Société

Le voile. Assujettissement des femmes ou enjeu politique

Le voile. Assujettissement des femmes ou enjeu politique

Hassania Chalbi-Drissi

Aujourd’hui, parler du voile chez la femme arabo-musulmane n’est pas un signe de quiétude, tant ce sujet est complexe.
Par ailleurs, le port du voile en général est objet d’incompréhension et de sarcasme et la femme arabo-musulmane voilée est évoquée dans une vision stéréotypée: elle est voilée, cloitrée subissant des violences…
Pour certains occidentaux par exemple, « les postulats » sur le port du voile sont tellement ancrés que personne ne peut les contester de quelque manière que ce soit. Ils ont un discours à la fois démagogue, biaisé, inefficace et qui ne varie pas.
En fait, est-ce que le discours sur le port du voile, à part attiser certaines crispations, choquer certaines convictions, aurait une quelconque utilité peut-on se demander?
Dans une certaine mesure, il peut être à la fois un discours révélateur du danger d’assimilation que vivent les femmes et qui est beaucoup plus fort que celui que peuvent vivre les hommes et surtout, il est révélateur de la complexité des rapports entre la culture et la civilisation arabo-musulmane avec l’Occident… Ces rapports reposent en fait sur des dissensions culturelles qui sont la question la plus occulte du monde arabo-musulman, la question féminine.
La femme dans le monde arabe en effet est source de données éparses et d’impondérables dans l’analyse de ce discours.
Que sont ces femmes en général, qu’elles portent ou non le voile, au sein d’une société en voie de globalisation ?
Pourquoi n’arrive-t-on pas à dénouer les énigmes autour du voile chez les femmes arabo-musulmanes en particulier?
Parce que le voile est un symbole sexué et, de ce fait, il est devenu le centre de toutes les polémiques.
Plusieurs penseurs ont expliqué les origines du voile, son adaptation aux différents courants de pensées, les circonstances de son évolution et les différentes fonctions qu’il a remplies à travers les époques et civilisations ; mais en vain.
Face à cette attitude, il faudrait une rigueur scientifique très particulière pour procéder à une comparaison intervenant entre les cultures.
En attendant, c’est attribuer trop de crédit aux discours qui veulent faire croire que le port du voile, de la burqa et d’autres symboles, relèvent uniquement d’une tradition islamique.
Non, le port du voile ne relève pas d’une tradition islamique a-t-on souvent répété, il a préexisté à l’Islam.
Par exemple, Gamal Al-Banna lui-même, le frère du fondateur des Frères musulmans a indiqué que «le voile n’était pas une obligation» chez la musulmane. Selon lui en effet, «ni le Coran, ni le Hadith -la parole du Prophète- n’impose à la femme musulmane de porter le voile». Il estime en outre que le port ou non du foulard islamique «s’inscrit dans un débat plus large sur les mœurs et non sur les obligations religieuses».
Persister à fournir des arguments infondés et à avancer des hypothèses qui déprécient certaines valeurs humaines en général, c’est faire preuve d’une méconnaissance relevant d’une fixité optique voilée de l’ignorance des traditions du monde arabo-musulman.
Le port du voile revêt un certain nombre de significations certes et son évolution parait être déterminée par l’histoire de chaque pays.
Par exemple, si le Tchador a été la manifestation la plus violente des iraniennes contre le régime du Chah, il est sujet actuellement à une véritable « guerre du voile »
Pour situer historiquement l’origine de ce problème, rappelons que le problème du voile est survenu à une époque marquée par une croyance sémitique spécifique et qui accordait à la chevelure de la femme une signification érotique. Cette croyance était très répandue dans les pays d’Orient, notamment en Mésopotamie où elle a fini par acquérir une force de loi.
Ainsi, le port du voile y était rendu obligatoire dès le XIIe siècle avant J.-C. par le Roi d’Assyrie, Teglat Phalazar 1er qui disait: «Les femmes mariées n’auront pas leurs têtes découvertes. Les prostituées ne seront pas voilées».
