Économie

Abdelatif Rebah : « Une transition énergétique importée clés en mains est tout simplement inconcevable »

Abdelatif Rebah : « Une transition énergétique importée clés en mains est tout simplement inconcevable »

Abdelatif Rebah, économiste, expert en énergie et auteur de plusieurs ouvrages sur les questions économiques en Algérie, évoque dans cet entretien à econostrum.info la problématique de la transition énergétique en Algérie.

Abdelatif Rebah,(photo AB)
Abdelatif Rebah,(photo AB)
Econostrum.info : Pourquoi la transition énergétique est-elle nécessaire en Algérie ?

Abdelatif Rebah : La consommation énergétique de l’Algérie repose quasi entièrement sur les ressources fossiles. Les énergies renouvelables (hydraulique, éolienne, solaire, géothermie, biomasse,…) occupent une place pratiquement nulle dans le bilan énergétique. La production d’électricité est assurée presque totalement à partir du gaz naturel et absorbe 40% environ de la consommation de cette énergie primaire. Le transport relève presque complètement du secteur routier, soit des produits pétroliers (et accessoirement gaziers), dont il absorbe 86% de la consommation nationale.

Les hydrocarbures constituent par ailleurs la source quasi exclusive de financement de l’économie du pays.

Un tel modèle de totale dépendance par rapport à des ressources réputées épuisables et non renouvelables, est-il tenable ? Peut-il- assurer l’avenir énergétique et d’une manière générale, économique de l’Algérie ? Nos réserves s’épuisent et leur taux de renouvellement ne suit pas le rythme des extractions. Entre 2000 et 2010, les découvertes n’ont représenté que moins de la moitié de la production extraite du sous-sol saharien (taux de renouvellement : 46,36 %). Au rythme de production actuel, les réserves seraient consommées en vingt-cinq ans approximativement (soit à l’horizon 2040) s’il n’y a pas de nouvelles découvertes d’hydrocarbures et si les gisements sont exploités dans les mêmes conditions que celles prévalant actuellement sans amélioration donc du taux de récupération (25% pour le pétrole, 70% pour le gaz).

La production des hydrocarbures est entrée, depuis 2006, dans une longue phase de fléchissement, résultat de la conjugaison du déclin de la production et de la déplétion des réservoirs et du faible taux de renouvellement des réserves.

En Algérie, le baril d’hydrocarbures produit est destiné dans des proportions déterminées à l’exportation et à la consommation interne. Mais, tandis que les courbes des consommations énergétiques maintiennent une allure ascendante toujours plus accentuée, la production de pétrole brut et de gaz naturel accuse un trend baissier notable depuis 2007-2008. Depuis une trentaine d’années, la part de la production allouée à la consommation interne est en augmentation continue, passant de 20% en 1980 (contre 80% pour les exportations) à 35% en 2013 (contre 65% pour les exportations).

L’équilibre offre/demande d’énergie devient problématique à long terme et les arbitrages marché national-exportations, critiques à moyen terme. La mise en place d’un modèle assurant un certain équilibre entre notre consommation croissante, le besoin des ressources financières de l’exportation, et les besoins des générations futures, devient un impératif pressant. Économies d’énergie, rationalisation de la consommation énergétique, nouveau mix énergétique qui fait une place aux énergies renouvelables et à la préservation de l’environnement, la question de la transition énergétique frappe à nos portes.

« L’énergie est utilisée comme bien de consommation et non comme facteur de production ».
Quelles seraient, selon vous, les axes prioritaires en matière de transition énergétique : un rééquilibrage de la politique tarifaire de l’électricité conventionnelle ou des incitations pour favoriser les énergies renouvelables (ENr) ou un mix des deux?

A.R. : S’agissant ici d’instruments de politique énergétique, appartenant à la panoplie consacrée des incitatifs destinés à favoriser la transition énergétique (mesures fiscales, financières, tarifaires, règlementaires), un mix des deux est tout à fait indiqué. Mais pour pouvoir apprécier la pertinence de ces mesures, juger de leur impact effectif et donc de leur efficacité, il faut au préalable s’arrêter sur ce qui caractérise la dynamique de la consommation énergétique dans notre pays.

Concernant le profil de consommation, il est dominé par les produits pétroliers, près de 40%, suivis du gaz naturel, près de 30% et de l’électricité, 28%. Quant à la répartition par secteurs, elle fait la part belle aux secteurs résidentiel et tertiaire : 43% reviennent aux ménages et 36% aux transports. Le secteur résidentiel représente 31,8% de la consommation finale (CEF) totale, 39,8% de la CEF en électricité et 59 % de la CEF en gaz naturel. Le secteur tertiaire a vu sa part dans la consommation électrique passer de 20% en 2000 à 25% en 2013 et celle du secteur résidentiel de 32% à 35%.

La structure de la consommation s’est profondément modifiée, elle reflète les changements structurels intervenus dans l’économie algérienne. Les consommations domestiques prédominent. Celles du secteur industriel ont vu leur part se réduire considérablement. Ce dernier ne représente plus que le cinquième de la consommation énergétique. La part de la production allouée à la consommation interne est passée de 15% en 2003 à 24% en 2013, pour le gaz naturel et de 16% à 29% pour le pétrole brut.

