Économie

Le capitalisme national: une impossibilité structurelle en Algérie ,interview intégral accordé par Abdelatif Rebah à El Watan

telechargement_3_-7.jpg
Abdelatif Rebah, économiste, ancien cadre supérieur au ministère de l’énergie
Monsieur Rebah, vous avez vécu, en tant qu’ancien cadre supérieur au ministère de l’énergie de près la restructuration de la compagnie nationale des hydrocarbures. A posteriori, comment jugez vous les transformations induites par cette décision ?

Oui. J’ai vécu de près cette restructuration même si je n’y avais pas été associé. On m’avait mis dès le départ à l’écart pour des raisons sans doute politiques. Mais ceux qui avaient lancé cette opération l’ont fait à grande échelle. Des centaines de cadres se réunissaient en permanence sous la direction du ministre. Moi, on ne m’a appelé que bien après. Je n’ai pas attendu l’a posteriori pour juger cette opération : je n’étais tout simplement pas d’accord.
Parce que des entreprises comme Sonatrach, SNS ou Sonelgaz, ne peuvent pas être considérées comme des entreprises quelconques. Dans une économie, à fortiori dans une économie comme celle de l’Algérie de l’époque, il y a des éléments clés que sont l’énergie et l’acier. Les enjeux des trois entreprises n’avaient rien d’ordinaire : c’étaient des enjeux directeurs qui commandaient le reste. On ne pouvait donc pas les traiter sur le mode des tailles gérables, au contraire, la taille joue ici un rôle prépondérant notamment en termes d’effet d’échelle et dans la capacité à planifier des grandes décisions. C’était des leviers de pouvoir d’Etat dans les grandes décisions du développement économique et social
Restructurer, filialiser, certes on pouvait en discuter mais ce n’était pas opportun surtout pour une entreprise comme la Sonatrach. Ce n’était pas mûr pour Sonatrach qui avait besoin, à l’intérieur du cocon, de créer de nouvelles structures, les renforcer. Pour Sonelgaz, à la limite, on pouvait comprendre la filialisation de la branche de l’électricité rurale qui semblait couler de source, et pareil pour Kanaghaz qui ne causait aucun problème. La preuve, d’ailleurs, que cette restructuration démembrement-atomisation n’était pas le bon choix c’est que plus tard, on en est revenus pour ces entreprises au regroupement, au groupe parce que l’unité managériale d’une branche qui assure sa cohérence stratégique, ne peut pas être recomposée comme ça à la légère, à partir de considérations de « taille maitrisable » arbitraires. Les Sociétés Nationales étaient un passage obligé. Il faut toujours tenir compte de notre propre contexte. J’ai toujours dit qu’il faille partir de l’historicité propre de la formation sociale algérienne. Les ordonnées de départ ne sont pas un détail négligeable. En 1962, nous avions, par exemple, deux mille candidats bacheliers. En France, la métropole qu’on venait de quitter, il y en avait 220 000, de candidats. Au moment où nous essayions de voir comment entrer dans la métallurgie, De Gaulle mettait en œuvre son programme spatial, nucléaire, informatique etc. C’est pour vous dire qu’on n’est pas à la même échelle, qu’on n’était pas partis au même moment. C’est ignorer complètement qu’est ce que c’est l’histoire que de vouloir benchmarquer. En matière de tissu industriel, la génération spontanée n’existe pas. Les entreprises naîtraient de savoir-faire ou de structures préexistant à leur création. Selon cette affirmation, on peut faire ressurgir des éléments anciens mais pas les faire naître du néant1. L’Algérie, contrairement à d’autre pays, n’a pas connu ce qui est appelé la protoindustrialisation, la première industrialisation. Certains pays d’Europe l’ont connue il y a au moins 5 siècles. L’Algérie n’est même pas comme l’Inde, la Chine, le Brésil, le Chili, par exemple, qui ont connu les deux derniers siècles la protoindustrialisation, étape determinante dans le processus de construction industrielle parce qu’elle constitue la mémoire industrielle, celle qu’on peut reconvoquer à des étapes ultérieures de son histoire. Au lendemain de la 2 e guerre mondiale, l’Allemagne était complètement rasée. Au vrai sens du terme

Mais il y a eu reprise. On parle de miracle, oui, mais ce qui n’a pas été rasé, c’est le cerveau, la mémoire des gestes, des savoirs, des savoir-faire de l’industrie qui était là emmagasiné et il fallait juste de la volonté et les moyens financiers pour tout remettre en mouvement, relancer la machine industrielle. Je ne dis pas ça pour justifier quoi que ce soit : c’est un fait. J’ai bien étudié l’histoire de l’Algérie post indépendance, celle-ci peut se résumer au triptyque : une non- économie, un non- Etat, et même une non- société et ce en dépit de ce qu’on dit. Eh oui, la guerre de libération nous a certes cimentés mais celle-ci n’a pas empêché, quelques années après, l’éclatement de conflits de type tribal. Ce n’est pas l’Europe qui a déjà depuis bien longtemps réglé les questions de la nation, de son marché intérieur même dans le cas tardif de l’Italie par exemple etc,.