C’était dix-sept siècles avant l’Islam et cela se passait en Assyrie, c’est-à-dire l’Irak d’aujourd’hui.
L’avènement du christianisme fit du voile une obligation théologique. Et c’est Saint Paul qui, le premier, a imposé le voile aux femmes en avançant des arguments strictement religieux.
Dans l’épître aux Corinthiens, il a écrit : «Toute femme qui prie ou parle sous l’inspiration de Dieu sans voile sur la tête, commet une faute ».
Et plus loin: «L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête ; il est l’image et la gloire de Dieu, mais la femme est la gloire de l’homme. Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme, et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance».
C’est à cette époque, qui est bien antérieure à l’Islam, que le voile fut utilisé comme un instrument de ségrégation qui fait de la femme un être inférieur vis-à-vis de l’homme.
Dans la Bible hébraïque, on ne trouve aucune trace de cette coutume, cependant la tradition juive, a longtemps considéré qu’une femme devait se couvrir les cheveux en signe de modestie devant les hommes.
Pour ce qui concerne l’Islam, aller jusqu’à affirmer que le voile « est le dogme islamique le plus barbare qui s’inscrit sur le corps féminin », comme l’affirment certains discours, c’est commettre une erreur.
L’Islam est né Sept siècles après ces différentes péripéties concernant le port du voile. Et le Coran ne consacra au voile que les passages limités. En effet, deux à trois des 6000 versets coraniques seulement font allusion au voile et pas d’une manière explicite. Il y est spécifié : «Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur étoffe sur leurs poitrines.» Coran (24: 31).
Enfin dans la sourate 33, Al-Ahzab (les Coalisés), au verset 59, il est dit : «Prophète!, dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants, de ramener sur elles de grandes étoffes: elles en seront plus vite reconnues et éviteront d’être offensées.» Coran (33 : 59).
Ces versets ne parlent pas d’ailleurs du voile mais d’un « djilbab », un mot dont on ne connaît pas la signification exacte. Est-ce un fichu ?, une mante?
Nulle part dans le Coran, il n’est fait explicitement mention du voile (hijab) recouvrant le visage, cachant les cheveux et encore moins tout le corps.
D’ailleurs, un grand Imam, à l’âge d’or de Bagdad au IXe siècle, fit remarquer que «Le Seigneur n’a recommandé le voile qu’aux femmes du Prophète, toute musulmane qui se voilerait le visage se ferait passer à tort pour la sienne et donc sera passible de 80 coups de fouet.»
Le voile, d’après cet Imam était le signe, non pas d’une religion mais d’une classe sociale aisée ou noble.
Par des gestes équivalents, on peut penser que l’Islam recherchait la simplicité et la sobriété dans le maintien social des femmes.
Dans la dynamique d’évolution des civilisations, le voile a perdu progressivement cette première signification pour devenir le signe distinctif des riches citadines et demeura inconnu dans les campagnes.
Ainsi, les femmes paysannes au Maroc par exemple n’ont jamais été voilées.
Certains auteurs, comme A. Mazahéri qui a étudié la vie au quotidien des arabes affirme que les femmes musulmanes n’étaient pas les seules à porter le voile en Orient.
Actuellement, le « hijab », innovation des islamistes, a supplanté dans les pays du Maghreb du moins, le haïk traditionnel, un grand rectangle de laine ou de soie blanc, si bien que l’on peut lire derrière chaque voile, des décennies de haine envers la femme nord-africaine.
De plus, tout se passe comme si le voile rejoue la fonction que lui a assignée non pas le Coran, mais Saint Paul, il y a deux mille ans.
Il s’agit donc de réfuter vigoureusement tout argument selon lequel le voile ne serait qu’un symbole d’oppression et/ou qu’un symbole religieux.
Le voile a joué en fait plusieurs rôles.
