Société

Compte-rendu de la rencontre/débat avec M. Ahmed Bensaada autour du livre: « Kamel Daoud: Cologne, contre-enquête »

Mr Mohamed Bouhamidi au fond de la photo et Ahmed Bensaada 13537632_1040629656017200_2479126661700459616_n.jpgLa librairie Fateh Kitab de la cité des Bananiers s’est avérée trop exiguë pour contenir tout le beau monde venu assister à la rencontre/débat avec M. Bensaada autour de son dernier ouvrage: « Kamel Daoud: Cologne, contre-enquête ». L’exiguïté n’étant que dans les cœurs, comme dit l’adage populaire, les jeunes ont cédé les chaises et tabourets aux moins jeunes, et nous nous sommes serrés pour écouter, dans une ambiance conviviale et bon enfant, M. Bensaada évoquer les raisons qui l’ont poussé à écrire ce livre et les concepts clés autour desquels il s’articule.
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Après avoir été brièvement présenté par M. Mohamed Bouhamidi, philosophe et chroniqueur, d’emblée, M. Bensaada explique le titre: si Daoud n’est pas le seul concerné par l’analyse (l’auteur fait le parallèle avec Sansal, Benhabib, BHL… entre autres), les deux articles commis par Daoud sur les événements de Cologne offrent un exemple frappant de ce que décrivait Albert Memmi dans « Portrait du colonisé », à savoir cette propension chez le néo-colonisé en l’occurrence, à charger sa communauté de toutes les tares du monde, qui plus est en regard et en opposition à l’Occident magnifié, angélique, d’une bienveillance ingénue devant ces barbares que dénonce l’autochtone éclairé, lequel, les ayant pratiqués au quotidien, connait bien son sujet, ne s’en laisse pas conter, et ne craint pas de dire publiquement ce que BHL dit en privé: le statut d’indigène le dédouane de toute critique pour racisme et essentialisme, puisque il est « témoin sur sa famille ».

M. Bensaada est revenu ensuite sur les positions douteuses de Daoud, et qui lui ont valu le soutien zélé des lobbies médiatiques sionistes, de BHL à Fienkelkraut et jusqu’à Valls, premier ministre français qui, au dîner du CRIF, va appeler à la défense de Daoud contre le collectif d’universitaires qui ont osé répondre à son délire sur Cologne, et le comparer aux vieux clichés orientalistes et coloniaux d’extrême-droite. Ces positions douteuses vont de la désolidarisation envers la Palestine, dans le moment où les bombes pleuvaient sur Gaza et tuaient des milliers de femmes et d’enfants, à la nostalgie de la présence du colon, en passant par les classiques charges contre l’Islam, à la mode depuis qu’il n’y a plus de « péril rouge » à agiter comme spectre totalitaire.

M. Bensaada explique ainsi que son travail n’est pas dirigé contre la personne de Daoud, mais qu’il ne s’agit que de déconstruire une figure médiatique forgée dans les salons germanopratins et portée au pinacle par les lobbies médiatiques sionistes.

Il évoquera aussi le rôle de l’idiot utile Hamadache, qui permettra une double surenchère victimaire de Daoud: non seulement il est l’objet d’une fatwa religieuse (ce qui n’est pas tout à fait vrai, mais nous passerons sur ces détails), mais voilà que l’article du collectif d’universitaires est qualifié de « fatwa laïque » (Zaoui dira: « Hamadaches du Nord »). Ainsi, quoiqu’on dise, Daoud est sacré dans son onction par les Lumières: toute critique relève de la fatwa rétrograde, quand lui ne fait rien d’autre finalement, à longueur de chroniques, qu’émettre des fatwas journalistiques: l’Algérien est sale, fourbe, misogyne, obsédé sexuel, voleur, menteur, etc. On imagine Porot faisant un pied de nez à Fanon en exhibant lesdites chroniques.13508853_1040629369350562_348815300340148948_n.jpg

Puis le débat a été ouvert et la parole donnée aux gens présents. Parmi les questions évoquées, celle essentielle du faux clivage entre l’intégriste religieux contre l’Etat-Nation, et la figure néocoloniale qui remplit le même rôle objectif: œuvrer à la destruction de l’Etat-Nation. Les deux pôles en apparence contradictoires, ne le sont in fine que vis-à-vis de la cible permanente: l’Etat-Nation et les acquis révolutionnaires de la guerre d’indépendance. Ainsi Daesh et les néo-colonisés ne sont que les revers d’une seule pièce, ils s’engendrent réciproquement et se servent mutuellement d’alibi, et la poussière que soulèvent leurs fausses chamailleries et leurs gesticulations spectaculaires ne fait que cacher l’effondrement de l’Etat-Nation auquel ils œuvrent objectivement, fût-ce consciemment ou pas.

Un intervenant a alors soulevé la question du manque de reconnaissance par les siens, qui pousse ces auteurs à la rechercher ailleurs, et un autre a évoqué l’argument redondant des défenseurs des Daoud, Sansal, Khadra, etc.: à savoir que leurs critiques ne sont que des jaloux! A quoi ont répondu de pareille manière MM Bouhamidi et Bensaada: qu’ils ont déjà eu, tout jeunes diplômés qu’ils étaient, la reconnaissance de leur milieu social et ses encouragements, en ce que les leurs voyaient en eux « leurs champions », pour reprendre la formule utilisée par M. Bouhamidi au sujet de Taleb Abderrahamane, et qu’ils leur faisaient porter leurs espoirs de réussite arrachée à l’ordre colonial. Cette évocation du rapport social comme déterminant dans le dédain ou la recherche de la gloriole médiatique m’a laissé, pour ma part, rêveur. Cela m’a rappelé le personnage d’Arezki dans « Le Sommeil du juste », du grand Mammeri. Ainsi, le désir enrageant de s’extraire de l’indigénat a peut-être, entre autres racines, cette rancune revancharde de l’ego en mal de reconnaissance sociale, et qui va chercher son ersatz dans la reconnaissance médiatique outre-mer, en trépignant sans cesse son peuple d’origine, comme s’il reprochait aux siens ces tares dont ils l’ont lesté, lui l’éclairé dont le destin est de briller de mille feux, et qui l’empêchent de s’élever librement dans les sphères éthérées des lumières de l’Occident: cette image en clair/obscur, cette opposition lumières/ténèbres revient entre autres sous la plume de Natasha Polony et Djamila Benhabib, comme le souligne judicieusement M. Bensaada dans son ouvrage.

Enfin les gens présents ont pu se faire dédicacer l’ouvrage, discuter avec l’auteur, faire connaissance entre différents groupes d’amis, etc. Mais aussi – que la tradition s’installe! – savourer les cigares de Merbouha, accompagnés d’un thé ou d’un café.

Une réussite que cette rencontre, que nous espérons l’augure d’une réussite pour cet excellent ouvrage, à l’image de la brillante carrière d’un docteur qui se définit comme le produit de l’Algérie indépendante.

Djawad Rostom Touati
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