Société

Le jour où j’ai rencontré Mahmoud Darwich dans un café de Bab El Oued Par Abdelmadjid KAOUAH

EVOCATION :
Le feu lyrique

‘’O chanteur de Palestine dans toutes les atmosphères : celle de la révolution, de la défaite, de vagabondage, de résistance, et de retour, ton pays t’attend. Le rossignol qui te le dit a toujours raison. Il est la voix de l’Histoire au moment de la vérité. Et la vérité que nous cherchions dans les dossiers du droit international crie de toute pierre palestinienne. Vu notre fort amour, nous sommes devenus capables de comprendre le langage de la pierre. Et, notre sang qui remplit le visage du monde se métamorphosera en miroirs pour les consciences. Continuons la quête du miracle de la soudure susceptible de rendre son unité à l’orange que le couteau a tranchée en deux… ‘’ M.D.

Il est des poètes dont le deuil ne s’achève jamais. Il y a cinq ans, des siècles, nous quittait Mahmoud Darwich au sommet de sa plénitude poétique. Le cœur de Mahmoud Darwich s’est arrêté de battre un samedi 9 août 2008 à 18h 35’ GMT, à Houston au Texas…Aux Etats- Unis, comme une métaphore ultime d’un exil imposé, quasi -perpétuel, à des milliers de kilomètres de sa Galilée natale. Et comme un clin d’œil à un poème de jeunesse prémonitoire et comme un signe hommage à l’homme Peau-rouge qu’il a célébré et dont le destin a plus d’une affinité avec son peuple…Fairouz n’a rien dit d’autre en affirmant un jour que les Palestiniens étaient les nouveaux Indiens … Oui, il est des poètes le deuil ne s’achève jamais. Depuis 2008, il repose sur une colline de Ramallah, face à Jérusalem. Il a disparu au moment où la «puissance de feu» de son lyrisme avait atteint la perfection. Mahmoud Darwich, la voix, le champion et le héraut du martyrologue du peuple palestinien, avait de son vivant récusé les ors et les maroquins ministériels pour mener une vie de citoyen auprès des siens à Ramallah, surtout durant le siège imposé par Israël en 2002. Peut-on échapper à son destin, quand à 12 ans, on écrit en toute innocence à l’école de l’occupant israélien un poème dénonçant la «Nakba», que l’on se fait tancer et menacer pour cela par un gouverneur militaire? Au moment où il est mort – et où ces lignes furent en partie écrites – l’attention du monde était tournée vers les jeux olympiques de Pékin… Cependant son décès avait grandement focalisé la presse et les médias du monde. L’émotion fut grande chez ses lecteurs. Et des chefs d’Etat, des rois- c’est dans leurs attributs- ont fait parvenir des messages de condoléance. Un deuil national avait été décidé par « l’Autorité palestinienne ». Et la critique littéraire ne pas en reste, Elle fut comme unanime à reconnaître que disparaissait un grand poète, chantre de la douleur du peuple palestinien, miroir de sa tragédie. Articles empressés ou textes érudits, jamais autant d’hommages et de reconnaissances des quatre coins du monde n’auront été tressés et adressés à un poète du monde arabe. Exception faite de Naguib Mahfouz qui de son vivant avait accédé au Nobel.
Mais d’expérience, le meilleur hommage vient des rivages de l’adversité. L’écrivain israélien, A.B. Yehoshua a considéré Darwich- connu en 1960 et rencontré à nouveau à Haïfa en 2007 – comme « un adversaire sur le plan politique et un ami car il était aussi un voisin » lui a rendu hommage et a trouvé une bonne chose que d’apprendre la poésie de l’auteur de « Rita » et de « Inscris, je suis arabe ! » dans les écoles israéliennes…Dans la masse des réactions, des émotions et des admirations, nous avons relevé ces lignes à la fois simples et expressives d’un Marocain anonyme sur la relation emblématique avec Darwich :« A 17 ans j’ai connu Darwich et j’ai découvert l’amour. A 24 ans je redécouvre Darwich, … l’engagement et la révolution avec. A 42 ans …. Darwich n’est plus. Je découvre la nostalgie ! ».
Ne pas oublier de relire et méditer le texte pathétique et lucide de l’écrivain Sud-Africain, militant au long cours contre l’Apartheid, Breyten Breytenbach qui fit partie d’une délégation de solidarité auprès de Darwich resté avec son peuple à Ramallah sous les bombardements!
Le poète a fait rêver et mouvoir – ce qui est plus important- deux générations. Mais Mahmoud Darwish nous a quittés, nous semble-t-il sur un malentendu. Dont il n’était pas responsable. La « puissance de feu « de son lyrisme y est peut être pour quelque chose dans ce quiproquo entre la réception de son œuvre et son destin de poète.
Dans les dernières années de sa vie, il ne manquait pas dans ses poèmes et ses entretiens de mettre les points sur les i. Face à la déshérence de la cause palestinienne, sa parole est devenue d’autant plus précieuse qu’elle permettait au public du monde arabe entre deux récitals de renouer avec les incantations et l’utopie originelle…On percevait comme un fugace agacement chez Mahmoud Darwish lorsque le public lui demandait tel ou tel autre titre fétiches ( Djawas essafar, Passeport, Ahmed El arabi) de l’époque héroïque. Il s’y prêtait quand même d’assez de bonne grâce en n’en déclamant qu’un extrait. Dernièrement à Alger, un poète irakien me faisait t observer que Darwich m’avait point écrit de quacida contre Saddam. Peut-être, mais il a écrit Discours versifiés du dictateur qui pouvaient s’appliquer à plus d’un pays arabe… ‘’Je choisirai mon peuple Je vous choisirai, un à un, de la lignée de ma mère, de ma doctrine/.Etc.On ne peut plus virulent contre toute forme de dictature.

