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Contribution: La « nostalgérie » jusque dans la haine, par Saadeddine Kouidri

Le livre « Nostalgérie – L’interminable histoire de l’O.A.S » de
l’historien Alain Ruscio rappelle que les deux peuples qui existaient
pendant la colonisation étaient des peuples juxtaposés. A l’étage de
la grande librairie, consacré à l’histoire, ce livre est placé dans
la rangée intitulée « colonisation-décolonisation » Quand la grande majorité des historiens français et leurs grands médias ignorent les luttes des peuples colonisés, ils font de la colonisation et de la décolonisation une histoire d’événements intérieurs. Quand ils font l’histoire de ces « évènements » leur ennemie le plus souvent n’est pas clairement énoncé, souvent ignoré, ou voué à l’ignominie. Ce qui donne en gros cette histoire en boucle : un jour la France a décidée de coloniser et plus tard elle a décidée de décoloniser. Savoir comment l’indigène a pu se libérer n’est pas la question et ne peut-être le sujet. « Indépendance » par exemple semble une marque déposée spécifique à l’Amérique. L’intitulé «
Mouvement de Libération » ou « Anticolonialisme » ne peuvent sortir du
giron « colonisation-décolonisation » que comme une suite d’évènements, intérieurs à la France. Il faut rappeler qu’il était interdit de 1954 à 1962 de nommer « les évènements » d’Algérie « guerre d’Algérie » suite à la logique que l’Algérie était considérée par la colonisation comme un département français jusqu’au 3 juillet 1962. Après cette date le terme guerre était toléré, alors que l’interdiction n’a été levée qu’en 1999.
Jusqu’à cette date, certains historiens, journalistes et intellectuels
continuaient à défier l’interdit avec de bonnes intentions et comme
conséquence : l’incompréhension de l’histoire d’indépendance. Notre lutte de libération garde pour beaucoup d’historiens et intellectuels cet intitulé longtemps interdit qui est « guerre d’Algérie ». La conséquence est que cinquante après l’indépendance de l’Algérie leurs chérubins continuent à leur demander : c’est quoi la guerre d’Algérie ? Que l’historien dès l’entame de son livre sur l’O.A.S situe la guerre d’indépendance de l’Algérie au 14 Juin 1830 et non au 1er Novembre 1954 est une autre bonne intention qui ne facilite pas la lecture de l’histoire pour la simple raison que ce déclassement a été étayé d’exemples contre productifs que nous verrons plus loin. En attendant nous avons le droit dans ce cas de réfuter, jusqu’à soupçonner l’historien de venir aux secours de ceux qui gardent tenace leurs ressentiments envers les Novembristes. Je me pose la question : Ruscio qui a relaté, la grande victoire de Dien Bien Phu du (7) 8 Août 1954 commandée par Giap sous la direction de l’oncle Ho ne s’est pas
détaché d’une histoire menée par des communistes et leurs méthodes à
cette autre guerre semblable mais dirigée par des nationalistes,
marxisants certes mais nationalistes. Si l’une se caractérise par la
mobilisation générale et la rationalité, la seconde fait le contraire,
avec la même efficacité. C’est le peuple qui mobilisait le F.L.N.
L’indépendance était son moteur que les Novembristes avaient su
allumé en temps opportun. Le poète, Jean Amrouche , ne dit-il pas à ce sujet « Ils (Les Novembristes) ont osé ce que nul, parmi les plus intelligents, les mieux informés du train politique n’aurait osé à leur place. Et cela leur sera toujours compté à gloire. Le peuple ne l’oubliera pas ».
Le rappel de la juxtaposition, cette autre bonne intention n’a-t-elle
pas influencée l’auteur jusqu’à lui faire croire ce que rapporte
l’histoire officielle en ce qui concerne la défaite de l’A.L.N par
l’armée française commandée par cet autre O.A.S le général Challe,
comme si la lutte de libération menait une guerre classique et non une
guerre patriotique, où L’A.L.N ne pouvait être que le peuple en arme.
Suite, à de telles bonnes intentions on finit par attribuer la
décolonisation à la colonisation. On n’est pas à un paradoxe près
comme vous le constatez. Pour effacer le crime, il faut cacher le corps, et
dans ce cas juste le taire. « Ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi…c’est le crime d’avoir appliqué à l’Europe les procédés
colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les arabes d’Algérie,
les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique » souligne Aimé
Césaire. Si on omet les crimes de la colonisation, tout en rappelant ne
serait qu’une seule fois les erreurs de l’indigène lors de ses
combats, on n’est plus dans l’histoire mais dans l’entretien de la
mémoire de ses ancêtres. Et la haine entretient leur nostalgie, quand
notre cauchemar devient leur rêve, cette Algérie virtuelle que leurs
médias et leurs parlementaires entretiennent pour bouffer de l’urne et
pondre de l’Euro. « Le problème des Français, c’est qu’il était clair que leurs adversaires dirigeaient déjà le nouveau cours de l’histoire » Dixit
Matthew Connelly dans son livre « L’arme secrète du F.L.N – Comment
de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie ». « L’A.L.N n’était plus une menace militaire en 1962 » affirme l’auteur reprenant les informations officielles.