Vous dites qu’on ne peut pas sauter les étapes. N’y a-t-il pas là une forme de résignation. Faut-il reprendre l’histoire à zéro et attendre de connaître la proto-industrialisation pour avoir une industrie ? L’expérience de l’industrialisation des années 70, avec ses limites, n’a-t-elle pas donné lieux à quelques succès ?
Non, non pas de résignation. Justement, c’est ce que je démontrais dans mon livre. On a cassé cet élan qui devait nous permettre de sauter les étapes. Il y a eu ce volontarisme que les gens nous reprochaient quelquefois pour dire qu’on aurait dû s’y prendre autrement. Mais en gros, tous ceux qui ont jugé cette expérience industrielle des années 60-70 disent que l’Algérie ne pouvait pas faire autre chose que ce qu’elle a fait. Que vous preniez Gauthier De Villiers, qui a pourtant écrit un ouvrage très critique sur « l’Etat démiurge », qui dit que l’Algérie n’avait pas d’autre choix que celui de l’économie étatique et des hydrocarbures ou même le FMI, qui, dans un de ses rapports traitant de cette période, disait que l’expérience était ce qu’on pouvait faire de mieux et que les résultats étaient satisfaisants. Cette expérience, et le FMI a oublié de le dire, a été menée contre ses recommandations.. Aujourd’hui, je lis par ci par là, que ce fut un choix doctrinal, idéologique. Ce qui a été fait n’était pas un choix doctrinal. Non, le choix doctrinal, idéologique c’était d’imposer les recettes du libéralisme en 1986, parce qu’il fallait changer le cap de la voie de développement national.
Ce n’était pas un choix doctrinal, pourtant que ce soit les Charte de Tripoli (1962) et la Charte d’Alger (1964) n’avaient –elles pas balisées l’avenir économique de l’Algérie et inscrits les orientations socialistes ?
Oui, mais ce n’était pas un choix doctrinal. La tentative de construction d’un système productif national procédait à la fois de la volonté subjective et de l’exigence objective. La volonté subjective répond aux idéaux égalitaristes, d’équité et de progrès social qui ont animé la guerre de libération du peuple algérien. Les principes de la réforme agraire, de la nationalisation des moyens de production et du rôle-clé de l’État dans la conduite planifiée du développement étaient retenus dans les textes fondamentaux de la révolution algérienne2
. Au niveau de la future élite, la réflexion concernant l’orientation que doit suivre le pays, est radicale. À l’issue d’une Conférence nationale de l’UGEMA3, tenue à Cologne en Allemagne, un mois après le cessez-le-feu, un rapport de politique générale est adopté qui prône des options sans ambiguïté : « pour son développement, y est-il affirmé, l’Algérie ne peut adopter qu’un système économique socialiste, car le système capitaliste qui est basé sur le profit pour une minorité et dont la conséquence est l’exploitation de l’homme par l’homme, ne peut répondre aux aspirations légitimes du peuple algérien au développement et à la justice sociale »4.
