L’Algérie face au tumulte impérialiste : ne pas mésestimer la situation internationale et son impact sur le projet national L’Algérie post-hirak se trouve à la croisée des chemins, dans un monde dont les lignes de fracture ne cessent de se multiplier depuis que les États-Unis, sous l’impulsion de Donald Trump, ont décidé d’engager une guerre ouverte pour un nouveau repartage géopolitique de la planète. En tournant la page des équilibres issus des accords de Yalta, le trumpisme n’a pas seulement réintroduit la brutalité dans les rapports internationaux ; il a aussi précipité l’effondrement de la logique multilatérale, tout en mettant à nu les contradictions internes du capitalisme globalisé. Loin d’être un accident ou une parenthèse populiste, le phénomène Trump a été le révélateur (et l’accélérateur) d’un désordre impérial qui touche à toutes les régions stratégiques de la planète. Dans ce contexte mouvant, fait d’instabilités structurelles et de tensions systémiques, rares sont les États, encore moins les peuples, qui peuvent se permettre la distraction ou l’indifférence. Pourtant, une large part de l’opinion algérienne continue de sous-estimer les enjeux internationaux et les effets de cette recomposition brutale. Le sentiment d’éloignement, l’idée que ces conflits ne nous concernent pas, que les lignes de front sont ailleurs, témoignent d’un irréalisme et d’une infantile naïveté politiques préoccupants. Car c’est bien au cœur du monde arabe, en Palestine, que s’exerce une guerre d’extermination tolérée, voire encouragée, par les puissances occidentales. C’est dans les capitales du Sahel que s’aiguisent les rivalités militaires. C’est en France même que l’algérophobie s’installe comme instrument de mobilisation électorale. C’est l’Afrique, et non l’Océanie, qui concentre aujourd’hui les intérêts stratégiques des grandes puissances parce que son sous-sol abrite les ressources nécessaires à la transition industrielle et numérique mondiale. Tandis que le Moyen-Orient reste au centre du jeu du fait de ses réserves énergétiques et de ses voies de communication, notamment la mer Rouge et le canal de Suez. À ne pas douter, l’Afrique sera le territoire d’une nouvelle ruée vers les matières premières critiques et les terres rares car la convoitise que génèrent ces matières premières place notre continent au centre d’un échiquier d’influences et de prédations, vecteur de déséquilibres et d’insécurités. L’Algérie n’est pas, loin s’en faut, en marge de cette réalité, ni extérieure à ces reconfigurations. Elle est au contraire pleinement concernée, et son avenir dépendra de sa capacité à les appréhender, à s’y adapter, et surtout à y intervenir de manière souveraine. La diplomatie algérienne l’a bien compris : elle cherche à éviter l’isolement par un déploiement subtil, différencié, qui ménage les susceptibilités tout en maintenant une position anti-impérialiste. Ce positionnement équilibré tranche avec les choix erratiques de nombreux États de la région, mais il ne pourra être maintenu dans la durée sans une assise interne solide. Or, c’est précisément cette base intérieure, en grande partie fragilisée à cause des séquelles accumulées par quatre décennies de libéralisme sans projet, qui a besoin d’être consolidée. L’enjeu est clair : parachever la construction de l’État national sur des bases matérielles et humaines. Ce n’est pas un luxe intellectuel, mais une urgence. L’Algérie est un pays jeune, avec une forte croissance démographique. Une majorité de sa population a moins de trente ans. Cette jeunesse a besoin de plus d’écoles et d’universités, de bibliothèques, de travail, de logement, de services de santé, de lieux de loisirs et de distractions, de transports … de perspectives tangibles. Or, l’appareil productif est insuffisant, éclaté, encore dominé par la rente, longtemps déconnecté des besoins sociaux. Le pays ne produit pas tout ce qu’il consomme, il importe une partie de sa survie, il dépend toujours de l’extérieur pour l’essentiel de son fonctionnement. Cette vulnérabilité économique structurelle est une menace directe pour la souveraineté nationale. Il faut l’admettre, le pouvoir a compris les enjeux comme en attestent sa diplomatie réaliste et la dynamique de relance inclusive et diversifiée