La poésie cet événement obscur
A El Akhkbar (dont le supplément culturel est dirigé par le romancier égyptien Gamal Ghitany) , il énonça : « Je réclame d’être traité en tant que poète, non en tant que citoyen palestinien écrivant de la poésie. Je suis las de dire que l’identité palestinienne n’est pas un métier. Le poète peut évoquer de grandes causes, mais nous il nous faut le juger sur ses spécificités poétiques, et non sur le sujet qu’il traite. C’est sur le plan esthétique qu’on reconnaît la poésie, non sur le contenu. Et si les deux coïncident, tant mieux ». Dans un autre entretien (il manifesto, du 29 mai 2007) il précisait : « Certains Palestiniens qui vivent dans des conditions difficiles demandent au poète d’être le chroniqueur des événements tragiques qui se déroulent tous les jours en Palestine. Mais la langue poétique ne peut pas être celle d’un journal ou de la télévision, elle doit même rester en marge pour observer le monde, le filtrer à travers un détail » Et avec une modestie, il faut le relever, rare chez les poètes du monde arabe, il ajoutait : « La poésie est un gouffre. J’ai le sentiment de n’avoir rien écrit ». Reprenant le Grec Yannis Ritsos, il définissait la poésie comme « l’évènement obscur », celui « qui fait de la chose une ombre /et de l’ombre une chose, / mais qui peut éclairer notre besoin de partager la beauté universelle ». Ce qui reste d’une œuvre. En ce qui concerne Darwich, elle est suffisamment ample, forte, et transparente pour lui survivre .Dans ses derniers textes, il avait commencé un long et pathétique apprentissage de la mort. Il l’avait déjà croisée et en avait relaté quelques épisodes. Et partant il s’était orienté vers la poésie des choses de la vie, le dialogue avec un brin d’herbe (“Je n’aime pas les fleurs en plastique”, hélas bien répandues dans le monde arabe), les volutes du café qui à lui seul est une géographie. Epique, lyrique, parabolique, sa poésie ne s’est donc jamais voulue programme politique.
De l’activisme politique d’appareil, il en était d’ailleurs revenu (« je n’arrive pas à faire dirigeant le jour et poète la nuit) sans jamais fléchir dans son engagement aux côtés de son peuple -parmi lequel il vivait à Ramallah assiégé : « j’ai choisi le camp des perdants, je me sens comme un poète troyen, un de ceux à qui on a enlevé jusqu’au droit de transmettre sa propre défaite. »Mais il observait qu’une nouvelle descente aux enfers s’ouvrait devant lui des mains de ses propres fils. : « Nous sommes entrés, nous Palestiniens, dans une phase absurde : l’absurdité des soldats qui, dans la bataille, s’entretuent. Une absurdité fatale. Les significations nous échappent, la route nous échappe, notre image même nous échappe ».
Après les la prise de pouvoir de Ghaza par Hamas, il écrit « Dès cet instant ‘’tu’’ est un autre », un texte plein d’amertume, sinon de désespoir : « Nous fallait-il tomber de si haut et voir notre sang sur nos mains… pour nous apercevoir que nous n’étions pas des anges… comme nous le pensions…/ Il a mis son masque, rassemblé son courage, et a tué sa mère… parce que c’est elle qu’il a pu trouver comme gibier politique ».
Et partant, il s’était orienté vers la poésie des choses de la vie, le dialogue avec un brin d’herbe («Je n’aime pas les fleurs en plastique»), hélas bien répandues dans le monde arabe), les volutes du café qui à lui seul est une géographie. Durant les affrontements fratricides inter-palestiniens, il s’était désolé de cette dérive : «Nous sommes entrés, nous Palestiniens, dans une phase absur de : l’absurdité des soldats qui, dans la bataille, s’entretuent. Une absurdité fatale. Les significations nous échappent, la route nous échappe, notre image-même nous échappe.» A l’image de son poème «Le Joueur de dés» jouant sur un volcan :
«Qui suis-je pour vous dire
ce que je vous dis ?
Je ne suis pas la pierre façonnée par l’eau
pour que je devienne visage
ni le roseau percé par le vent
pour que je devienne flûte…
Je suis le joueur de dés
je gagne ou je perds
Je suis votre pareil
ou un peu moins…»

