groupes terroristes, mercenaires et puissances étrangères, une détérioration des relations franco-algériennes affaiblirait la lutte contre ces menaces transnationales.
Par ailleurs, l’Algérie joue un rôle clé dans la stabilité du Maghreb et du Sahel. Pour la France, maintenir des liens solides avec Alger est essentiel pour éviter un isolement diplomatique dans cette région stratégique, alors que d’autres acteurs, comme la Russie, la Chine et la Turquie, y renforcent leur influence.
La question du Sahara occidental : un dossier qui relève de l’ONU
Le Sahara occidental demeure un point de friction dans les relations entre la France et l’Algérie. Alger défend le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, tandis que Paris, historiquement proche du Maroc, a récemment renforcé son soutien à l’initiative marocaine d’autonomie, en contradiction avec les résolutions de l’ONU.
En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la France a la responsabilité d’adopter une posture équilibrée, respectueuse du cadre onusien et favorable à une solution négociée entre les parties concernées. Un alignement systématique sur les intérêts marocains risque d’alimenter les tensions régionales et d’affaiblir la crédibilité diplomatique de Paris en Afrique du Nord. Dans cette optique, la France pourrait jouer un rôle plus constructif en encourageant un dialogue sous l’égide des Nations unies, plutôt que de s’enfermer dans une logique d’alignement unilatéral.
Sortir de l’ère des ultimatums pour une diplomatie constructive
Pour surmonter les tensions actuelles, plusieurs principes devraient guider la relation franco-algérienne :
1. Le pragmatisme économique et stratégique : Il est essentiel de dépasser les querelles politiciennes pour se concentrer sur les intérêts partagés, notamment la sécurité, la transition énergétique, et le développement économique et culturel.
2. Un dialogue inclusif : La diplomatie ne doit plus être exclusivement menée par les gouvernements. Les entreprises, la société civile, la diaspora et les jeunes générations doivent être intégrés pour rendre cette relation plus dynamique et résiliente.
3. Une approche discrète et patiente : Plutôt que des déclarations médiatiques excessives, la relation franco-algérienne gagnerait à s’inscrire dans le long terme, en s’appuyant sur des actions concrètes plutôt que sur des discours enflammés.
Les défis internes de l’Algérie et sa place dans la coopération bilatérale
L’Algérie doit se concentrer sur ses propres défis économiques et institutionnels. Après des décennies marquées par la corruption et le sous-développement, le pays doit renforcer ses institutions et accélérer son développement pour sortir de son statut de pays périphérique.
Face aux bouleversements géopolitiques en cours, Tebboune et Macron auraient tout intérêt à instaurer de nouveaux cadres de coopération fondés sur des intérêts mutuels. L’Algérie, pour sa part, doit se hisser à la hauteur de la clairvoyance stratégique et bâtir cette nouvelle coopération avec la frange de la bourgeoisie française (on parle ici de relation entre États dans un contexte géopolitique et de rapport forces particuliers), politiquement représentée par Dominique de Villepin et Ségolène Royal, qui cherche à s’affranchir du diktat américain-sioniste.
Dans cette perspective, les autorités algériennes ne doivent pas se laisser distraire par les gesticulations de Retailleau ni tomber dans le piège des courants bellicistes qui tentent de faire pression sur l’Algérie pour qu’elle plie face aux intérêts de l’impérialisme français. Une vision lucide et réaliste des impératifs du développement de notre pays et de la préservation de sa souveraineté nationale, dans la phase actuelle de reconfigurations guerrières et chaotique de l’ordre mondial (guerre commerciale mondiale lancée par Trump), impose d’écarter tout aventurisme et vision étriquée des rapports de force internationaux, sous peine d’en faire payer le prix fort à la population. L’Algérie, du fait de sa position géographique, est naturellement liée à l’Europe et à la France sur le plan économique. Son statut de périphérie dominée oblige les patriotes algériens à considérer comme vitale la question de la préservation de l’État national et la relance de son édification post-Hirak. Un cadre national renforcé et stabilisé est indispensable pour accélérer le rattrapage économique et assurer un développement durable. C’est autour de cet impératif national que le peuple patriote doit se mobiliser pour ouvrir au pays de nouvelles perspectives sociales.
Alger, le 4 avril 2025
Collectif « ÉCHOS DE LA VIE ICI-BAS »