L’A.L.N par ses combats héroïques durant sept ans a amené les
dirigeants de la colonisation à s’asseoir à la table des négociations.
En effet on peut dire qu’en 1962 l’A.L.N n’était plus le fer de
lance de la guerre d’indépendance, le fer de lance a été transmis à
la diplomatie, aux négociateurs. Une diplomatie rappelons-le soutenue par
une majorité des états membres de l’O.N.U, ou la France faisait piètre
figure grâce aussi à la conférence de Bandoung. Il faut signaler qu’à
cette solidarité des afro-asiatiques les diplomates algériens étaient
portés aussi par la grande grève de huit jours du 28 Janvier 1957, les
grandes manifestations de décembre 1960 ou des centaines de milliers
d’Algériens ont manifestés pour l’indépendance de leur pays. Une
manifestation aussi populaire a été faite en Juillet 1961. Que retient
l’historien Alain Ruscio de ces grèves, de ces manifestations ? Rien
sinon Ceci : « en juin 1960 fut fondé un Front national français par le
colonel Tommaso (président), Jean-Marie Le Pen (secrétaire général)
…Ce Front se voulait également mouvement de masse et de rue en Algérie
même. Il sera alors dissous pour avoir organisé les manifestations
antigaullistes de décembre 1960 à Alger ».
Vous avez beau chercher les événements que nous connaissons tous, que
nenni. Encore une fois, cette juxtaposition des peuples se moque de la
mémoire. Dans ce livre riche de noms, de détails, jusqu’à presque nous
faire perdre la raison de cette guerre ! « L’interminable histoire de
l’O.A.S » où Alain Ruscio a su montrer que c’est l’histoire du
dernier bastion de la colonisation que le F.N a transformé en logiciel de
la propagande de l’extrême droite sans préciser que leur plus grande
victoire est dans cette loi votée par le parlement français positivant le
colonialisme et qui empêche la décolonisation des esprits, bien au
contraire. Le soutien des socialistes français et pas seulement
français, au FIS et aux terroristes algériens dans les années 90 a été
un accélérateur, un amplificateur des idées racistes mais surtout un
autre grand crime contre le peuple algérien.
Pour être fidèle à la belle intention de fixer le début de la guerre
non pas au 1er novembre 1954 mais au 14 Juillet 1830, il aurait fallu
rappeler non pas les exactions commises par le F.L.N mais celles commises
par l’armée coloniale lors de sa longue invasion pour une colonisation
de peuplement. Je propose cet exemple parmi les milliers : Le massacre de
la tribu d’El-Oufia le 6 Avril 1832 que décrit le général de Rovigo
« un corps de troupe…surprit, au point du jour, la tribu endormie sous
ses tentes, et égorgea les malheureux El-Oufia, …Tout ce qui vivait fut
voué à la mort : on ne fit aucune distinction ni d’âge ni de sexe. Au
retour de honteuse expédition, nos cavaliers portaient des têtes au bout
de leur lance…Tout le bétail… fut vendu au consul du Danemark, le
reste du butin, sanglante dépouille d’un effroyable carnage, fut exposé
au marché de la porte de Bab-Azoun, on y voyait avec horreur des bracelets
de femmes encore attachés à des poignets coupés et des boucles
d’oreilles pendant à des lambeaux de chair » De semblables massacres,
les séquestres des terres, la politique de cantonnement suite à la
résistance et plus tard aux différents insurrections va naître le code
de l’indigénat. Le 21 Juin 1881 cette juridiction spécifique à la
colonisation, est un « code de pleins pouvoir policiers délégués et
d’une justice très spéciale pour être expéditive. Les exécutions
d’indigènes sont proprement extra-judiciaires »affirme André
Gallissot. Le code confiait aux seuls administrateurs des communes mixtes
les pouvoirs disciplinaires. Il n’était donc pas nécessaire de passer
par un juge pour condamner l’indigène coupable du moindre acte, jugé
à la volé, irrespectueux vis-à-vis d’un agent de l’Etat, même en
dehors de ses fonctions, de se déplacer ou d’habiter sans autorisation
en dehors de la mechta…L’application d’un tel code pendant des
générations, a rendu le racisme irréversible jusqu’à lui fournir une
armée « secrète » pleine d’officiers généraux les plus étoilés
que seule la population algérienne par sa vigilance, encadrée par des
Novembristes a su contrarier. Boutée d’Algérie l’O.A.S précède le
F.N. Les deux plus graves attentats de l’O.A.S oubliés par l’historien qui
en a mentionné des dizaines, celui du 2 Mai 1962 ou l’attentat de la
voiture piégée qui explose dans le port d’Alger, le bilan est de 62
morts et 110 blessés. Suite à cet attentat le F.L.N à Alger riposta le
14 en tuant 19 membres de l’O.A.S et en blessant 40, au couteau dit-on
par respect du cessez le feu !
Et cet autre attentat oubliée celui du 7 Juin 1962 ou la bibliothèque de
l’Université d’Alger fut incendiée : 600 000 livres flambaient note
M.Téguia cet officier de l’A.L.N dans son livre « L’Algérie en
guerre » révèle qu’après la mort de Si Mohamed le colonel de la
Wilaya IV, son officier supérieur « on avait découvert dans les
documents de l’A.L.N récupérés, que la Wilaya connaissait parfaitement
les cachettes de Salan dans la Mitidja et le Tittéri ».

Saadeddine
Kouidri

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