Société

ACTUALITE ET PERTINENCE DE L’APPROCHE MUSICOLOGIQUE DE BACHIR HADJ ALI par :B. LECHLECH

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B. LECHLECH CHERCHEUR-MUSICOLOGUE
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L’INSTINCT MUSICAL.

Depuis son enfance, Bachir était charmé par la musique et ses mystères; plus tard se développa en lui le talent de poète. Il s’initia vers la fin des années cinquante à la musicologie, science monopolisée jusque-là par une poignée d’orientalistes et rendue inaccessible aux artistes, mélomanes et simples auditeurs qu’il arrivait à démystifier. Hamidouch, fils de la Casbah d’Alger, comme on aimait appeler Bachir, accompagna tout jeune des groupes de chaâbi et andalou. Son sens aigu du rythme, sa perception des durées sonores transposées en durées de mouvements du corps, l’aida très tôt à y jouer de la derbouka et développer ses aptitudes musicales , élargir ses horizons et mieux pénétrer ce monde en apprenant la guitare et en s’initiant au piano . Son quotient musical , comme on appelle l’intelligence en musique , atteint la moyenne ou plus, il entendait ‘’ juste ’’ , ‘’ sentait ’’ physiologiquement la musique; il pouvait reproduire un rythme, il avait de la mémoire et de l’imagination musicales.L’émotion progressa chez lui au fur et à mesure,avec des décharges de plus en plus intenses et son écoute intellectuelle encore plus, grâce au travail d’analyse sur les œuvres, notamment celles d’El Hadj M’hamed El Anka. L’ambiance musicale de l’époque à la Casbah aussi contribua à former Bachir, surtout dans l’audition et le rythme. L’enfant qu’il était ne pouvait requérir les moyens minimums pour se parfaire, même le jeune Hamidouch s’introduira difficilement chez les maîtres, un peu jaloux de leur savoir et le transmettant au compte-goutte aux jeunes disciples démunis. Absorbé par la politique, engagé dans le mouvement de son temps, selon son expression, il fréquenta toujours le milieu des artistes, les associations musicales dont il semble avoir été membre, comme El Mossilia… Il était lié d’amitié à des personnages en vue de cet univers, comme Cheikh El Anka, Sid Ahmed Serri … Arrivé à l’âge de maturité et grâce aux connaissances acquises dans le domaine de la poésie, et de la culture,il s’orienta vers la musicologie.Déjà,à la fin des années quarante, il développa ses qualités de critique musical dans la presse de l’époque, notamment dans ‘’Liberté’’ où il contribua décisivement à améliorer la page culturelle et artistique, ensuite Alger-républicain. Autodidacte,il commença à assimiler les grands ouvrages des orientalistes,tels Jules Rouanet, Henri Georges Farmer, et le Baron Radolphe d’Erlanger. C’est en 1960 que parait son premier essai exhaustif sur la musique algérienne; il l’améliora en 1964 et le fera paraître sous le titre de ‘’ Qu’est-ce qu’une musique nationale ? ’’. Elle constitue son œuvre fondamentale dans la recherche musicologique. En tant qu’algérien, il est l’un des pionniers de cette discipline , la défrichant parfois confusément et instinctivement dans des conditions difficiles. Il y’a presque une décennie, il poussa plus loin ses travaux dans une magnifique monographie sur le genre chaâbi sous le titre ‘’Le style d’El Anka’’. Bachir était fasciné par la musique classique algérienne et maghrébine, par le chaâbi et son chef de file El Anka, par les autres genres comme le Kabyle, le raï, le bédoui … Il était ouvert à toutes les musiques du monde , aux chefs – d’œuvre de la musique rythmée , précisément le jazz et le reggae … En musique classique universelle et européenne sa ferveur allait à Beethoven et Mozart, les deux génies des siècles derniers.Il était abonné à une revue musicologique mondiale et suivait attentivement les événements de la vie musicale nationale et internationale en y participant chaque fois qu’il lui était possible. En prison lors de son arrestation en 1965, après le coup d’Etat du 19 juin 1965, il s’était débrouillé un vieux tourne-disque. Lors de l’interdiction de résider dans certaines grandes villes, à Marsa El Hadjadj, il fabriqua des flûtes en roseaux pour les enfants; tandis qu’à Aïn Sefra, il se pencha sur l’étude de la musique antique, grâce aux sources trouvées à la paroisse, particulièrement au traité musical de Saint Augustin. Moh Esghir,le célèbre guitariste aveugle de l’orchestre chaâbi-andalou, le reconnaissait en lui palpant les oreilles ! Son contact avec l’ancienne génération où les jeunes artistes ne s’est jamais rompu, ni d’ailleurs avec le public qu’il initiait à la science musicologique, ou à la musique – cet art d’une portée sociale considérable – qu’il considérait non seulement l’affaire des spécialistes , mais aussi de tous les auditeurs chez qui il testait, en bon pédagogue, l’évolution de la perception, de la conscience esthétique musicale et des habitudes auditives, lors des conférences qu’il donna en sillonnant le pays. Il continua à entretenir des liens aussi bien avec Hadj M’hamed El Anka, son préféré, Dahmane Benachour, Boudjemaâ Ferguène le qânoundji, Ahmed Serri qu’avec Idir ou les membres de la troupe Haddaoui d’Oran …comme il rendit visite à la diva du raï trab cheïkha Rimitti et reçu chez lui des jeunes chercheurs sur le patrimoine musical national dans ses différents genres et styles. Hamidouch avec sa mémoire prodigieuse, même gravement malade, pouvait accompagner une cassette de chaâbi en répétant les paroles ou fredonnant les airs de la mélodie. Il alla toujours aux concerts de ramadhan après les ballades de nuits dans des veillées prolongées animées de musique, avec sa femme. C’est d’ailleurs Ahmed Sefta , le juge de Blida et musicologue qui fut son cadi de mariage . A l’improviste , il forma un ‘’ orchestre ’’ de mélomanes avec fils et proches en jouant à la maison; il préférait jouer de la derbouka, ainsi faisait-il pour que la joie demeure dans son foyer, pour le paraphraser. Pour Bachir, comme pour son peuple travailleur et ses artistes authentiques, la musique et son support esthétique est un moyen d’approche de la beauté et de résistance dans la vie sociale. On retrouve ses traces même dans ses poèmes comme l’ont si bien montré des chercheurs littéraires dans ses divers recueils en y décelant le mouvement majestueux de la nouba andalouse et autres indices. La musique était en permanence sa compagne, stimulant son psychisme et sa force spirituelle, dans les moments de joie et de douceur, mais surtout de rudesse. Les supplices du ‘’ casque allemand ’’ qu’il subit , sont – elles pour qu’elle chose dans les dommages de son ouïe observés chez lui dés la fin des années soixante dix par des médecins à Bruxelles ?Leur diagnostic établissait la perte de la perception des sons aigues.Loin de nous l’idée de prétendre donner une réponse qui ne revient qu’aux spécialistes qualifiés.Mais une chose est sûre, cela deviendra pour lui un handicap sérieux dans son travail de musicologue, comme d’ailleurs sa perte de mémoire signalée vers la même période, alors qu’elle n’en était qu’à son début. En perdant la voix, la musique continua, même mal perçue, à l’aider pour s’exprimer, lorsqu’il entendait les sons médiums et graves, par des sentiments reflétés à travers les traits que prenait son visage, l’expression de son regard, les gestes de ses mains et de son corps. Il est fort probable qu’en l’écoutant son ouïe ne faisait que se dégrader, mais paradoxalement, c’est son audition qui le tire vers le sens de la vie lorsqu’il arriva à en capter des airs en lui redonnant force et énergie pour affronter ses souffrances et sa lente agonie irréversible. C’est de silence qu’il a besoin dans son état actuel diront certainement les musicothérapeutes, cette autre âme de la musique. En fait, celle-ci est par définition une somme de sons et de silences agréables à l’oreille humaine. Ah s’il retrouvait ses forces par miracle ! Lui qui nourrissait un grand rêve; son plus cher vœu était d’aller en R.D.A. – aujourd’hui rasée de la carte d’Europe – parfaire ses connaissances théoriques et techniques, après sa retraite, et revenir sur sa terre natale, continuer le plus ardu des combats, celui de l’art et de la culture. Il n’avait donc pas l’intention de quitter la scène et se confiner à sa vieillesse de façon ordinaire, mais de poursuivre son travail dans le domaine artistique et culturel, en cultivant les graines qui rapprochent toujours ce printemps éternel qu’était le socialisme, son idéal. Pour lui, ce dernier est le seul capable de permettre à chaque enfant qui porte en lui un talent, de le réaliser pleinement. Bachir Oulied haoumet El Casbah, avait très probablement un don de chef d’orchestre dés son enfance, grâce justement à son sens et perception élevés du rythme, du temps ‘’personnel’’ diront les musicologues. Ce don relatif fut assassiné en lui dés le bas-âge par l’obstacle de l’oppression coloniale et sociale; sa prise de conscience politique emprunta cet itinéraire et détermina sa force de caractère et ses capacités élevées d’endurance grâce à sa haute conscience esthétique. On peut, sans exagération mettre en relief le parallèle entre l’engouement de Bachir pour la derbouka,la musique rythmée et la prise des idées modernes sur lui.Ce phénomène s’explique y compris chez le grand public,par les cadences sans cesse plus rapides qui caractérisent la vie moderne elle-même. Les résultats récents de la science musicologique attestent en plus que l’invasion des rythmes par le regain d’affection du jazz, le foisonnement des arrangements modernes, très rythmés d’œuvres classiques n’est pas considéré comme le tribut payé à la mode, mais surtout comme partie intégrante d’un processus social infiniment plus complexe . La musique rythmée contribue à l’équilibre des processus d’excitation et d’inhibition , et régularise les courants biologiques du cerveau. Elle incite à la danse; Bachir était aussi un bon danseur,aussi bien aux rythmes de notre terroir que d’un autre pays. C’est lui qui apprit aux autres cette faculté de suivre les mouvements d’un système rythmique quelconque.