L’exigence objective découle des conditions dans lesquelles l’Algérie accédait à l’indépendance. Pour se développer, l’Algérie, pays sans tradition ni passé industriels, sans équipement moderne, ne peut « embrayer » sur nul acquis antérieur : ni administratif, ni industriel, ni managérial, ni technologique. C’est une situation inédite : ni les marchés, ni les technologies, ni les entrepreneurs, ni les managers n’existent. Reprenez l’annuaire des entrepreneurs algériens publiés deux ans avant l’indépendance, il n’y avait que deux ou trois musulmans algériens. Le fameux rapport Maspetiol, concepteur du plan de Constantine, relisez le. L’Algérie ne disposait de rien. On avait juste lancé le complexe d’El Hadjar mais…ce qu’il y avait, et c’était trompeur car l’Algérie c’était une enclave pied-noir qui avait un très haut niveau et le reste baignait dans le sous-développement. Plus de cent mille très hauts cadres. 10 % de la population européenne (1 million) oui, mais quasiment tous sont partis à l’indépendance. L’Algérie avait été amenée à former des comptables parce qu’elle n’en avait pas et même des moniteurs de colonie de vacance et des hôtesses de l’air. Les Algériens formés par le GPRA à l’étranger étaient certes diplômés mais ils n’avaient aucune expérience professionnelle. Dans le ministère des travaux publics, par exemple pas de cadres, ni techniciens, on ne savait pas lire un plan. Heureusement que certains ingénieurs français y étaient restés d’ailleurs. Il s’ensuit des enseignements qui vont peser d’un poids décisif dans le choix de la voie de développement. La bourgeoisie, en tant que classe, est absente. Elle ne peut pas être l’agent historique du développement national et un capitalisme sans sujet national, autrement dit, dont le fer de lance ne serait constitué que des entreprises étrangères, ne peut pas être envisagé. Le développement ne peut pas se faire sur la base de l’entreprise privée. Le capitalisme marchand ne peut pas réaliser les transformations structurelles d’envergure extraordinaire sans précédent que pose le décollage de l’Algérie indépendante.
Sauf à reproduire les conditions coloniales, hypothèse, il va sans dire, totalement exclue, le jeune État indépendant devait « inventer beaucoup et mettre en œuvre une formule à sa mesure », pour paraphraser François Perroux.
Le premier ministre M. Abdelmalk Sellal a récemment annoncé qu’un nouveau modèle économique serait en préparation. Un collège d’experts, sa task force économique, a été constitué auprès de son cabinet pour se pencher sur modèle et proposer des mesures anti-crise. Un nouveau modèle économique pourquoi faire puisque la constitution a déjà gravé dans le marbre l’économie de marché ?

Je ne ferai pas de spéculations car je n’ai pas d’information sur ce modèle en question. Je suis comme vous, j’ai appris que des experts se penchent actuellement sur la conception d’un modèle et qu’il sera prêt d’ici juin. Maintenant, si vous me dites que c’est pour juguler la crise, je dirais qu’un modèle est conçu et mis en œuvre pour le moyen et le long terme. Les mesures anti-crise relèvent du conjoncturel. Si le modèle économique réhabilite la vision du long terme, c’est en soi un bon point. Sortir de la dictature du court terme pour aller vers la perspective du long terme. Réhabiliter la vision du long terme signifie réhabiliter les outils et l’appareil conceptuel qui vont avec. Je conçois mal qu’on puisse encore travailler sans réhabiliter la planification. Ce n’est pas parce que des institutions internationales ont décrété que ces outils sont désuets qu’on va s’y précipiter. Nous devons réhabiliter la vision pragmatique. Les mesures appropriées, il faudrait les inventer conformément aux problèmes tels qu’ils se posent chez nous. Sans a priori. L’économie de marché, il ne faudrait pas en faire une idéologie ou une religion. Nous devons aller vers les caractéristiques structurelles de l’émergence, sortir de ce piège des équilibres macro-économiques parce que c’est une commande du FMI et de la Banque mondiale. Il nous faut une cohérence alternative nouvelle.

