Société

Abdelatif Rebah, économiste et expert en énergie: «La baisse actuelle des cours du pétrole correspond à une logique de guerre économique»

Contrairement aux précédents cycles de baisse des cours de pétrole, l’Algérie aborde, en 2015, une nouvelle conjoncture baissière avec des marges de manœuvre apparemment plus grandes, estime Abdelatif Rebah : l’instrument de pression et de mise sous tutelle du FMI et de la Banque mondiale, à savoir la dette, «n’est plus de mise pratiquement», dit-il. Concernant les cours de pétrole, cet expert estime que «si, à court terme, le marché devrait rester volatil, le prix du pétrole devrait finir par revenir à un niveau favorisant un maintien des investissements, au-delà des 70 dollars. Une telle évolution serait conforme à la logique du cycle des prix pétroliers », analyse cet économiste, expert en énergie et auteur de plusieurs ouvrages sur les questions économiques en Algérie.
A propos du gaz de schiste, Abdelatif Rebah pense que la réponse à ce problème n’est pas dans le recours au passage en force, ajoutant que cette option pose manifestement un problème d’acceptabilité sociale. Il appelle le gouvernement à s’inspirer de pays qui ont mis en œuvre « avec succès » des procédures de consultation où les populations, les citoyens, les organisations environnementales et les autres acteurs sociaux « ont non seulement le droit de se prononcer sur les aménagements territoriaux ou sur les projets à grande échelle pouvant les affecter, mais où leur participation est requise ». A l’exemple du Canada.

Abdelatif Rebah, économiste et expert en énergie: «La baisse actuelle des cours du pétrole correspond à une logique de guerre économique»


Reporters : L’impact de la chute des cours du pétrole a impacté les économies des Etats, mais aussi les grandes majors pétrolières. L’impact financier pour Total est important : une baisse de 10 dollars du prix du baril sur l’année, et ce sont 2 milliards de dollars (1,75 milliard d’euros) de cash-flow disponibles en moins. Avec un baril à 50 dollars au lieu de 100, le groupe français perd donc 10 milliards de dollars sur un an. Quelle lecture faites-vous de la chute drastique des cours sur notre pays en particulier ?



