Histoire

Le Parti communiste Algérien et le déclenchement de l’insurrection du premier novembre 1954

Le Parti communiste Algérien et le déclenchement de l’insurrection du premier novembre 1954

A l’occasion du 60 ème anniversaire du premier anniversaire de l’insurrection armée du premier novembre 1954 en Algérie, la LRI (lettre des relations internationales du Parti communiste Français) a publié dans sa publication du mois de novembre 2014, l’article suivant de notre camarade William Sportisse, ancien dirigeant du PCA:telechargement_7_-2.jpg

Le premier novembre 1954 est un grand moment historique de l’histoire de l’Algérie. Il a reflété l’ardente aspiration d’un peuple à se débarrasser d’un système d’appression et d’exploitation qui lui était imposée par une puissance impérialiste, en l’occurence la France, depuis plus de 120 années. Le groupe de militants appartenant à la mouvance nationaliste du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques, à l’origine de cette insurrection armée, conserve et conservera le mérite d’avoir eu l’audace de la déclencher, même si pour beaucoup d’Algériens gagnés à la revendication de l’indépendance cela pouvait apparaître qu’elle allait « à l’assaut du ciel »selon l’expression de Karl Marx à propos de la commune de Paris. A ce moment là, pour la majorité des Algériens composant les différentes tendances politiques du mouvement de libération nationale, il devenait de plus en plus évident que le choix de la voie pacifique pour mettre un terme à l’oppression et l’exploitation coloniales avait de moins en moins de chance de s’imposer à ce sytème qui se perpétuait par les moyens violents et répressifs de sa police, de son armée et de son administration. Cet événement a-t-il surpris le peuple Algérien et ses partis politiques, comme certains l’ont exprimé quand il s’est produit ou encore aujourd’hui dans leur analyse de cet événement ? Les choses sont beaucoup plus complexes. Au 6° congrès du Parti communiste Algérien (21-23 novembre 1952), dans son rapport présenté aux participants, Larbi Bouhali, premier secrétaire déclarait:  » Quand on voit avec quelle puissance la colère des masses populaires explose dans les pays opprimés, comme en Tunisie, il ne peut venir à l’idée que l’Algérie est un oasis de calme. » La même année, au cours d’une réunion publique il appelait à élever le niveau des luttes afin de parvenir « à la forme de lutte supérieure ». Ces termes étaient utilisés à la place de  » lutte armée » afin d’éviter des poursuites et des condamnations des tribunaux colonialistes pour « atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat » colonial en vertu de l’article 80 du code pénal français. En quoi donc peut-on parler de surprise? Certes de nombreux Algériens s’interrogeaient si le moment avait été bien choisi? Sans doute l’une des raisons de leurs interrogations était la crise profonde qui venait de diviser les rangs du MTLD, le plus influent et organisé des partis du mouvement de libération nationale. La désunion régnait également entre les différentes forces politiques du mouvement de libération nationale. Tout cela pouvait être un handicap sérieux à la conduite de la lutte pour l’indépendance. Cependant d’autres facteurs allaient contribuer à le surmonter. Craignant malgré tout le soutien populaire qui pouvait être apporté, en armes et autres moyens matériels et financiers, à l’ALN dont elle était dépourvue au début de l’insurrection, le système colonial s’est engagé aussitôt avec son obstination coutumière dans une large campagne répressive essentiellement dirigée dés les premiers mois de la guerre contre les couches laborieuses des villes et des campagnes et les militants de tous les partis composant le mouvement de libération nationale. Loin d’être intimidés par cette répression, les couches populaires du pays et les militants appartenant aux différents partis du mouvement de libération nationale, contrairement aux calculs du système colonial, se sont alors engagés de plus en plus dans le combat actif contre le colonialisme. Ils ont rejoint les rangs des groupes armées, les ont soutenus en les informant sur les mouvements et les activités des organes répressifs du système colonial tout en leur apportant une aide matérielle et financière dont ils avaient un grand besoin. Ce soutien populaire dont le couronnement fut marqué par les grandes manifestations populaires de décembre 1960 et de juillet 1961 fut décisif pour imposer la négociation après environ huit années de luttes.

De son côté,à la veille du premier novembre 1954, le Parti communiste Algérien s’était renforcé grâce à son action anticolonialiste et anti-impérialiste, sa politique et ses efforts constants en faveur de l’union de toutes les forces nationales. Son implantation parmi les couches populaires du pays et son audience y compris dans les rangs des deux autres partis nationalistes (MTLD et UDMA) et de l’Association des Oulémas s’étaient élargis. C’est pourquoi, même s’il n’avait pas été associé à l’organisation de l’insurrection du premier novembre, sa première réaction fut réaliste même si elle a pu comporter certaines insuffisances. Elle se référait à la fois sur l’aspiration profonde d’une large majorité des Algériens à l’indépendance et en même temps prenait en compte le niveau d’organisation et la possession de moyens matériels nécessaires insuffisants pour mener la lutte armée combinée aux autres formes de lutte. C’est pourquoi,pendant toute une période, de novembre 1954 jusqu’à septembre 1955, date de son interdiction, le PCA s’efforcera d’utiliser les moyens légaux encore existants pour élargir et renforcer la lutte sous toutes ces formes.