Ça veut dire remettre en cohérence la stratégie de développement, la politique économique, la politique industrielle, la politique sociale pour qu’on puisse y voir clair, avoir une démarche qui corresponde à l’étape où nous nous trouvons en 2016. Nous, nous n’avons pas réglé encore la question de la sortie du sous développement. Nous avons encore des problèmes structurels à régler. Souvent, on nous sert la tarte à la crème de l’économie rentière. La rente existait dans les années 60-70, elle a servi a construire des usines, des écoles, des universités, former des milliers de cadres etc. Heureusement qu’on a cette rente. Le problème est l’usage qu’on fait de ces revenus pétroliers et gaziers. Ce n’est pas le même usage entre les décennies de développement national qui ont suivi l’indépendance et les trois dernières décennies des restructurations libérales. Maintenant, si c’est pour aller dans l’impasse, parce que c’est l’impasse, cela ne sert à rien. Le constat d’impasse, nous y sommes déjà. Prenez le libre échange. Des ministres, des experts, ont tous dit, il faut y aller vers ça et on a perdu sur toute la ligne. Je ne veux pas convoquer les chiffres mais après plus de dix ans de l’accord d’association avec l’UE, nous nous retrouvons avec plus de 220 milliards de dollars d’importation et 6 ou 7 milliards à l’exportation hors hydrocarbures. C’est insignifiant. On a dit les IDE pour lesquels, il y a eu 3 décennies d’intense démarchage. En dehors des hydrocarbures, qu’est ce qu’il y a comme investissement étranger ? On a dit privatisation. Les statistiques de l’ONS ou du CNRC, parlent d’elles mêmes. Le secteur privé, c’est notre réalité historique, n’a pas existé chez nous. Ce n’est pas X ou Y qui a empêché son émergence, c’est le colonialisme qui n’a pas permis son existence. Le colonialisme n’a pas développé un capitalisme national. Ça ne s’invente pas et ce n’est certainement pas par décret qu’on transforme des TPE familiales de 5,6 bonhommes, en entreprises qui vont devenir des start-up. La problématique de sortie du sous-développement, des changements structurels, de l’instrumentation institutionnelle appropriée sont toujours d’actualité.
Un modèle économique se décrète-t-il ? Est-ce un collège d’experts qui doit décider en autarcie des nouvelles orientations économique ? Une telle approche ne souffre-t-elle pas en amont d’un déficit de démocratie ?
Un modèle économique est un aboutissement. C’est vrai qu’il peut être un point de départ pour un élan économique mais c’est un aboutissement d’un processus. S’il est véritablement question d’un modèle économique, on ne peut pas faire l’économie d’un processus de concertation large. Mais, apparemment, on n’en est pas là. Je ne pense pas qu’on puisse, en seulement trois mois, mettre en place un nouveau modèle économique. Ça sera donc une logique d’experts. Des experts réunis en cabinet restreint vont décider de ce qui a de mieux pour l’Algérie. Les problèmes de l’Algérie sont assez sérieux, complexes, pour être laissés aux seuls experts, fussent-ils les meilleurs du monde. Ceci nonobstant, la notion d’expert qui suscite de la méfiance. Les hypothèses, les supputations des experts engagent la société entière mais les conséquences des choix qu’ils entraînent c’est la société seule qui les assume. La logique d’experts ne doit pas primer. Nous devons réunir toutes les conditions de réussite de la démarche. Maintenant, si ce modèle économique relève de l’effet d’annonce pour dire que nous ne sommes pas passifs face à la crise, à la limite on peut comprendre. Les gouvernements lorsqu’ils sont confrontés à ce type de difficultés ont
recours à ce genre de procédés. Par ailleurs, vous évoquez l’article de la constitution qui balise l’économie de marché, je ne pense pas que cela puisse constituer un problème. Le problème est : quelle est notre stratégie pour sortir du sous-développement pour l’émergence économique. Ils ont appelé ça « basculer dans l’économie de marché », pour vous dire, c’est significatif, comme s’il s’agissait d’un moment physique, quelque chose qui relève d’un dispositif technique, alors que ce n’est pas du tout ça. C’est encore une fois un processus historique, économique, social qu’on met en œuvre avec ses étapes, ses contenus différenciés.
Vous disiez que le seul choix dogmatique qui a été fait fut celui de l’économie libérale à partir de 1986. Un choix adossé à un contexte de crise suite à l’effondrement des cours des hydrocarbures?
Le contexte de crise a été juste un prétexte. Les cours de pétrole n’ont pas tardé à remonter un an après. C’était un prétexte pour changer de cap.
En 1999, le président Bouteflika est venu avec des prétentions libérales. On a connu une parenthèse de patriotisme économique avec le LFC 2009 vite refermée. Désormais, c’est le retour au cap libéral initial ?