Au cours de la dernière décennie, la consommation énergétique a explosé. Avec une croissance tirée essentiellement par les besoins des transports routiers (produits pétroliers), de la branche des matériaux de construction (gaz naturel et électricité), des secteurs résidentiels, résidentiel commercial et tertiaire.

L’énergie est utilisée de façon largement prédominante comme bien de consommation et non comme facteur de production. La consommation énergétique finale ne traduit ni les priorités productives d’industrialiser le pays, ni le profil de nos disponibilités, ni le souci de la contrainte devises, ni l’impératif de préserver l’environnement. Elle est en revanche caractérisée par de grandes disparités socio-économiques croissantes et porteuses de risques pour la stabilité.
Le revenu est un des déterminants importants de la consommation d’énergie. Les écarts de revenu des ménages entre le plus haut décile et le plus bas décile se reflètent dans le niveau des consommations énergétiques des ménages.

Le rééquilibrage de la politique tarifaire doit cibler la surconsommation énergétique des strates de consommateurs énergivores en même temps qu’elle doit être couplée à une réglementation drastique visant à bannir les équipements de faible rendement énergétique ainsi qu’à des choix stratégiques visant à privilégier les transports collectifs et à réduire sensiblement la part du secteur routier dans le transport.

Le secteur de l’énergie lui-même est concerné en premier lieu par les économies d’énergie : pertes de transport, torchage, on brûle des milliards de mètres cube de gaz, autoconsommations de GNL. Le «SIRGHAZ» GPL/Carburant est aujourd’hui le carburant le moins cher du marché algérien avec son prix de 9 DA/litre ; mais sa part relative dans le mix carburant n’est que de 3% et sa consommation stagne à un niveau bas.

En réalité, c’est une démarche stratégique d’ensemble qui est requise et qui met en cohérence stratégie de développement, politique énergétique, politique industrielle, politique économique. En un mot, la transition énergétique requiert une cohérence alternative nouvelle.

« La transition énergétique est par nature une affaire d’effort qualitatif national »
Dans le triptyque Eau-Energie-Environnement quelle importance donner à la lutte contre le gaspillage et aux formes multiples de déperdition?

A.R. : L’eau est un bien commun non substituable, un bien indispensable à la vie et son usage domestique doit primer sur tout autre usage. Mais il est connu que l’Algérie n’est pas un pays d’abondance de ressources hydriques. La règle ici est celle de l’économie grâce notamment à une tarification appropriée mais aussi à une règlementation stricte et contraignante.

Notre modèle énergétique est improductif, gaspilleur et inéquitable. En 2013, les importations algériennes de voitures ont atteint le montant de plus de 7,33 mrds$ et le nombre a totalisé 554 269 unités contre 43 119 véhicules en 2000, soit treize fois plus en…treize ans! Le carburant ponctionne les réserves de pétrole et de change de l’Algérie.

Autre révélateur de ce modèle gaspilleur. L’Algérie se retrouve aujourd’hui dans l’obligation d’investir dans des délais rapides des milliards de dollars pour augmenter substantiellement ses capacités de production d’électricité. Paradoxalement, ces investissements ne sont pas dictés par le développement de l’industrie, créatrice de richesses. Ils sont destinés à une consommation de confort. Sonelgaz la société nationale d’électricité et de gaz est confrontée au problème de l’utilisation à pleine capacité de ses centrales électriques (qui fonctionnent 6 000 h par an au lieu d’un seuil de rentabilité estimé à 7 500 pour un potentiel maximal de 8 760 h). La société évalue par ailleurs les pertes d’énergie à 15 % pour le gaz et à 20 % pour l’électricité.

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Dans quelles mesures le transfert de technologie pourrait-il booster une politique de transition énergétique?

A.R. : Le transfert de technologie, le développement de l’emploi, notamment qualifié, l’industrialisation sont des enjeux majeurs de la transition énergétique. Il serait ruineux de rééditer l’expérience du développement des énergies fossiles. Nous savons que les entreprises algériennes sont un acteur marginal de l’industrie des biens d’équipement et des composants destinés au secteur des hydrocarbures.

Dans le secteur pétrolier, les prestations « clés en mains » empêchent toute acquisition technologique par les Algériens, constatent les entrepreneurs marginalisés. « La mise en place des derricks » , déplore un chef d’entreprise, se fait en concomitance avec la vente de tous les éléments nécessaires à cette activité, y compris le moindre petit boulon.

Ce mécanisme de l’exclusion des moyens nationaux se renouvelle quasiment à l’identique dans les projets actuels, comme on peut aisément le vérifier. Penser un nouveau modèle énergétique alternatif, c’est également penser la nécessaire intégration nationale dans le développement de ce modèle. La transition énergétique est par nature une affaire d’effort qualitatif national. Elle doit s’inscrire dans une perspective scientifique, technologique et industrielle nationale. Une transition énergétique importée clés en mains est tout simplement inconcevable.

A. Belkessam, à ALGER

econostrum.info

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