RESISTANCE A LA TORTURE NEOCOLONIALE.

Bachir naquit dans une famille nombreuse. Les contes chantés et les berceuses de sa grand-mère apprivoisant son sommeil, l’audition de la new-music émise par les ondes sonores du vieux phonographe à grand pavillon acheté par son père ouvert à la modernité,ou y compris la ferveur religieuse éprouvée de la voix du muezzin de la mosquée Safir … ne pouvaient se substituer complètement à l’éducation dispensée par un conservatoire, nécessaire au plein épanouissement de ses aptitudes musicales. Ce manque à gagner sera légèrement comblé par les cadres traditionnels de la vie musicale de la Casbah. Celle-ci devait subir de lentes et profondes mutations à l’époque de brassage et métissage musical. Bachir en donne une description fouillée dans sa petite étude sur la tradition chaâbi et le rôle joué par cheïkh M’hamed El Anka. Son éducation musicale tardive – l’âge de 12 ans fixé par des spécialistes étant dépassé – n’a pas contribué à cultiver totalement son talent, et ne lui avait pas permis d’atteindre les niveaux exceptionnels que recelaient ses capacités‘’innées’’.Sans surestimer le pouvoir des ‘’dons naturels’’ comme lui-même le pensait, c’est l’absence de moyens principalement qui constitua l’obstacle essentiel à l’éclosion de ses capacités dans l’instrumentation et la création musicale.Cette donnée est affirmée par la recherche neuro-musicologique de cette dernière décennie, même si on peut naitre ‘’disposé’’ à la musique à des degrés divers, comme on nait tout simplement brun ou myope … Jouissant de la liberté relative chèrement conquise par son peuple, il redoublera encore à l’indépendance ses efforts dans la musicologie comme on l’a déjà souligné. Il aura mieux accès aux émissions télévisées, à la radio … Il avait commencé, tellement attaché à cet art, à s’équiper difficilement et progressivement,de tout ce dont il avait besoin pour son travail de recherche, notamment en moyens d’audition et d’enregistrement, malgré ses maigres ressources financières. Lors de ses voyages de travail à l’étranger, il en profitait pour ramener souvent quelques disques et ouvrages relatifs à la musique. Pendant son séjour en Azerbaïdjan on lui offrit une flûte ornée dans un style musulman, le ‘’bendir’’ à cymbalettes et une balalaïka (petit cordophone triangulaire). Il collectionna dans sa vie une série d’instruments traditionnels et modernes dans sa maison de Hussein Dey qui était aussi son atelier de travail.Il montra un intérêt particulier à l’expérience musicale des républiques soviétiques de l’Asie. Il assista plus d’une fois, depuis le début des années cinquante – sauf durant la guerre de libération nationale où il lutta sur le sol national – au festival du printemps musical de Prague. Une fois, invité au congrès de la musique arabe à Baghdâd, au début des années soixante-dix, il refusa d’y aller à cause de la répression du régime qui s’abattit sur les forces démocratiques d’opposition. Ses sinistres tortionnaires, de l’après-juin 1965, l’ont une fois menacé en ces termes : ‘’Tu ne feras plus de recherches sur la musique algérienne.Tu passeras devant le tribunal militaire. Tu seras condamné à mort. La grâce te sera refusée. Tu seras fusillé …’’. Quel cynisme ! Ils espéraient ainsi lui extorquer des aveux, par un marchandage sur tout à ce qu’il tenait le plus chèrement. Peut-être croyaient-ils, par inculture et ignorance, qu’ils avaient à faire, à un petit-bourgeois à leur propre image, engouffré dans la satisfaction de désirs subjectifs, égoïstes et renfermé sur lui-même. Mais justement, c’est