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Contribution: Algérie 2019, l’inacceptable effondrement économique Par Dr Ali Kefaïfi

Dans cet article le Dr. A. Kefaïti rejoint les appels, de plus en plus nombreux, de patriotes qui appellent au débat national sur la stratégie pour le développement national pour éviter une catastrophe économique, sociale , politique, à notre pays.
Les dégâts causés par la fuite en avant néo-libérale et le pillage, depuis des décennies, des richesses nationales menacent la sécurité et la cohésion nationale et hypothèque l’avenir de notre peuple..

Contribution : Algérie 2019, l’inacceptable effondrement économique

Par Dr Ali Kefaïfi


Depuis 2012, notre objectif a été d’alerter le pouvoir et les citoyens sur le danger du triple déficit (EBC) énergétique, budgétaire et de balance financière des comptes courants. Un plan «B» existe et reste nécessaire face au scénario Titanic.

Le pétrolier Titanic II

Depuis le 1er trimestre 2014, nous sommes irréversiblement entrés dans un précipice devant nous conduire à la situation de quasi-cessation de paiement dès 2018. En effet, depuis fin mars 2014, les comptes de l’Etat observent un déficit de la balance des comptes courants (exportations moins importations moins services). Le graphique ci-dessous montre que ce phénomène intervient pour la première fois depuis 1998-1999 alors que le prix du pétrole atteint en moyenne 100 $/baril (80 à 90 en octobre 2014) contre 10 $/barils avant 2000.

Nos simulations montraient une plongée irréversible de ce déficit sous les effets de nombreuses causes indépendantes (consommation de gasoil, déclin pétrolier, dérive des importations), avec les conséquences possibles suivantes :
– 2017, la disparition du Fonds de régulation des recettes (FRR) et le retour à la planche à billets avec l’hyperinflation, les licenciements généralisés, la fin des subventions, la fin Ansej, la fin des pensions ;
– 2018-2019, disparition des réserves de change (0 $ de réserves au lieu de 200 milliards $) et retour à la situation de 1994 avec l’endettement (FMI, Banque mondiale, etc.) ;
– 2019, fin des exportations algériennes de pétrole, et l’Algérie importateur pétrolier ordinaire (2020-2030), sans ressources fiscales car les droits douaniers et la TVA sur importations seront nuls ou presque, et l’économie toujours aussi informelle, donc pas d’assiettes fiscales ;
– 2030, fin du pétrole saharien (i.e. CFP, Repal, Sinclair, Anadarko), hors découvertes futures.

Dépendance pétrolière et Etat rentier

Cet horizon funeste concerne aussi les Etats pétroliers du Sud, tels le Nigeria (2020 ?), l’Arabie saoudite (2030 ?). Les causes sont similaires, c’est-à-dire la combinaison de la déplétion pétrolière (tout a une fin !), des importations excessives et de la forte consommation domestique de produits pétroliers. Ainsi, l’Arabie saoudite consomme exponentiellement près de 3 millions barils/jour pour une production en déplétion de 9 à 10 millions barils/jour.
Globalement, cette dérive vertigineuse est mesurée à travers le «seuil de rentabilité budgétaire de l’Etat» mesuré par le prix du pétrole qui assure l’équilibre budgétaire (PPEB). Or, sous l’effet de l’absence de gouvernance,voire de planification et de gestion propre aux Etats rentiers, ce PPEB a atteint des seuils critiques, incompatibles avec les prix permis par le marché pétrolier.
Pour les pays de l’OPEP (cf. Apicorp), ces PPEB moyens varient de 60 $/bbl (Koweït, Qatar) à 145 $/bbl (Iran). L’Arabie saoudite se situe à 100 $/bbl, d’où une indication sur le prix soutenu par le cartel OPEP. Chose grave, le PPEB algérien est égal à 125 $/bbl, avant-dernier avant l’Iran et futur dernier car l’Iran procède déjà à la suppression progressive des subventions énergétiques. Nul ne doute que dans la bataille géopolitique des prix qui se jouera à l’OPEP, l’Arabie saoudite visera l’Iran à travers son affaiblissement budgétaire et, par ricochet (dégâts collatéraux), l’Algérie.

L’Algérie au bord du précipice ?

Depuis 10 ans, l’Algérie est entrée dans un tunnel sans fin, conséquence de l’élimination des compétences et de l’envolée exogène des prix du pétrole. L’analyse de l’évolution du prix du pétrole, à travers les fondamentaux (structurels) et les évènements non structurels, montre que ce prix, variable aléatoire, respecte à long terme 3 exigences : coûts marginaux des gisements (offre), élasticité prix-demande (essentiellement transport), et l’objectif PPEB (régulation du cartel). En gros, ces 3 variables s’établissent actuellement à 70 à 80 $/bbl (coûts marginaux), 150 $/bbl (prix permis par l’élasticité prix-demande) et 100 $/bbl (montant du PPEB du «price setter» ou faiseur de prix de l’OPEP). Cependant, l’Arabie saoudite, price setter de l’OPEP, disposerait de moyens lui permettant de figer son PPEB à 83-93$/bbl, d’où une option potentielle de prix très sévère pour l’Iran ou l’Algérie.
Fait plus grave pour l’Algérie, son PPEB évolue entre 105 et 145 $/bbl, valeur proche de 150 $/bbl et qui montre la fin absolue de l’Etat rentier algérien. Cette fin serait précipitée (2017 ?) si le prix du pétrole descendait dans la fourchette 85-95 $/bbl.
Pourquoi ceci n’apparaît pas dans les discours officiels ? La raison réside dans la complexité du problème global et la coordination de plusieurs sous-systèmes sectoriels. Aussi, l’erreur de raisonner en termes de balance commerciale au lieu de balance des comptes courants.
A titre d’exemple, les exportations pétrolières ont fictivement augmenté grâce au gisement Merck démarré en 2013 (après 15 années de retard), mais avec toujours la déplétion des autres gisements, dont Hassi Messaoud, Ourghoud, Berkine (cf. déclarations Anadarko à la SEC).
La production de Merck rapporte plus de 3 milliards $. Or, pendant 3 à 5 ans, cette production exportée servira essentiellement à rembourser les «coûts pétroliers» antérieurs de l’opérateur étranger et n’est donc pas reversée à l’Algérie. Phénomène singulier invisible dans la balance commerciale, mais visible dans la balance des comptes courants !

1er novembre 2014, quelles options pour l’Algérie victme du «Rentier State» ?

Une analyse stratégique du dossier économique montre que l’Algérie va vers l’effondrement à cause de l’échec de la politique énergétique (5% de taux de remplacement des réserves pétrolières ou RRR, gaz 4 fois moins rémunérateur que le pétrole, subventions), elle-même confectionnée par d’anciens vendeurs de gaz. Cependant, il existe encore un programme économique différent, mais fiable.
En 2015, son coût de réalisation reste surhumain mais à notre portée.
Ce programme est aux antipodes du programme énergétique à la base de la loi de finances 2015. Ce programme endogène vise la croissance, l’emploi, la suppression intelligente des subventions et, dès 2020, la sortie de la sphère des Etats rentiers puis l’entrée dans le cénacle des pays émergents.
Ce programme assis sur une stratégie est déjà défini dans le détail. Il s’inspire de la Déclaration du 1er Novembre 1954 : «Il est vrai que la lutte sera longue, mais l’issue est certaine.»
A. K.

* Ingénieur civil des mines et ENSPM (IFP), conseiller et directeur stratégies au ministère de l’Energie (1996-2001)
Source: le soir d’Algérie 26/10/2014

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