Dans ses derniers textes, il avait commencé un long et pathétique apprentissage de la mort. Il l’avait déjà croisée et en avait relaté dans ses écrits quelques étranges épisodes.
Epique, lyrique, parabolique, sa poésie ne s’est donc jamais voulue programme politique. De l’activisme politique, il en était d’ailleurs revenu (« je n’arrive pas à faire dirigeant le jour et poète la nuit) sans jamais fléchir dans son engagement aux côtés de son peuple -parmi lequel il vivait à Ramallah assiégé : « j’ai choisi le camp des perdants, je me sens comme un poète troyen, un de ceux à qui on a enlevé jusqu’au droit de transmettre sa propre défaite. »Mais il observait qu’une nouvelle descente aux enfers s’ouvrait devant lui des mains de ses propres fils. : « Nous sommes entrés, nous Palestiniens, dans une phase absurde : l’absurdité des soldats qui, dans la bataille, s’entretuent. Une absurdité fatale. Les significations nous échappent, la route nous échappe, notre image même nous échappe ». Après les la prise de pouvoir de Ghaza par Hamas, il écrit « Dès cet instant ‘’tu’’ est un autre », un texte plein d’amertume, sinon de désespoir : « Nous fallait-il tomber de si haut et voir notre sang sur nos mains… pour nous apercevoir que nous n’étions pas des anges… comme nous le pensions…/ Il a mis son masque, rassemblé son courage, et a tué sa mère… parce que c’est elle qu’il a pu trouver comme gibier politique.