de l’économie nationale qu’il a initiée. En attestent aussi toutes les mesures sociales qui participent à la consolidation du front interne. Mais cette faiblesse matérielle est redoublée d’une fragilité idéologique. La formation sociale algérienne souffre d’une contradiction profonde entre les aspirations de modernisation et le poids d’un encadrement conservateur, où de nombreuses mosquées oublient leur vocation exclusive de lieux de culte, en s’égarant dans la diffusion des discours irrationnels et identitaires. Ces discours sont renforcés par les réseaux informels, véritables baronnies économiques issues des décennies mafieuses précédant l’Algérie post-Hirak. Ils alimentent un climat de défaitisme, tentent de désarmer toute tentative de construction nationale cohérente et canalisent les frustrations populaires dans des exutoires stériles, des révoltes urbaines larvées dont les stades de football pourraient devenir les catalyseurs. La faiblesse du débat politique, la fragmentation, voire l’émiettement de l’opinion et les difficultés à concevoir une sortie rapide et vigoureuse du sous-développement ne relèvent pas du hasard. Elles résultent d’un long processus de dépolitisation d’une large part des élites, elles-mêmes victimes du désarmement idéologique imposé par les paradigmes néolibéraux. Durant quatre décennies, ces élites ont été exposées à une propagande occidentale qui les a enfermées dans le narratif hégémonique du « droit-de-l’hommisme » du 20e siècle, les réduisant à un mimétisme sans consistance, inadapté aux réalités nationales objectives, et les privant d’outils critiques ainsi que de toute capacité d’élaboration autonome. Le constat est sans appel : un champ intellectuel presque asséché, des élites divisées, des alternatives confisquées. Il devient urgent de combler le fossé historique qui s’est creusé entre ces élites et les masses populaires, d’une part, et entre elles et notre pays comme notre continent, d’autre part. Il est nécessaire d’opérer un ré-ancrage national. En son absence, le risque est grand de voir se développer un dogmatisme hors sol, menant à un gauchisme incantatoire d’un côté et à un repli en sectes identitaires coupées des préoccupations nationales et sociales de l’autre. Un pays qui s’atomise et se laisse envahir par le doute se marginalise de lui-même au sein d’une histoire qui s’accélère. Il est donc impératif de sortir de ce qui pourrait devenir une impasse. L’irréalisme politique, les coups d’épée dans l’eau, les discours sans traduction concrète sont désormais des luxes périlleux. Dans un environnement où la mondialisation n’est plus une donnée universelle, en se fragmentant, elle pousse aux replis nationaux, affaiblissant de fait la concertation tant bilatérale que multilatérale. Cette séquence historique doit être envisagée comme une seconde phase du processus de libération nationale. En effet, face à l’opération de chirurgie politique menée par le système impérialiste mondial depuis la chute de l’URSS, prenant la forme d’une balkanisation des pays périphériques (dont l’Algérie fait toujours partie), et au coup de pied dans la fourmilière donné par Trump, il devient impératif de fédérer l’unité la plus large autour de la question nationale. Dans cette instabilité géopolitique inquiétante, l’Algérie, si elle ne veut ni se soumettre ni devenir un pays vassal, doit reconstruire une base nationale solide, productive, souveraine, capable de faire face aux futurs et chocs systémiques. Ce n’est ni par l’invocation de principes sans projet, ni par la dénonciation sans production qu’un peuple progresse. L’urgence, c’est de renforcer le front intérieur : éliminer les sources de mécontentement quotidien qui entravent la mobilisation populaire. Cela passe par la résolution concrète des problèmes liés aux services publics, à l’administration et au pouvoir d’achat, ainsi qu’une meilleure communication pour contrer la propagande hostile sur les réseaux sociaux. Le président de la République montre l’exemple en sanctionnant les responsables défaillants dans son entourage ; cette exigence doit s’étendre à tous les échelons de l’administration parce que l’État national ne se proclame pas : il se construit.
Alger, le 12 avril 2025 Collectif « ÉCHOS DE LA VIE ICI-BAS »