Dans son ouvrage « l’Algérie en guerre », Mohamed Teguia, ancien officier de l’A.L.N., écrit ce qui suit à propos de la déclaration du Bureau politique du PCA, en date du 2 novembre 1954: « En fait, dans les limites d’une déclaration légale, le PCA a rapidement apporté son soutien au FLN (et il a été le seul, en tant que parti à le faire officiellement) dans cette déclaration, même si certains passages sont ambigüs, comme celui qui faisait référence à des négociations « qui tiendraient compte des intérêts de la France ». Mais ces termes là sont employés dans la proclamation du premier novembre 1954 du FLN et repris plus tard par le FLN dans la perspective des négociations. » Il écrit encore : » Si le PCA ne se décide pas à s’engager officiellement dans la lutte armée que lors de la réunion de son comité central du 20 juin 1955, il aura auparavant mené de front plusieurs luttes légales combinées à des démarches à caractère secret sur les lieux des combats, notamment dans l’Aurès pendant que ces cellules sont préparées dans diverses régions (Mitidja, Chelif, Tlémcenois) pour le passage éventuel à la lutte armée, le contact était recherché avec le FLN depuis novembre 1954. » Après avoir rappelé la visite faite dans les Aurès, en février 1955, par une délégation du PCA composée de Rachid Dalibey, membre du Bureau Politique, Alice Sportisse député, René Justrabo (délégué à l’Assemblée Algérienne) , Azzedine Mazri, le docteur Camille Larribère, Laïd Lamrani, bâtonnier de l’ordre des avococats de Batna et Mohamed Guerrouf ( les six étaient membres du comité central du PCA), Mohamed Teguia écrit encore:  » Guerrouf avait pris des contacts dés le mois de novembre 1954 avec des responsables (dont Ben Boulaïd Mostefa) et des combattants de l’ALN de l’Aurés, parmi lesquels s’étaient engagés les paysans communistes de cette région, notamment Hamma Lakhdar, responsable de la section communiste d’El-oued, qui dirigeait une katiba » qui selon Soustelle (gouverneur général de l’Algérie à l’époque) a été « anéantie avec son chef le 18 août 1955 à Guemar dans les oasis du Souf. » Mohamed Teguia poursuit: « Les paysans communistes de l’Aurés qui rejoignirent l’ALN se comptaient par dizaines sur les centaines d’adhérents du parti dans la région de M’Chounéche, Tadjemout, de Zelatou, du Souf et.. Un ancien mineur communiste, Sadek Chebchoub, recherché à la suite d’une grève meurtrière à la mine d’Ichmoul tenait le maquis depuis 1947.. »(1) Il est utile de préciser que cet engagement des paysans communistes à la lutte armée au lendemain du premier novembre 1954, fait suite à une décision de la direction du PCA fixant un pourcentage de ses effectifs qui devait rejoindre l’ALN dans les zones où elle activait. Ajoutons d’autres faits qui méritent d’être également signalés. En mai 1955, après l’arrestation de notre camarade Ahmed Keddar, dirigeant de la section communiste de Duperré (aujourd’hui Aïn-Defla) et membre de son comité central, une marche de potestation vers Miliana pour exiger sa libération, organisée par le PCA, mobilise des fellahs de la région et les mineurs du Zaccar. Des heurts avec la police se produisent et de nombreux manifestants sont blessés. Mais le commissaire de police Giscard qui dirigeait la répression de la manifestation est enlevée par les manifestants. Le militant communiste de la section du PCA de Duperré, Ahmed Ben Djilani Embarek dit Zendari au maquis, futur capitaine de l’ALN, est l’auteur de l’enlèvement de ce commissaire, à la suite duquel il rejoignit le maquis. Il tombera au champ d’honneur le 7 janvier 1961.

Par ailleurs, n’est-ce pasle colonel de l’ALN Dehilés Slimane dit Si Sadek qui rappelait dans une évocation du premier novembre 1954 le rôle joué par le quotidien « Alger républicain » dirigé par des communistes qui, avant son interdiction en septembre 1955, informait, malgré la censure, les maquisards de toutes les actions armées qui se déroulaient sur le territoire. Ce quotidien avait partiellement joué un rôle de coordination avec la diffusion de ces informations utiles aux moujahidine et à leurs chefs pour leur combat. De son côté l’émission radiophonique des trois partis communistes du Maghreb qui se trouvait à Budapest (capitale alors de la République Populaire de Hongrie) après avoir diffusé l’appel du FLN du premier novembre 1954, relatait chaque jour sur ses ondes, en leur donnant la priorité, les actions armées menées sur le territoire national.

Ce rappel de quelques exemples sur l’attitude des communistes algériens et de leur parti, au lendemain du premier novembre n’a pas pour objectif de surestimer leur rôle dés les premiers jours et mois du déclenchement de la lutte armée qui fut l’oeuvre de militants nationalistes du MTLD qui ont réussi a rassembler dans et autour du FLN et de l’ALN toutes les forces politiques du pays,(nationalistes, communistes et patriotes sans parti). Il a pour objectif de rappeler la vérité historique souvent déformée par ceux qui, par anticommunisme de classe ou guidés par des préjugés d’un autre âge, ont voulu effacer cet apport des communistes à la lutte libératrice. Ce que condamne Slimane Chikh, historien et enseignant qui, dans son ouvrage « l’Algérie en armes », a écrit : « Le tribut payé par le PCA au cours de la lutte de libération nationale est assez lourd. Le pouvoir colonial ne l’a pas épargné. » (2)

William SPORTISSE


1/ Mohamed Teguia : « L’Algérie en guerre » (OPU) pages
259 à 267.

2/ Slimane Chikh: « L’Algérie en armes » (OPU) page 316

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