Société

Jour d’Aid à Sfisef

Jour d’Aid à Sfisef

photo0207.jpg Chaque fois que les heureux hasards me ramenaient à Oran, je me faisais, depuis des années, la promesse d’aller à Sfisef. Ce jeudi, premier jour de fête, j’hésitais entre plusieurs destinations. Le matin un couple d’enseignants me tend la main « on va à Sfisef ? »
Nous voilà sur la route. Chemin pénible et mal indiqué, on voyage mal dans notre pays. Sfisef est au bout du monde et pourtant à 82 Kms seulement d’El Bahia!
Nous n’avions personne à aller embrasser ce jour dans le village. Mais l’émotion était intense. Au commissariat nous demandons simplement « le lieu où les enseignants ont été assassinés ». Premier moment de surprise passé les agents sortent même dans la rue pour nous indiquer le chemin : « vous continuez tout droit, c’est à 12 Kms, vous trouverez une stèle représentant un livre ouvert. Soyez prudents les virages sont dangereux. »
En effet la route n’était pas des meilleures et le paysage devenait de plus en plus austère, pauvre. On ne devinait aucune activité humaine : ni agriculture, ni industrie, ni commerce, ni élevage, ni hameau, ni maison. Pas âme qui vive ! Malgré le soleil d’août, le paysage est lugubre. Le silence se fait dans la voiture.

Nous sommes le 27 septembre 1997, quelques jours après la rentrée scolaire, un après-midi pluvieux, 15h30, après une journée de travail avec leurs élèves, les douze enseignants retournent chez eux à bord d’un « karsan » qu’ils empreintent chaque jour que dieu fait.
La route grimpe, on réduit la vitesse, puis brusquement un gros virage et la stèle jaillit.  « C’est là ! » crie l’enseignante, les yeux embués .Puis les images de l’horrible carnage jaillissent aussi devant nos yeux ; « dib el djiaâne » et ses égorgeurs intégristes islamiques sont là, « incultes et laids » ils tuent les onze enseignantes et l’enseignant. Ils croient en avoir fini, avec le savoir. Ils n’ont ni foi ni loi et ignorent le sens profond de « Iqra ! ».
Ils ne savent pas eux et leurs marionnettistes que leur terreur a été vaincue par 7 millions d’enfants scolarisés, accompagnés de leurs millions de parents qui faisaient, chaque jour, quatre fois le chemin entre la maison et l’école. Armée invincible encadrée par 500 000 enseignants comme celui et celles de AÏn Adhan !
Je comprends mieux pourquoi les gens d’ici se sont accrochés à leur terre, le prix qu’ils ont payé pour la libérer et leur fierté d’avoir formé ici, à partir de leur glaise, les éducateurs pour leurs enfants !
Nous retournons à la stèle : la plume et le livre estompent le couteau. Les noms sont là gravés dans notre mémoire et leurs visages aussi. Merci à toutes celles et tous ceux qui n’oublient pas, ceux du hameau ; de Sfisef, de Sidi Bel Abbes et d’ailleurs qui perpétuent le souvenir.
L’olivier qui ombrage la stèle porte de beaux fruits verts. La collègue des enseignants martyrs prend une branche et la dépose au pied de la stèle. Nous balayons encore du regard le panorama puis reprenons la route d’Oran. Je ne regrette pas mon Aid à Sfisef !

Oran, le 8 août 2013

Djamel Mouheb

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