Il a servi à justifier, selon les circonstances ou les périodes, des positions sociopolitiques déterminées.
Le port du voile a, à chaque fois régressé devant les progrès de la « citoyenneté » et du modernisme.
En Turquie et en Iran, le dévoilement est imposé au début du XXe siècle par Mustafa Kemal Atatürk et le chah d’Iran, qui voient l’adoption de la tenue occidentale comme un signe de modernisation.
En Tunisie, Habib Bourguiba interdit le port du voile dans l’administration publique et déconseille fortement aux femmes de le porter en public.
Au Maroc , à l’avènement de l’indépendance, le roi Mohammed V, père du roi Hassan II, demande à sa propre fille d’ôter le voile en public, comme symbole de la libération de la femme.
Actuellement, Depuis la révolution islamique de 1979, le port du voile en public est obligatoire pour toutes les femmes en Iran.
En février 2008, le Parlement turc, dominé par le Parti pour la justice et le développement, vote une loi autorisant les femmes à porter le voile dans les universités. Cet amendement est annulé par la Cour constitutionnelle le 5 juin 2008 sur la base de l’article 2 de la Constitution, qui garantit la laïcité.
L’instrumentalisation du port du voile, objet d’oppression par les mâles, la signification qu’il a prise en matière de soumission des femmes, constituent une dérive
Actuellement, le voile est tout simplement le signe d’une société arabo-musulmane en crise… et on affirme ici et là que son port est une injonction édictée dans le Coran.
Alors, de Téhéran à Khartoum, de Kaboul à Casablanca, chaque jour des femmes sont violées, vitriolées, assassinées, fouettées ou licenciées parce que simplement elles ne se sont pas couvert le visage et le corps.
Le voile est devenu surtout un puissant enjeu politique. On peut y voir à la fois le signe de la soumission à un système d’oppression (le patriarcat) , celui du nationalisme arabe, de l’hostilité aux valeurs occidentales etc.…
L’instrumentalisation du port du voile, la signification qu’il a prise en matière de soumission des femmes, ressemblent fort à une dérive,
En Turquie par exemple, le port du voile se faisait indifféremment par tradition familiale ou par conviction religieuse. Alors que Mustapha Kamal Atatürk avait mis un terme au voile et à la polygamie depuis les années 30.
Actuellement, il n’échappe à personne que les députés ont pris une décision qui pourrait leur faciliter la vie : ils ont approuvé, par une majorité de 404 voix sur 505, l’autorisation du port du voile dans les universités. Un symbole vient de tomber, ce qui provoque de vives réactions, comme en témoignent les marches de protestation de centaines de milliers de personnes à Ankara. Certains appellent la Cour suprême à invalider cette loi dangereuse… ce qu’elle ne fera probablement pas.
Si cette décision avait été prise en 2002-2004, quand de grandes réformes transformèrent en profondeur les lois du pays et permirent l’ouverture des négociations avec l’UE, elle serait passée dans ce vent démocratique qui soufflait alors, et n’aurait pas provoqué les durcissements et les fortes tensions que l’on perçoit aujourd’hui. Et ce d’autant plus qu’une grande partie des intellectuels, y compris laïcs, considère qu’il ne devrait pas y avoir de problème de voile à l’université.
– En 1923, lors de la campagne de la libération de la femme, parmi d’autres démarches, l’Union Soviétique obligea les femmes musulmanes d’Asie Centrale à se dévoiler pour briser les structures islamiques de cette région et attirer les peuples musulmans sous le contrôle du Parti. Beaucoup d’hommes tuèrent leurs femmes pour avoir obéi à cet ordre, mais les tribunaux refusèrent de les condamner.
– En 1925, les Sœurs musulmanes, organisation conservatrice strictement traditionnaliste, émanant des celle des « Frères Musulmans » créée par Hassan El Banna en Egypte, ont réinstauré le port du voile comme synonymes de leurs revendications tirées de l’Islam le plus orthodoxe.
