Politique

Grève générale massive au Maroc dans la fonction publique pour la retraite à 60 ans (et pour les libertés syndicales)

Grève générale massive au Maroc dans la fonction publique pour la retraite à 60 ans (et pour les libertés syndicales)

 
Ce 23 septembre, le Maroc a été touché par une grève (quasi) générale massive qui devrait être le début d’une mobilisation contre la guerre menée par le Roi et le gouvernement islamiste contre le monde du travail sur tous les fronts.
 
L’esprit du « mouvement du 20 février 2011 » n’est pas mort. Cette formidable mobilisation qui a mobilisé des centaines de milliers de marocains dans les rues pour une réforme politique de la monarchie autocratique marocaine.
 
Cette révolution a été dévoyée, récupérée par le pouvoir qui a fait passer une Constitution laissant intact l’essentiel du contrôle du Roi sur tous les leviers de pouvoir du pays tout en nouant une alliance politique avec les forces islamistes.
 
Mais le ras-le-bol est général parmi la base des travailleurs du pays face à ce pouvoir autoritaire qui lance désormais une contre-offensive majeure contre les droits des travailleurs, en s’attaquant au seul secteur relativement organisé : la fonction publique.
 
La grève dans la fonction publique du 23 septembre 2014, convoquée par la FDT (Fédération démocratique du travail), l’UGTM (Union générale des travailleurs du Maroc) et l’ODT (Organisation démocratique du travail), réveille le spectre des grèves générales de 1981 puis 1990.
 
L’UMT (Union marocaine du travail) de son côté n’a pas participé à cette grève mais a organisé une série d’actions dans la semaine, tout en se déclarant prête à participer à une prochaine mobilisation. Le SNESup (Syndicat national de l’enseignement supérieur) s’est joint à la mobilisation pour une grève nationale de 3 jours, du 23 au 25 septembre.
 
La grève a été un succès massif, selon les syndicats participants.
 
L’UGTM donne des chiffres de 80 % de participation dans l’enseignement, la santé, les collectivités locales. La FDT parle de taux de 85 % dans l’enseignement, 75 à 80 % dans la santé, 70 % dans les collectivités locales, et entre 60 et 70 % dans les mines et la culture. Le SNESup évoque un taux de 100 % de participation dans les universités d’Oujda, Rabat, Casablanca, Fès, Agadir et Meknès.
 
Le Roi et les islamistes déclarent la guerre contre le monde du travail : contre-réforme des retraites et droit de grève en péril
 
La colère dans la fonction publique est à la hauteur de l’attaque du gouvernement, sur tous les fronts.
 
D’abord, c’est la contre-réforme des retraites. Elle prévoit le rehaussement de l’âge de la retraite de 60 à 65 ans d’ici 2020, la hausse du montant des cotisations (de 20 à 28 % partagés entre Etat et salariés) et un re-calcul de la retraite sur les 8 dernières années et non le dernier salaire perçu.
 
Selon les syndicats, la révision du calcul du paramétrage pour l’accès à la retraite conduirait dans la pratique à une baisse de 25 à 30 % du montant des retraites. Pour les syndicats : « c’est travailler plus, cotiser plus pour une retraite plus faible ! ».
 
Ensuite, c’est le gel des salaires et la hausse des tarifs. La monarchie marocaine pratique l’austérité, avec le gel des salaires des fonctionnaires.
 
Dans le même temps, les tarifs du carburant, de l’eau, de l’électricité ont été singulièrement rehaussés par le gouvernement, qui vient d’annoncer la fin de la subvention du gazoil. Pour le seul mois d’août 2014 : le prix de l’eau a augmenté de 12 %, celui de l’électricité de 6 %.
 
Enfin, une attaque sur les libertés syndicales. C’est concrètement une attaque en règle contre le droit de grève au nom de la « représentativité », avec le projet de loi proposé en janvier 2014, poussé par la CGEM (le MEDEF marocain).
 
Cette loi n’autorise alors la grève que par les syndicats les plus représentatifs, qu’en cas de rupture des négociations, avec un préavis de 10 jours sachant que la grève ne doit pas faire obstacle à la « liberté de travail » et qu’un service minimum doit être instauré dans les secteurs stratégiques, et que le chef du gouvernement peut l’interdire en cas de « crise nationale » ou de « guerre ».
 
De fait, c’est donc le pouvoir qui décide. Il limite un droit formel aux syndicats qu’il reconnaît (donc ceux de collaboration), le vide de sa substance – avec le « service minimum », la « liberté de travail » – tout en se réservant le droit de l’interdire purement et simplement. C’est l’enterrement de première classe du droit de grève.
 
