Société

Le projet de l’Académie des sciences dévoyé : Scandale académique

Le projet de l’Académie des sciences dévoyé : Scandale académique


Les scientifiques algériens ne savent plus s’il faut se réjouir de l’érection prochaine de l’Académie des sciences et des technologies d’Algérie, ou bien s’en apitoyer. D’aucuns se lamentent d’emblée et s’indignent d’un ultime viol de l’éthique et de la déontologie scientifiques.
Curieusement introduite sans grande pompe, l’entrée en vigueur imminente d’une haute autorité scientifique semble effectivement manquer d’ardeur, «et c’est à mauvais escient», nous renseignent d’éminents professeurs bien au fait d’une «entreprise qui se fait actuellement dans le dos des hommes de science», selon les termes mêmes des initiateurs du projet. Et pour preuve, un grand nombre d’universitaires dénoncent la désignation de la nomenclature du noyau de l’Académie – qui comprendra 50 membres. La procédure qui s’opère ces jours-ci en catimini est intervenue, selon les témoignages concordants des scientifiques, sans avoir informé officiellement la population concernée de manière directe et efficiente.
Ainsi, pour les observateurs les plus avertis, tout semble indiquer que l’on tente d’évincer les plus méritants, mais aussi les plus récalcitrants. «Le lancement de l’appel à candidature a effectivement été précipité», nous a confirmé le professeur Allab Kada, initiateur et membre de la commission de suivi de l’Académie algérienne. «Nous avons également exprimé nos réserves concernant les grilles d’éligibilité des candidatures, jugées par d’aucuns extrêmement pointues et calquées sur le modèle de la sélection de chercheurs hyper spécialisés dans le cadre de programmes de recherche, alors qu’il s’agit de faire appel aux plus anciens et les plus méritants selon des critères plus dignes, mais non moins exigeants», se dédouane le professeur, déçu et un tant soit peu outré de voir ainsi évincé le comité authentique légitimement mandaté par le mémorandum paraphé sous la notoriété de l’Etat et exclu par voie de fait de cette phase sensible de présélection.
D’autres universitaires, quant à eux, ne mâchent point leurs mots et parlent d’un hold-up commis par la direction générale de la recherche en toute impunité et forte de la complaisante connivence et non moins outrecuidante protection du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. D’aucuns vont plus loin et évoquent une énième affaire de plagiat à la direction générale de la recherche scientifique ; les grilles auraient été effectivement copiées sur les critères d’engagement de chercheurs et, pire encore, dans le dessein de privilégier certains promis à trôner sur la future autorité scientifique suprême.
Occultation
La constitution du noyau de l’académie des sciences s’annonce donc d’emblée biaisé par cette velléité d’occultation, selon bon nombre d’autres universitaires et dévoyée dès l’entame de l’appel à candidature. Sciemment semée d’embûches, la grille d’éligibilité récemment mise en ligne semble effectivement et à tout point de vue discriminatoire. «Je n’étais pas du tout au courant, et puis il paraît que la date limite a été avancée et l’appel déjà clos», nous apprend le professeur Zellal, l’éminente spécialiste des sciences neuro-cognitives. Cette dernière information vérifiée, nous nous sommes rendu compte d’un grave fait de falsification sur le site de la direction de la recherche, qui prétend et revendique être seule dépositaire des demandes ; sur le même texte officiel affiché à l’adresse des prétendants à siéger à l’Académie figurent deux échéances contradictoires indiquant la date limite du dépôt des candidatures.
Dans l’intitulé de l’appel, on y lit la date du 15 mars prochain (date officielle), mais en bas du texte on tombe sur le 15 février «dernier».«Personnellement, j’ai d’autres soucis et je ne me sens pas concernée par cette entreprise présentée ainsi douteusement par ces exigences biaisées d’avance, le ministère détient les CV de tout le monde et connaît parfaitement les grades, les publications et les consécrations -tout comme les déconvenues de chacun.
Il n’a pas besoin de faire campagne pour identifier les plus méritants», et d’ajouter : «Il n’est pas évident d’être dans la confidence des mandarins rentiers, et encore plus difficile d’échapper au machiavélismes de ces croûtes carriéristes qui ont ruiné l’université algérienne», s’indigne-t-elle. Cet avis est partagé par plusieurs professeurs dans les quatre coins du pays, dont un nombre de chefs d’établissement universitaire des plus réputés. «Je n’ai même pas daigné présenter ma candidature, je sais bien que les dés sont pipés», confie un recteur algérois pourtant proche des initiateurs du projet et dont la longue carrière universitaire est incontestablement établie. «Qu’en sera-t-il des plus modestes ?» conclut-il dépité.
Inquiétudes
