Société

L’équation d’une vie:Maurice Audin raconté par sa fille

Parution. Maurice Audin raconté par sa fille
L’équation d’une vie
El watan du 2 fevrier 2013

Un récit très pudique et d’une remarquable finesse.

Ecrire sur un héros, entré dans la légende d’un pays, comme le fut feu Maurice Audin, n’est pas une mince affaire. Surtout quand le biographe n’est autre que la fille du défunt :
Michèle Audin, digne héritière de son père, avec qui elle partage la passion des mathématiques, étant professeure agrégée de cette matière. Dans Une vie brève*, elle nous livre un récit très pudique, expurgé de tout pathos et d’une remarquable finesse. Dès l’occiput, elle avertit le lecteur en ces termes : «Peut-être avez déjà croisé son nom. Peut-être avez-vous entendu parler de ce que l’on a appelé  »l’affaire Audin » Ou peut-être pas. Je le dis d’emblée, cette  »affaire » n’est pas le sujet de ce texte. Je ne vois pas ce que je peux ajouter à une vérité brève elle aussi, et brutale.» Michèle Audin va suivre les traces de son père jusqu’au moment fatal de son arrestation, le 12 juin 1957, à Alger, par les parachutistes de Massu.

Pour retracer une vie écourtée par la haine et la bêtise coloniales, elle va utiliser différentes ressources. Elle recourt aux témoignages de parents ou de gens qui ont connu son père. Elle interroge aussi une iconographie importante et les carnets du défunt. Modestement, elle semble avancer de nombreuses d’hypothèses en évitant d’asséner des vérités suffisantes qui caressent dans le sens du poil. La rigueur du chercheur apparaît derrière chaque mot et chaque phrase. Ainsi, on apprend que Maurice Audin est né à Béja en Tunisie, le 15 février 1932, descendant d’une famille lyonnaise alliée à une famille pieds-noirs de Koléa. Son père, Louis, venu de métropole, est chef de brigade de gendarmerie. Sa mère, Josette Marie Léonie Sempé, est fille de paysans, arrivés en Algérie en 1950. Après des affectations en France et en Tunisie, son père est muté en Algérie. Le petit Maurice, très doué, va fréquenter l’école des enfants de la troupe de Hammam Righa. Il poursuivra ses études à Autun dans une institution qui prépare aux grandes écoles militaires comme Saint Cyr. Son père le retire de cette institution et l’inscrit au lycée Gauthier d’Alger, actuellement Omar Racim. Tout au long de sa scolarité, il montre sa préférence pour les mathématiques. A la Faculté centrale d’Alger, il rencontre sa future femme, Josette, avec laquelle il va militer dans le Parti communiste algérien. Le 1er juillet 1953 est une date importante pour lui, celle de l’obtention de son DES, diplôme d’études supérieures, en soutenant un mémoire intitulé : «Extension de la seconde méthode de E. Schmidt à des équations fonctionnelles nouvelles».

Cette réussite va lui ouvrir les portes de l’enseignement universitaire. Il s’installe avec Josette qu’il a épousée en cérémonie civile. Grâce aux carnets qu’elle a retrouvés dans les archives familiales, Michèle Audin va reconstituer l’existence au quotidien de ses parents. On apprend rapidement que Maurice Audin menait une vie presque austère. Evitant les excès inhérents à la jeunesse, il fait tout avec modération, se contentant des petits et simples plaisirs de la vie. Le couple
Audin a beaucoup déménagé, d’après les différentes adresses où il a habité, entre Alger-Centre, la Pointe Pescade et Kouba avec, toujours, ce souci de se rapprocher du centre, près de la Faculté d’Alger. Le couple s’accorde des petites escapades en dehors d’Alger et des vacances en métropole. Ayant eu trois enfants en quelques années, les époux

Audin gardent le même rythme de vie et Maurice, avec son esprit cartésien, applique de façon heureuse la règle du partage des tâches à la maison. Il s’occupe des enfants et participe au ménage. Avec toutes ses activités, il ne cesse de fréquenter la bibliothèque universitaire pour avancer dans sa thèse de doctorat qu’il compte soutenir dans les délais. Il publie de nombreux articles scientifiques et ses travaux sont discutés dans les colloques internationaux de mathématiques.
Sur le plan politique, la pression contre le PCA augmente et le parti est finalement interdit. Le passage à la clandestinité donne de nouvelles responsabilités à Maurice Audin qui, selon le Dr Sadek Hadjeres, «agit sur le terrain de la politique et la propagande». Comme la ville d’Alger est en effervescence, Maurice Audin est sollicité par le parti pour aider et cacher certains militants recherchés par la police et les militaires. C’est ainsi qu’en mars 1957, il héberge un dirigeant du PCA, Paul Caballero. Ce dernier tombe malade et
Maurice Audin doit faire venir un médecin qui est arrêté juste après et avoue sous la torture, pratique alors courante en Algérie, qu’il a soigné un responsable communiste au domicile de Maurice
Audin.

Le 12 juin 1957, les parachutistes du général Massu font irruption chez le mathématicien. Maurice Audin va connaître une fin tragique, à l’image de celles de Larbi Ben M’hidi, de Ali Boumendjel et de tant d’autres militants. Son corps n’a jamais été retrouvé. Avant d’être enlevé et de disparaître, Maurice Audin avait pu achever sa thèse. Celle-ci a été soutenue in absentia, le 2 décembre 1957, et Maurice
Audin a pu ainsi accéder, à titre posthume, au grade de Docteur en mathématiques. Cette vie inachevée, remarquablement restituée par Michèle Audin, est d’une justesse admirable, évitant toute prétention, sentimentalisme ou volonté de propagande. C’est une biographie bien écrite qui ressemble à Maurice Audin, homme de simplicité et d’engagement.

*Michèle Audin. «Une vie brève», Gallimard, Paris, 2013.
Slimane Aït Sidhoum

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