J’ai une autre lecture. On ne peut pas ignorer tous les processus qu’il y a eu ni les forces qui agissent. Depuis trente ans, les forces de l’argent se sont beaucoup développées. Auparavant, elles avaient une existence quelque part sociologique ensuite une existence économique et sociologique maintenant elles en sont à une existence sociologique, économique et politique. Elles pèsent désormais dans le processus de décision. Elles veulent avoir la volonté de l’Etat, l’orienter à leur guise, consacrer leur vision de l’économie et de la société, imposer les limites à ne pas franchir. Quand elles prétendent par exemple que tout est privatisable, là c’est clair. L’empreinte est visible dans le dossier des subventions. Voilà justement un secteur privé qui a enflé grâce aux aides et soutien des pouvoirs publics et qui maintenant qu’il est arrivé en haut veut supprimer l’ascenseur. Il traite des subventions comme s’il n’en avait lui-même jamais bénéficié. Ensuite, nous avons des élites qui dissertent sur des augmentations des prix et tarifs avec d’autant d’aisance qu’elles ne sont pas concernées du tout par leurs retombées. Elles surenchérissent en disant que ce n’est pas 10 % d’augmentation de l’énergie qu’il faudrait mais davantage. Le CNES a récemment demandé un plein d’essence à plus deux mille dinars. Ces élites ne se posent apparemment pas de questions sur les retombées. D’une part, parce que celles-ci n’impactent pas de la même façon les budgets et revenus familiaux. Les écarts de revenus tels qu’ils sont donnés par l’ONS, soit le rapport entre le budget de consommation du quintile le plus bas et celui du quintile le plus haut, cet écart est formellement de 1 à 5, voire 1 à 6, mais en réalité, en y introduisant les autres revenus non enregistrés, nous auront un écart beaucoup plus important de 1 à 8 voire jusqu’à 1 à 10, entre les 20% de la population les plus aisées et ceux du bas de l’échelle. Je dis que des études sérieuses sur l’impact doivent être commandées d’abord préalablement à toute nouvelle augmentation. Or, aucune simulation n’a été faite au préalable, à ma connaissance. En France, l’écart entre le niveau le plus bas et le niveau le plus haut de consommation énergétique va de 1 à 6 et même de 1 à 9. Il y a des gens qui consomment neuf fois plus que les autres. Ici, aussi nous n’avons pas tous le même niveau de consommation, ni le même type de voiture, ni tous des climatiseurs, etc…Il nous faut une tarification résolument progressive qui mette à contribution les strates de surconsommateurs multi équipés.
Prenons l’exemple des augmentations des prix de l’électricité et du gaz. .Les factures ne sont pas encore envoyées : c’est au mois d’avril, et l’incidence de l’augmentation des tarifs énergétiques se fera sentir sous peu. Le gouvernement dit préserver les couches des petits consommateurs. Il a épargné les 2 premières tranches. Mais, dans la tranche 3, on retrouve des petits consommateurs, et qui sont des salariés pour la plupart. C’est la tranche de consommateurs la plus touchée proportionnellement à ses niveaux de revenus. Or, la tranche 4, ceux qui consomment beaucoup d’énergie, n’est pas suffisamment démarquée de la 3 alors qu’elle devrait être concernée plus par l’incidence de la hausse. Ce n’est que justice après tout. C’est dans la tranche 4 qu’on retrouve les plus hauts revenus et qu’on retrouve le suréquipement énergétique. Idem pour le gaz. La tranche 4 n’est pas suffisamment démarquée de la 3. L’écart entre les deux tranches doit être beaucoup plus important. En fait, finalement, c’est la tranche des salariés, des revenus fixes qui sera sensiblement affectée. Le reste à vivre, soit la somme du budget qui reste après avoir payer les factures des services publics, deviendra pour eux problématique.
L’autre aspect a trait à l’effet inflationniste. Il y a un effet d’entraînement : les augmentations des prix des produits énergétiques sont automatiquement répercutées sur ceux des biens et services Et l’inflation, il ne faut pas l’oublier, c’est l’impôt du pauvre. Nous ne devons pas uniquement raisonner en termes d’équilibres comptables. Les incidences in fine sur la stabilité sociale, il ne faudrait surtout pas les négliger.
Ces augmentations bien que justifiées, ne sont pas injustes, elles sont injustement réparties, c’est ce que vous dites.