parce que l’attachement de Bachir à la musique, surtout du terroir national, son œuvre sur celle-ci, s’insérait totalement dans les préoccupations spirituelles de son peuple laborieux, qu’il observa le silence de l’honneur face au système élaboré de torture physique et morale néocoloniale. N’avait-il pas ébauché son essai sur la musique algérienne sous le titre : ’’ Quelques idées sur les caractéristiques, les sources, les tendances actuelles et les perspectives de la musique algérienne’’ ? Et cela dans le combat multiforme contre le colonialisme, juste avant l’indépendance, pour démontrer face au monde que l’Algérie était une nation bien distincte,ayant sa propre civilisation millénaire.Malheureusement, les héritiers de la D.S.T. ne l’épargneront pas, besogne que leurs maîtres n’avaient pu effectuer auparavant grâce à sa vigilance. Hamidouch, à l’insu de ses tortionnaires, continua à faire de la recherche sur la musique nationale, grâce à elle, y compris durant son ‘’séjour’’ dans les geôles et résidences surveillées.Une découverte récente relativement en psycho-musicologie,nous démontre que peut-être, la principale vocation sociale de la musique est-elle d’éveiller en l’être humain aux moments les plus difficiles de sa vie, les forces en sommeil qui l’aident à s’affirmer, à résister, enclenchant le processus psychologique appelé ‘’ reflexe du but’’ par le physiologiste Ivan Pavlov et considéré comme la ‘’principale forme de l’énergie vitale’’ de l’être humain. Sans être académicien, universitaire, ou un officiel, par son approche scientifique en musicologie, par certains aspects originaux de ses analyses ou conclusions,son œuvre encore inachevée demeure non seulement actuelle et pertinente, mais à notre sens, devance quelque peu son temps et reste incomprise par de larges milieux du monde de la musique. Cette dernière observation est relative à la notion de ‘’grande et future musique nationale’’, de naissance ‘’d’œuvres musicales nationales’’ et à la problématique du reflet de l’évolution sociale dans la musique,que lui-même relègue à un temps ultérieur. Cela n’exclut pas évidement, dans son esprit, d’opérer la distinction dans son œuvre,entre ce que l’on pourrait considérer comme relevant plus d’orientations de politique esthético-musicale, et ce qui est du ressort de la science musicologique proprement dite, débarrassée d’une certaine surcharge politique. Bachir y arriva par exemple dans son dernier essai.Si dans son approche très nuancée,le rapport dialectique et complexe entre la société, l’art musical et son esthétique est plus ou moins cerné, par contre celui à la nature, n’apparait que peu … Malgré les limites – chose normale lorsqu’on avance dans le travail scientifique – son œuvre par son contenu condensé porteur d’une vision lointaine, continuera d’exercer une influence en profondeur sur la jeune école nationale de musicologie, non encore bien assise et structurée. Celle-ci se développera incontournablement , sur les bases jetées par nos premiers critiques et musicologues des années d’avant l’indépendance et des orientalistes.On doit déceler dans leurs travaux ce qui est historique et scientifique, même chez ceux dont le contenu est entaché de préjugés racistes,d’idéologie colonialiste, d’ethnocentrisme ou de dogmatisme. Bachir lui, arrivait à discerner les choses. Il s’agit de réassimiler de manière critique les écrits musicologiques de Malek Ouary, Ahmed Triqui, Jean Amrouche, Boudali Safir, Roland Rhaïs,Taos Amrouche, Ahmed Sefta,Bachir Hadj Ali, de ceux encore lointains de nous, comme Ghaouti Bouali, Edmond