Pourquoi le pouvoir autocratique marocain n’a pas peur ? Divisions, modération et collaboration des syndicats
 
La réussite de la grève du 23 septembre prouve un potentiel de mobilisation énorme parmi les travailleurs marocains. Mais ce mouvement ne doit pas faire illusion, le bloc au pouvoir composé de la Monarchie autoritaire marocaine et des forces islamistes garde la main.
 
Le mépris avec lequel le gouvernement traite les syndicats est souverain. Dans le « dialogue social », il a tout simplement écarté toute discussion sur la contre-réforme des retraites ! Le dialogue social au Maroc comme ailleurs, c’est bien cause toujours, c’est nous qui décidons.
 
La monarchie chérifienne, le gouvernement islamiste peuvent compter sur les divisions syndicales.
 
Diviser pour mieux régner, c’est déjà le sens d’une attaque ciblée sur la fonction publique, dernier secteur à bénéficier de certains acquis sociaux, cible facile du discours contre les « fonctionnaires privilégiés » pour éviter la convergence entre fonctionnaires, ouvriers et étudiants.
 
Cette division, le pouvoir l’alimente par ses agents dans les syndicats. L’UMT refuse pour l’instant la grève générale, l’ODT et le SNESup agissent avec leur propre agenda. Quant à l’UGTM et la FDT, leur « front commun » s’articule autour de revendications fort modérées.
 
Car le pouvoir peut compter sur la modération des revendications syndicales. Les syndicats expriment un « ras-le-bol » en des termes très radicaux, mais leurs axes de lutte sont très conciliants.
 
En réalité, l’ODT, l’UGTM et la FDT critiquent surtout la « méthode », les « manières » du gouvernement. Ce qu’ils veulent, c’est retourner à la table des négociations, rouvrir le dialogue social.
 
Ainsi l’UGTM et la FDT proposent à l’exécutif « de renouer avec un dialogue social susceptible de déboucher sur une réforme globale et durable du système des retraites ». L’ODT évoque la nécessité de lier la « réforme des retraites » à celle plus globale « de l’assurance maladie ».
 
On imagine que la monarchie est prête à engager une discussion pour « une réforme globale et durable du système des retraites » … dans les intérêts du patronat marocain qui propose de commencer par une exonération totale des cotisations patronales pendant les 3 prochaines années !
 
En fait, le pouvoir autoritaire marocain est confiant qu’il peut compter sur la collaboration des syndicats marocains. Les syndicats comme les partis d’opposition sont au Maroc « l’opposition de sa Majesté ».
 
Ils sont une soupape pour la colère sociale, canalisent les mouvements d’opposition vers des solutions inoffensives, renforcent la légitimité du pouvoir autoritaire. Le tout non sans contradictions, tant la base de ces syndicats peut conduire à une radicalisation du mouvement.
 
Mais en février 2011, les syndicats ne se sont pas joints franchement au mouvement populaire et étudiant – en dépit de leur soutien de principe – aucun appel à la grève générale (« la grève politique » est sacrilège au Maroc!) n’a accompagné la mobilisation.
 
L’accord du 26 avril 2011 entre patronat et syndicats a été une mascarade destinée à casser le mouvement du 20 février, d’obtenir une halte afin de relancer ultérieurement la contre-attaque du patronat, du gouvernement islamiste et de la monarchie.
 
La France et sa collaboration à la dictature marocaine : la liberté pour les multi-nationales, la prison pour les travailleurs
 
 
La France est prête à exprimer son indignation face au non-respect des droits de l’Homme, quand cela rentre dans ses intérêts, ou ceux de Total, Dassault ou Areva, et à les exporter à coups de bombes.
 
Cette indignation s’arrête aux portes de nos « amis les dictateurs », parmi les plus autoritaires du monde arabe. Hier Ben Ali en Tunisie et Hassan II au Maroc, aujourd’hui, les monarchies absolues du Qatar, des Emirats arabes unies comme la monarchie autocratique de Mohammed VI au Maroc.
 
Selon l’Association marocaine pour la défense des droits de l’Homme (AMDH), le pays compte encore 240 prisonniers politiques et d’opinion, dont 70 issus du mouvement 20-février.
 
Plusieurs leaders du mouvement étudiant, du mouvement ouvrier, croupissent en prison, dans l’indifférence de la France.
 