De l’exil, de l’abandon du peuple palestinien par la communauté internationale, des états de siège, du dénuement, de l’enfermement, du Mur, des fausses illusions des accords d’Oslo, de l’indifférence des pays arabes, de la volonté de puissance et du sectarisme politique et religieux, des affrontements fratricides, de la corruption, de l’érosion de l’espérance, c’est de tout cela que Mahmoud Darwich est mort .Et son œuvre toujours vivante. Du stoïque Troyen de Galilée, retenons surtout cette prière fraternelle : “Mes amis, ne mourez pas avant de présenter vos excuses à une rose que vous n’avez pas encore vue, A un pays que vous n’avez pas visité, A une jouissance que vous n’avez pas atteinte, A des femmes qui ne vous ont pas passé au cou l’icône de la mer et le tatouage du minaret”. Mais il ne faut surtout pas s’excuser de lire et de relire Mahmoud Darwish
Je terminerai cette évocation sur un instantané plus personnel.
Novembre 1988, Bab Oued. Les journées tragiques d’Octobre avaient mis l’Algérie sur un nouvel axe historique. L’Algérie officielle accueillait le Conseil national palestinien Parlement sur fond de blessures nationales béantes. L’armée avait tiré sur le peuple. Un drame sans précédent. Un traumatisme qui faisait passer à l’arrière-plan les actes du Parlement palestinien qui rendit publique en terre algérienne, une déclaration d’indépendance, en un mot la naissance d’un Etat palestinien – bien avant que l’ONU lui octroie un statut étatique tronqué.
A Bal Oued, avec des amis, Arezki Metref, Kerroum Mehenni, dans ce qui n’était plus à proprement parler plus un bar ni encore un vrai « caf maure », un lieu en transition vers quelque part d’indéfinissable, à l’instar du pays …, juste à côté du cinéma l’Afrique, nous nous rafraîchissions en bavardant, je crois, sur l’air du temps. J’étais face l’entrée. Eux de dos Accoudé au comptoir, un homme sirotait café après café. Soudain, j’ai dit : C’est Mahmoud Darwich ! Mes compagnons dans un premier mouvement de doute ne me prirent pas au sérieux. La gazouze des lieux m’était-elle monté à la tête ? Je confirmais et pour prouver mon assertion, je me suis dirigé sur celui qui était bel et bien Mahmoud Darwich en chair et en os. Je l’invitais à partager notre table. Il me répliqua qu’il devait sans tarder se remettre d’aplomb au café (on connaît sa passion pour le breuvage) .Il donnait un récital de poésie juste à côté, au cinéma l’Afrique. Et m’invitait à se retrouver après le récital. Aucun de nous n’était au courant de ce récital. Nous y allâmes illico presto. Comme à son accoutumée, Darwich fut magistral. Il lisait ses poèmes comme lui seul sait le faire, laissant tomber les pages comme des paillons foudroyés. J’ai toujours en mémoire, l’image de ce respectable apparatchik de l’union des écrivains algériens moribonde qui ramassait avec gourmandise les feuillets. Il remonta dans mon estime et je me suis souvenu qu’il se voulait après tout poète. Mes amis rectifieront les écarts éventuels de ce témoignage (pour cause de mémoire défectueuse A la fin du récital, nous sommes rentrés sans nous nous attarder, sans revoir je crois, Mahmoud Darwich happé par les officiels et les quelques passionnés qu’il y avait dans l’immense salle. Je n’ai plus revu Mahmoud Darwich. Même sur l’autre rive, dans la ville rose, Toulouse où il se rendit plusieurs reprises. Une amie a eu la bonté de faire dédicacer à mon nom « Jidâriyyat Mahmûd Darwîsh », « Murale », dans la traduction d’Elias Sanbar (Actes Sud, 2000).Il affronte dans cette Mu’allaqua avec éloquence désabusée le mystère de la mort. :
 »Vaine, vanité des vanités…Vaine. Toute chose sur terre est éphémère ».
Mahmoud Darwich savait depuis longtemps qu’il avait immanquable rendez-vous avec la Mort.

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