Exactement. Elles sont injustement réparties. Ceci dit, des mesures doivent être prises pour rationaliser la consommation énergétique et la tarification en fait partie même si elle n’est pas le seul levier. Les gisements de rationalisation et d’économies d’énergie sont importants. Pour le carburant, prenons le GPL, nous sommes à 6 ou7 % du mix carburant, depuis trois décennies, alors que le GPL est surabondant. Et un carburant comme le Diesel, polluant et coûteux en devises, sa consommation est montée en flèche. Pourquoi ? A quoi rime une politique pareille ?

Je reviens aux gisements d’économies d’énergie. Le torchage, les volumes considérables de gaz qui vont à la torche, en fumée, c’en est là aussi une des formes de gaspillage de l’énergie par les entreprises de l’énergie elles même. De même pour l’autoconsommation de gaz des unités de GNL De son côté, Sonelgaz perd de l’énergie, dans ses réseaux, par le piratage, une part importante. 20 à 25 % de l’énergie qui est perdue. Donc, il y a des mesures de rationalisation, d’optimisation, d’ordre qualitatif qui doivent être prises et qui sont le signe d’un Etat régulateur qui fait face à la conjoncture avec les dispositifs idoines et non pas se précipiter comme c’est fait, en mettant en œuvre les solutions faciles qui aggravent nos fragilités. Chaque secteur doit élaborer ses engagements fermes en termes de rationalisation et d’économies d’énergie
Pour faire passer la pilule de ces augmentations, des experts avancent l’exemple des pays du Golfe ou du Venezuela où les carburants coûteront 60 fois plus cher ?
Heureusement qu’en Algérie il y a encore des gens encore sensés pour ne pas avoir à envisager ce type de folies. Nous avons encore des atouts. Un marché intérieur qui est le fruit de l’industrialisation. La demande de bien être n’est pas tombée du ciel, c’est un produit de l’histoire du développement. Alors que faire ? S’engouffrer dans de petites mesures qui sous l’allure de rationalité occultent la dimension stratégique, ou aller vers des mesures qualitatives ? Je crois que le choix est vite fait. Le gaspillage, il faudrait le chercher dans les hautes strates. C’est là bas que se trouve la surconsommation. Le choix de construire des routes au lieu de s’orienter vers le rail, à quoi répond-t-il ? Nous avons une surconsommation d’énergie née d’un modèle de transport nocif qui privilégie le « tout routier», le « tout voiture particulière ».C’est à ce modèle de transport gaspilleur, polluant et inéquitable qu’il faut s’attaquer et cela ne va pas se faire à coup de relèvements de prix. C’est une politique volontariste qui impose la priorité aux transports collectifs qu’il faut instaurer. On évoque les équilibres budgétaires mais nous avons un taux de fiscalité qui est moindre que celui des pays voisins. Cela veut dire que les ressources de l’Etat n’ont pas été encore optimisées. On veut ponctionner les couches sociales les plus vulnérables mais on oublie d’envisager les autres moyens. L’impôt sur le patrimoine, c’est 0,02 % des contributions fiscales. Nous avons l’impression que nous sommes dans un pays où il n’y a pas de riches alors qu’on parle de plus de 5 mille milliardaires, des milliers de millionnaires. Dans les classements des acquéreurs immobiliers en Espagne ou en France, ils sont au top Ten. L’Etat régulateur, il est où ? Rappelez-vous que les députés ont refusé d’instaurer (en 2013) un impôt sur la fortune. Prenez le marché de l’automobile, par exemple, c’est un secteur qui engrange un chiffre d’affaires annuel de 700 milliards de dinars mais seuls 3% à 6% des résultats de l’exercice sont versés au Trésor public. Optimiser les ressources et le budget, les rationaliser, c’est aussi l’impôt non recouvré par l’Etat. Des montants considérables. Mais décidément, on se précipite plus vers des mesures qui touchent à des équilibres précaires que vers des mesures essentielles d’ordre qualitatif.
M. Nouredine Bouterfa, le PDG de Sonelgaz a récemment déclaré que pour ce qui est des créances impayées, soit près de 50 milliards de dinars, 50% concernent les institutions, 20% des créances des entreprises privées et les 30% restants concernent les simples citoyens. Pourquoi s’acharner à faire payer le simple citoyen ?