Nathan Yafil et des orientalistes comme Francisco Daniel Salvador (le vaillant communard exécuté en 1871), Alexandre Christianowistch, Béla Bartók, Jules Rouanet , le Baron Radolphe d’Erlanger, Henri Georges Farmer … et peut – être d’autres encore inconnus par nous. NOTES ET REFERENCES – Cette petite étude avait paru, un peu censurée, dans Saoût Echaâb en 1990 à la suite d’une conférence que j’avais donné à Bousmaïl lors du premier hommage rendu au regretté Bachir Hadj Ali de son vivant même, pendant l’été. Presque un quart de siècle, et à l’occasion du premier hommage au défunt, après le décès de Safia-Lucette, son épouse, elle est légèrement actualisée, enrichie et corrigée en mai 2016. – L’éclairage en détail des traits propres à la structure mentale de l’individualité de l’auteur, en l’occurrence le regretté Bachir Hadj Ali, est l’une des conditions majeures pour la compréhension de l’apport réel de son œuvre en musicologie, autant que celle de sa conception du monde ou de toute son expérience sociale. On ne saurait, évidement, figer la vie singulière complexe dans ses mouvements, même étudiée sous un seul angle d’attaque. – Depuis la levée de la surveillance sur lui, malgré les séquelles des sévices et sa blessure interne dans sa fierté et sa sensibilité particulière, Bachir se consacra davantage et définitivement aux problèmes de la culture, de l’art et du legs civilisationnel. Il nous lègue une pensée féconde, un précieux trésor en héritage spirituel, à travers une série d’essais et d’articles et par le biais de ses recueils de poésie, plein d’humanisme et de beauté. Fidèle à son idéal, il se sacrifiera jusqu’à ses dernières forces pour son peuple travailleur. Ses qualités humaines, son lien constant avec les simples gens, ses capacités d’écouter attentivement les autres, d’apprendre auprès d’eux, le fait de ‘’se remettre à chaque fois sur le métier’’ – faisant allusion à l’esprit d’autocritique – et surtout son ardent travail, sont beaucoup dans la marque qu’il exerça sur la vie culturelle et le monde de l’art algérien.Et cela sans parler de son apport politique en qualité de dirigeant communiste. – Grâce à son sens poussé de la musique (particulièrement du rythme) et à sa perception du temps, en lui se développa l’aptitude de digérer un volume important d’information et de connaissances, de répartir son temps avec beaucoup plus d’exactitude, et de passer rapidement d’une activité à une autre. – Sa maison de Hussein Dey était d’ailleurs son atelier de travail, et très souvent le lieu où il accueillait les artistes et chercheurs, les hommes de la culture et poètes … M’hamed Khadda et Abdelkader Alloula seront ses plus fidèles compagnons de lutte. – Il fréquenta régulièrement les concerts de l’institut Goethe d’Alger, avec son épouse Safia (Lucie). – Son devoir familial, malgré ses charges multiples et pesantes, était bien accompli, y compris en donnant une certaine éducation en esthétique musicale aux siens, composante de la personnalité nationale, même si chacun devait évoluer selon ses propres choix. – Son père était shipchandler au port d’Alger, originaire d’Ath Hammad (Azzefoun) où il se ressourça souvent. – Son ex. épouse est la défunte Chérifa Fakhardji, mère de quatre enfants, dont deux filles et deux garçons. – Bachir est né exactement à Bir Djebbah dans la Casbah d’Alger le 10 décembre 1920. – On l’avait surnommé Hamidouch (berbérisation de Mohamed) par croyance, par rapport au prophète pour apaisait son angoisse d’enfance. Il pleurait la nuit beaucoup et on lui chantait des berceuses dans sa langue maternelle (le kabyle) qui est de longue tradition orale, notamment sa grand-mère. – Exemple de berceuse qu’on lui fredonnait dans son lit de nourrisson‘’douh’’(m’hed):‘’assed yiffes outhi tsagh outhi bellou elkheïr dha erbeh erghouness ; ’assed yiffes outhi tsagh outhi bellou elkheïr dha erbeh iyouress.’’ – Dans son adolescence, il était attaché à la sœur du maître de la chanson andalouse Sid Ahmed Serri, Safia. – Bachir était parent à deux ‘’monuments’’ du mouvement ouvrier et communiste international, arabe et national, le docteur Camille Larribére, dont la nièce Lucette (Safia) était devenue sa femme à l’indépendance, et à Mahmoud Latréche ancien membre du Komintern qui s’était marié avec sa sœur Dahboucha. – La femme de Mahmoud (ce dernier se trouvant en RDA), sœur de Bachir, poétesse en Kabyle, a été assassiné en 1975, tout en sauvant son enfant qu’elle accompagnait, après avoir été manquée une semaine auparavant, non loin de chez elle à El Biar,renversée par un camion militaire(procédé de diversion du Mossad et du SDECE). – Bachir recherché, avait vécu une année, au début de la guerre d’indépendance, en clandestinité dans une même cache (khabiya) sortant toujours déguisé en femme avec Mahmoud Latrèche en 1955, à la Casbah, rue Menzeh, porte n°9. Ce dernier sera emprisonné au début à Douéra. – Bachir Hadj Ali avait toujours entretenu des rapports étroits avec le maître du chaâbi Hadj M’hamed El Anka et Sassi le musicien juif séfarade. – Yacef Saâdi était parent à lui du côté de sa grand-mère. – Mahfoud Kaddache était avec lui au SMA de la Casbah dans les années trente, mais évolua négativement. – Bachir avait été mobilisé en tant qu’insoumis pendant la seconde guerre mondiale comme infirmier à Blida où il avait connu A.Mahmoudi dirigeant du PCA. On retient de cette période qu’il était très généreux avec les vieilles femmes pour lesquelles il distribuait du pain gratuitement qu’il prélevait discrètement sur celui de l’armée française. – Il avait fait connaissance avec le dirigeant du PCF Jacques Duclos dés 1942 qui avait laissé une très bonne impression sur lui dés cette époque. – Son rôle d’animateur principal, au côté d’autres, dans la solidarité avec les victimes des événements tragiques du 8 mai 1945 est connu, comme d’ailleurs la direction des CDL et du PCA à l’intérieur du pays à partir de 1956. – Lucette son épouse vient de faire paraitre en 2011, un petit ouvrage de témoignage, sous le titre : ’’ itinéraire d’une militante algérienne ’’, où elle relate quelques unes des facettes du personnage pendant la période d’avant 1962. Elle avait déjà fait paraitre l’ouvrage en 2002 : ‘’ Lettres à Lucette ‘’ qui retrace des épisodes de la période de 1965-1970 (prison et résidence surveillée), où il est très souvent question de musique. – En 1981, j’avais assisté de loin (étant clandestin) à une conférence sur la musique donnée par lui à Oran au CRIDISH. Pour la 1ere fois, je le vois en chaire et en os. Un ancien de l’UNEA apporta la contradiction à Bachir sur le grand compositeur, Mohamed Abdelwaheb, dont il était féru, à juste titre d’ailleurs. Mais le musicologue, prudent,dans le débat évoqua la préférence subjective,à juste titre aussi en corrigeant une erreur dogmatique. – Juste avant la sortie à la légalité, en 1989, c’est le premier dirigeant auquel je rendis visite chez lui à Hussein Dey et communiquai avec lui sur divers sujets, alors qu’il s’exprimait en vous serrant la main, clignant les yeux, versant les larmes du poète,après avoir perdu la parole.Et je contribuai depuis,à l’assister avec d’autres.

