Histoire

Bengana: Une lignée de traîtres au service des Turcs et des Français !

Par Maâmar FARAH
farahmadaure@gmail.com



Survenant quelques jours après la polémique créée en France par les nostalgiques de l’Algérie française à propos des déclarations de M. Macron sur la colonisation (crime contre l’humanité), la sortie inattendue d’une arrière-petite-fille du caïd Bengana de triste réputation, a semé le trouble chez bon nombre de patriotes. Les réseaux sociaux s’enflamment et dénoncent ce révisionnisme de mauvais aloi qui, ajouté à d’autres renoncements, montre que les traîtres reviennent pour revisiter une histoire qui les a déjà condamnés d’une manière irréversible.
L’écrivaine Bengana, comme tout descendant d’une longue lignée, a certes le droit d’être fière de sa famille et de raconter ce qu’elle veut dans ses livres. Mais elle doit le faire en France et partout ailleurs, sauf ici ! Et quand elle parle de cette «liberté d’expression» qu’elle découvre en Algérie où une chaîne publique va jusqu’à lui donner la parole, elle ne sait pas de quoi elle parle ! La liberté d’expression s’arrête là où commence l’insulte des martyrs, la manipulation de l’histoire et les tentatives de réhabilitation des traîtres et des vendus ! La liberté d’expression n’autorise pas la remise en cause du verdict cinglant de l’Histoire qui a condamné Bengana et les autres collaborateurs. Et comme Mlle Fériel Furon vient de France, faut-il lui rappeler que, dans son pays, nul n’a le droit de blanchir les traîtres ou de les réhabiliter ? Tous ceux qui s’y sont aventurés ont eu à répondre de leurs actes devant les tribunaux. Il y a, ainsi, des lignes rouges que nul ne peut outrepasser. Chaque nation a son histoire propre et cette dernière n’est pas seulement une somme de hauts faits d’armes et d’héroïsme. Au cœur de cette histoire épique, il y a toujours des attitudes lâches, tissées par ces Judas de la dernière heure, ceux qui choisissent toujours le plus fort, fut-il
l’ennemi juré de leur peuple, fut-il le massacreur attitré de leurs frères !
Dans le cas des Bengana, faut-il citer cette longue série de félonie qui va du soutien à l’occupant turc à la plus avilissante collaboration avec les troupes d’occupation françaises ? L’écrivaine à scandales aurait dû parcourir ce texte édifiant de L. C. Feraud qui, évoquant l’histoire des sultans de Touggourt et du
Sud algérien, note à propos d’un de ses aïeuls : «Il est certain que El hadj Bengana, créature des Turcs, ne pouvait avoir avec ses protecteurs que de bonnes relations» (notes historiques sur la province de Constantine et du Sud algérien, Revue africaine, 1878-1886). Dans cette longue étude qui remonte jusqu’aux années 1452, l’auteur suit pas à pas le cheminement des Bengana qui ont longtemps comploté contre les chefs des autres tribus et se sont même parfois battus entre eux, pour le leadership, la puissance et l’argent. Ils
étaient aux côtés des Turcs à qui ils ont offert leur allégeance. Ils ont ouvert les portes du Sud quand la troupe ottomane partait en chasse contre les autochtones qui furent massacrés et humiliés. Une grande interrogation : pourquoi ne retient-on, de cette occupation turque, que le prétendu appel des Algérois au chef pirate Barberousse, alors que sont ignorées les terribles souffrances du peuple algérien sous la botte des Ottomans ? Pourquoi cette occupation sanglante n’est pas reconnue officiellement ? Comme toute occupation, elle a eu ses martyrs, ses soulèvements populaires, conduits par des chefs de tribus courageux, qui se sont attaqués aux puissants Beys et à leur soldatesque, refusant de se courber devant les colonisateurs.
La collaboration avec les Turcs fut une longue pratique de plusieurs
générations des chefs Bengana qui, du seizième au dix-neuvième siècle,
vont comploter contre les autres dignitaires en usant de tous les moyens pour avoir la grâce des Beys. Quant à leur fortune colossale, elle n’est pas le fruit du hasard. Relisons L. C. Feraud : «Un Turc du nom de Ahmed, janissaire de la petite garnison de Collo, remplissait alors ce que nous appellerions l’emploi de vaguemestre et faisait fréquemment le voyage de Collo à Constantine pour les besoins de son service. Soit qu’il eût à faire ferrer son cheval ou qu’attardé en route, il s’arrêta par hasard à Redjas, il demanda l’hospitalité à