– En 1929, un congrès féminin qui s’inscrivait dans la résistance arabe au mouvement sioniste soutenu par les britanniques. Deux cent femmes y prirent part ; elles n’étaient pas voilées.
– Pendant l’effervescence des périodes nationalistes, les premières féministes
arabes ont arrachées leurs voiles dans un élan de liberté et d’émancipation.
Soixante ans après, elles se revoilent pour se détourner de certaines « valeurs de débauches ».
– La Révolution iranienne de 1979 entraîna la généralisation du voile dans un objectif précis.
Le Tchador a été la manifestation la plus violente des iraniennes contre le régime du Chah: le Tchador a signifié la matérialisation de l’insertion des femmes iraniennes dans les processus révolutionnaires.
Il en est autrement actuellement.
– Bien sûr, les fondamentalistes affirment que «le voile est obligatoire », mais ces affirmations sont évidemment le fait de partisans d’un islam politique (islamisme).
Donc, c’est attribuer trop de crédit aux partisans de ces discours et initiatives que de leur laisser le monopole de l’interprétation de la décision du port du voile.
Qu’en est-il de la voix de celles que l’on semble ignorer ?
Celles qui seraient voilées selon les nouveaux canons de la vêture féminine, voudraient s’opposer aux notions du libéralisme occidental, sans être protégées par les instances masculines.
Pour le moment, est dans la tourmente d’une recherche d’identité et de rôle encore bien problématique dans une société qui n’a pas encore fini sa maturation.
Car depuis, le voile s’est alternativement arraché de certains visages pour en couvrir d’autres.
Mais pourquoi couvrir surtout la femme arabe et musulmane de cette infamie d’incompréhension et d’archaïsme!
Depuis plusieurs années maintenant, les pensées de certaines féministes occidentales et des féministes du Sud que nous sommes, se croisent et, sur l‘ensemble des discriminations sexistes, nous avons toujours eu et globalement les mêmes démarches.
Mais la méconnaissance du monde arabo-islamique relève toujours d’une vision stéréotypée de la femme musulmane et arabe voilée, cloitrée et génératrice de questions sans limite.
Le sujet du voile est certes complexe et les arguments sont changeants selon que l’on aime ou déteste les traditions arabes.
Mais pour les féministes occidentales par exemple, la femme arabe et musulmane continue à être imaginée comme une créature voilée, inquiétante à travers les multiples tissus qui la drapent.
Il est vrai que tant que nous n’aurons pas fait un travail d’explicitation avec ces féministes du moins, à propos de certains sujets comme le voile, de rapprochement intellectuel et sémantique, on sera toujours dans la suspicion de l’autre.
Il est vrai par ailleurs que l’Islam a besoin de se remettre en question. Non pas l’Islam en tant que foi, mais l’Islam en tant que doctrine, c’est-à-dire tel qu’il est pratiqué.
Plusieurs courants traversent aujourd’hui le monde arabe et la communauté musulmane dans tous les pays. Ils vont de celui des Talibans avec une réclusion totale des femmes portant des voiles qui la rendent strictement invisibles quand elle sort dans l’espace publique, à celui de pays arabes où les hommes, intégralement modernisés prônent des valeurs laïques et l’égalité totale entre les homes et les femmes.
Ce qui serait intéressant et très nouveau, c’est, à travers la coexistence de plusieurs types de modernités contiguës et de cet angle de vue, rechercher la possibilité de moderniser la religion pour lui permettre de suivre les impératifs actuels.
Cette doctrine doit bénéficier d’une réflexion poussée sur d’autres sujets que le port du voile à savoir l’héritage, le statut de la femme, la séparation du religieux et du politique, toutes les questions concernant l’égalité des sexes car les luttes des femmes pour l’égalité des sexes ouvre la voie à une critique radicale du capitalisme et donc à une lutte pour une émancipation économique, sociale, culturelle et politique.

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