Abdelatif Rebah: Concernant notre pays, il me semble qu’il y a deux lectures à faire : celle qui est requise par les réponses à la conjoncture à court terme et celle que commande une vision de moyen et long terme. Pour ce qui est de l’effet à court terme, il faut se rappeler que l’Algérie a connu à plusieurs reprises une conjoncture de chute drastique du prix du pétrole. En 1986, le prix du baril de pétrole brut chute de 40% environ, les recettes d’exportation des hydrocarbures baissent à 7,26 milliards de dollars contre 12,72 milliards de dollars en 1985, soit un recul de près de 43% en une année. La perte enregistrée est l’équivalent de 91% des recettes de 1978 ! Le service de la dette extérieure s’aggrave et engloutit en 1986 deux tiers des recettes d’exportation environ. « Le desserrement de la contrainte financière extérieure » est érigé au rang de priorité des priorités. Mais les recettes d’exportation des hydrocarbures vont recommencer à augmenter dès l’année suivante (+20%). En réalité, la «contrainte extérieure» devient un prétexte, une « argumentation ad hoc » pour justifier la poursuite du changement de cap engagé dès le début des années 1980. En 1998, le baril était tombé à 12,94 dollars en moyenne contre 19,49 dollars en 1997, entraînant une chute des recettes d’exportation de 25 %. Le service de la dette avait atteint 47,5% après rééchelonnement. Le baril replonge de nouveau en 2009. Résultat : une nette diminution de la valeur des exportations qui étaient tombées à 43,68 milliards de dollars contre 79,29 milliards de dollars en 2008, soit une baisse de 45% environ. En 2009, les prix du pétrole étaient en moyenne de 60 dollars, contre 100 dollars en moyenne un an auparavant. Mais, le service de la dette n’était plus qu’à un niveau très bas, autour de 2%. L’Algérie aborde en 2015, une nouvelle conjoncture baissière avec cependant des marges de manœuvre apparemment plus grandes. L’instrument de pression et de mise sous tutelle du FMI et de la Banque mondiale, à savoir la dette, n’est plus de mise pratiquement. Selon les données à fin septembre 2014 rendues publiques par les responsables de la Banque d’Algérie, l’encours de la dette extérieure était de 3,666 milliards de dollars à fin septembre 2014, un « niveau historiquement bas». Quant au niveau des réserves de changes de 185,273 milliards de dollars atteint à fin septembre 2014, « il reste adéquat pour permettre à l’Algérie de faire face au choc externe ». La baisse des recettes d’exportation hydrocarbures pour 2014 est de quelque 5% selon les statistiques des Douanes algériennes. Par contre, pour 2015, le manque à gagner serait, selon certaines estimations, de 20 milliards de dollars en termes de recettes fiscales avec une baisse de 30 milliards de dollars du PIB dans l’hypothèse d’un prix moyen du baril à 60 dollars. L’intérêt de cette mise en perspective de l’impact de la conjoncture baissière du baril sur nos rentrées devises au cours de ces trois dernières décennies ne réside pas tant dans le rappel, stérile au demeurant, des risques d’une « pétrodépendance »connue que dans les leçons que cet exercice permet de tirer. La contrainte extérieure a été, en réalité, le prétexte d’une ouverture désindustrialisante et de révisions qui ont aggravé les vulnérabilités et les handicaps structurels de l’économie algérienne. La dynamique de développement initiée au cours des deux premières décennies de l’Indépendance a été brisée avant que ne soient corrigées ses fragilités et a atteint sa phase de maturité. De nombreuses entreprises industrielles – dont certains fleurons – ont été dissoutes ou bradées au privé algérien, voire à des multinationales. L’édification d’une économie de production a laissé la place à une économie de bazar axée sur le seul commerce d’importation. Le système de production locale est aujourd’hui inapte à répondre aux besoins des consommateurs, couverts quasi intégralement par des importations en augmentation rapide, elles-mêmes financées exclusivement par des revenus pétroliers sur lesquels pèse l’hypothèque d’un effondrement des prix. Depuis plus de trois décennies, l’économie algérienne vit sous le régime des réformes libérales censées la conduire sur le chemin de la croissance diversifiée et de la compétitivité internationale, mais qui n’ont donné, de l’aveu même de leurs promoteurs, que des résultats décevants. En revanche, la construction du système productif national, qui devait être le socle sur lequel devaient s’élaborer et s’affirmer les capacités de réponse de l’économie algérienne aux chocs externes, a été notoirement compromise. La lecture sur le moyen-long terme doit partir des enseignements de l’impasse à laquelle a conduit cette orientation pour construire une cohérente alternative nouvelle. Peut-on, en effet, à la fois ambitionner de construire une économie productive fondée sur l’industrialisation substitutive et donc la reconquête du marché intérieur, ce qui suppose des leviers de décision autonomes et des choix souverains, et accepter en même temps le maillage serré de l’espace décisionnel national par le système de normes, de règles et de procédures instauré par les « institutions internationales »( FMI, BM, UE, OMC…) et l’obligation de conformité qui en résulte. Quand on se trouve en économie ouverte, il est impossible, on le sait, de ne pas faire ce que les autres font. Les décideurs sont limités par la nature et les règles du système de décision dont ils font partie. Il est évident qu’un Etat ayant transféré sa souveraineté économique vers la sphère du marché global n’a plus qu’un domaine de souveraineté réduit à ses fonctions purement administratives, de preneur d’ordre passif du marché mondial. Limiter l’exposition à l’économie mondiale, se soustraire aux normes qui la structurent, constituer des écrans protecteurs deviennent donc une condition indispensable à la mise en œuvre effective et concrète d’une réindustrialisation substitutive. La question du financement a toujours été la question-clé du développement économique. Mais on sait qu’elle n’épuise pas toute la problématique. D’autres conditions sont à réunir. Une vision de long terme qui traduise l’ambition de construire une économie productive performante, des institutions solides et compétentes dans le rôle de vecteur de cette ambition, un État garant des priorités productives et environnementales, des acteurs efficaces et engagés, parce qu’impliqués, des organes de contrôle indépendants et représentatifs, un climat politique et social de mobilisation démocratique pour le développement national.



Pensez-vous que les prix resteront bas longtemps ?