On pense à la jeune militante du mouvement 20-février Wafa Charef, en prison depuis le 9 juillet à Tanger pour avoir déposé plainte pour violences policières en avril dernier dans une manifestation pour la défense des droits des ouvriers de la multi-nationale GREIF. Le 11 août, elle a été condamnée à un an de prison ferme et une lourde amende.
 
Tout récemment, l’étudiant Mustapha Meziani (issu des organisations étudiantes marxistes) est mort dans la prison de Fès après 72 jours de grève de la faim. Il avait été arrêté après des affrontements entre étudiants marxistes et islamistes en avril dernier sur le campus de Fès.
 
Faut-il rappeler que la monarchie chérifienne est non seulement un régime autocratique mais aussi notre meilleur allié dans la région, ainsi qu’une source d’investissements sûre pour nos grosses entreprises.
 
Mohammed VI a « tout changé pour rien ne change » dans le pouvoir hérité de son père, Hassan II, dont les 30 ans de règne ont été marqués par une brutale répression contre les mouvements de gauche, les nationalistes saharouis et toute opposition sociale et politique.
 
Le roi Mohammed VI a donné quelques signes d’ouverture politique de façade pour mieux fonder une nouvelle alliance de pouvoir avec les formations islamistes.
 
La Constitution de 2011 n’a rien changé sur la main-mise réelle du Roi sur tous les pouvoirs : il contrôle le pouvoir judiciaire avec le Conseil supérieur de la magistrature, il a le pouvoir exécutif (dont il délègue la gestion concrète au gouvernement) ainsi qu’un pouvoir législatif (avec les « décrets-loi »), et l’autorité religieuse suprême en tant que « commandant des croyants ».
 
Si le roi est intouchable, il peut dissoudre les deux assemblées, il nomme le chef du gouvernement et reste chef des Armées. Depuis 2011, ce nouvel équilibre des pouvoirs s’est révélé le statu quo dans la gestion autocratique (mais « modérée ») du pouvoir par Mohammed VI.
 
Pour la France, le Maroc de Mohammed VI comme celui de Hassan II est garant d’un alignement sur les positions occidentales : contre-poids historique à l’Algérie et la Libye anti-impérialiste, partenaire tacite de l’État d’Israel, pilier régional de l’OTAN depuis 1995 dans le cadre du « dialogue méditerranéen », avec Israel, l’Egypte (de Moubarak alors) et la Tunisie (de Ben Ali).
 
La France est le premier partenaire commercial du Maroc (21 % des exportations marocaines vont en France, 13 % de ses importations sont françaises), c’est surtout de loin le premier investisseur détenant 38 % du stock d’IDE du pays.
 
Concrètement, 750 filiales françaises opèrent au Maroc (40 % de plus qu’il y a trois ans!) employant 80 000 personnes. Cela ne compte pas les très nombreuses sociétés marocaines gérées par des patrons français ou à capitaux français.
 
36 des 40 entreprises du CAC 40 sont présentes au Maroc. Veolia, Suez dans l’eau, l’électricité et le ramassage des ordures se sont taillés la part du lion récemment, se gavant sur les hausses de tarifs qui saignent les travailleurs marocains.
 
Renault a choisi en 2012 d’installer une usine de 2 000 ouvriers à Tanger pour produire des Renault, Dacia et Nissan exportés en Europe, Afrique et dans tout le Moyen-orient.
 
Ce qui attire les entreprises françaises, ce sont les « libertés pour le capital ». La monarchie autocratique garantit la « liberté d’investissement », ainsi que le droit de transférer les bénéfices et de rapatrier les dividendes.
 
Les entreprises profitent par ailleurs d’une exonération totale de l’impôt sur les sociétés pendant les cinq premières années puis d’un taux réduit à 17,5 % par la suite. Ajouté à une main d’oeuvre aux salaires faibles et précaire, à la faiblesse des organisations syndicales garantissant la « paix sociale » le Maroc est devenu l’el-dorado des entreprises françaises.
 
On voit ce que signifie la « liberté » pour la France dans un pays comme le Maroc : « liberté de commerce », « liberté pour le capital » mais « oppression des travailleurs, des minorités, des femmes » dans un pays mené d’une main de fer par un Roi-autocrate allié aux islamistes.
 
 
Travailleurs français, travailleurs marocains, unité face au pouvoir autocratique et sa guerre contre le monde du travail marocain, unité face à la complicité de l’impérialisme français au crime permanent commis contre le peuple marocain !

Les commentaires sont clos.