Nous avons une consommation énergétique qui évolue d’une manière trop forte par rapport à nos ressources. Pour la rationaliser, la discipliner, il y a des leviers à actionner dont celui des tarifs. On considère que Sonelgaz, parce que c’est une entreprise en difficulté et qui doit agir pour rentrer dans ses équilibres de gestion, doit revoir les prix de ses prestations même si, attention, ce levier ne doit pas servir à occulter les erreurs de gestion. On ne doit pas faire payer plus pour masquer des contreperformances gestionnaires. Les mesures tarifaires ne doivent pas être une prime à la contre performance gestionnaire. Pour être pertinentes, Il faut qu’elles soient justes. La stabilité sociale ne relève pas que de l’économie, c’est une dimension indissociable de l’économie. Autrement, l’Etat aura a payer plus en mobilisant les forces de l’ordre pour maintenir la stabilité sociale menacée. Une telle perspective a un coût et ses seules incidences financières seront sans doute plus importantes. Le mieux serait donc de ne pas en arriver là et s’y prendre avec une approche globale.
Justement en matière d’approche globale, le levier tarifaire ne risque-t-il d’escamoter cet avantage comparatif qui est le prix de l’énergie ? D’autre part, ces augmentations ne répondent-t-elles pas aux exigences d’institution internationale, l’OMC en tête, qui demandent d’aligner les prix de l’énergie soient sur ceux du marché international ?
Non, pour l’instant nous sommes loin des niveaux critiques. Il faut dire que ces augmentations nous pendaient au nez depuis bien longtemps déjà même si cela rejoint comme vous dites une des exigences de l’OMC. Un service quel qu’il soit doit être rémunéré à sa juste valeur. Il s’agit en le cas d’espèce de prestations et d’une ressource rare et non renouvelable. Les mesures tarifaires doivent refléter ces réalités. Par ailleurs, il existe d’autres gisements d’économie d’énergie sans toucher aux tarifs. Nous devons transcender le strict plan des mesures tarifaires pour arriver à mettre en œuvre une véritable politique d’économies d’énergie. Nous avons un habitat gourmand en énergie.
Des économies sont à faire au niveau de la construction. Ça va sans doute coûter plus cher mais nous aurions à gagner en développant une industrie des matériaux d’isolation. Il est aussi temps de s’orienter vers les modes de transports collectifs d’autant plus que le gain en terme de temps, énergie, santé sont énormes. En une douzaine d’années, nous avons importé pour plus de 40 milliards de dollars en voitures sans parler des pièces de rechange. Nous sommes passés de 2,9 millions de véhicules en 2000 à 5,5 millions en 2013. Parallèlement, l’Algérie a importé un volume cumulé de 7, 2 millions tonnes de gasoil et de 3,3 millions de tonnes d’essence. A ce rythme, nous atteindrons bientôt un seuil de dysfonctionnement inimaginable en termes de coûts, de pollution, d’encombrement.
La part de la production allouée à la consommation interne est passée de 22 % en 2003 à 29 % en 2013.
Des experts comme Attar disent que l’Algérie n’aura plus de gaz à exporter d’ici 2030 vu la l’explosion de la consommation interne ?
Oui, si on continue comme cela à aller au fil de l’eau, comme on dit, en augmentant le parc des centrales fonctionnant au gaz, en suivant le rythme de la consommation de l’électricité sans la réguler, sans la rationaliser, en continuant a importer des équipements énergétivores. La part de gaz naturel dans la consommation est passée de 15 % en 2003 à 24 % en 2013. Ces volumes sont autant de mètres cubes de gaz en moins à l’exportation.
(A SUIVRE…)

1 In La prise de contrôle de Skoda par Volkswagen. Le retour obligé, accepté mais problématique de Frédérick Taylor, Revue Gérer et comprendre, décembre 1993, n° 33 pp. 75 à 81.
2 Proclamation du 1er novembre 1954, Plateforme de la Soummam de 1956, Programme de Tripoli de Juin 1962
3 Union générale des étudiants musulmans algériens

4 Cf. Guy Pervillé, Les étudiants algériens de l’université française, 1888-1962, éditions Casbah

Les commentaires sont clos.