Si, à court terme, le marché devrait rester volatil, le prix du pétrole devrait finir par revenir à un niveau favorisant un maintien des investissements, au-delà des 70 dollars, par exemple. Une telle évolution serait conforme à la logique du cycle des prix pétroliers. Mais la dégringolade actuelle des prix ne manque pas de soulever nombre d’interrogations. Elle ne profite en définitive ni à l’offre, ni à la relance économique, ni aux investisseurs, ni aux producteurs, ni même, financièrement parlant, à ceux qui l’ont sciemment fomentée. A quoi rime-t-elle, alors, pour parler un langage courant ? On pourrait continuer longtemps encore à questionner la logique économique qui guide les décisions énergétiques des policy makers américains et de leur bras pétrolier saoudien, en vain, si ce n’est l’objectif proclamé de provoquer la ruine de leurs adversaires politiques. Ce qui correspond à une logique de guerre économique. La question que poserait alors une prospective des prix serait combien de temps Américains et Saoudiens pourront-ils user du pétrole comme arme géopolitique ? Beaucoup d’incertitudes, en effet. La dégringolade des cours du brut est porteuse de grosses incertitudes… Je crois qu’il est important de mettre en exergue les retombées négatives de la chute du baril non seulement sur les économies dont les équilibres économiques extérieurs et internes sont fortement tributaires de la conjoncture des prix du pétrole, tels le nôtre, mais aussi sur les perspectives d’activité des grandes compagnies pétrolières. Parce que justement, cela permet de prendre la mesure de l’ampleur de ce krach et d’évaluer ses conséquences globales et les risques de séisme financier qu’il fait encourir à l’économie mondiale au-delà de la planète énergie. Les perspectives s’annoncent des plus sombres. Les compagnies pétrolières affichent profil bas. Goldmann Sachs, la banque d’investissement la plus puissante du monde, prédit qu’avec la baisse des prix, des milliers de milliards de dollars d’investissements dans des projets d’exploration et d’exploitation de pétrole pourraient « passer à la trappe ». La baisse pourrait impacter 7,5 millions b/j durant la prochaine décennie. On sait que les groupes pétroliers fixent un cours du baril de référence minimum avec lequel le projet doit offrir une bonne rentabilité. L’exploration n’est rentable qu’avec un cours du baril élevé (70 dollars). Selon les analystes de la Banque Barclays, les dépenses d’exploration production en Amérique du Nord pourraient ainsi diminuer de 30 % en 2015, si le prix du brut léger américain est entre 50 et 60 dollars. Schlumberger le leader mondial de l’industrie a annoncé le 15 janvier la suppression de 9 000 emplois dans le monde, soit 7 % de ses effectifs. Et quel avenir pour la «révolution des schistes» qui avait permis de baisser les prix du gaz et du pétrole livrés aux entreprises et aux particuliers et sur laquelle les Etats-Unis fondent leurs plans d’autonomie énergétique ? Que deviendront les investissements considérables réalisés par les États-Unis pour devenir une puissance exportatrice de gaz ? « Continuer à produire et perdre de l’argent sur chaque baril ou stopper la production pour réduire les frais», les choix sont ardus, en effet. L’incertitude est grande au-delà d’un horizon de très court terme. On faisait savoir déjà, le 4 janvier, que l’entreprise américaine de pétrole de schiste WBH Energy s’est déclarée en faillite. Que dire des retombées de ce krach de l’industrie du pétrole et du gaz sur les marchés financiers et le (petro) dollar ? Les temps vont être durs pour les compagnies pétrolières, écrivent les analystes chevronnés du Global Anticipation Bulletin(GEAB) [1]. Puisque, soulignent-ils, celles-ci représentent une part importante des capitalisations boursières mondiales, l’effet domino sur les bourses et sur l’économie ne tardera pas. Un énorme choc sur les marchés financiers pourrait survenir en 2015 qui ne soit pas le fait d’une banque cette fois, mais d’un maillon de l’industrie pétrolière [2]. Et du côté de la demande, la chute des prix du pétrole suffira-t-elle à relancer la consommation d’or noir ? Non, a estimé l’Agence internationale de l’énergie (AIE) : «A de rares exceptions près comme aux Etats-Unis, le bas niveau des prix ne semble pas avoir, jusqu’ici, stimulé la demande». En fait, pas de retombées positives sur des économies occidentales complètement anémiées. Bref, la chute du baril n’apportera rien pratiquement à la relance économique des pays occidentaux. On aurait pu s’en douter. Il n’est point de bon vent, en effet, pour celui qui a perdu son gouvernail. A l’inverse, des retombées positives pour deux rivaux géants notoires des BRICS, les gros importateurs chinois et indiens. Pékin profite, en effet, de la baisse des prix pour améliorer ses stocks. Plus de la moitié de la hausse de la demande chinoise du mois de novembre incombe à l’augmentation de sa réserve stratégique. Quant aux conséquences de cet effondrement des prix sur les perspectives de l’offre, la relation de causalité est connue : à baisse des prix aujourd’hui, déficit de l’offre demain. D’autant que rien ne pourrait enrayer à moyen terme une poussée structurelle vers des prix moyens plus élevés par rapport à ces dernières années. L’épuisement progressif, bien que lent, des réserves pétrolières nécessite d’extraire et de raffiner un pétrole de plus en plus «difficile» et «sale». Ce n’est plus des gisements à fleur de sol qu’on exploite. Il faut creuser de plus en plus profond pour extraire du pétrole. Les coûts d’investissements ont grimpé, car on a affaire à des gisements de plus en plus coûteux à exploiter. Et il faudra, cela parait évident, des prix rémunérateurs conséquents. Quant aux besoins, ils continuent à augmenter et la demande poursuit sa marche dans la vaste zone des pays qui pèsent très lourd sur le plan démographique et qui constituent les économies les plus dynamiques en matière de croissance, les pays émergents.

