Économie

La litanie intéressée des classements « doing business », Par Abdellatif Rebah

La litanie intéressée des classements « doing business »
Par Abdellatif Rebah

Pauvre Algérie, son cas est vraiment désespéré. Encore un énième classement des « institutions internationales » (sic !) qui la relègue à la place de » lanterne rouge ». Et cette fois-ci à la traîne même des pays du Maghreb. Et voila notre orgueil national qui en prend un sacré coup ! Selon la dernière couvée de l’ »index of economic freedom », notre pays croupit à la médiocre 146ème place, dans les obscures travées réservées aux bonnets d’âne. Maigre consolation, il a réussi tout de même à devancer l’Iran (173ème), le Venezuela (175ème), le Zimbabwe (176ème) et, bonne dernière, la Corée du Nord (178ème). Tiens, comme par hasard, les pays de « l’axe du mal » cher à Bush.
On aura vite compris à la tonalité de cette entrée en matière que l’exercice de commenter les classements des « institutions internationales », Banque mondiale, FMI et autres think thank au dessus de tout soupçon, wamachbaha, ne fait pas spécialement partie de notre tasse de coffee. Sur ce plan, on préfère s’en tenir sagement à notre bon vieux précepte « Echchami, Chami wal Baghdadi , Baghdadi ! ». D’autant que nous sommes prévenus par l’auteur de l’article[1] « la Heritage Foundation, think tank basé à Washington, commanditaire de ce palmarès de la « liberté économique », « n’est pas ce que l’on pourrait appeler une institution progressiste. Bien au contraire, il s’agit de l’un des hérauts mondiaux du conservatisme néolibéral (ce fut l’un des fervents soutiens des politiques de dérégulation de Ronald Reagan). De même, le Wall Street Journal, quotidien des affaires, est bien plus droitier, voire réactionnaire (dans ses éditoriaux et pages d’opinion), que son principal concurrent global, le Financial Times ». Voila, donc, qui est clair. Pour notre part, l’opinion de ces institutions annexes des états-majors des multinationales ne pourrait commencer à nous inquiéter réellement que si elle s’avisait à faire dans la flatterie, suivant en cela la mise en garde célèbre du non moins célèbre penseur allemand, Auguste Bebel[2]. Ce n’est évidemment pas dans le Wall Street journal que nous allons chercher les arguments en faveur de la cause du développement national de notre pays.
Pour autant, ce classement a quelque chose qui nous a paru particulièrement piquant et donc digne de s’y arrêter.
Ainsi donc, « la liberté économique – droit pour chaque être humain de travailler, produire, posséder et investir où et quand il le souhaite – n’existe absolument pas dans les pays du Maghreb ». Dont acte pour le Maghreb.
Mais quel est, alors, le classement qui serait attribué à la zone « Union Européenne » où 27 millions de personnes et un jeune de moins de 25 ans sur quatre sont privés du « droit pour chaque être humain de travailler »? Où se situent les Etats-Unis où ce sont plus de 10 millions de personnes qui n’ont pas ce droit pour chaque être humain de travailler et où un Américain sur huit émarge aux bons d’alimentation? Fait-on mieux ou pire sur ce chapitre ô combien sensible de la liberté ?
Prenons à présent le droit pour chaque être humain de posséder (un droit qui est, comme chacun le sait, cher au cœur des experts de Wall Street) et d’investir où et quand il le souhaite. Que nous vaut ce si mauvais classement dans ces compartiments? Apparemment, les fins limiers de l’évaluation de la Héritage Foundation ont manqué singulièrement de perspicacité dans leur lecture des données algériennes. Pourtant la presse nationale tous titres et modes confondus ne manque pas d’éléments d’éclairage chiffrés particulièrement parlant pour ce qui est du droit de posséder et d’investir.
Ainsi, selon les résultats d’une récente étude de New World Wealth, un cabinet de conseil et de gestion de patrimoine basé au Royaume-Uni, l’Algérie comptait en 2012 pas moins de 35 milliardaires et 4.100 millionnaires. Ce nombre pourrait atteindre les 5.600 millionnaires en 2020, avec une croissance moyenne de 4,1 %. Quatre pays du Maghreb figurent dans le top 10 des pays qui comptent le plus de millionnaires en US Dollar sur le continent africain en 2012. La Tunisie occupe la première place au Maghreb avec 6.500 millionnaires, suivie par la Libye (6.400), le Maroc (4.900) et l’Algérie (4.100). New World Wealth montre également que l’Algérie et le Maroc vont connaitre, sur la période 2012/2020, la croissance la plus rapide en termes de nombre de millionnaires.
Des chiffres produits par un cabinet conseil britannique réputé qui témoignent de la bonne santé algérienne du droit de posséder. Un droit qui, de plus, ne souffre d’aucune entrave ni ne donne vraiment l’impression d’être étouffé, puisque selon la Cour des Comptes, l’impôt sur le patrimoine est très insignifiant comparativement à l’importante évolution de la propriété privée. Cet impôt censé frapper les grosses fortunes «ne représente qu’un seuil de 0,02%» dans la structure des contributions fiscales directes ». Et on évalue à près de 100 milliards de dollars le montant de la fiscalité qui échappe au recouvrement. Quant aux sorties de capitaux légales et illégales, elles se chiffrent à plusieurs milliards de dollars par an.
En 2011, selon les chiffres publiés par la Chambre des notaires de Paris, les acquéreurs de nationalité algérienne ont représenté la 2ème plus grande part d’investisseurs étrangers dans l’immobilier en région Ile-de-France, 10,4% derrière les Portugais (20,3 %),
Plus au sud, Marseille, la cité phocéenne, est devenue ces dernières années la Mecque des transactions immobilières effectuées par les ressortissants algériens. D’autres données concernant les acquisitions non seulement dans l’immobilier mais également dans l’hôtellerie de tourisme, notamment en Espagne, pourraient illustrer la liberté d’investir où et quand ils veulent dont jouissent les possédants algériens. Une enquête à ce sujet de l’Heritage Foundation, par exemple, entrainerait sans aucun doute de surprenants bouleversements dans le classement de « l’index of economic freedom ».
Pour ce qui est de l’autre droit de l’être humain qui est celui de produire, il faut bien admettre que les firmes multinationales, en dépit de leurs larmes de crocodile sur notre addiction au pétrole, ne nous ont laissé que le droit de consommer leurs biens et services. Et ce ne sont surement pas les montants croissants d’importation de médicaments, ni ceux d’automobiles, ni ceux de téléphonie mobile qui vont me démentir.
Abdelatif Rebah

[1]Akram Belkaid, L’Algérie, lanterne rouge dans un Maghreb qui étouffe la liberté économique, Le Quotidien d’Oran du 08/4/14

[2] « Quand l’ennemi me flatte, disait Bebel, je me demande quelle bêtise j’ai commise »

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