Société

Ils sont soumis à autorisation d’un juge: Des enfants adoptés refoulés à l’aéroport


En cette journée de samedi 22 août, Imène, nous l’appellerons ainsi, une adolescente d’à peine 16 ans, a vécu l’enfer à l’aéroport Houari Boumediène d’Alger.

Avec ses parents adoptifs, elle devait s’envoler pour des vacances à l’étranger lorsque la police des frontières a mis un terme à ce voyage de la manière la plus brutale. Isolée du reste des voyageurs qui étaient dans la salle d’embarquement, après avoir été privée de ses documents de voyage, la famille est restée durant des heures sur les bancs de la salle d’attente, subissant le regard tantôt interrogatif, tantôt accusateur des passagers qui défilaient.
L’angoisse, le stress et surtout un sentiment de culpabilité pesant lourdement. Pourquoi ? Une question à laquelle ni le père ni la mère n’ont pu donner de réponse à la jeune fille qui s’était mise à pleurer. Pourtant, celle-ci n’en est pas à son premier voyage à l’étranger. Elle et sa sœur, également adoptée, ont déjà visité plusieurs pays avec leurs parents.
En dépit de tous les efforts qu’ils déploient pour faire sentir à leurs filles qu’elles ne diffèrent en rien des autres enfants, les parents d’Imène ont senti honteusement, en cette journée du samedi 22 août, la ségrégation, au point d’en pleurer. Le père tente de décrisper la situation en allant voir le commissaire pour s’enquérir du sort réservé aux documents de voyage. Il apprend que la jeune Imène ne peut voyager avec lui sans une autorisation du juge des mineurs.
C’est le choc. Il n’arrive pas à y croire, d’autant que depuis des années, il voyage avec ses filles adoptées sans aucun problème. Ses deux filles sont pour lui ses «vraies filles» et la kafala lui donne tous les droits qu’un père a sur ses enfants. Mais le commissaire est dans l’embarras.
Il exhibe une note de la DGSN, datée de la semaine précédente, qui exige des enfants mineurs adoptés une autorisation du juge des mineurs auquel il n’a jamais eu affaire. Il tente de prendre attache avec quelques militants des droits de l’enfance et des avocats, tous outrés par une telle mesure. Après de longues heures d’attente d’un ordre «d’en haut» qui n’arrivait pas, les policiers ont refusé à Imène d’embarquer.
En pleurs, celle-ci est retournée à la maison. A signaler que c’est lors d’un refoulement que les enfants prennent connaissance de leur situation d’adoptés ; un autre traumatisme qu’ils subissent, en plus de la ségrégation dont ils font l’objet.
Des enfants malmenés
Désespérés, les parents ne savaient plus quoi faire. Ils ont fait croire à Imène qu’il s’agissait d’une panne d’avion et que le voyage n’était que partie remise pour le lendemain. Hier, le père a dû faire le pied de grue pendant toute la matinée devant le bureau du juge au tribunal d’El Harrach, avant que le magistrat le reçoive et lui demande une liste de documents à fournir. Il n’est pas le seul dans la salle d’attente. Plusieurs autres parents sont dans la même situation.
Certains ont été refoulés, en pleine nuit, à l’aéroport d’Alger avec leurs enfants adoptés. Ils racontent comment ils ont vécu trois heures d’enfer (22h à 1h) à l’aéroport d’Alger, avant d’être refoulés avec des adolescents traumatisés à vie. Tous ont dû passer toute la journée d’hier au tribunal d’El Harrach avant d’obtenir ce document, imposé par le ministère de l’Intérieur, nous dit-on, «sur instruction du ministère de la Justice».
Contactée, une source autorisée du département de Tayeb Louh dément catégoriquement avoir pris une telle mesure, dont elle dit «ignorer l’existence» alors qu’au ministère de l’Intérieur, aucun responsable n’a voulu s’exprimer sur le sujet. Ironie du sort, le père d’Imène, présidant une association d’enfants privés de famille depuis 1992, a permis à des milliers d’enfants abandonnés de jouir de la chaleur familiale.
Il n’a cessé de défendre cette catégorie d’enfants que l’Etat veut marginaliser par des mesures aussi discriminatoires qu’attentatoires à leurs droits. Une mesure dirigée également contre leurs parents, considérés de fait comme des fraudeurs potentiels, portés sur la liste noire du ministère de l’ Intérieur.
Protection de l’enfant, dites-vous ?
Depuis quand demande-t-on à un père une autorisation du juge des mineurs pour faire voyager son fils ou sa fille de moins de 18 ans ? Ne sommes- nous pas devant une flagrante discrimination ?
Lourdes questions qui méritent une réponse et surtout une réaction, d’autant que la mesure d’interdiction de voyage pour les mineurs adoptés intervient alors que le gouvernement refuse toujours l’accès de ces enfants au livret de famille (avec la mention marginale kafil), et se targue d’avoir promulgué une loi de protection de l’enfance en discriminant un large pan de cette catégorie.
Si le père d’Imène, aussi informé qu’il est, a été brutalement mis face à une telle situation, quel sort est réservé aux milliers d’autres parents adoptifs mis devant le fait accompli, en apprenant cette mesure discriminatoire du ministère de l’Intérieur et de la DGSN au moment de quitter le territoire algérien, après avoir acheté les billets, réservé l’hôtel et pris toutes les dispositions pour la préparation aussi bien psychologique que matérielle du voyage ? Il est inconcevable qu’un Etat qui se respecte puisse prendre des décisions aussi importantes que celles liées à la liberté de circulation sans que les concernés, à savoir les citoyens, n’en soient informés et bien avant leur mise en œuvre.
Tous les militants des droits de l’homme avec lesquels nous nous sommes entretenus sont unanimes à affirmer qu’aussi bien le ministère de l’Intérieur que la DGSN n’ont le droit d’exiger une telle autorisation aux parents adoptifs que dans des cas précis, liés à l’intérêt des familles. Pourquoi les autorités ont-elles décidé que les enfants mineurs adoptés n’ont pas le droit de voyager sans l’accord du juge, violant ainsi la loi de la kafala qui donne aux parents adoptifs tous les droits, les mêmes que ceux des parents naturels ?
Salima Tlemçani el watan

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