C’est un tableau d’ensemble d’où se dégage une impression de totale incohérence si ce n’est de chaos qui laisse perplexe quant à la rationalité qui guide les décisions des policy makers et price makers de l’or noir. Et si le chaos précisément était l’argument ultime des puissances sur le couchant ?


If no future then a past ! disait une historienne britannique à propos de la mission très singulière que s’assignait une certaine recherche historique officielle. A défaut d’avenir, donnons-nous un passé ! Il semble que les policy maker américains aient fait leur ce précepte. En l’adaptant, bien entendu, car, ici, c’est le court terme, voire le très court terme qui tient lieu et place d’avenir. Englués depuis de longues années dans une crise sans issue visible, hantés par le spectre de la perte d’hégémonie mondiale, on gère au plus près. Faute de pouvoir envisager et offrir des perspectives économiques à long terme et même à moyen terme, les dirigeants des économies occidentales ont fait du court terme et même du très court terme, leur horizon indépassable. Incapables d’agir sur les déterminants structurels d’une évolution du rapport de force mondial défavorable à long terme, ils tentent coûte que coûte d’en infléchir les tendances à court terme. Engagés dans une course contre la montre pour conjurer le sort, leur vision stratégique s’est totalement diluée dans un foisonnement chaotique de manœuvres de diversion et de coups de poker, navigation à vue qui s’apparente davantage à la démarche du parieur qu’à celle du tacticien maître de la boussole stratégique. C’est la rationalité du sauve-qui-peut.


L’Arabie saoudite joue un grand rôle, dans le sens négatif s’entend, dans la baisse vertigineuse des cours du brut. Comment qualifieriez-vous la stratégie saoudienne ?


Depuis juin dernier, l’Arabie saoudite ne s’est pas contentée de laisser chuter les cours, elle a augmenté son offre sur des marchés déjà saturés et a baissé ses prix. Sourd aux appels des autres membres de l’OPEP demandant son soutien pour enrayer la glissade, le royaume saoudien a engagé de nouveaux pas pour pousser les prix à baisser plus bas encore. L’Arabie saoudite a contraint l’OPEP à maintenir les 30 millions de barils par jour comme niveau de production pour les six prochains mois. Ce n’est pas la première fois qu’elle fait tandem avec les Etats-Unis dans une guerre politique des prix du pétrole. En 1986, le ministre saoudien du Pétrole de l’époque, Zaki Yamani, et Henry Kissinger avaient conclu un deal dont la principale cible était l’économie pétrodépendante de l’ex-URSS
La stratégie des dirigeants de l’Arabie saoudite est inséparable de celle de leur tuteur, les Etats-Unis. Les relations Etats-Unis-Arabie saoudite remontent au temps de Franklin D. Roosevelt, pendant la Seconde Guerre mondiale. Elles reposent sur le pacte sécurité (pour le royaume wahhabite) contre pétrole (pour les Américains). Les Etats-Unis fournissent armes, formation et assistance logistique pour les forces armées saoudiennes. On sait que Riad est aux marchés pétroliers ce que la FED est à l’économie américaine : une « Banque centrale » capable d’injecter des liquidités – de l’or noir en l’occurrence – pour rassurer les opérateurs et faire baisser les prix et, présentement, il joue ce rôle avec un zèle ostensiblement assumé qui en dit long sur ses véritables buts, géopolitiques : étrangler économiquement les adversaires politiques des USA : Iran, Venezuela, Russie, en réalité ceux qui tiennent à leur pleine souveraineté sur les richesses de leur sous-sol. C’est une stratégie de guerre économique. Pour prendre la mesure du caractère néfaste du rôle de l’Arabie saoudite, il faut rappeler que cette monarchie dispose de recettes d’exportations pétrolières 7 fois plus grandes que celles de l’Algérie pour une population de 25% plus réduite. Le Koweït a une population qui constitue le 10e de celle de l’Algérie et des recettes d’exportations pétrolières qui représentent 2,34 fois celles de l’Algérie. Le Qatar 4,7% de la population algérienne et recettes 2,4 fois celles de l’Algérie.