Ganâ et y revint. Ses relations devenues intimes dans la maison de l’artisan, il épousa une de ses filles. Nous verrons que Ahmed, le janissaire, avançant en grade, fut d’abord agha de Collo, d’où lui fut donné le surnom de Colli… il arriva à la dignité de Bey de Constantine, et de là date la fortune des Ben Ganâ.» (Revue africaine, 1878-1886).
Les chefs Bengana offrirent leurs services à pratiquement tous les Beys qui se sont succédé à Constantine (sauf Salah Bey qui ne les «gobait» pas), en matant les révoltes et en cherchant les alliances les plus larges avec de nombreuses tribus amenées à se soumettre aux Turcs. Ces derniers songèrent même à doter l’un d’entre eux, promu Cheikh El Arab à l’époque de Hossein Bey, d’un véritable makhzen ! Certaines sources font même état de la participation active d’El Hadj Bengana à l’occupation de Constantine par les Turcs. L’arrivée des troupes est accompagnée d’une lettre du puissant sultan ottoman dans laquelle il écrivit notamment : «Nous sommes musulmans comme vous!» De quoi faire passer la pilule… C’est El Hadj Bengana qui usa de son autorité sur les tribus pour laisser entrer les troupes turques dans
l’antique Cirta. Gouvernant le pays jusqu’à Touggourt, El Hadj Bengana
ne s’arrêta pas là : il offrit aux Turcs de les conduire jusqu’à Touggourt, Ouargla et au Souf. En signe de reconnaissance, les Turcs comblèrent Bengana de cadeaux et d’honneurs. Il est même nommé ministre auprès du Bey. Il faut aussi savoir que c’est ce même El Hadj Bengana qui accompagna les Turcs dans leur expédition sanglante au Djurdjura, contre les Flissa. Un massacre que l’histoire officielle ne mentionne pas !
Quant à la collaboration avec la colonisation française, œuvre d’un descendant d’El Hadj Bengana, père du Caïd que tente de réhabiliter Mlle F. Furon, elle n’est pas plus reluisante. Utilisation des mêmes méthodes de manipulation des tribus, coups de force contre les récalcitrants avec l’épisode peu glorieux des oreilles coupées, manœuvres de toutes sortes, traîtrise, course vers la richesse et la notoriété : les ingrédients sont les mêmes pour le même objectif : servir le puissant du moment… En fait, ces collaborations «intelligentes» sont toujours le fait des chefs féodaux qui, en s’alliant avec les Ottomans ou la France, tiennent à marquer leurs territoires et à maintenir les serfs (Khammès) dans leur rang, refusant catégoriquement de les libérer de ces liens de servitude d’un autre âge. Sous les Ottomans ou sous les Français, les Bengana et beaucoup d’autres collaborateurs ont voulu maintenir leurs avantages, garder leur statut de seigneurs au-dessus de la plèbe. Cette situation perdurera jusqu’au 1er -novembre 1954, date d’une révolution qui ne
visait pas seulement à chasser l’occupant, mais aussi et surtout à changer les rapports de classe au sein de la société rurale algérienne. A ce titre, la révolution algérienne qui a continué bien après l’indépendance — sous la forme de lutte pour la terre et la réappropriation par la classe ouvrière des outils de production — a tendu à donner leur liberté aux khammès et à transformer totalement la campagne, offrant au paysan pauvre et sans terre, ainsi qu’à l’ouvrier agricole, une nouvelle vie où il n’y aura plus de Bengana, ni de Bachagha Boualem, des noms de triste consonance qui renvoient à ce
sombre passé. Le tournant libéral, puis ultralibéral, avec la décomposition politique qui permet aux affairistes de détenir une partie du pouvoir, nous imposent de nouveaux Bengana et justifient, par la même occasion, les tentatives de réhabilitation des anciens. Mais les patriotes, à l’intérieur et à l’extérieur du pouvoir, seront toujours là pour sortir le carton rouge : pas touche ! Ils sont plus nombreux que nous le pensions et c’est déjà ça de gagné !

Par Maâmar FARAH

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