Des inquiétudes mais aussi des doutes viennent obscurcir davantage l’image du futur temple de l’«Ethique» et remettre en cause la crédibilité de l’entreprise. Des soupçons liés à la crainte de voir une cohorte d’imposteurs vassalisés de longue date élus les premiers en gage de services rendus durant les années d’ingérence inquisitrice de la police politique au sein de l’Université. Ainsi, on nous apprend que les critères de recevabilité exigent également et entre autres charges officielles la filiation aux conseils scientifiques et aux différents comités nationaux de recherche «Avoir été ‘‘mandaté’’ à la tête d’un conseil scientifique, ou le fait d’avoir été affilié aux CIS, CSP, CUN, CNE, CNEC, CPND et autres commissions d’habilitation réputées d’ailleurs être spoliées de leur rôle et dénuées de toute crédibilité n’a pas lieu de cité comme critère. Il est notable que les plus méritants y ont été de tout temps exclus». Le professeur Zellal est, à cet égard, l’exemple édifiant. Chassée de toute assemblée officielle, elle détient l’un des CV les plus étoffés ; bardée de grades et de distinctions et exportatrice de formation doctorale aux universités étrangères – fait unique dans les annales algériennes -, cette femme de science dont les pairs – en neurosciences cognitives – siège dans les académies d’outre-mer, se voit exclue d’office du projet de l’Académie nationale. Plusieurs de ses pairs et d’autres experts viennent confirmer ses propos.
Fait accompli
«L’appel à candidature pour la nomination des ‘‘fondateurs’’ semble avoir été soumis sans aucune information efficiente : la grande partie des gens concernés étaient dans l’ignorance. Le pire est que la date limite a été illégalement hâtée, barrant la voie aux nombreux scientifiques méritants, désireux de rejoindre le noyau. Il s’agit en fait d’installer le noyau sans passer par d’autres formes de suffrage.
Une fois nommé, aucune candidature ne sera acceptée ad vitam ; les bien-pensants détiendraient le pouvoir de coopter qui bon leur semble», nous explique le professeur Bensaâd, le célèbre mathématicien et expert mondialement reconnu. D’autres témoignages suivent et dénoncent un nombre de plus en plus important d’entraves : le système de notation de la grille d’éligibilité semble également surestimer le nombre de publications dans les revues particulières et insiste sur le fameux index d’impact des revues, qui par ailleurs est fortement contesté dans le monde, ce critère est dénoncé comme étant biaisé par les intérêts pécuniaires et la publicité dévoyée des éditeurs, et par conséquent non représentatif de la qualité des travaux académiques.
Cette dernière exigence qui compte pour près de 60% dans l’évaluation est unanimement décriée, y compris par les membres du comité de suivi et ainsi que les académiciens étrangers avec lesquels nous nous sommes entretenus. Ces derniers, qui seront appelés à élire les cinquante retenus sur la liste que prépare M. Aourag, préfèrent garder la réserve. Ainsi, des délégués de l’American National Academy Of Science nous ont demandé un temps de concertation avant de pouvoir nous fournir plus d’éclaircissements sur le rôle de leur institution dans l’établissement de l’Académie algérienne.
Egalement contactée par notre rédaction, Mme Catherine Bréchignac, la secrétaire perpétuelle de l’Académie des sciences française a refusé de nous en dire davantage et s’est contentée de nous faire entendre qu’«une expression de la part de l’Académie des sciences française, avant l’édiction du décret de création de l’Académie algérienne pourrait être perçue comme étant prématurée actuellement». Selon d’autres sources proches du dossier, même le président du CNES, Mohamed Seghir Babes, en est outré, mais semble être dans l’incapacité de remettre son train vertueux sur les rails.
Cette procédure, qui s’annonce biaisée, n’est pas fatalement irréversible «tant que le ministre Mebarki semble laisser faire, le Premier ministre Sellal reste le seul en mesure de mettre fin à cette supercherie», note notre source. «Les académiciens d’outre-mer ne sont pas dupes et ils ont horreur de toute atteinte à l’éthique et la déontologie, c’est de notre réputation à tous dont il s’agit», remarque-t-il. Il n’en demeure pas moins vrai que la responsabilité morale de tous y est engagée, encore plus celle de nos honorables visiteurs étrangers. Affaire à suivre.

Que sais-je sur la future Académie algérienne ?
Le fonctionnement de l’Académie, calqué sur le modèle française – fondée en 1666 – est assez similaire à l’architecture des sociétés maçonniques, avec son suprême comité secret, où les votes s’effectuent par une assemblée plénière délibérative à huis clos. L’instance trône sur le bureau géré dans la confidence des secrétaires perpétuels, et assisté par le Comité restreint. Viennent ensuite, hiérarchiquement, les délégations et les commissions avant la composition des groupes de travail en bas de la pyramide censés inspirer le gouvernement, conseiller le président et éclairer l’opinion publique.
Ce modèle a été adopté par l’Etat algérien et confié à l’Académie de France à la faveur d’un mémorandum d’entente afin d’y assurer l’accompagnement des phases de définition du projet ainsi que sa mise œuvre «…pour qu’il soit porté sur ses fonts baptismaux et au final placé sous la protection de l’imperium de l’Etat», comme l’explique Mohamed Seghir Babes, le président du CNES et signataire du mémorandum. Si d’aucuns en sont charmés, d’autres craignent que la chape d’occultation de cette structure vienne obscurcir davantage les arcanes cachotières de la recherche scientifique en Algérie.

Source: EL WATAN 25/2/2015
Mohamed Staifi

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