Le débat national est aujourd’hui tourné vers l’exploitation ou non du gaz de schiste. Quelle est votre position par rapport à ce débat ?


Même si nous ne sommes pas dans les termes d’un véritable débat démocratique à proprement parler, je me réjouis que des points de vue contraires puissent s’exprimer sur ce sujet controversé. Car le plus tragique et lourd de menaces serait un complet désintérêt de la population pour les choses qui la concernent vitalement. Les problèmes que soulève l’option des hydrocarbures de schiste ne sont pas, en effet, d’ordre technique ou géologique seulement, mais politique, économique et écologique, notamment. L’AIE et les experts indépendants, par exemple, estiment que l’huile de schiste n’est pas une option soutenable à moyen-long terme à cause des taux de déclins élevés (déclinité élevée) et des coûts de production croissants. La croissance de la production de pétrole de schiste est un scénario non plausible, selon eux. Son extraction nécessite le forage de nombreux puits dont le rendement décline rapidement, à grands renforts de moyens techniques et financiers et au prix de risques de plus en plus importants pour l’environnement. En définitive, « un coûteux feu de paille, une manœuvre de court terme ». En réalité, on ne peut s’en tenir au seul discours expert, car la compétence spécialisée d’un joueur ne garantit pas l’issue de la partie, mais ses hypothèses et supputations et les choix qui en découlent engagent, en revanche, le sort de la société entière. Le modèle de l’ordre, disait le prix Nobel belge, Ilya Prigogine, est aujourd’hui, non plus le cristal parfait, mais la vague : dans celle-ci, chaque molécule semble s’agiter en désordre, mais elle contribue en réalité à la puissance du mouvement d’ensemble, car une cohérence existe entre tous les mouvements individuels.


Comment voyez-vous la démarche des opposants aux forages des hydrocarbures non conventionnels et du gouvernement qui semble y tenir plus que tout ?


Le gouvernement algérien prend la mesure de l’inquiétude des Algériens à ce sujet et c’est tant mieux. A tort ou à raison, la mise en œuvre de l’option des hydrocarbures de schiste suscite des inquiétudes au sein de la population qui se questionne sur ses effets sociaux, économiques et environnementaux. Cette option pose manifestement un problème d’acceptabilité sociale. La réponse à ce problème n’est pas dans le recours au passage en force. Il faudrait s’inspirer, dans ce contexte, de l’exemple de pays qui ont mis en œuvre avec succès des procédures de consultation où les populations, les citoyens, les organisations environnementales et les autres acteurs sociaux ont non seulement le droit de se prononcer sur les aménagements territoriaux ou sur les projets à grande échelle pouvant les affecter, mais où leur participation est requise. La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale reconnait ce droit des citoyens et particulièrement des populations affectées par un projet à une participation significative au processus décisionnel avant la prise de décision finale. Il ne s’agit pas seulement d’entendre les avis et d’écouter les populations, mais aussi donner la possibilité au public d’avoir une réelle influence sur les décisions le concernant. La confrontation sur les hydrocarbures non conventionnels en Algérie place, quant au fond, l’Etat algérien devant le défi de se donner la vision, l’approche et les procédures de régulation qui fassent de l’œuvre du développement national, comprise au sens le plus large, l’affaire de tous les Algériens. Elle implique à la fois transparence, information, consultation et équilibre pouvoirs et contre-pouvoirs. Elle met à l’ordre du jour la question du passage du triptyque énergie-accumulation-pouvoir au triptyque énergie-développement-participation citoyenne. Le contexte de périls qui pèsent sur la région souligne l’urgence de ce passage. Il faut peut-être prendre la mesure de la véritable hiérarchie des enjeux aujourd’hui. Le contexte de périls qui pèsent sur notre région souligne plus que jamais que l’enjeu essentiel premier est celui de la préservation de l’indépendance nationale, en dépit de l’apparente priorité de l’enjeu énergétique.

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