B. LECHLECH CHERCHEUR-MUSICOLOGUE

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE:

– Jacqueline Renaud, L’énigme du don musical, nait-on musicien ? Revue science et vie n°744, septembre 1979.

– Valentin Pétrouchine, La musique autour de nous, mensuel ‘’Znanié-Sila’’.

– Interview de Lucette-Safia Hadj Ali, Alger 1990.

– Témoignage de Smaïl Hadj Ali, Alger 1990.

– Témoignage de la sœur ainé de Bachir, Alger 2001.

– Bachir Hadj Ali, L’arbitraire, Editions de Minuit, Paris 1966.

– Bachir Hadj Ali, Qu’est-ce qu’une musique nationale ? Revue Nouvelle Critique, Paris 1964.

– Bachir Hadj Ali, Quelques problèmes actuels de notre musique, Revue … Alger 1965.

– Bachir Hadj Ali, El Anka et la tradition chaâbi, Annuaire de l’Afrique du Nord n° XVII, année 1978.

– Bachir Hadj Ali, Quelques problèmes culturels de notre temps, Collectif UNJA, Alger 1981.

– Bachir Hadj Ali, culture nationale et révolution, Revue Nouvelle Critique n°147, Paris 1963.

– Bachir Hadj Ali, Lettres à Lucette (1965- 1966), Editions RSM, Alger 2002. – Bachir Hadj Ali, Quelques idées sur les caractéristiques, les sources, les tendances actuelles et les perspectives de la musique algérienne, Revue Nouvelle Critique, Paris 1960. ANNEXES MUSIQUES ESSENTIELLES

Pour Marx, la musique est «un miroir de la réalité».

Pour Freud «un texte à déchiffrer».

Pour Nietzsche «paroles de vérité».

Toute musique dans son essence est un outil qui contribue à créer une communauté.

Elaborée, la musique populaire perd sa fonction rituelle.

Elle accède dés lors à la grande musique, sinon, elle se perd dans les méandres des cerveaux dévastés.

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